Vin & Cie, en bonne compagnie et en toute liberté ...
Extension du domaine du vin ...
Chaque jour, avec votre petit déjeuner, sur cet espace de liberté, une plume libre s'essaie à la pertinence et à l'impertinence pour créer ou recréer des liens entre ceux qui pensent que c'est autour de la Table où l'on partage le pain, le vin et le reste pour " un peu de douceur, de convivialité, de plaisir partagé, dans ce monde de brutes ... "
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Bonne journée à tous, ceux qui ne font que passer comme ceux qui me lisent depuis l'origine de ce blog.
Image empruntée à Super Pousson qui estimait en décembre 2020 que 99% des vins « nature » sont pourris ? Sans vouloir l’offenser j’ai toujours trouvé que lui avait un goût de chiottes ICI
Sonia Lopez Calleja, qui n’aime rien tant que d’explorer à fond un dossier et, Florian Demigneux que je ne connais pas, sont allés, pour le compte du LeRouge&leBlanc, en terre alsacienne, à Ostheim, dans le Haut-Rhin (oui Pax j’ai retenu la leçon d’hydrologie du Rhin) rencontrer Xavier Couturier et Pierre Sanchez fondateurs de Duo Œnologie.
Eulala, des œnologues, dans le petit monde des vins nu ça équivaut à rencontrer le Diable, des fils de Satan, des adorateurs de Michel Rolland, même avec une longue fourchette c’est prendre le risque de se faire excommunier par les pharisiens des vins nu.
Les deux compères se veulent au service du vin « sur mesure », duo œnologie n’est disent-ils pas comme les autres, il ne domine pas les vignerons de son savoir scientifique, il œuvre à leur émancipation. De plus, les deux s’intéressent aux vins « nature » ce qui, convenez-en une forme de rédemption.
Amen !
Trêves de bondieuseries, revenons au goût de souris.
- On voit également une multiplication des goûts de souris ? Est-ce un phénomène récent ou pas ?
Cela a toujours existé et cela fait partie, à notre avis, des goûts liés à la fermentation. Auparavant, il était associé à l’acroléine, la saveur de l’amande amère. Nous n’avions pas de mot spécifique pour désigner cette saveur. Le fait de la nommer la rend plus visible. Dans les années 2000-2010, les Japonais sélectionnaient systématiquement les vins qui avaient développé un goût de souris, c’étaient ceux qu’ils préféraient. La « souris » est aussi un agent de texture prolongeant la sensation en bouche. À partir du moment où cette saveur est qualifiée de défaut, les personnes vont avoir tendance à la rejeter et à oublier le reste du vin. Nous ne disons pas que c’est agréble mais ce n’est pas que mauvais.
On va retrouver ces arômes dans tout l’artisanat fermentaire. La molécule responsable de la saveur particulière du riz basmati est la même que celle intervenant dans le goût de souris. Plus le riz basmati va développer un goût de souris plus il sera vendu cher. Avec le vin, c’est plus compliqué parce que c’est un goût qui apparaît en retrait, en fin de bouche.
- On associe également le goût de souris à des vinifications sans soufre, est-ce judicieux ?
Il est plus fréquent dans les vins sans sulfites. L’utilisation de soufre réduit la quantité de micro-organismes et donc le spectre des métabolismes possibles. Par ailleurs, les difficultés de fermentation ajoutent un risque supplémentaire dans la microflore. En dehors de la façon de vinifier, l’apparition du goût de souris peut être liée à la qualité des raisins et au changement de climat. Nous assistons à un véritable effondrement de la diversité microbiologique locale, qui favorise l’augmentation de la présence de bactéries opportunistes pendant la fermentation. La sécheresse est également un facteur favorisant l’apparition des goûts de souris. À l’inverse, les années pluvieuses réduisent le risque.
- Peut-on limiter les risques d’apparition du goût de souris ?
Il faut que les fermentations soient les plus rapides et complètes possibles. Si ce problème est récurrent en cave, nous allons réfléchir à un aménagement du milieu qui lui soit moins propice. Les conditions climatiques qui font souffrir la vigne sont un facteur déterminant. Il est donc également nécessaire d’aider le « vivant » par des pratiques viticoles adaptées. Ainsi les vignerons qui travaillent beaucoup à diminuer le stress hydrique de leurs vignes ont moins de soucis. Nous ne parlons évidemment pas de l’irrigation ; ce n’est pas une solution. Irriguer participerait à la salinisation de sols. En revanche, nous ne connaissons pas, pour l’instant, de technique pour retirer le goût de souris lorsqu’il est déjà présent dans le vin.
Le ciel parfois dans sa cruauté va au devant de ce que l’humain aurait pu souhaiter.
Vois-tu Martha, au fond, je me suis réjoui de cette série de malheurs qui peu à peu, jour après jour m’ont apporté ce que jamais je n’aurais su ou même osé prendre par moi-même.
Des années plus tard, dans ses mémoires qu’il confiait à un journal local, un journaliste sincère écrira : « Au cours d’une halte inopinée dans la station, des éléments FTPF incontrôlés de la Brigade Rouge du Chablais exécutèrent dix soldats allemands sur la place de l’église avant leur départ. »
C’est tout.
Tout ce qui devra rester dans la mémoire des hommes.
Un entrefilet qui n’incite à aucune émotion.
Je ne veux plus être le seul à garder de ce jour le terrible ressentiment qu’il a eu sur ma vie, su notre vie, Martha.
Je pense qu’il est temps que tu saches ce que furent les jours qui précédèrent ta naissance, même si la connaissance entraîne une part de désespoir.
Il y a dans ces événements se quoi stimuler le désir de vivre, ce même désir qui m’a animé jusqu’à ce jour, ce désir d’être père.
Ce que je désespérais d’être un jour.
Tout ça, c’était avant qu’ils tombent.
Avant que la haine ne les ait foudroyés.
Le monde chantait encore pour moi, les fleurs avaient encore une odeur et le rire des gens invitait à rire.
Mais le monde a changé il a suffi d’un instant, d’un mauvais concours de circonstance : « Une simple halte inopinée dans la station. »
Tu te rends compte Martha, une simple halte inopinée dans la station.
Comme l’a joliment écrit ce journaliste.
Mais pour ceux qui ne savent pas, c’est presque rien, un pneu qui crève sur la route des vacances, rien de plus.
Une halte inopinée.
J’en crève Martha, et toi tu en as souffert toute ta jeunesse.
Mais est-ce que tu as vraiment souffert de m’avoir pour père, un veuf de deux amours comme ça a dû être triste pour toi ma fille ?
Toi que j’ai chérie parce que je voyais dans ton visage, le visage de Marie et dans tes yeux cette intensité, cette lumière, cette profondeur des yeux de Mathias.
Je t’ai aimée ma fille et j’aimerais parfois que tu me le redises, non pas comme autrefois, ce « T’aime papoun » que tu me murmurais à l’oreille, lorsque au coucher je fermais ce livre de la marmotte ou du Père castor que tu affectionnais tant.
Tu te souviens, ce livre où les montagnes riaient et pleuraient comme la marmotte.
J’aimerais te l’entendre dire aujourd’hui, maintenant que tu es grande et que tu es loin de moi.
Maintenant que tu sais qu’un autre est ton père par la chair et le sang.
Le peu de temps qui nous a été accordé de vivre ensemble, Marie et moi, était un temps d’attente. Un temps d’indécision.
Nous étions dans le mensonge absolu.
Il fallait que tous croient que j’étais le père de l’enfant à naître, et Marie pleurait souvent dans mes bras le soir.
Ah, ces soirs où nous sentions en nous la présence de Mathias…
Il était là, comme un rôdeur jaloux et révolté. Pour Marie c’était l’amour que la fatalité lui avait ôté. Pour moi, j’étais cette fatalité qui avait décidé de la tromper.
J’étais le voleur qui ne pouvait s’emparer du magot car le coffre qu’il avait dérobé restait fermé et qu’il n’en avait pas la clef.
Le cœur de ta mère n’a jamais failli, Martha.
Je n’ai eu que son amitié, que sa reconnaissance.
Je n’ai eu que le reflet du diamant que je m’étais approprié.
Jamais elle n’a accepté que je sois plus que ton père, rien que ton père.
Parfois je me disais en moi-même, en la contemplant les yeux fixés sur son ventre plein de toi : « Elle a deviné mon forfait. »
Mais elle ne pouvait pas savoir, pouvait-elle seulement sentir qu’il était encore quelque part vivant une autre vie ?
//////////
Il faut que tu saches, Martha, quel cheminement m’a conduit à envisager sa mort. Quand un homme s’éprend d’amour pour un autre homme, ça ne semble en rien comparable à ce qu’un homme peut être lorsqu’il s’éprend d’amour pour une femme, c’est bien plus fort, et plus qu’une femme pourrait comprendre quand bien même elle pourrait l’admettre.
Quand il est entré dans ma vie, j’ai su tout de suite que je ne pourrais échapper à l’attirance que j’éprouvais pour lui.
J’ai lu dans ses yeux, avant qu’il ne la ressente lui-même, cette étrange tendresse qui te fait espérer que son regard ne quittera pas le tien, avant que tu aies pu lui transmettre par ton propre regard, cette connivence née brusquement du fond de l’âme.
