Au Bourg-Pailler pour Pâques c’était la gâche dénommée aussi la fouace…
6 avril 2007
La gâche de Pâques ICI
Au temps où, dans ma Vendée profonde, les pires mécréants acceptaient sous la pression de leurs pieuses femmes de faire leurs Pâques, chez nous on s'affairait pour préparer les douceurs d'après Carême : la gâche - en patois la fouace - et les fions. Dans cette entreprise tout le monde était sur le pont, y compris les hommes, plus particulièrement le pépé Louis, l'homme de la cuisson. Le rituel était bien réglé et le processus de fabrication, comme la recette, étaient entourés de secret. Dans le pays, notre gâche était unanimement considérée comme la meilleure. Le clan des femmes en tirait une légitime fierté et moi, tel un jeune Proust - ne vous gondolez pas - savourant sa madeleine dans son thé j'en garde un souvenir extraordinaire que le temps passé n'a jamais effacé. Dans cette chronique je ne vais pas vous donner la recette des femmes, je l'ignore. Tout ce que je puis vous dire c'est que celles que vous trouverez sur l'internet ne vous permettront pas d'atteindre la perfection de notre gâche. Je magnifie. J'exagère. Je vous assure que non et je vais m'efforcer de vous faire partager mon point de vue.
Je signale que la tradition de la gâche du Bourg-Pailler est perpétuée par la famille Berthomeau
Pascale&Vincent tenanciers de l'Abélia ICI à Nantes.
Pour le fion c’est Agathe la sœur de Vincent qui s’y colle…
Les autres dénominations avancées par Michel Gautier dans son Dictionnaire de la Vendée je n’en avais jamais entendu parler.
« Certains prétendent que les trois gâteaux n’ont rien à voir. Moi, je pense qu’il s’agit du même, mais avec des recettes variables selon que vous mettez plus ou moins de beurre, de crème ou d’œufs. Mais c’est vrai qu’ « alise » dans la Marais de Challans (mais où donc passé l’exilé de Crémone ?) ne signifie pas du tout la brioche de Pâques : il s’agit d’un gâteau fait avec des restes de pâte à pain non levée, ou avec des feuilles de pâte entre lesquelles on mettait du beurre. C’était au temps où on « cuisait », comme dirait Charles Perrault dans son Petit Chaperon rouge. Le mot « alise » a maintenant disparu des boulangeries, s’il y a jamais existé. Vous y trouvez « fouace » ou « gâche ». Détournez-vous de la brioche vendéenne, produit industriel. À moins que ce ne soit pour le petit déj’ avec de la confiture. Demandez gâche ou fouace, plutôt aux environs de Pâques que pendant les vacances d’été : pour le même prix et pour les estivants, on a tendance à diminuer la quantité de beurre et d’œufs. Il faut la manger fraîche ; un passage au frigo peut-être utile. Je l’aime « patouse ». Avec une crème aux œufs, de la « craeme fouétáie », de la crème fouettée, autrement appelée de la crème anglaise, c’est une vraie gourmandise de Pâques. Il faut savoir sortir du carême ! Autrefois, on chauffait le four dans les fermes pour la cuisine de cochon, pour cuire le pain et rituellement, les avant-veilles de Pâques, pour cuire la fouace ou la gâche. Il arrive encore qu’on chauffe les derniers fours à bois sauvegardés ou restaurés, précisément pour cette cuisson.
