En voilà un beau proverbe détourné que j’ai découvert tracé au blanc d’Espagne sur le miroir d’un bistro de Perpignan en arrière-plan de deux baroudeurs Jean L’Héritier et Marc Parcé, chevilles ouvrières du Rancio sec auprès de Slow Food. La photo est signée Michel Smith©
Pour ne rien vous cacher j’aurais bien aimé en être l’auteur mais loin de moi l’idée de descendre dans la mêlée des naturistes, versus cheveux sales ou bobos propres sur eux. Comme le dit très bien le sieur Denis Boireau : laissez-les vivre, chacun produit ou boit ce qu’il veut, l’important c’est que chacun y retrouve son compte.
Même si les Français adorent ça, il ne s’agit en rien de la énième bataille entre les Anciens et les Modernes n’en déplaise au sémillant Antoine Gerbelle dans l’un de ses nombreux tweets culturo-vineux raille les naturistes « Une fois goûté le vin naturel point de retour possible » Ah? Aimer Godard c'est ne plus regarder Renoir? @lesinrocks.
C’est une rupture culturelle !
Le naturel s’oppose ici à l’artificiel, le recours à la chimie, à la pharmacie, à l’industrie dans les vignes et dans les chais. C’est le progrès me rétorquera-t-on ? Pourquoi pas, je ne suis pas de ceux qui le combatte systématiquement, bien au contraire. Cependant, comment ne pas s’étonner que pour un produit dit de culture, arrimé à son histoire, ses traditions, son terroir dit-on, s’ingénie-t-on à gommer le lien au sol, à le tirer vers la banalité d’une qualité artificialisée ?
Pour des raisons économiques tout bêtement, et ce n’est pas sous ma plume l’amorce d’un procès en excommunion. Les comptes d’exploitation ne peuvent supporter les sautes d’humeur de dame nature. Les cultures pérennes, accrochées au sol pour un temps long, ne peuvent aller jusqu’à la totale artificialisation du hors-sol, alors on les place sous les rets d’une alimentation industrielle, d’une prévention et de traitements issus de la pharmacopée.
Là encore, loin de moi l’idée que tout est bon à jeter, mais permettez-moi de demander à certains qu’ils veuillent bien admettre que s’intéresser aux excès, aux dérives, qui mettent en cause le caractère durable d’une économie n’est pas qu’une lubie d’urbain douillettement assis dans son fauteuil. Bien au contraire, pour un produit comme le vin, qui n’est pas un produit alimentaire au sens nutritionnel mais un plus de convivialité, de sociabilité et bien sûr de plaisir gustatif, il me semble capital de sortir de la spirale de l’artifice.
L’impact sur l’environnement de la culture de la vigne, au sens le plus large, humain compris bien sûr, doit s’inscrire comme une ardente obligation de l’ensemble de ceux qui la cultivent. Qu’on ne vienne pas me dire que les GCC de Bordeaux, les grands vins, ne peuvent pas s’engager résolument dans cette voie. De bien plus modestes qu’eux l’ont fait sans pour autant verser dans une économie de subsistance. Tout comme d’ailleurs certains de leurs pairs qui eux-aussi ne sont pas assimilable à la tribu des cheveux sales.
Reste, une fois le raisin mûri et cueilli, pressuré, la grande boîte noire des chais.
Qu’y fait-on ?
C’est un peu l’omerta.
Bien sûr, dans les châteaux, les propriétés des zinzins financiers, la mode est aux consultants, type Hubert Déboire, qui délivrent leurs ordonnances. Partout dans les chais les marchands de ceci ou de cela sont à l’œuvre, on ajoute, du sucre parfois, on corrige, on extrait, on soutire de l’eau, on protège, on maquille aussi. Au bout du bout, en terre de GCC, on concocte des petites cuvées bien habillées à faire déguster au cours du raout des primeurs à la cohorte des acheteurs.
Les affaires sont les affaires comme sur les podiums de mode où les filles pubères, maquillées, fardées, artificialisées s’exposent hors toute réalité. Ça fait rêver et acheter tout le petit ou le grand monde du paraître mais est-ce cela la vraie beauté ?
J’avoue aimer les femmes nature.
Du côté des vins nature mon amour est plus sélectif.
