Aujourd’hui c’est « La traversée de Paris » (1956)
Pourquoi ce film ?
Pour commencer à aborder ce que François Truffaut avec, un certain dédain, avait, dans Les Cahiers du Cinéma appelé « La qualité française ». Dénigrement qui allait déboucher, avec ses copains des Cahiers sur la « Nouvelle Vague » Cette stigmatisation fit des dégâts. Elle empêcha certains talents de croitre, fit perdre leur aura à d’autres. Alors que, comme le souligne Justin Kwédi, * Truffaut lui-même, avec un film à l’incontestable et mérité succès comme « Le dernier métro » 1980 reprenait tous les codes de cette « Qualité française » tant critiquée.
* Dans un article de « Il était une fois le Cinéma »
Quelle est l’histoire ?
Paris, 1942. Marcel Martin, un chauffeur de taxi au chômage, gagne sa vie durant l'Occupation comme porteur clandestin du marché noir Un soir, sa mission est de transporter à pied à l’autre bout de la ville (plus précisément, de la rue Poliveau à la rue Lepic) quatre valises contenant les morceaux d'un cochon.
Mais le comparse habituel de Martin n’est pas là. Suite à un qui pro quo il s’en remet à un étranger choisi après avoir diner avec lui.
Ce choix se révèle vite calamiteux car cet étranger, un certain Grandgil, n’en fait qu’à sa tête et semble trouver l’aventure amusante alors que pour Martin c’est un boulot qui doit être fait et bien fait.
Par exemple, dès le début se rendant dans la cave de son commanditaire, l'épicier Jambier où il fait scandale et rançonne le boucher malhonnête.
Va s’en suivre une succession de péripéties qui font l’intrigue de ce film et permet à Autant-Lara de brosser un tableau noir de l’humanité et de ses conditions de vivre tout en maintenant le mystère sur ce fameux Grandgil. Soulignions que la nouvelle de Marcel Aymé tout aussi militante est beaucoup moins noire.
Ainsi, suivis par deux agents de police qui vont certainement les contrôler, Grandgil se met à parler en allemand à Martin, ce qui conduit les deux policiers à prudemment passer leur chemin.
Plus tard, s'étant arrêtés dans l'hôtel où loge Martin, Grandgil téléphone en allemand, à un copain pour se faire confirmer l’auteur d’une poésie allemande.
Par la suite, dans un café où ils se sont réfugiés pour éviter une patrouille de police, Grandgil prend à partie le patron et la patronne de l'établissement (car ceux-ci exploitent sans vergogne une employée juive), puis il s'en prend aux clients qu'il traite de « salaud d'pauvres ! », commençant à s'énerver quand ceux-ci font mine de lui dérober une valise.
D’incident en incident Grandgil, peintre célèbre connu d’un officier supérieur allemand est libéré après avoir été arrêté, avec Martin pour s’être rebellé lors d’un contrôle nocturne.
On les retrouve, après la guerre, dans une scène finale où Grandgil monte dans un wagon de première classe alors que son porteur n’est autre que Martin qui, ironie du sort, continue à porter les valises des autres.
Réalisation
Claude Autant-Lara est le metteur en scène.
Après des début difficile malgré une bonne éducation comme en connaisse les fils de la haute bourgeoisie, ses qualités et son talent le font apprécié du monde du spectacle où il occupe divers emplois (décorateur pour Jean Renoir et assistant pour René Clair )trouve de l’aide cher ses ainés.
C’est un personnage fantasque mais talentueux. Il établit solidement une réputation d’original qu'imprévisible. Anticonformiste et provocateur, Il aurait affirmé : « Si un film n'a pas de venin, il ne vaut rien».
Ce curieux bonhomme s’est fait remarquer pour des prises de position et un militantisme « révisionnistes » forcené s’affichant avec J.M. Le Pen allant jusqu’à s’engager politiquement et briguer les suffrages des électeurs.
Cependant pour Ciné papy, quelqu’un qui se lie d’amitié avec l’acteur Julien Carette qui deviendra son acteur fétiche, ne peut pas être foncièrement mauvais.
