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14 octobre 2022 5 14 /10 /octobre /2022 06:00

La Vierge enceinte de Cucugnan - Cucugnan - Aude - Midi-Pyrénées - Grand  Sud Insolite et Secret

J’ai compris tout de suite.

Dès qu’elle a franchi le seuil.

Vois-tu Martha, une femme heureuse de l’être ne peut cacher qu’elle est enceinte.

 

Et Marie, ce jour-là, irradiait d’un bonheur qui d’un coup effaçait toutes les peines vécues.

Elle ne voyait plus que l’enfant de Mathias, elle n’allait plus vivre que pour l’enfant de Mathias. Elle était dans son for intérieur, convaincue que Mathias allait renaître dans l’enfant qu’elle portait.

Et je peux te dire, Martha, une mère n’a plus, quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle dise, le caractère d’une femme quand avant même qu’il naisse, elle s’affirme mère de son enfant.

Entre la mère et la femme, il y a un gouffre qu’aucun homme ne saura jamais vraiment combler.

Il faut alors partager, sans s’oublier.

N’aimer plus qu’à travers l’enfant cette femme devenue mère.

Aborder avec plus de respect ce ventre qui s’est ouvert sur une vie.

Ce ventre qui ne peut plus dans l’esprit n’être qu’un objet de plaisir.

Vois-tu Martha, je te parle aussi des choses que j’ai peu connues, mais je l’ai écoutée, ta mère, semaine après semaine, mois après mois.

Ce ventre, parfois, n’était plus son ventre mais l’objet d’une telle vénération que je l’ai crue près de perdre la raison.

 

Notre vie commune ? Nous étions devenus frère et sœur dans les faits, bien qu’amants pour le reste de la ville et notre coexistence me devenait lourde.

J’étais seul en fait pour apprivoiser les fantômes d’hier et modérer les projets de demain.

Toujours enter désespoir et utopie.

Elle écrivait, en toute inconscience, à Lenzkirch, à cette adresse que Mathias avait laissée. A cette Martha qui serait la grand-mère de l’enfant à venir.

Chaque semaine une lettre partait.

Qu’aurait-elle pu espérer de ces courriers par les temps que nous traversions ?

Mais il était inutile de tenter de la raisonner.

Elles sont toutes là, dans la boîte à biscuit LU.

Je n’en ai posté aucune.

Je ne les ai pas ouvertes non plus.

Pas lues.

Je voulais tracer un trait sur Mathias.

Il était mort pour nous. Je savais depuis ce jour terrible qu’il ne réapparaîtrait pas.

Nous étions la part sombre de Mathias. Le péché de Mathias.

Et j’imaginais sans peine ce que pourrait être le remords d’un cœur qui s’était tant donné à Dieu avant de connaître la nature des hommes…

 

Je vais l’appeler Martha si c’est une fille, Mathias si c’est un garçon.

-Martha ? Pourquoi Martha ? Marie, ce n’est pas un prénom de chez nous.

Marthe, si tu veux, mais Martha ? Tu y penses vraiment ?

-Martha parce que la mère de Mathias s’appelle Martha.

Elle sera heureuse quand elle saura.

-Cesse de te faire des films, Marie.

Si elle avait voulu savoir, elle t’aurait écrit, non ?

-Elle n’a sûrement jamais reçu mes lettres. Imagine, Melchior ce que c’est qu’un pays qui a perdu la guerre.

Tous ses enfants morts sans la moindre gloire pour se consoler.

Elle pleurait.

-Calme-toi car Mathias, ou Martha, a besoin de calme pour mûrir.

C’est comme un fruit, attention, la grêle, les orages… les chagrins.

 

Et je riais aux éclats, je riais de voir le visage de ta mère tout à coup buriné par l’inquiétude et deux fines mains qui palpaient son ventre à peine gros, qui caressaient cette forme à peine visible, mais qui déjà sous ses mains devait peser le poids d’un enfant.

 

Alors, voyant ma  mine, elle riait à son tour et me sautait dans les bras en me donnant des coups de poings.

Ma petite Marie. Marie à moi.

 

Les lettres de ta mère, prends-les et lis-les. Elle ne parle sûrement que de toi. Comment pouvait-elle croire qu’elles atteindraient leur but. Nous étions fin quarante-quatre.