Ce jour du tableau et de sa folle démonstration, lui, ne savait rien encore.
Moi je savais tout déjà.
C’est ainsi souvent que naît un amour d’homme.
Je pourrais te dire encore et encore comment tout s’est déroulé.
Cette démonstration me semble inutile.
Je voudrais simplement que tu comprennes quels sentiments m’ont brusquement assailli et torturé quand j’ai compris que Marie me l’avait ravi.
Une femme peut-elle souffrir vraiment ce que souffre un homme, lorsque celui qu’elle aime s’éloigne d’elle pour une autre ?
Quand j’ai surpris leurs regards à lui et à Marie, j’ai d’abord refusé de croire…
J’ai refusé de sentir s’alléger, peu à peu l’étreinte de ses épaules.
Se faire plume cette tête qu’il venait d’enfouir dans mon cou avec force.
Se faire furtive la morsure de sa bouche sur mon épaule qui lentement jour après jour s’est allégée jusqu’à ne plus être qu’un frôlement.
Cette bouche tant visitée par ma bouche altérée qui se refermait devant l’assaut de mes lèvres.
Je me suis senti délaissé par cet être, tout entier possédé par Marie, confirmé dans son inclinaison par sa seule volonté et tout l’amour qui lui servait d’outil.
C’était plus que je n’aurais pu supporter. C’était trop.
À mes premiers reproches, il avait écarté le sujet en citant la Bible. Pauvre naïf que j’étais, je ne résistais pas à la tentation de lutter.
Je niais l’existence de Dieu.
Quoi de plus naturel que de nier l’existence de ce perturbateur, aux premiers maux qui te frappent, aux premières blessures que t’inflige la vie.
Impuissant à le convaincre de notre amour, je voulais lui prouver que la notion de faute était une histoire trop récente pour qu’o, puisse lui accorder la moindre valeur.
Je voulais lui prouver, que Dieu lui-même était né de la faiblesse des hommes et que la vraie force des hommes serait de vivre sans Dieu.
Je voulais qu’il comprenne enfin, en désespoir de cause, que si son Dieu est amour, l’amour ne pouvait en aucun cas être considéré comme une ignominie.
Je m’appliquais par tous les moyens à lui apporter quelques citations pour étayer mes convictions. De Job à l’Ecclésiaste, tout y passait.
Je lui disais, personne n’est à même de juger si l’amour est pur ou impur selon qu’il a pour objet un homme ou une femme (qui donc extraira le pur et l’impur ? Personne.)
Et puis il y avait cette phrase qui me semblait plus proche de ses convictions et peut-être plus pertinente : « Il n’y a personne de juste sur terre au point de faire le bien, sans jamais pécher. »
Mais ces joutes ne m’ont pas aidé à le convaincre, il était passé le temps, où nous nous aimions corps et âme.
Et je peux te dire encore combien nous avions refermé notre cœur sur ces moments de fusion.
Ils sont respectivement, président, vice-président, directeur du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB)
De ce grand entretien je ne retiens pas grand-chose de nouveau mais, comme il est préférable de ne pas « tirer sur une ambulance », je fais référence ici à la myopie et l’incurie des dirigeants du CIVB et non à la détresse des vignerons de Bordeaux, je ne rajouterai pas mon grain sel sur une situation prévisible masquée par le soi-disant Bordeaux-bashing. L’évitement, la politique de l’autruche, l’incapacité à sentir les nouvelles tendances, en dépit des moyens importants du CIVB, ont conduit le « ventre mou » des vins de Bordeaux dans la situation du Languedoc du vin de Table. L’histoire repasse parfois les plats mais pas chez les mêmes.
Pas de solution unique à la sortie de crise des vins de Bordeaux ICI
Grand entretien avec les dirigeants du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), faisant le point sur les principaux enjeux d’adaptation du vignoble bordelais aux tendances du marché. Des profils produits à la diversification de la production, en passant par l’arrachage.
Par Alexandre Abellan Le 30 septembre 2022
- Quels sont les leviers d’action et de conseil du CIVB auprès de ses opérateurs ? Vous avez réalisé une étude récente sur les profils produits ou une étude sur la vision des cavistes sur les vins de Bordeaux…
Allan Sichel (président du CIVB) : Une étude a été faite avec une méthodologie scientifique rigoureuse pour définir 250 vins de Bordeaux prélevés sur les linéaires (prix allant de 5 à 10 €). Ont émergé 20 styles, goûtés par des professionnels et des amateurs. Ce qui est intéressant, c’est que leurs avis convergent : ils ont les mêmes goûts et perceptions, sans utiliser le même vocabulaire. Ces 20 catégories de produits ont été soumis à la dégustation d’un plus grand nombre, professionnels et amateurs. On voit que toutes les catégories ont des notes honorables, autour de 7 sur 10. Tous ces styles de vin ont des amateurs : des gens qui les adorent. Et il y a en aussi qui ne les aiment pas. La difficulté, c’est comment faire en sorte que le consommateur retrouve un vin qu’il aime. À priori, s’il n’a pas goûté un vin, il n’en connaît pas le style.
C’est le constat. La bonne nouvelle, c’est que tous les vins de Bordeaux trouvent leurs amateurs. La tendance est aux vins sur le fruit avec moins de tannins, mais on voit qu’il y a des styles boisés et riches qui ont leur public. Au niveau du CIVB, on n’est pas en mesure de dire voici le style de produit qu’il faut faire. Ce que l’on met en avant dans nos actions de promotion et de communication, c’est la diversité de l’offre bordelaise. Et surtout l’élargir sur les produits où Bordeaux n’est pas attendu : les rosés, les crémants, les vins blancs… Mais aussi des vins rouges très légers. On voit des viticulteurs qui produisent avec un certain succès des vins rouges à servir frais. Ce sont des choses à caler avec la grande distribution. L’idée de notre charte de partenariat, publiée au sein de la filière, est d’intensifier la relation entre le viticulteur, le metteur en marché et la chaîne de distribution pour que chaque vin trouve son marché dans un cycle en adéquation avec les attentes des consommateurs.
- On entend certains distributeurs préférer rentrer des rosés en IGP Atlantique qu’en Bordeaux, l’appellation serait moins attendue sur cette couleur par les consommateurs. Est-ce un épiphénomène ou une vraie tendance ?
Allan Sichel : Bordeaux n’étant pas attendu sur le côté rosé, c’est une bonne raison pour le présenter. Bordeaux est perçu comme un fournisseur de vins rouges, qui représente la moitié des occasions de consommation. Si l’on reste focalisé sur les rouges, Bordeaux n’est même pas considéré sur la moitié des moments de consommation. Montrer que Bordeaux est aussi présent avec des rosés, des blancs frais, des crémants… C’est un axe de développement.
Christophe Château (directeur de la communication du CIVB) : Il me semble que les volumes produits en Bordeaux rosé sont très nettement supérieurs à ceux produits en IGP Atlantique. Si c’était une demande très forte, il y aurait un basculement.
Bernard Farges (vice-président du CIVB) : On n’a jamais pu vraiment installer l’IGP Atlantique, c’est confidentiel en termes de volumes (à part un opérateur). Mais on regarde d’un bon œil le développement de l’IGP Atlantique. Ça sera une bonne chose. C’est la diversification.
La diversification semble justement être le mot sur toutes les lèvres à Bordeaux : crémants, blanc de noirs… Est le mot d’ordre pour que le vignoble bordelais soit plus en phase avec le marché ?
Allan Sichel : La diversification des sources de revenus est un axe important de pérennisation et de résilience dans la durée.
Bernard Farges : Les chocs climatiques et les chocs commerciaux nous amènent à des niveaux de commercialisation qui sont en dessous de notre capacité de production. Encore que ces trois dernières années les récoltes sont plutôt faibles. Et les commercialisations sont faibles aussi. Le besoin de réduire, de diversifier et de relancer la commercialisation de notre cœur de métier que sont les AOP bordelaises sont les trois voies vers lesquelles nous devons aller. Forcément. Il n’y en a pas une qui va suffire. Dire que l’on va tout diversifier, tout passer en IGP et en rosé, c’est illusoire. Demain, dire que l’on va tout régler par l’arrachage (que l’on n’a pas encore), ce sera illusoire. Dire que par le soutien à la promotion on pourrait remonter à 5 millions hl de commercialisation (d’abord on ne le croirait pas), ce serait illusoire aussi. Il va falloir agir sur tous les leviers. Tous les leviers.
- Lors de vos deux dernières assemblées générales en tant que présidents successifs du CIVB, vous avez respectivement appelé à l’arrachage définitif avec l’appui de fonds européens (pour la restructuration et l’investissement) et à la reconversion vertueuse et réversible (en préservant les meilleurs terroirs). S’agit-il de façons différentes de demander la même chose ou de divergences entre production et négoce ?
