Elle mangea – selon les préceptes du dieu de France – un croissant avec un café crème au petit déjeuner, puis elle partit d’un pas nonchalant au rendez-vous fixé par Smuga, en marmonnant parce que l’endroit lui paraissait indigne (…) puis elle tourna à gauche et, par une ruelle étroite du Quartier latin, elle monta jusqu’au monument de la mégalomanie française dans lequel la « Patrie reconnaissante » avait décidé de garder les dépouilles de ses « Grands Hommes ». Zofia se fit la remarque acerbe que si les Français avaient voulus être cohérents, ils auraient plutôt dû les garder dans une cahute gauloise gargantuesque au toit de chaume, au lieu de transformer en cimetière national une église catholique bâtie sur le modèle d’un temple romain. C’était un peu comme si les Polonais avaient choisi d’enterrer leurs célébrités dans une gigantesque église orthodoxe en forme de tour Bismarck.
Zofia les raillait mais, en réalité, elle enviait aux Français leur posture « nous sommes les plus grands et les plus merveilleux, et si ça ne te plaît pas va te faire cuire un œuf ». Comment était-il possible que le monde ait gobé cette histoire en leur pardonnant tout ? Les multinationales voraces étaient attribuées aux Américains, la colonisation aux Anglais, l’éclatement des guerres sanglantes aux Allemands, les oligarques mafieux aux Russes, les essais nucléaires aux Coréens, l’antisémitisme aux Polonais, la paresse aux Espagnols, et les Français – s’ils n’étaient les champions d’aucune de ces disciplines, ils étaient au moins médaillés – regardaient le monde de haut, un croissant entre les dents et un innocent sourire aux lèvres, avec l’aura d’amateurs de bonne littérature, de bon vin et de bonne vie. C’étaient vraiment de petits finauds.