Je sens monter la colère. D'un côté les voix autorisées proclament sur les estrades et à les fins des banquets, ou même à l'Assemblée : bravo vous êtes des gagneurs, sur le front de la bataille mondiale vous portez haut les couleurs de la France, chaque bouteille de votre divin nectar est une bataille gagnée contre l'odieux dollar ; de l'autre, le côté obscur de la force, on les étiquette en Dark Vador, d'un seul coup d'un seul leur boutanche est frappée d'opprobe, n'y touchez jamais jeunes adultes, c'est un poison insidieux qui fera de vous des malheureux, nous allons dans un grand mouvement d'éradication terroriser le petit peuple des buveurs, ceux des jours de fêtes, ceux qui se font la conversation, les amoureux et les chanceux, bref pas de rémission, le temps est aux buveurs d'eau... sucrée (mot ajouté par un mauvais esprit dans le texte officiel).
La colère est mauvaise conseillère dit la sagesse populaire. Alors face aux effets de manches du chef d'une Administration qui s'est illustrée lors de la grande canicule par sa réactivité, son humanité et son efficacité, gardons notre sang-froid. A coup de statistiques, nouvelle arme de dissuasion des masses avachies, il joue, se croyant grand stratège, sur la peur. Fort bien monsieur le professeur mais permettez-moi de poser la question la plus élémentaire : de quoi, au juste, a-t-on peur ? Pour y répondre je donne la parole à un brillant iconoclaste, un adepte de l'économie saugrenue : " De la mort, sans doute. Mais encore faut-il préciser. Nous savons tous que nous allons mourir un jour, et cela peut parfois nous tourmenter de façon plus ou moins intense. Mais s'entendre dire que l'on a dix risques sur cent de mourir dans l'année a de quoi faire très peur, et peut même nous conduire à adopter un tout autre mode de vie. Et si on apprend que l'on a dix risques sur cent de mourir dans la minute, il est fort probable que l'on se mette à paniquer. C'est donc l'imminence de la mort qui détermine la peur".
Pour continuer sur ce registre citons Peter Sandman " consultant en communication de risque " Pour lui c'est le facteur effroi qui est le plus important. " Lorsque le danger est grand et que l'effroi est faible, les gens ont tendance à sous-estimer le risque. Mais lorsque le danger est faible et que l'effroi est grand, ils le surestiment " Ce qui transposé à notre situation signifie " puisque le danger (le facteur de risque) qu'un petit buveur devienne un grand buveur - donc risque d'être alcoolique - est faible, alors terrorisons les petits et moyens buveurs. En clair, puisque nous sommes incapables de nous attaquer au noyau dur des alcooliques, alors contentons-nous d'épandre l'effroi dans les populations peu sensibles à l'addiction, ç'a plaira à nos chefs, ç'a fera croire au bon peuple que nous sommes des gens efficaces et le tour est joué.
Alors que faire ? Courber l'échine, fermer notre gueule me direz-vous ? Non bien sûr, mais surtout ne donnons pas de prises aux fabricants d'effroi en proclamant qu'ils veulent notre mort, économique s'entend. Pour eux ce serait pain béni : l'affreux lobby du gros rouge qui tache se rebiffe, c'est donc que nous avons touché le point sensible argueraient-ils. Laissons-les s'agiter, s'enfoncer dans leur inefficacité chronique, dénonçons-là chiffres et arguments en mains, montrons sans démonstrativité excessive - qui veut trop prouver ne convainct pas - que notre produit, le vin, est un produit d'initiation sociale, un lien entre les hommes, un facteur de convialité irremplaçable, un produit alcoolisé certes, donc présentant des risques, un produit qui de part le monde est considéré comme l'emblème du bien vivre à la française. C'est tout de même mieux, monsieur le professeur, que de détenir le ruban bleu de la consommation mondiale de tranquilisants ou autres anti-dépresseurs.
Ce matin, j'ouvre ma fenêtre de liberté sur ce sujet qui devrait nous unir gens du vin. Et si nous lancions dans notre beau pays " les assises de la convivialité " ç'a aurait une autre gueule que nos débats circulaires, nos sempiternelles jérémiades, nos anamathèmes et nos jargonages d'experts qui réjouissent tant les éminents professeurs grands défenseurs du sanitairement correct...