Selon les experts es-tendance, les trentenaires minces et branchés, sitôt rentrés at home troquent leurs fripes chicos Paul Smith pour le tablier bleu de leur mère et, en leur cuisine mieux équipée qu'un laboratoire high-tech, ces nouveaux adorateurs de la bouffe - pas la mal mais la bonne bien sûr - vont "créer" derrière leurs fourneaux rutilants, pour régaler leurs copains de la salle des marchés ou épater les nanas qui ne savent même plus faire un oeuf sur le plat, des petites choses toutes simples du genre filets de saint-pierre au beurre d'orange pour commencer er une crème brûlée à la lavande du plateau de Valensol pour terminer.
Ben oui, c'est un scoop, il est devenu valorisant pour les gars de savoir cuisiner me dit-on !
Nos grand-mères, outre assurer le frichti quotidien, brodaient quand elles ne reprisaient pas des chaussettes.
Nos mères mijotaient elles aussi des petits plats pour la maisonnée.
Nos soeurs, perverties par l'esprit de libération, ont jeté par-dessus bord les aiguilles et les écumoires pour bosser comme les mecs.
Et voilà que nos fils se passionnent pour la cuisine - pas la bonne chère de papa bien sûr, trop lourde, trop coupée de ses racines, non de l'authentique de chez authentique mon cher, du pur extrait de terroir, sable des carottes de Créance compris, de la nature à l'état brut "oui, oui, je t'assure, l'eau sur la feuille de la laitue c'est de la rosée du potager..."
C'est le monde à l'envers Simone - pas le château mais de Beauvoir bien sûr - et, pis encore, cette nouvelle folie culinaire qui s'est emparée de la jeune génération mâle, n'est pas, me dit-on chère Simone - elle n'aurait pas aimé cette familiarité - qu'une mode, c'est un mouvement mondialisé et, comme vous vous en doutez ma pauvre Simone, comme tout mouvement mondialisé qui se respecte ça a un nom anglais : c'est le Fooding et, comme de bien entendu, chère Gisèle - Halimi bien sûr - comme tout mouvement mondialisé bardé d'un nom anglais qui se respecte, ça se fait sa petite semaine médiatique du 26 novembre au 8 décembre www.lefooding.com .
Elodie Lepage du Nouvel Obs nous donne la clé. Certains journalistes, surtout ceux qui chroniquent sur l'air du temps, et ceux de l'Obs tout particulièrement, adorent les raccourcis psychologico-sociologiques car c'est chic et choc, ça ne mange pas de pain et surtout, sitôt l'article en boîte ça laisse le loisir d'aller vite butiner sur d'autres sujets apportés par le vent des agences de communicants. Bref, pour elle, ce retournement de jurisprudence de nos jeunes mâles pourrait être, je la cite : " La revanche des enfants du supermarché ? Elevés au poisson pané et aux surgelés, ils sont avides, aujourd'hui, des produits frais et du terroir..." A l'en croire, c'est la ruée sur les cours, les ateliers pour apprendre à mitonner des petits plats simples et nature, le rush sur les bouquins de cuisine - pas ceux des recettes de Françoise Bernard mais des trucs du style Jérôme Byron et son livre Cantines * - et le triomphe de la nouvelle bible sur papier glacé : le magazine Régal (90 000 abonnés et 30 000 ventes en kiosques). Enfin, comme toute lame de fond le mouvement à ses chapelles écrit-elle : Fooding, Omnivore ou Slow Food... " La demande est là " enchérit Luc Dubanchet le rédac-chef de la revue omnivore, disponible sur le net depuis 2003, qui va être disponible en kiosque en janvier. Une vraie "révolution" quoi, une longue marche entreprise depuis 1990 pour que le ludique, le plaisir et la simplicité triomphe dans la cuisine de tous les jours. (cf photo) " A cette époque, la gastronomie était larguée. Il se passait des choses dans tous les secteurs de l'art et de la culture, sauf dans ce domaine. En jouant "l'agit popot", le Fooding a contribué à libérer les chefs des codes dépassés qui régissaient le milieu " dixit Alexandre Camas, l'un des fondateurs du Fooding. Don't act ! Que des artistes et des mecs qui causent riche... Les figures emblématiques, selon miss Elodie, étant en restauration Yves Camdeborde et Inaki Aizpitarte avec leurs bistrots chics et simples.
* "Cantines" Jérôme Byron 2006 éditions Perrin-Agnès Viernot.
J'ironise mais j'en ai le droit car :
1° je n'ai pas de four à micro-ondes ;
2° je n'achète jamais de surgelés ou de plats préparés ;
3° j'épluche mes carottes et mes navets achetés au marché ;
4° je lis Régal ;
5° je cuis à la vapeur depuis des lustres ;
6° j'ai dîné chez Camdeborde, sur le trottoir bien sûr ;
7° je fais ma pâte à tarte sans peser les ingrédients ;
8° je n'ai de toute ma jeunesse touché une casserole ;
9° je n'ai jamais pris un seul cours de cuisine ;
10° j'adore manger à mon gré, où je veux comme je veux, sans être honteux, sans consultation préalable de l'air du temps ni références aux nouveaux codes, aux chapelles et autres prescripteurs de naturalité ;
11° je ne suis pas sectaire : ma porte est grande ouverte à toutes les influences du grand large et je ne demande à personne de partager mes goûts et mes coups de coeur.
12° je dois boire beaucoup des vins qu'ils aiment...
Vin&Cie est un espace de liberté et le prouve chaque jour. Venez vous y exprimer, apporter la contradiction, donner de la respiration au débat. Dans les jours qui viennent de nouvelles pièces seront versées au dossier de la bouffe avec, dès demain, notre cher nectar en première ligne...