Quoiqu’il en soi, il signa parmi les plus grands films de l’histoire du cinéma français
Ainsi par exemple sur quelques 38 films
1933 : Ciboulette
1937 : L'Affaire du courrier de Lyon (coréalisé avec Maurice Lehmann)
1938 : Le Ruisseau (coréalisé avec Maurice Lehmann)
1939 : Fric-Frac (coréalisé avec Maurice Lehmann)
1941 : Le Mariage de Chiffon
1943 : Douce
1946 : Sylvie et le Fantôme
1947 : Le Diable au corps adapté du roman de Raymond Radiguet
1949 : Occupe-toi d'Amélie d'après Georges Feydeau
1951 : L'Auberge rouge [également scénariste]
1952 : Les 7 péchés capitaux (film à sketchs, sketch L'Orgueil)
1953 : Le Bon Dieu sans confession [également scénariste]
1954 : Le Blé en herbe adapté du roman de Colette
1954 : Le Rouge et le Noir adapté du roman de Stendhal
1958 : Le Joueur d'après Fiodor Dostoïevski
1958 : En cas de malheur adapté du roman de Georges Simenon
1959 : La Jument verte adapté du roman de Marcel Aymé
1961 : Tu ne tueras point (sorti en 1963)
1961 : Le Comte de Monte-Cristo d'après Alexandre Dumas
1961 : Vive Henri IV, vive l'amour
1963 : Le Meurtrier
1963 : Le Magot de Josefa
1965 : Journal d'une femme en blanc
1966 : Nouveau journal d'une femme en blanc
1967 : Le Plus Vieux Métier du monde
1968 : Le Franciscain de Bourges
Remarque :
Claude Autant-Lara participa à une série d'entretiens avec le Suisse Freddy Buache, directeur de la Cinémathèque suisse, dans lesquels il révélait nombre d'anecdotes qui avaient jalonné la réalisation de ses films. Entre 1981 et 2000, constatant qu'elles n'intéressaient pas la France, il dépose ses archives à la Cinémathèque suisse.
Ce n’est pas la première fois que nos élites intellectuelles parisiennes qui n’ont que leur nombril comme horizon, ont laissé filer à l’étranger des trésors nationaux « sans valeurs » assurément puisqu’il s’agissait de dons.
Ainsi la collection d’ « Art Brut » * de Dubuffet a trouvé refuge dans un très intéressant musée éponyme à Lausanne.
* Concept forgé par Dubuffet
Qui fait quoi ?
(Tout le monde connaît ces acteurs. Contentons-nous d’anecdotes glanées sur le net)
Jean Gabin : Grandgil, l'artiste peintre
Avant ce film, Bourvil n’avait jamais travaillé avec Jean Gabin. Leur première scène fut justement celle de la première rencontre entre Martin et Grandgil. Lorsque Gabin rentre (de dos) dans le bistrot et lance un « Bonsoir » inquiétant, l’acteur Bourvil est terrifié.
Bourvil : Marcel Martin, chauffeur de taxi au chômage
Il s'agit de la troisième rencontre cinématographique (sur les cinq) entre Bourvil et De Funès, après Poisson d'avril et Les Hussards
Louis de Funès : Jambier, l'épicier
C'est le premier film dans lequel Louis de Funès a, un second rôle certes, mais dans une scène mémorable, et un film à succès, entouré de deux "poids lourds" du cinéma de l'époque. Il lui faudra attendre Ni vu, ni connu pour avoir un premier rôle dans un film mémorable.
C'est également la deuxième entre Gabin et De Funès, après Napoléon.
Hubert de Lapparent : l'otage nerveux
Cité ici car c’était le fils d’amis des parents de Ciné papy
Sans oublier d’évoquer
Les scénaristes Jean Aurenche et Pierre Bost, d'après la nouvelle éponyme de Marcel Aymé car ils sont important dans cette querelle ouverte par François Truffaut sur « La qualité française » au cinéma et furent les scénaristes/dialoguistes attitrés de Claude Autant-Lara
Pax
Prochainement « Marie Octobre »