Allan Sichel : Il n’y a que Vitisphère et Sud-Ouest qui ont généré la polémique là-dessus. On ne peut pas convertir des terres agricoles pour en faire autre chose sans arracher la vigne. Vous étiez surpris que je ne dise pas le mot arrachage : si je l’avais su avant, je l’aurai facilement exprimé et dit. Nous sommes dans une situation structurelle de surproduction : il faut que l’on réduise le volume de production à Bordeaux. Il faut arracher et il faut trouver des financements pour permettre aux viticulteurs d’entamer cet arrachage. Pour certains c’est la fin de carrière, pour d’autres c’est une conversion vers autre chose. On a des besoin d’utilisation de terrains agricoles (céréales, maraîchage, séquestration carbone, énergies vertes…). Tout ce qu’il faut, c’est que l’on n’arrache pas des vignes pour y mettre des supermarchés : ça serait irréversible.
-Poussée par la souffrance, l’impatience est forte dans le vignoble : un arrachage primé est-il envisageable en 2023 ? Que peut-on dire : être rassurant ou rester prudent ?
Allan Sichel : Pour moi, c’est très difficile d’être totalement rassurant à ce stade-ci. On a des enjeux d’évolution de réglementation qui sont lourds. Tout ce que je peux garantir, c’est que l’on déploie toute l’énergie pour sensibiliser nos représentants au niveau des ministères et engager des évolutions dont il y a besoin. Ce qui est important, c’est d’avoir une feuille de route, parce que ça concerne Bordeaux. Mais ça ne concerne pas que Bordeaux, le ministère a besoin d’une vision d’ensemble de filière. On travaille aussi pour avoir une ligne de conduite pour toute la filière française.
Bernard Farges : Quand en mai, en assemblée générale, on parle d’arrachage, qu’en juillet on en reparle à nouveau (je dis on parce qu’il [Allan Sichel] était au courant de ce que je disais et que j’étais au courant de ce qu’il disait), pourquoi est-ce que l’on n’en parle pas avant ? C’était déjà un sujet l’arrachage, à l’assemblée générale du syndicat des Bordeaux. Jusqu’à présent, on disait qu’il n’y avait pas d’opportunités, que l’on sentait que cela n’allait pas suivre. En mai, on s’est dit que cela suivait ailleurs qu’en Gironde. Peut-être pas pour le faire de suite. Mais ce qui se passe dans la filière viticole française, plutôt bien portante jusqu’en 2018, c’est la succession de chocs : petites récoltes, taxes américaines, fermeture de la Chine, la pandémie, les conséquences de la guerre en Ukraine… Et la déconsommation, très importante en grande distribution.
Nous avons les nuages sur la tête depuis un certain temps, d’autres régions les voient arriver clairement : je ne vais pas les citer ici. Il y a une prise de conscience au niveau de la filière viticole et il y aura des propositions de l’ensemble de la filière. Parce que les outils financiers de soutien et réglementaires d’encadrement de la filière n’ont pas bougé depuis, en gros, 2008. Il y a besoin d’adapter les outils urgemment. Sinon, nous aurons été responsables d’avoir tiré la sonnette d’alarme et de ne pas avoir fait de propositions. Il faut trouver des solutions, sociales pour certains : ce n’est pas de gaîté de cœur. Mais c’est indispensable : la filière est à restructurer.
Avec des éléments très positifs parfois : en deux mois, on a réussi à bâtir pour la Champagne et la Bourgogne un déplafonnement des rendements butoirs. Lorsque cela a été proposé pour la première fois au mois de mai, certains ont ouvert de grands yeux en disant que ce n’était pas possible de faire péter un dogme. Et bien oui, on fait péter parce que c’est cohérent. Champagne résiste parce qu’ils ont des outils de mise en réserve qui fonctionnent. Ailleurs, ce seront d’autres outils. Bordeaux a travaillé et obtenu un nouvel outil de réserve (le volume régulateur), qui ne sera pas efficace cette année on le sait, mais il sera efficace prochainement, on l’espère. D’autres régions y travaillent, parce que ce sont les outils de régulation dont nous avons besoin. Nous sommes démunis face aux chocs que la filière a subi, subit et subira peut-être (climatiques et commerciaux, comme nous sommes exposés partout).
-La vendange 2022 est prometteuse en qualité et réduite en quantité : est-ce un atout pour relancer les ventes et la valorisation ?
Allan Sichel : C’est la difficulté entre le cas individuel et le collectif. Collectivement, au niveau de la filière, avec les stocks qu’il y a et les perspectives de commercialisations, on n’a pas besoin d’une grosse récolte. Mais économiquement pour chaque producteur, qu’il y ait une petite récolte, c’est compliqué.
Les perspectives sont celles d’un très bon millésime : de la concentration, de la matière... C’est très rassurant sur la manière dont la vigne a pu résister à ces conditions extrêmes. Jamais on n’avait vu ça de manière aussi prolongée, avec une sécheresse aussi forte cumulée à une température aussi élevée. C’est un point encourageant.
Fabien Bova (directeur général du CIVB) : La bonne nouvelle, c’est la bonne réputation du millésime 2022 après les difficultés de vente du millésime 2021. L’équilibre entre la production et la capacité de ventes, telles qu’elles ont été démontrées ces dernières années, n’est qu’un équilibre en trompe-l’œil. Puisque les dépenses pour produire si peu sont largement supérieures à une production qui aurait été adaptée à ce volume-là. C’est comme si l’on faisait fonctionner une voiture en permanence dans le mauvais régime. Ce qui nous rassurerait, c’est une revalorisation raisonnable qui permettent de rémunérer d’avantage l’ensemble de la filière en restant dans le marché. Parce que jusqu’ici les petits millésimes ont été suivis d’à-coups sur les cours qui nous ont sortis des marchés. Et nous savons que le temps pour revenir sur les marchés est beaucoup plus long que celui pour en être éjecté et remplacé sur les linéaires.
Fabien Bova, ingénieur agronome de formation, né en 1958, connaît très bien la Gironde et la filière viticole, en raison des nombreux postes qu’il a occupés dans le département. Il était, depuis 2009, Directeur Général de FranceAgriMer.
Il a été notamment directeur de Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt de la GIRONDE (2001-2004) et de Direction régionale et départementale de l’agriculture et de la forêt pour l’AQUITAINE et la GIRONDE (2006-2007) avec de faire partie du cabinet du Premier ministre François Fillon en 2007. Il est Chevalier dans l’Ordre National du Mérite (2002) et Chevalier de la Légion d’Honneur (2009).
Cette page de Mathias qu’il m’avait glissée dans la poche avec autant d’hypocrisie, je te la confie.
Elle est presque parfaite.
Il parlait si bien notre langue. Il aimait dire :
- Chez nous, nous parlons le français depuis quatre siècles.
« Melchior, il faut que tu comprennes.
Nous étions tristes tous les deux quand nous avions fait l’amour.
Nous avions une aigreur au cœur et nous en voulions à la société toute entière de ne pas être en conformité avec nos désirs.
Nous nous en voulons mutuellement de n’être pas conformes à ce qu’exige cette société.
Melchior, nous étions heureux c’est certain, mais amers.
Te souviens-tu des silences qui suivaient notre extase ?
Te souviens-tu des regards voilés que nous posions l’un sur l’autre, cette tendresse coupable qui suivait nos étreintes.
Te souviens-tu de mon angoisse lorsque je cherchais en toi une assurance, un réconfort ?
Lorsque je te disais, Melchior on s’aime…
On s’aime mais on n’est pas pédé, n’est-ce pas ?
Et toi tu me répondais avec ta douceur qui me faisait fondre, toi, tu me répondais : non, Mathias on n’est pas pédé.
On est seulement des victimes, des victimes de la guerre et de l’amour.
Parce que cet amour qui est en nous, il faut lui donner une existence, il faut qu’il s’exprime.
Nous ne sommes simplement que des hommes qui partagent un même amour.
Voilà, Melchior, si tout cela était vrai, tu vas comprendre qu’avec Marie tout était différent.
Sans inhibition, sans tabou.
Simplement comme un jeu chaque fois différent, chaque fois inattendu et qui trouverait son accomplissement dans les moments les plus indus, dans les lieux les plus inattendus.
Melchior, nous avons ri avec Marie, nous avons pris des fous rires après l’amour.
Marie me regardait, les yeux plein de larmes et de bonheur, la bouche ruisselante de son rire et dans un fou rire commun nous déversions tout ce que l’amour n’avait pas encore libéré en nous.
Melchior il ne faut pas m’en vouloir, il ne faut pas en vouloir à Marie.
Ce qui existe entre elle et moi est si différent de cet amour qui nous a liés.
//////////
Quant au colis d’adieu pour Marie, je l’ai déplié avec une certaine amertume.
Je croyais à un livre. En plus du carton il y avait quatre épaisseurs de papier autour de l’objet.
Enfin je déroulais lentement les derniers replis.
C’était un petit châssis sur lequel était tendue une toile.
Une huile bien peinte, un peu vite peut-être.
Un mot me vint immédiatement à l’esprit : érotique.
Et cependant, elle ne représentait que deux grenades et une banane pelée au tiers avec la peau retroussée.
L’agencement des trois fruits sur la toile ne pouvait laisser aucun doute sur l’esprit dans lequel ils avaient été peints.
Il y avait un envoi en bas à gauche :
« Pour Zac, pris au panier du déjeuner sur l’herbe, Manet. »
Mes mains s’étaient mises à trembler.