J’ai vu dernièrement un village se grouper autour de son four. Un moment fatidique : quand le four est-il assez chaud ? C’est le « moene » qui le dit : une pierre que la chaleur blanchit. Il est alors temps de « rabalàe » la cendre et la braise avec la « rabale » (rateau) et d’enfourner. Mais, oh là là ! le chauffeur, avant de lancer l’opération, s’enquiert auprès de l’assistance. Quelqu’un conseille de jeter une plume d’oie sur la sole : si la plume roussit, le four est trop chaud. Un autre conseille une feuille de papier : si le papier brûle, le four est trop chaud. Il faudra donc attendre, le four restant la gueule ouverte. Mais, attention ! pas trop tout quand même. La plume ne roussit plus. Enfournons ! Et c’est le défilé des fouaces bien modelées en formes ovales ou rondes, chacun apportant la sienne, les anciens comme les enfants. Aujourd’hui, on surveille la cuisson avec des lampes électriques. Autrefois, on captait la lumière venant de la cheminée avec un miroir. Heureux villageois qui se réunissent encore autour du four. »
Au Bourg-Pailler
Tout commençait le vendredi saint par l'acquisition d'un pâton de pâte à pain levé chez Louis Remaud notre boulanger puis, le soir venu, autour d'une immense bassine, tel un pétrin, nos femmes s'affairaient. La gâche est un pain de Pâques qui n'a ni goût de pain, ni goût de brioche. C'est là toute l'alchimie de ce pain qui n'en n'est pas un et de ce gâteau qui n'est pas une friandise. Outre la qualité des ingrédients, le temps de pétrissage était essentiel. La pâte était lourde et nos femmes lui transmettaient ce qui la rendrait ferme, onctueuse et légère. Lorsque le temps était venu, en des panières de joncs tressés, les gros pâtons recouverts d'un linge étaient mis au levage dans une pièce ni trop chaude, ni trop froide. Là encore, toute approximation était interdite. Nos femmes se chamaillaient parfois sur la température idéale. Tout ça se passait la nuit et au matin, le pépé Louis entrait en jeu.
Notre maison familiale, ancienne auberge, relais de poste, était dotée d'un four à pain. Le porter à bonne température et surtout la maintenir constante pendant la cuisson était un art que notre orgueilleux Louis maitrisait assez bien. Comme dirait nos djeunes il se la jouait un peu, dans le genre soliste qu'il faut encenser. Y'avait de l'électricité dans l'air avec les jupons. Il chauffait son four avec des sarments de ses vignes.
Par la gueule du four le rougeoiement me fascinait. Lorsque les tisons viraient de l'incandescence au gris, avec une grande raclette en bois, le pépé Louis, façonnait deux tas qu'il plaçait de chaque côté de la bouche du four. Venait alors l'opération la plus redoutable : la détermination de la bonne température pour enfourner.
Trop chaud serait la cata : la gâche serait saisie et son coeur resterait mou car il faudrait éviter qu'elle crame ; trop froid ce serait l'affaissement lamentable. Tout se jouait autour de l'état d'un morceau de papier que le pépé plaçait sur la pelle au centre du four. Bref, là encore ça chicorait sec entre les protagonistes. La cérémonie d'enfournage me plaisait aussi beaucoup.
Les pâtons levés, badigeonnés au jaune d'oeuf - qui ferait la belle couleur brun doré - posés sur des feuilles de papier kraft, faisaient 50 à 60 cm de diamètre (une brassée). À l'aide d'une grande pelle en bois le pépé Louis alliait force et doigté. Jamais l'opération n'a tourné au désastre. Les 7 ou 8 pâtons, tels des grosses corolles de champignons, allaient se transmuer en gâche onctueuse derrière la porte de fer.
Le temps de cuisson était aussi une question de feeling. On discutait toujours beaucoup. Seule la tante Valentine en imposait au Louis. L'un des moments que je préférais c'était celui où les gâches cuites étaient posées à même le carrelage frais d'une pièce plongée dans la pénombre. Exhalaison extrême de sucs chauds, je m'y plongeais en salivant déjà du bonheur d'une belle tranche de gâche plongée dans mon cacao du matin.
À cet instant, une grave question, jamais tranchée, se posait : pouvait-on manger de la gâche chaude ?
Le clan des femmes y était hostile avançant des raisons médicales : possible indigestion. Mon père passait outre, et moi aussi.