Rien n’était fini. Pas une lettre ne pouvait partir vers l’Allemagne.

Pas une seule. Elle vivait alors totalement dans un monde parallèle, avec Mathias mort et toi à naître.

 

 

 

 

 

                              //////////

 

 

 

 

Et toi Martha ? tu m’as demandé, tu te souviens.

-Papa, elle est où ma maman ?

-Elle est au ciel ma chérie, au ciel.

-Pourquoi au ciel ?

-Parce que, quand toi tu nous es venue de ciel, le Bon Dieu a dit Marie, j’ai besoin d’une maman pour les enfants du ciel, et il l’a emmenée au ciel. Voilà !

 

 

 

 

 

                            //////////

 

 

 

 

 

Les mois ont passé.

Mars et le printemps pointaient leur nez.

Tu es une enfant du matin, Martha.

À six heures, Marie est venue me réveiller.

-Melchior, il faut y aller, cette fois ça y est ! il vient, je sens qu’il vient !

Elle avait déjà préparé depuis plusieurs jours sa petite valise.

-Marie, du café ? Une petite tartine ? Je parie que tu n’as rien dans l’estomac…

-Non, je te dis, il faut faire vite !

J’essayais de différer. Je ne sentais pas vraiment la chose. Et pourquoi l’aurais-je senti mieux, je n’allais pas accoucher, moi ? Cependant il me semblait qu’il devait y avoir des douleurs, de spasmes, des crispations, enfin, avant comme pendant, pour l’un comme pour l’autre. Mais rien. J’oubliais alors que je n’étais pas l’autre.

Elle parlait comme si elle allait effectuer quelque chose d’urgent, mais de naturel, sans panique. Sans la moindre trace de peur.

Il n’y avait dans ses yeux que de la lumière, cette lumière qu’y allume le bonheur.

Et j’en souffrais.

Elle allait accoucher d’un enfant de Mathias.

Elle le tenait déjà entre ses mains.

Elle le serrait entre ses deux mains.

Et de la manière qu’elle soutenait son ventre, je la devinais, soutenant déjà entre ses mains cet enfant de Mathias.

 

Et moi, pensais-je, ne lui avais-je pas donné le change pendant ses mois de grossesse.

Ses longs mois où l’angoisse se partageait les heures avec la question perpétuelle : pourquoi ne pas avoir avorté ?

 

Parce que cette question, nous nous l’étions posée. Elle d’abord, moi plus tard.

J’avais aussi fait part de mes craintes, parlant des méthodes malthusiennes de la campagne : aiguille à tricoter, bouquet de persil…

S’en suivaient infection et fièvre, la mort peut-être.

Et puis, après tout, dis-je, c’est notre enfant, celui de notre Mathias.

Et nous en étions convenus sans grande peine.

 

À la maternité, tout fut conforme, l’accueil, la chambre, rien n’était discutable.

Quand le temps fut venu…

Oui, j’étais là, dans le couloir, Martha et j’ai tout de suite compris que quelque chose ne se passait pas tout à fait comme espéré.

-Un siège, c’est un siège !

L’infirmière est sortie affolée.

-Le docteur, vite, le docteur !

Deux portes plus loin, elle s’acharnait, tapait contre la porte, hurlait.

 

Il est sorti, hagard. Et puis il a souri.

-Un siège ! a crié l’infirmière.

-Un siège ! a-t-il repris, un siège…asseyez-vous je vous en prie…

Il riait.

Il riait encore quand j’entendis le hurlement de ta mère.

-Marie, Marie ! je me précipitais vers la salle d’accouchement. Elle était là, jambes écartelées, ventre sanglant. Elle pleurait de douleur, sûrement.

Mais de peur plus sûrement encore.

Quand il sortit enfin, l’enfant, l’infirmière le lui arracha des mains et disparut dans la pièce voisine.

Je m’approchai de Marie. Je lui saisis les mains. Elle était épuisée, les larmes lui coulaient sur le visage, les oreilles, le cou, il y avait mêlés aux larmes, de la sueur et du sang.

 

Elle m’a regardé et m’a dit.

- Melchior, donne-lui un père.