Ce pouvait-il vraiment que ce tableautin soit de Manet ?
Il s’est avéré qu’il est reconnu aujourd’hui comme tel, à l’instar de l’asperge d’Ephrussi, des violettes de Morisot et des pommes de Méry Laurent.
C’est vraiment le petit format 16 par 21, mais en lui-même et pour ce qu’il représente à mes yeux, c’est plus l’atelier de Courbet.
Il faut aujourd’hui que je te dise qu’il n’a pas quitté mon atelier.
Il est toujours accroché au mur au-dessus de la porte, là où personne ne le regarde.
Je l’avais dissimulé sous une de mes aquarelles du Mont Granier que j’ai sagement marouflé dessus.
Un chiffon humide te permettra de le dégager de sa gangue.
C’est le seul cadeau que t’aura fait ton père.
Fais-en bon usage si je puis dire.
Et si sa valeur sentimentale pour toi s’avère plus forte que sa valeur vénale, garde le bien en souvenir de ces heures de bonheur et de drame, d’amour et de haine qui ont précédé ta naissance.
//////////
De tout départ il y a aussi celui qui reste, le sédentaire.
Celui qui est venu un jour, qui est resté un certain temps et puis qui est parti.
Alors lorsqu’errant à nouveau vers toi, il fait étape parfois sans prévenir, dans ta maison qu’il prend un peu comme l sienne, tu ressens l’ivresse des retours.
Et lorsque ton regard saisit à nouveau son regard, lorsque tes yeux se fixent à nouveau sur ses yeux, il y a une profonde connivence qui traduit toute l’amitié, les non-dits, les semaines de silence.
Le retour.
Faire du retour l’instant unique qui brise le silence et efface l’absence.
Faire du retour la continuité comme ininterrompue de la rencontre et dans la parole ou dans le silence, faire du retour l’éternité du moment fugitif.
Mais aussi, savoir faire de chaque au-revoir un adieu.
Savoir dans la main qui se tend, dans les mains qui se serrent, faire passer l’intensité de l’adieu. Dans les regards qui se croisent, saisir l’étincelle qui te révèle soudain la vulnérabilité de l’homme, la fragilité de son être et combien court est le temps qui lui est imparti par rapport à l’éternité.
Pour quel voyage nous quittes-tu ?
Laisse passer dans ton regard cette angoissante question qui dit à la fois adieu, à jamais…
Moi aussi à demain.
Ma maison est ta maison sur le chemin plein d’embûches et bien que temps et distance vont nous séparer, je te le dis, elle reste l’étape de ta route, le phare immuable sur lequel peut s’appuyer ta quête.
Voilà Martha, ce que j’aurais souhaité dire à Mathias le jour de son départ mais la situation ne se prêtait plus à un tel déferlement de générosité.
//////////
Ce qu’il faut que tu comprennes, Martha, maintenant que tu sais, c’est que Mathias est ton père.
J’ai fait tout mon possible pour être ce père, cependant dans tout l’amour que je t’ai donné, je dois t’avouer qu’il y avait aussi, une grande part de cet amour qui me restait pour lui.
Car, si je suis resté veuf de ta mère pour son souvenir et pour toi, pour que rien n’entache ta jeunesse, je suis avant tout resté le solitaire qui tentait de tromper sa douleur d’un amour perdu en nourrissant en lieu et place l’amour d’un autre pour son enfant.
Elle était belle Marie. Si belle que n’importe quel homme en serait tombé amoureux.
Et moi-même je crois que j’ai d’abord nourri un sentiment pour elle où se mêlaient la sympathie pour une cousine mais aussi cet amour auquel je ne pouvais aspirer à cause de mon handicap.
Son sourire était franc et il me disait oui, avant que tout arrive.
Il me disait on est bien tous les deux quand on parle des heures sans s’ennuyer, quand on rit et que les larmes nous coilent sur les joues.
Oui on était déjà bien tous les deux avant que tout arrive, avant que Mathias arrive, avant que cet amour nous agrippe le cœur chacun à sa manière.
Mais en fait, n’est-il pas qu’une manière d’aimer, une unique manière.
Les tomates vont manquer cet hiver (et ce n’est pas plus mal) ICI
Publié le 16/09/2022 par Konbini
La hausse des prix de l’énergie oblige les agriculteurs à changer de stratégie… et les consommateurs devront leur emboîter le pas.
Les légumes cultivés sous serre vont-ils disparaître des étals cet hiver à cause de la crise énergétique ?
Par Eva LERAY
Salades, tomates, concombres… Quand ils sont cultivés sous serre, y compris hors saison, ces légumes sont très gourmands en énergie. Face à l’explosion des prix du gaz et de l’électricité, ils pourraient se faire plus rares sur les étals cet hiver. Faut-il craindre une pénurie ?
La crise énergétique a un impact aussi sur les producteurs de fruits et légumes. Les plus impactés, logiquement : ceux qui sont cultivés sous des serres, lesquelles fonctionnent « principalement au gaz », nous explique Damien Penguilly, directeur de la station expérimentale Caté à Saint-Pol-de-Léon, (Finistère), site qui cherche des solutions pour faciliter le travail des agriculteurs, et leur permettre de s’adapter au dérèglement climatique. « Je ne vois pas de pénurie pour cet hiver, mais il existe une réelle inquiétude sur les serristes en France, nous dit Laurent Grandin le président de l’Interprofession des fruits et légumes frais (Interfel). 90 % de la production française de tomates et de concombres provient des serres chauffées. » Les factures énergétiques ont déjà augmenté pour les serristes, « surtout pour les producteurs de bananes et les endiviers, gros consommateurs en énergie », précise-t-il. « L’augmentation du prix du gaz met en difficulté les producteurs et pose question », estime Damien Penguilly.
Elle que je voyais chaque jour, elle n’a pas eu le courage de me parler.
J’ai trouvé sa lettre sur la table de la cuisine.
Elle disait :
« Je veux te dire Melchior, ce lent bonheur qui envahit mon cœur jour après jour, heure après heure.
Depuis que je l’ai rencontré à ta maison, j’ai pensé au beau garçon qu’il est.
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Au Beau Site, je n’avais pas eu le bonheur de le voir. Il se fondait dans la masse des autres uniformes verts. Ou bien, avais-je la tête ailleurs, la tête toute au travail et à la peur de l’après…
Depuis deux jours il fait de courtes apparitions dans le service où je travaille l’après-midi.
Sous prétexte d’un pli à refaire au pantalon du colonel il vient en lingerie et me regarde en souriant m’appliquer à refaire un pli déjà parfait.
J’ai compris cela, Melchior, quand il m’a dit :
- Marie, je vous connais depuis longtemps.
J’ai été surprise. Lui, m’appelant Marie, j’en ai sursauté. Et puis tout s’est éclairci.
Il m’a dit qu’il est ton ami, que tu es si bon pour lui, comme un frère.
Je n’en doute pas.
Je te connais, toi, et ton indulgence pour tout ce qui n’est pas à priori agressif.
Et Dieu sait que Mathias ne l’est pas.
Il m’a parlé de toi avec tellement de douceur que si tu l’avais entendu tu aurais reçu ces paroles comme baume au cœur.
Toi qui te sens si souvent reclus dans cet exil du cœur, toi qui refuses toute porte qui s’ouvre.
Tu devrais comprendre qu’une infirmité ne te condamne pas à rien mais au contraire au meilleur.
Celle qui t’offrira son amour le fera en connaissance de cause
Pour moi, je suis ensorcelée par ce garçon qui avance pas à pas vers ma tendresse et vers ce que je devine devenir de l’amour.
Je sais que cet amour est interdit, que si je succombe, demain, la paix revenue, je serai punie pour ma faiblesse. Mais lui, qu’en est-il de lui, Melchior ?
J’ai besoin de conseils. J’ai besoin de ta parole de juste, pour me dire si je dois accepter ce que je ressens ou lutter contre mes sentiments.
Il n’est pas vraiment allemand, tu sais.
Il s’appelle Von Wassy parce que Wassy c’est le nom d’un village de France.
Quand ses aïeux ont quitté le pays à cause des guerres de religion, ils sont arrivés en Allemagne en disant qu’ils étaient de Wassy. Tu vois, il me l’a dit.
C’est arrivé à beaucoup de Huguenots qui se réfugiaient en pays protestants. Ils ont perdu leur nom mais ils ont gardé celui du village martyr.
Melchior, notre amour ne serait-il pas un juste retour des choses.
Aujourd’hui, il m’a pris la main et l’a embrassée, j’ai pleuré de bonheur après son départ. Melchior, essaie de savoir s’il est sérieux et si tu le penses, pousse le vers moi, car je ne ferai pas le premier pas.
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Tu imagines, Martha, l’effet de cette lettre, quand moi-même je me réjouissais de son possible amour.
Elle n’avait peut-être pas fait le premier pas, mais lui n’avait pas hésité longtemps.
A quelle faim succombait-il pour l’aimer ainsi avec tant de fougue qu’il en avait mise à m’aimer…
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Je les épiais.