Ne parlons pas d’authenticité car c’est un gros mot, pire encore de naturalité au sens propre du terme. Pour le vin le débat sur la naturalité tire son origine, sa source de cette artificialisation de l’élaboration du vin soigneusement camouflée sous un discours bourré de références au terroir, de sélection parcellaire, de tris en gants blanc, de soins de Diafoirus, de cuves post-modernes, de chais pharaoniques, de tout un cérémonial de pure séduction. Je fais ici référence aux réceptions de plus en plus ostentatoires.
Lisez-moi bien, je ne suis pas en train de faire l’apologie d’une viticulture originelle fantasmée, d’un mode de faire le vin pur, ni de porter un jugement sur la meilleure façon de vendre du vin mais de souligner le gap qui est en train de se creuser entre une classe bien en place avec ses supplétifs, souvent affligeant de servilité, qui se regarde le nombril, se congratule, vit entre soi avec juste ce qu’il faut de mépris pour ceux qui n’en sont pas, et une autre, plus turbulente, parfois sectaire, mal éduquée, mais elle aussi passionnée.
Si les gens du vin de notre vieux pays souhaitent vraiment que le vin, sa culture, sa place à table et dans les lieux de convivialité, gardent leur singularité dans les nouveaux modes de vie sociétaux, il leur faudra prendre garde à ne pas le normaliser aussi bien dans un luxe où le prix ou la valeur de placement priment, que dans le gros ventre mou de la consommation de masse où règnent en maître les marques mondiales qui se contrefichent de l’origine ou de l’authenticité.
Nous en sommes restés malheureusement, pour une large part, à une vision de rétroviseur qu’a induit l’énorme appel d’air des marchés extérieurs pour nos vins d’AOC dans la seconde moitié du XXe. Ce fut, comme je l’ai écrit dans mon rapport, le résultat d’un simple effet de sable sec : nous n’avions guère de concurrents sur des marchés demandeurs de notre singularité. Les concurrents sont venus, ils sont là, les marchés se sont encore plus ouverts, mais nous n’avons pas su ni voulu tirer tout le parti de nos atouts de grand pays généraliste du vin.
Nous persistons dans une vision monolithique d’un modèle quasi-unique de l’origine qui se dilue, se dévalue, n’apporte que peu de valeur aux vignerons et aux entreprises du négoce. Les locomotives de l’export : cognac, champagne, et marques de châteaux se sont depuis fort longtemps émancipée de l’INAO en ne se battant que sur la défense de leur nom au plan international. Ils amusent la galerie laissant aux présidents des gros bataillons le soin de gérer l’existant et les privilèges.
Cette massification est à terme mortifère pour un modèle qui se dit défenseurs d’une viticulture à dimension humaine. Elle est très loin de de répondre aux nouvelles attentes sociétales qui ne sont des modes ou des lubies de soi-disant bobos mais des tendances lourdes. Il ne s’agit pas de vendre son âme aux tendances, si j’étais cynique je soulignerais que certains ne l’ont pas vendue mais donnée sans contrepartie, mais d’anticiper, de donner des signaux positifs en redonnant au vin son image forte de produit proche de la naturalité, autrefois les anciens disaient de vins non-trafiqués.
Au lieu de nous bourrer le mou avec des cahiers des charges faussement contraignants pour le plus grand bonheur des technostructures qui vivent sur la bête, revenons au principe simple, celui des AOC originelles, du je dis ce je fais et je fais ce que je dis parce je veux vendre au mieux mon produit sans que d’autres usurpent mon originalité.
C’est simple, ça engage tout le monde, le vigneron, le propriétaire, le négociant, ce n’est pas de la com. vaseuse avec attachée de presse incorporée au communiqué du même nom mais une adéquation entre le produit d’un fruit pressé, fermenté, « élevé », embouteillé. Dans le jargon agro-alimentaire le raisin n’a subi qu’une seule transformation et c’est son atout majeur dans un monde où la chaîne des produits transformés est complexe, difficilement traçable.
Alors rien de plus simple que de revenir aux choses simples en répandant à tous les vents ce nouveau slogan : Chassez le vin naturel il revient au bistro !
Merci Michel link
Pour casser le moral des amateurs du vin valeur de placement :
Le vin se « crashe » publié le 13 février 2014 par Philippe Steufken blog Le Soir Belgique link