Promets-moi, Melchior, promets-moi, donne lui un père.

C’était une prière, plus encore qu’une prière, une supplique.

Et ses yeux parlaient autant que sa voix.

-C’est une fille ! Vous avez une jolie petite fille !

L’infirmière semblait aussi heureuse que si l’enfant était le sien.

 

C’est notre fille, dis-je, nous l’appelons Martha.

Comme sa grand-mère.

Alors Marie a longuement soupiré, elle a serré fort entre ses pauvres mains mes mains gourdes et rugueuses.

-Merci, Melchior, mon Melchior.

C’est tout ce qu’elle a dit, Martha.

Ta mère n’a pas survécu plus de deux jours, deux jours de silence et d’inertie, deux jours de lente agonie.

Le boucher qui t’a mise au monde est mort aujourd’hui.

Inutile de chercher à savoir s’il a expié ses fautes.

Lorsque je repense à ces moments, me vient à l’esprit l’image d’un Mathias insolemment beau, déposant sa semence dans ce corps pur de Marie.

Je reste persuadé aujourd’hui encore qu’il y a plus de pureté à semer la graine qu’à cueillir le fruit.

 

 

 

 

                             //////////

 

 

 

 

 

Pouvais-je alors te dire Martha, ce que fut pour ta mère cette porte du ciel…

 

 

 

 

 

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Un père qui embrasse sa petite fille qu’éprouve-t-il ?

Et quand cet enfant grandit, quand d’enfant, elle devient jeune fille et puis jeune femme…

J’ai souffert Martha, de ton enfance à aujourd’hui.

J’ai souffert, car j’ai aimé ma fille, j’ai étreint ma fille, j’ai embrassé mon enfant comme n’importe quel père l’aurait fait.

Mais toujours, j’avais à l’esprit ce fait irrépressible : si les autres savaient, si les autres se doutaient simplement, que penseraient-ils de moi ?

J’ai vu des pères aduler leur enfant, j’ai vu des pères serrer contre leur poitrine ce qu’il savait être leur fruit.

Mais toi Martha, pouvais-tu définitivement être mienne, l’enfant de mes amours ?

Mon fruit ?

Je me suis souvent demandé ce que pouvait ressentir un père adoptif pour les enfants qu’il n’avait pas procréés.

Pouvait-il mieux les aimer que moi, les caresser, les étreindre, les embrasser sans craindre la moindre ambiguïté dans ses gestes, dans ses sentiments, parce que tout ça, est prévu sur le papier ?

Je n’ai jamais eu de réponses.

Je me suis toujours contenté de ma raison.
Je t’ai donné l’amour que Mathias t’aurait donné, je t’ai donné l’amour que j’éprouvais pour toi et pour eux deux.

L’amour d’un père pour sa fille comme tu es pu chaque jour me rendre ta part de cet amour.

Si les autres avaient su…

C’est ça, le poison qui a perturbé toute mon existence.

Si les autres savaient…

Et je scrutais les regards de tous ces gens qui nous observaient. Et je me disais sans pouvoir y échapper : tout cela repose sur un mensonge.

Tout cet amour est né d’un mensonge.

Il ne peut donc pas être amour mais déviance, anomalie, perversité…

 

Je me disais, un père adoptif le fait sans réticence, car adopter un enfant c’est passer par la voie officielle, l’administration, l’attente, les déceptions avant le jour où l’enfant arrive. Mais moi, Melchior, je l’avais volé, cet enfant-là.

 

Je l’avais sciemment dérobé à son père et peut-être même à sa mère, car sans mon mensonge aurait-elle souffert autant.

J’avais en permanence devant les yeux, le pauvre corps supplicié de Marie, les mains ensanglantées d’un médecin monstrueux qui fourrageait dans ce corps comme un mécanicien incompétent dans un moteur.

Pardonne-moi l’image Martha.

Il fallait que je sache, me disais-je, il fallait au moins que je sache si mon enfant, ma fille, était bien mienne, ou si par mon mensonge je l’avais dérobé à son père.

J’ai attendu des années pour mettre un terme à cette question parce que j’avais peur de la réponse.

Et puis un jour j’ai pris la décision de franchir le pas.

 

 

 

 

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