Ce n’était plus chez moi qu’il venait mais chez Marie et tu te doutes, Martha, que je ne pouvais m’empêcher, lorsqu’il m’arrivait d’aller chez elle de respirer fort, très fort :
- C’est du café Melchior, du vrai café.
- C’est Mathias.
- Nous buvons le café ensemble quand il arrive à s’évader, le soir après le couvre-feu.
Elle souriait Marie. Elle était aveuglée par son bonheur.
Je les ai épiés jour après jour. Je les ai regardés, tapi dans la nuit, sous la fenêtre de Marie.
Comme j’ai souffert, ma fille, de ces soirées où ils s’aimaient.
Comme j’ai regretté ce jour où croyant bien faire j’avais invité Marie à se joindre à nous pour un moment.
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J’avais tout deviné bien avant qu’il me parle.
Avant, que lui me parle, juste après notre dernière étreinte.
Martha, comme j’ai haï, Marie, ce jour-là, comme j’aurais souhaité sa mort.
Je n’avais connu d’amour que celui-ci, je n’avais d’espoir qu’en lui et d’un coup il m’échappait, il se glissait hors de moi comme se glisse une vipère hors du sentier où tu passes.
J’ai pleuré.
J’ai pleuré de le perdre.
J’ai surtout souffert de sa désinvolture où je crus lire le seul besoin de se libérer de la solitude.
Le seul besoin, non pas la passion, non pas l’amour, le besoin de s’échapper par le corps de cette prison de l’esprit qu’était devenue pour lui cette vie de soldat proche de la déroute.
Et puis vint le jour où le départ fut programmé. Mathias débarqua en hâte et en catimini à la maison, il ne voulait pas voir Marie.
Non, il venait me voir moi.
Ce n’était pas vraiment pour moi mais par manque de franchise.
Il tenait sous sa capot » un petit colis plié dans du carton ficelé.
- Melchior, voilà ce qui se passe, nous partons demain.
Ce paquet, c’est pour Marie.
Plus tard, si par malheur je ne reviens pas.
Tu te doutes de ce que c’est, cette guerre, l’issue est déjà inévitable et notre retour en Allemagne devient de plus en plus aléatoire.
Ce présent c’est pour elle.
Pour lui assurer un certain bien-être.
Enfin, je ne sais pas m’expliquer, mais toi tu comprendras.
Il faudra le cacher jusqu’à la fin de la guerre et plus tard personne ne le réclamera.
C’est le major Wohlgruss qui l’avait dans son paquetage. Il venait du front russe.
C’est loin tout ça, et lui est mort il y a trois jours.
Tu te souviens, l’individu de la chambre 127, celui qui voulait te tuer, quand tu as refusé…
Je me souvenais bien sûr, de cet affreux prussien unijambiste qui m’avait promis la mort si un jour il pouvait à nouveau marcher.
C’était un petit colis.
Je le mis de côté sans trop d’illusion à son sujet.
Et moi qu’avais-je eu pour adieu ? Car il s’agissait bien d’un adieu, je l’avais compris à son regard, au ton de sa voix.
Je l’avais compris aussitôt : si par malheur je ne reviens pas ! Foutaise, mensonge.
J’avais envie de lui dire pourquoi mens-tu, dis moi la vérité au moins à moi si tu n’as pas le courage de le dire à Marie.
Mais je n’ai rien dit.
J’ai joué l’ami crédule en espérant peut-être encore une étreinte, un véritable adieu, une ultime tendresse, un regard franc.
Il m’a quitté sur une vague accolade, en glissant dans ma poche une épaisse enveloppe et je l’ai maudit pour avoir esquissé une dernière caresse à travers la toile de mon bleu alors même qu’il mettait sa trahison au-dessus de ce que nous avions ressenti.
Il ne s’est pas retourné une seule fois sur la maison qu’il quittait.
Cette maison où il avait trouvé un asile pour combler sa solitude, épancher ses faiblesses, ses peurs.
Pas un regard pour moi.
Et c’est là que j’ai brutalement eu ce désir que le destin fasse, qu’il ne revienne jamais.
Ni pour moi, ni pour Marie.
Car vis-tu Martha, il faut aujourd’hui que je te dise tout ce que tu ne peux connaître par toi-même, et de toi-même.
Tu es belle, belle comme lui, belle comme Marie.
Mais moi, pour moi, ce que j’ai connu là, en dépit de cette infirmité qui m’avait mis au banc de tous les autres, c’était plus que tu ne pourrais imaginer.
J’ai cru en son amour, j’ai connu la tendresse de sa bouche d’homme quand elle s’emparait tout entière de ma bouche d’homme.
La douceur de sa tête blottie entre épaule et nuque.
Et lui, en partant ainsi, comme un voleur, avait-il oublié cet ardent soupir qu’un tel abandon lui dérobait inconsciemment lorsqu’il sombrait sans retenue dans cette paix après l’amour ?
L’a-t-il partagé avec autant de passion asservie lorsqu’il se laissait aller à l’oubli de moi dans les bras de Marie ?
Martha, tu es l’ange né de ce mensonge.
Je le sais : au fond de lui-même, un combat incessant lui taraudait l’âme, il faut ainsi travestir la vérité pour lui donner belle nature sans aller jusqu’au mensonge.
Sans oser mentir à l’autre quand on se ment à soi-même.
Je veux te dire et te redire encore ce que fut cet amour pour que le moment venu de la confrontation, ces mots te reviennent en mémoire.
Que ces images se superposent à celles qui te révolteront pour réduire ta colère, pour maîtriser ton dégoût et contenir ton emportement.
Pour que tu puisses lentement, lentement accéder à la paix, car vois-tu, Martha, il ne sert plus à rien de regretter.
Ce qui fut ne peut être changé, nous le savons, mais ce qui pourrait changer le passé c’est en l’acceptant, trouver une voie dans l’apaisement.
Ainsi donc il est parti.
Et je peux te l’affirmer aujourd’hui sans plus de regrets pour Marie que pour moi.
Il avait pris ce que nous avions donné librement.
Il savait nos cœurs avides d’amour et le sien impatient d’être comblé.
Mais comblé comme on vient à bout d’une faim, d’une attente trop longue, d’une impatience de pubère.
Et nous, malheureux sédentaires, d’une patrie honteuse, nous avions libéré tout cet amour latent sans retenue peut-être, mais en secret.
Il ne nous restait aussi la vengeance, car après tout il était lui aussi e nos ennemis.
Ce qu’il avait pris, ne nous l’avait-il pas dérobé à force de mensonge, de sourires, de gestes tendres ? Nous étions les vaincus de cette histoire, nous avions été piégés par Mathias.
Cet album, Arno savait qu’il serait le dernier. Le plus libre des rockeurs belges, ou le plus européen des rockeurs libres, est parti au printemps dernier d’un de ces cancers sans scrupule qui a déjà emporté Alain Bashung. Tom Waits, auquel on pouvait aimer le comparer pour son blues et sa voix de cailloux, est encore vivant, mais il ne sort plus d’album.
Tristesse.
Il reste ce disque, posthume, mais qu’Arno semble avoir eu le temps d’achever comme il le souhaitait. Chanté en anglais et en français, comme il l’a toujours fait, avec une dinguerie typiquement belge, une voix de flamand qui semblait toujours avoir trop bu et une mélancolie universelle, Opex n’est pas triste. «J’irais me marier avec le vent, je prends le soleil comme mon amant, avec les nuages je danse le french cancan», chante dès l’ouverture Arnold Charles Ernest Hintjens, avec la joie d’un enfant de soixante-douze ans pour qui «hier c’était le passé, aujourd’hui la vérité».
Émue, la presse belge salue “Opex”, l’album posthume d’Arno
« Ceux qui regardent la mort en face rassemblent leurs proches autour de leur lit. Arno, lui, a préféré les rassembler un peu plus tôt, dans un studio. »
C’est avec émotion que les journaux belges, à l’instar de De Morgen, ont découvert Opex, l’ultime album du chanteur ostendais, mort en avril dernier, « son dernier fait d’armes ». Un testament paru ce 30 septembre, où l’on peut donc entendre le saxophone du frère d’Arno Hintjens, Peter, et les beats de son plus jeune fils, Felix. Est aussi convoqué le souvenir de son grand-père Charles, qui a inspiré l’un des titres.
Dès la première chanson, La Vérité, le journal flamand est pris aux tripes : « Sa voix est nettement affaiblie, plus rauque que jamais. La musique lui donnait certes le courage d’affronter son cancer en phase terminale, mais en l’entendant livrer presque littéralement son dernier souffle dans ce morceau, on a le cœur qui saigne. »
Il y a aussi Take Me Back, où il supplie une femme de lui revenir, One Night With You, une reprise d’Elvis Presley, qui a marqué son enfance, liste De Standaard. Et Boulettes, où il dégaine ce « vocabulaire scabreux qui était son folklore, avec lequel il aimait tant provoquer »
« On retrouve tout Arno sur ce disque chanté en français comme en anglais, ajoute Le Soir. Son humour potache (Boulettes), sa rage électrique, son blues, sa tendresse, sa poésie. » Et, évoquant la force des derniers albums que nous ont respectivement laissés David Bowie et Alain Bashung, le journal francophone poursuit :
« Arno a vraiment réussi ici son ‘Blackstar’, son ‘Bleu pétrole’. Un disque dont il peut être fier là où il est… »
Noblesse oblige
De Standaard évoque longuement les derniers mois d’Arno quand, se sachant condamné par un cancer du pancréas, il a lutté pour boucler encore un album et deux concerts, à Ostende et à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles. « Tomber et se relever, il avançait désormais à ce rythme. »
À l’occasion de la sortie d’Opex, le journal flamand de référence raconte aussi comment s’est tenue la dernière interview que leur a accordée le chanteur, son ultime rencontre avec la presse. « Il vit alors ses dernières semaines, et il le sait. On devait se voir deux jours plus tôt au studio, mais il n’en a pas eu la force, raconte le journaliste. Alors il m’a proposé de le rejoindre à son appartement, rue Dansaert [dans le centre de Bruxelles]. Il salue avec difficulté, son corps amaigri ne trouve aucune posture qui ne soit douloureuse. Mais il demande quand même, noblesse oblige*, si je veux boire quelque chose. »
« À vrai dire, il n’est plus capable de donner une interview. Il parle lentement désormais. Nous n’aurons pas droit aux tirades enflammées sur Ensor, le rock’n’roll » et la politique auxquelles il se livrait si volontiers”, enchaîne De Standaard.
« Il travaille sur un album, le dernier avant de redevenir poussière, alors il aimerait en dire quelque chose. Qu’il est content, par exemple. »
* En français dans le texte.
Mais Arno, honnête jusqu’au bout, ne pose pas en stoïcien face à la fin : « Je paie mes conneries du passé », lâche-t-il dans le sobre mais intranquille Court-Circuit dans mon esprit, juste accompagné par le piano de Sofiane Pamart. La même chanson dit aussi : « La vie est trop courte pour être petit. »
Après ce dernier album, il y aura des disques posthumes d’Arno. « Il ne voulait pas faire comme Johnny ou d’autres (et laisser la famille se déchirer pour les droits). Il m’a demandé de gérer son image et ses œuvres pour le compte de ses héritiers, précise Cyril Prieur. L’an prochain, des concerts hommages sont prévus à l’Ancienne Belgique à Bruxelles, à Ostende et peut-être à Paris. Je travaille avec son équipe sur un projet d’album qui sortirait à ce moment. Arno a beaucoup enregistré, fait beaucoup de reprises. Il y a de la belle matière. »
Un paradis tout simplement, au bord du lac. Une de ces grosses maisons avec terrasse à balustres, port privé, petite plage de galets et dépendances…
Un vaste parc, une immense pelouse…
J’ai pensé qu’il s’agissait sûrement de réparer une tondeuse, un tracteur ou quelqu’autre utilitaire de jardinage.
- Melchior, je vais te montrer la bête, suis-moi.
Nous sommes partis à pied vers les dépendances.
Il y avait un vaste hangar où ils avaient garé leurs voitures et là, sur ses cales, un majestueux Riva tout rutilant de ses vernis intacts, qu’ils venaient de débâcher.
Ils ? En fait ils étaient cinq qui s’excitaient autour, le faisaient reluire de mille éclats avec des chiffons.
- Tu vois Melchior, c’est pas pour rien qu’on te déplace.
Tu vois la merveille, tu l’imagines sur le lac, direction Hautecombe !
Ce bateau-là ce n’est rien d’ordinaire, Melchior.
Le colonel le veut sans faute en état de marche pour demain.
Alors, à toi d’officier.
- Et si je ne peux pas ?
- Tu peux. Je le sais Melchior, si ce n’est pas pour eux que tu le fais, fais-le pour moi.
Ils m’ont alors déplié un escabeau, tendu mes outils, apporté du carburant.
Ils étaient cinq à tourner autour, à m’observer, à m’épier.
Ils se figeaient brusquement à chacune de mes tentatives pour amorcer le moteur.
Mathias était parti vers la maison.
À midi il est venu m’apporter du pain et du fromage, il m’a tendu ce menu casse-croûte en haussant les épaules comme s’il n’y avait plus eu que cela.
Il avait le regard implorant. J’ai fait la moue, enfin j’ai souri.
Alors ses yeux ont chaviré vers le bonheur.
- Quand ? a-t-il demandé.
- Mathias, pour réveiller une telle princesse d’un aussi long sommeil, il faut plus qu’un baiser de Prince.
Alors il a enserré mes mains dans les siennes, a esquissé un baiser et m’a murmuré à l’oreille :
- Un baiser de ton huguenot sera-t-il assez pour éveiller la princesse ?
Vois-tu Martha, je ne sais s’il était sincère ou menteur. Je crois qu’il était les deux à la fois.
Il y avait tant de bonheur dans son regard…
Mais je ne pouvais m’empêcher de songer qu’il y avait autant de bonheur à son égard, que pour le fait qu’il allait donner satisfaction à ses chefs en usant envers moi de sa séduction corrosive.
Nous avons mis le bateau à l’eau dans l’après-midi.
J’ai fini de nettoyer l’intérieur et de briquer les chromes.
Les officiers tenaient leurs séances dans le salon du nord. Les chauffeurs et l’intendance avaient obtenu un répit.
Ils avaient quitté l’uniforme pour ne plus garder qu’un caleçon sans grâce et arpentaient la migre plage de galets.
A mon tour je les observais. Rien, pas un mot. Le silence de ces hommes dans cet univers débordant de bruissements, de cris d’oiseaux, sous un soleil cuisant, trahissait leur inquiétude. Les oiseaux, la brise dans les roseaux, quel orage dissimulait donc cet état de paix apparente ?
Quel tumulte endiguaient-ils dans leur tréfonds, là où orgueil, désir, dépit, envie tentaient de s’exprimer.
Quelle peur maintenait dans leur silence cette trombe qui me semblait à même de jaillir à tout instant.
Je crois qu’il y avait chez eux, et par-dessus tout, cet orgueil d’être les détenteurs d’une race.
Ils possédaient la force et la beauté, ils en étaient persuadés.
Ils déambulaient sur cette maigre plage en se lançant des regards qu’ils voulaient indifférents, mais ils se mesuraient les uns les autres.
Je crois qu’à certains moments, ils se défiaient sans mot dire, par le seul silence.
J’imagine alors qu’une femme jetée en pâture à ces hommes, aurait déclenché une lutte sans merci.
Ces demi-dieux n’étaient que des hommes.
Comme moi ?
Non, la comparaison me semblait impossible.
Cette gueule d’ange qu’est la mienne, s’est dissipée en même temps que ma possibilité de marcher droit.
Un boiteux peut-il jamais être beau ?
Le Riva a démarré. Tu l’entends ?
Dans ton imagination peux-tu essayer de trouver à la rubrique « pétarade de luxe », le ronflement d’un Riva ?
D’abord, il y a la mise en route.
Et puis après, le noble ronflement à l’arrêt.
Alors, ils ont tous sursauté.
Tiré brutalement de leur monde illusoire, ils sont réapparus un peu comme des enfants.
Oui, je les ai vus arriver comme des enfants.
Ils ont applaudi.
Oui, Martha, ils ont applaudi, ils avaient oublié qui j’étais, ils ont lancé des « hourras » !
Comme à la fête.
Et là-haut sur la terrasse, accoudé aux balustres blanches, j’ai vu soudain cette rangée de taches vertes surmontés de visages rubiconds qui cherchaient des yeux le Riva invisible pour eux, caché par la digue du port.
Et je te jure, je l’ai vu lui, le colonel Keisel, se joindre aux applaudissements des mômes.
J’avoue que j’ai éprouvé une certaine fierté à l’avoir fait. Je veux dire la remise en route du Riva.
« Le Lyonnais » le jardinier des lieux est arrivé avec une bouteille de champagne, un Dom Pérignon 1937.
On a cru que c’était pour le boire. Non, ordre du Général, il fallait le briser contre la coque pour le baptiser « Sieg » (victoire).
Ordre du général ! Imagines-tu l’outrance de leur caprice ?
Casser une bouteille contre la coque d’un Riva.
Quel crime n’étaient-ils pas prêts à commettre ?
C’est ce que j’ai pensé vois-tu, même à cette époque, même là.
Je l’ai pensé alors qu’autour de nous, des hommes mourraient assassinés de pire manière.
Je l’ai pesé et je crois que même aujourd’hui, je n’ai pas honte de l’avoir pensé.
J’ai cassé la bouteille contre la digue, les mêmes ont renouvelé leurs « hourras », les officiers étaient déjà rentrés, ils se foutaient éperdument de tout ça.
J’avais épargné cet oiseau intact qui ronflait doucement, vibrant comme une caresse sous mes pieds nus.
Le soir nous sommes restés à Colibri.
Les officiers avaient un repas de gala.
Nous, nous étions sur la plage.
Le « lyonnais » nous avait rejoints, il avait apporté deux Pétrus 1931, trois Haut-Brion 1931 et Trois Yquem 1929.
J’étais abasourdi par la richesse de la cave. Jamais nous n’aurions imaginé que la cave de Colibri pouvait contenir autant de merveilles.
J’abordais le Lyonnais avec un large sourire.
- D’où sors-tu toutes ces merveilles ? Les officiers sont-ils au courant ?
- T’inquiètes pas Melchior, il reste 354 de ces merveilles dans la cave et eux là-haut, ils en ont déjà éclusées plus de cent en une semaine.
- Ils en ont préparé quelques cartons pour emmener, sans quoi is boiront tout avant de partir.
- Mais d’où sors-tu ce trésor ?
- C’est ce qui m’a sauvé la vie, Melchior. Connaître le secret de la cave du Colibri.
Tu vois, vieux, j’étais jardinier ici avant que ça pète. Et un jour j’ai surpris le patron pensif devant sa cave.
Il m’a dit : « Jules ça tourne mal, ou on les cache ou on les perd. »
Alors on les a murées dans le réduit, sous la terrasse, sous la descente de l’escalier.
On a fait ça à deux et il m’a dit. Jules, tu seras le seul à le savoir avec moi. J’ai confiance en toi parce que tu ne bois que de l’eau.
Mais il plaisantait, il avait vraiment confiance en moi.
Ce Lyonnais, c’était un type bien. Depuis quatre ans j’étais jardinier à sa villa de Collonges. Colibri c’était la résidence d’été.
Il faisait un peu de la Résistance, mais je crois surtout qu’il était juif.
Un jour la milice a débarqué à Collonges.
Il n’y avait plus que nous deux dans la maison, le reste de la famille était déjà loin.
Nous deux.
Tu nous vois.
Les salauds nous ont emmenés à Montluc.
Il y a dix mois de ça.
J’en ai vu partir des camions, Melchior, ils les chargeaient sans ménagement. Certains étaient déjà… Enfin.
Je n’ai plus revu mon patron.
Et moi, un jour j’ai cru mon tour arrivé quand il sont venus me chercher.
Mon nom c’est Dupont. C’est con, Dupont. Mais avec un nom comme ça, on ne peut pas être juif, même pas un qui se cacherait sous un faux nom.
Dupont c’est trop vrai pour un type qui n’est pas vraiment Dupont.
Ils sont venus me chercher pour faire le jardin chez un chleu… à Collonges, tu imagines !
Il avait emménagé dans la villa.
Quelqu’un leur avait dit où j’étais, bref, ils cherchaient un homme d’entretien, ils sont venus me chercher.
Le boche en question, c’est le grand qui fait la fête là-haut. Il voulait me renvoyer à Montluc quand ils ont quitté Lyon.
Mais voilà, ce gros soudard avait un point faible : les vins du Bordelais !
J’ai monnayé mon départ avec lui contre une fabuleuse collection.
Tu imagines la transaction, Melchior, ma vie à moi contre quatre ou cinq cents bouteilles de picrate.
On pèse pas lourd vieux, on pèse pas lourd, mais quoi, faut reconnaître que c’était un bon coup ! Ma vie, ne vaut que quatre ou cinq cents bouteilles de picrate, Melchior, c’est à pleurer. À pleurer !
Et Juju le « Lyonnais » ivre de son propre sang, riait en répétant : « à pleurer, à pleurer » !
Il arpentait la plage, une bouteille de Haut-Brion à la main et dans mon esprit déjà flou je voyais l’homme supportant le flacon de sang d’une perfusion vitale.
C’était la fête ! Vraiment la fête, il y avait un feu de bois, nous étions en rond tous autour, comme des gosses en colonie de vacances.
Nous avons bu.
Les bouteilles circulaient de main en main.
Ils ont chanté.
Pourquoi faut-il ici comme ailleurs, que toutes ces chansons issues du folklore soient ainsi emplies d’une nostalgie indéfinissable qui vous étreint le cœur et vous met les larmes au bord des paupières ?
Toutes ont un commun accord qui, même étant d’ailleurs, les fait résonner en nous comme de vieilles connaissances.
Peu à peu, la nuit s’étirant, c’est une espèce de tristesse, aux réminiscences de non-dits et de non-faits, de manqués et de ratés, qui vous gonfle la poitrine.
Les mains se cherchent. Les doigts se mêlent.
On ose dire qu’on s’aime.
On est trois, quatre, six… peu importe on se le dit. On le pense. Vraiment ?
Peu importe si cela ne dure qu’un court instant.
Peu importe si c’est aidé par l’ivresse qu’on sombre brusquement dans cette sorte d’euphorie.
Le cœur s’est ouvert à la confidence avec d’autres qui demain seront étrangers à nouveau.
Mais ce qui est dit est dit et le restera.
- On s’aime bien, nous tous, n’est-ce pas Melchior.
On s’aime peut-être pas tout court mais on s’aime bien.
Et les mains frôlent les nuques et les bras enserrent les bras et les yeux se fondent dans les yeux.
Et ne serait-ce que pour un soir, l’essentiel n’était-il pas que cela fût.
Oui je l’ai vécu cet instant et bien vécu.
Et Mathias à côté de moi le vivait comme moi.
On s’aime bien.
Voilà le mot qui rassure quand le cœur commence à douter des faits.
Quand l’ébriété s’estompe.
Quand avec la fraîcheur du jour qui point, on frisonne, et de froid et de cette angoisse qu’on avait cru chasser mais qui n’était que dissimulée sous les voluptueuses goulées de Pétrus et Haut-Brion.
Cependant je ‘ai bien éprouvé ce sentiment, du fond du cœur, de toute mon âme.
Et même au matin, cet emballement ne m’a pas semblé n’êter qu’un mirage.
Il est le fol prélude à l’amitié me disais-je.
Le premier pas vers ce qui aurait pu s’appeler l’amour si ce mot-là n’était sujet à toutes les ambiguïtés.
Nous allons nous quitter, nous le savons bien, nous qui entonnons avec lenteur « ce n’est qu’un au-revoir. »
Faut-il donc que tout départ se conclu de la manière la plus banale ou bien est-ce cela, la seule façon de se quitter chez les gens simples.
Les Français moyens ? Les Allemands moyens ?
Aussi loi qu’il m’est possible de remonter, je me souviens que ce chant est toujours venu clore une page de ma vie.
Le lendemain, retour à la villa Colibri.
Les officiers excursionnaient sur le Riva.
Je l’ai démarré sans problème. Mathias pilotait.
Je les ai regardés partir, sur un lac à peine ridé, sous une légère brise, avec un soleil estival. Mathias n’eut pas un regard pour moi, en contournant la digue, il était droit.
Il était raide, figé, à l’instar des officiers, qui semblaient à la parade.
Était-ce par orgueil ou par désespoir ?
Il vivait cette fin de guerre comme la veille d’une victoire alors même que tout annonçait une défaite.
Ou bien se disait-il alors, « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », et prenait-il dans chaque chose ce que de plus enivrant il pouvait y trouver.
C’est en pensant à Jules le jardinier que me vient cette idée.
Il est mort le 28 août 1944, alors qu’il sortait de Colibri, exécuté par une bande de voyous qui venaient de sévir en ville.
Il avait bien fait, celui-là, de partager avec nous ces crus fameux.
Le propriétaire Emmanuel Reynaud, au milieu des 110 ha de vignes du Château Rayas, à Chateauneuf-du-Pape.ARNOLD JEROCKI / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Passage plaisant plus tard à château Rayas où Emmanuel Raynaud nous reçoit longuement pour nous expliquer son approche des blancs, même si Rayas, comme le château des Tours à Vacqueyras sont plus célèbres pour leurs rouges mythiques que pour leurs blancs. Nous n’avons pas goûté collectivement Rayas blanc, mais seulement à trois lors d’une dégustation dans un cadre privé, et nous ne pourrons pas le commenter comme les vins du château et du domaine des Tours qui étaient eux, inclus dans notre dégustation collégiale. Nous pouvons toutefois rappeler que, lors de notre article sur les blancs de Châteauneuf-du-Pape (n°108), les Rayas 2005 et 2001 avaient obtenu les deux meilleures notes… Le 2010, goûté donc en mars dernier, nous a semblé un léger cran en-dessous, mais il est probable qu’il aurait fait partie des trois ou quatre meilleurs vins de notre dégustation de février 2022.
Pour Emmanuel Raynaud, « cette lourdeur saturante et ce manque de fraîcheur des blancs du Rhône sud sont une image un peu facile qui s’est diffusée au fil des ans sans que personne ne s’attelle sérieusement à démontrer que de nombreuses cuvées n’avaient rien à voir avec cette réputation. » Le vigneron ajoute : « Ici on récolte facilement des fruits bien mûrs. Il faut que ce fruit, qu’on croque sur la vigne, se retrouve dans le verre, avec de la fraîcheur, de la finesse et de la longueur, sans que ça fasse mal à la tête, donc en évitant la part inutile du sulfitage. Pour moi, la plus belle association est celle du grenache blanc et de la clairette, comme à Rayas où ces deux cépages sont, bon an mal an, à égalité dans notre cuvée. Au château des Tours le choix a été différent puisque la cuvée domaine des Tours est une pure clairette et Les Tours (ex-château les Tours) est un pur grenache blanc. À mon avis, le grenache blanc, de plus en plus décrié avec le réchauffement, est un cépage qui reste très intéressant, comme une longue ligne droite de matière dont on ne voit jamais la fin. »
D’ailleurs, Emmanuel Raynaud ne semble pas trop se plaindre des évolutions climatiques : « Je ne suis pas certain que l’équilibre des vins change fondamentalement avec le climat actuel. Pour moi c’est plus la quantité de lumière qui est plus fondamentale que la chaleur, et ce soleil plus vif très tôt dans la saison accélère la photosynthèse. Depuis une dizaine d’années, je constate qu’on a à la fois plus de feuilles sur la plante et davantage de sucre dans les fruits qui produisent des jus plus épicés, tant en blanc qu’en rouge. Reste enfin la question de l’élevage et surtout de sa durée, que je souhaite longue, mais dans de très vieux bois : nos barriques ont entre soixante et quatre-vingt ans… » Emmanuel Raynaud reste persuadé que dans ses vins, blancs comme rouges, il faut partager avec leurs dégustateurs ce que la nature a offert au vigneron, donc sans contrarier ce qu’elle a envie de donner telle ou telle année.
-Tu ne m’avais pas dit que tu peignais. Pourquoi ?
-Tu ne l’as pas demandé.
-Et celui-là ? celui qui n’est pas fini là-bas sur le chevalet, c’est quoi ?
-« Amor Vinci omnia », c’est un Caravage.
-Tu ne devrais pas copier. Il y a assez de gens et de choses autour de toi pour les peindre. Pourquoi copier des tableaux qui ont peut-être quatre cents ans et plus, c’est sans intérêt.
Je l’ai regardé, tout méprisant qu’il était.
J’ai hésité quelques secondes et :
-Déshabille-toi, assieds-toi, sur le banc et je te peins à la place de l’ange.
- Nu ?
- Oui, comme l’ange de Caravage, nu.
- Melchior, tu plaisantes ? Allez, soit sérieux !
- Je n’ai jamais été aussi sérieux, Mathias. Mais si ça te dérange, n’en parlons plus.
Je vais copier Caravage.
Alors il s’est déshabillé. En caleçon il s’est assis sur le banc et notre première séance a commencé.
Trois jours après, il est revenu. Il est passé directement à l’atelier, s’est dévêtu, assis sur le banc.
- Alors l’artiste tu viens ?
Je suis arrivé, méfiant.
Il posait.
Nu.
Il avait simplement dissimulé son sexe entre ses cuisses, genoux croisés.
- Mathias, ce n’est pas un castrat que je peins, c’est l’amour.
Tu comprends ? Sors ce sexe de son étau !
- Viens le sortir si tu oses.
- Ne te fais pas prier. C’est toi qui a décidé d’être l’amour, sois-le jusqu’au bout !
- Viens, viens y donc.
(Vois-tu Martha, le piège c’était ça. Je suis allé vers lui.)
- Arrange ça comme tu veux Melchior.
Il avait desserré l’étreinte de ses jambes.
J’en repliai une, la gauche, sur le côté, le genou reposant sur le bord du banc, la droite pendante.
Et je donnai une pichenette des doigts à son sexe pour qu’il retombe mollement.
Je retournai au chevalet.
Comme j’ôtais le drap de la toile ébauchée, je le sentis derrière moi
Il me saisit par les épaules pris d’un étrange fou-rire.
J’ai compris tout de suite qu’il me narguait.
Mais sans méchanceté, comme un ado qui vient de faire une farce et qui se réjouit de son tour.
Il se mit alors à danser dans l’atelier, le sexe en érection, chantant « amor vinci omnia » sur l’air de « Deutschland über alles. »
J’ai remis le drap sur la toile et je suis parti en claquant la porte.
Mais vois-tu, le mal était là, brutalement, profondément incrusté dans le fruit, je ne pouvais détacher mon esprit de cette image d’un corps magnifique de jeunesse et de beauté gesticulant autour de l’atelier.
//////////
Dans les jours qui suivirent, j’ai terminé de le peindre sans qu’il vienne poser.
Je l’ai peint, alors que déjà, un désir que je ne me connaissais pas me poussait à le voir.
Et plus je lui donnais corps et visage sur la toile, plus je sentais croître en moi ce désir de posséder ce corps et d’être dans le même temps reconnu comme un égal par cet être trop beau.
Je n’avais que deux années de plus que lui, mais la vie m’avait jamais permis de me voir avec avec autant d’assurance qu’il en affectait.
//////////
Cette jambe folle, ce membre presque inutile que je traînais, avait éclipsé tout le reste, repoussé en moi toute relativité quant à ce que j’étais vraiment.
Lorsque j’eus terminé le tableau, nu devant la toile, j’essayais de comprendre pourquoi, je m’étais ainsi refermé sur moi-même.
Pourquoi j’avais projeté tout mon être sur mon infirmité, plutôt que de tenter de l’oublier. Mais je réalisais aussitôt que toutes mes tentatives avaient été vaines, repoussées par les réflexions des autres.
Pire peut-être.
Tout avait d’ailleurs commencé ce jour-là, celui où ma mère m’avait dit :
- Mon pauvre garçon, il ne faudra pas compter sur ton physique pour séduire.
C’était dit !
Avait-elle perçu en les prononçant, le poids terrible de se mots ?
Se doutait-elle de l’énormité de sa réflexion ?
Cependant, je ne pouvais, en moi-même, lui en vouloir.
Ce n’était en fait que la brutale confirmation de ce que je craignais.
J’étais déçu, mais elle, probablement autant que moi. Souvent les enfants se posent de bien étranges questions que les parents ne soupçonnent même pas.
Avais-je été dès le départ sa déception ?
Avais-je été l’inattendu ? Ou bien tout simplement le moment de ma venue avait-il été le fruit d’un mauvais choix…
Il en est des naissances comme de la mort, rarement l’événement se produit au jour et à l’heure souhaités
Et quand bien même il aurait été choisi, qui peut garantir que ce choix n’était pas le seul fait d’une impulsion mal maîtrisée.
J’avais tiré la psyché de ma mère contre le chevalet et je me contemplais dans ce haut miroir.
Étais-je vraiment aussi beau que lui, abstraction faite de ma jambe ?
J’étais tellement préoccupé que je n’avais pas entendu la porte s’ouvrir.
- Mais, c’est qu’il est beau comme un ange, celui-là ! Personne ne se doute que son bleu de travail dissimule un trésor.
J’ai sursauté.
Il était debout derrière moi.
Il souriait.
Surpris et dépité, j’écartais les bras, muet et honteux.
Alors, il est venu à moi, il s’est serré contre ma poitrine, son menton sur mon épaule.
J’ai refermé mes bras sur lui…
Après, bien après, il est allé jusqu’à son uniforme qui gisait sur le sol.
Il a sorti d’une poche un cornet de papier et il est parti vers la cuisine.
Martha, c’était la première fois.
C’était aussi la première fois depuis tant de temps que montait sous les poutres une vraie odeur de café.
À cette époque, nous ne connaissions plus que l’odeur de l’orge torréfiée, infusée.
Il revint, avec deux tasses et la cafetière de tôle émaillée bleue. Nous avons siroté notre café pendant une heure et ce fut le début d’un rite.
Un jour il me dit :
- Cette cafetière il faut que je l’emporte en te quittant, Melchior, parce qu’elle et toi et moi à la fois, elle est nous deux et tant d’amour échangé, tant de mots…
Il l’a laissée, Martha, car quand il est parti, elle n’était déjà rien pour lui.
//////////
Ce jour-là, Mathias est arrivé au lever du soleil.
- Secoue-toi, l’infirme, aujourd’hui on descend au lac.
Prépare ta caisse à outils Melchior, on va à Colibri, il s’y tient un conseil des gradés. Pour toi il y a du travail sur un moteur.
- Un moteur ?
- Je ne t’en dis pas plus, tu verras sur place.
Le colonel n’a pas précisé.
- Comme d’habitude n’est-ce pas, rien de précis.
Toujours tout vague. Et puis une fois à pied d’œuvre, débrouille-toi, mais fais le boulot. Avec une armée comme ça, vous ne pouvez pas gagner la guerre.
- Melchior, silence ! Plus jamais de mots pareils. Tu comprends ? C’est le poteau direct si on t’entend.
- Tu m’a bien entendu Mathias, non ? Alors fais ton devoir.
- Non, non et non je n’ai rien entendu. Alors cesse, toi aussi, de m’appeler l’infirme.
- Pardonne-moi, c’était gentil.
Il avait ses yeux fatigués. Le visage palot, les traits tirés.
Tout n’allait pas si bien. Le printemps se terminait mal, hier « ils » avaient bombardé Chambéry.
Une bombe s’était même égarée jusqu’au port.
Ce qui devait justifier tout ce remue-ménage. J’avais cru deviner de la peur dans leurs yeux, mais aussi de l’impatience, celle des plus jeunes, impatients d’en finir.
Cette nervosité qui précède la fuite véritable, qui est déjà fuite de l’esprit.
Ils sont, dans la tête, sur les chemins du retour.
Tant pis pour la défaite.
Elle ne faisait plus guère de doute.
Mais pourvu que l’heure arrive d’un départ sans tambour ni trompette.
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