Comme vous le savez je suis un peu simpliste. J’aime les raccourcis. Il aura fallu que Florent Pagny tombe amoureux de "Azécuna" une indienne de Patagonie, et qu’il devienne propriétaire d'un ranch qu'il fera construire sur 4000 hectares en Patagonie pour que l’usager moyen du métro parisien découvre que le Chili ne se réduisait pas aux groupes de chiliens en exil soufflant imperturbablement dans leurs flutes de pan dans les couloirs de leur migration quotidienne. Pour les plus jeunes la tendance se situait du côté des Red Hot Chili peppers, le groupe de rock californien. Et puis le Nouveau Monde des vins déferla sur l’Ancien : le long pays calé aux flancs de la Cordillère des Andes se révélait un concurrent redoutable de notre vieux pays sûr et dominateur. Et, ô surprise, le bon peuple découvrait que certains de nos compatriotes était du lot de ceux qui « s’éclataient » au Chili : Bernard Dauré est de ceux-là. Je devrais écrire la famille Dauré mais avec Bernard Dauré j’ai une tranche d’histoire commune que je vous conterai, comme j’ai aussi l’esprit d’escalier, après avoir pondu mon papier sur l’aventure chilienne des Dauré.
Qui n’a pas un jour rêvé de rompre avec le quotidien, de larguer les amarres et de partir vers des contrées nouvelles, ne peut comprendre la démarche des « pionniers ». Bien sûr le Chili n’est pas l’Ouest américain, mais c’est à 14 h 10 de Roissy-Charles de Gaulle, certes on y parle espagnol, mais y acquérir 160 hectares de terres nues et se lancer dans la création d’un vignoble et d’une bodega n’est pas une mince affaire. Pour les Dauré tout a commencé en 1997 par un voyage au Chili puis l’acquisition dans la vallée de l’Apalta d’un domaine entouré de Casa Lapostolle et Viña Montes. Nom de baptême « Las Niñas » : les filles… C’est leste. Clin d’œil ponctuant un zeste de dévergondage mais aussi reconnaissance que les dames de la famille comptent : ici c'est Sabine Dauré qui donne le la ; je confirme, celles que je connais, Sabine, l’épouse de Bernard, et sa fille Estelle, ont du caractère. Beaucoup. De la belle ouvrage, contemporaine et nostalgique, que cette photo sépia des Viña Las Niñas. Mais, comme toujours, je galope : avant de parler du flacon il me faut commencer par la vigne.
Au Chili, les meilleures zones pour la vigne se situent en bordure de Pacifique car elles sont soumises à l'influence du courant de Humboldt. La température diurne en été varie entre 33° et 28°, mais l'amplitude thermique se située entre 15° et 22°. Bernard Dauré me confie « j'ai connu 30° le jour et 8° la nuit ». Les 160 ha sont plantés « franc de pied » avec une densité de 4 à 6000 pieds à l’hectare Les cépages sont méditerranéens tels la Syrah et le Mourvèdre, et bien sûr le cépage emblématique du Chili, le Carmenère, d’origine bordelaise. Du côté de la bodega, lorsqu’on connaît la passion de Sabine et de Bernard Dauré pour l’art contemporain, elle ne pouvait que s’inscrire résolument dans son temps. La conception est donc confiée à Mathias Klotz dont Horacio Torrent écrivait dans son introduction au GG Portfolio 1997 : « Ce jeune architecte, malgré sa courte carrière et une œuvre construite limitée, inscrit son travail dans cette "géographie insensée" qui s'étend — comme un effort passé de synthèse — le long d'une étroite bande de territoire, à l'ouest des Andes, alternant les lieux les plus sublimes, depuis le désert aride jusqu'à l'humide forêt du sud. Mathias Klotz semble vouloir révéler la générosité de la nature et il le fait, dans une apparente contradiction, sur les traces d'un modernisme réactualisé… » Les photos, ci-dessous témoigneront, bien mieux que ma plume, de la pureté et de la transparence de l’édifice. L’approche avant-gardiste de Klotz, comme le conclut Torrent révèlent la désorientation architecturale du sous-continent et apporte une profonde bouffée d'air frais du sud."
Pour les vins, ce matin, je me cantonnerai au « El Blanco superstar » de la nouvelle ligne : « Tacon Alto » le premium de « Las Niñas » (je chroniquerai une autre fois sur l’ensemble de la ligne de produits, au packaging toujours très original, née sous la baguette avisée et passionnée d'Estelle Dauré). Né avec le millésime 2006, ce Chardonnay, a fait sensation. Cueillis tôt le matin dans des cagettes, triés dès réception, les raisins gardent leur fraîcheur et le jus fermente dans des barriques neuves. Ce « Tacon Alto » altier est mis en bouteille au bout de 4 mois. Je devrais écrire que l’élégant se glisse, se love, dans une étrange chaussure, ocre et jaune, à mi-chemin entre l’escarpin et la bicolore italienne. Androgyne en diable le coquin à séduit lors du concours annuel de "Chilevid" où il a été désigné comme le meilleur Chardonnay du Chili. Bravo les « petits frenchies »de l’extrême South of France , je n’ai pas osé chapeau « les filles » ! Ça couronne presque dix années d’efforts, de défis relevés et comme me le dit souvent, via Skype, Bernard Dauré lorsqu’il est au Chili « l’émulation là-bas est une formidable machine à faire toujours mieux, à innover, à se dépasser… » Message passé à tous ceux qui ne voient dans ces challengers du Nouveau Monde que des « privilégiés ». Autre point d’importance : « notre entreprise française a été plus que confortée par nos productions chiliennes… » conclut Bernard Dauré ce qui m’amène à revenir à Cases de Pène pour vous conter un peu d’histoire ancienne.
Certains, chaque matin en se rasant, pensent qu’ils sont promis à un bel avenir. Moi je ne peux pas puisque que je ne me rase pas et que mon avenir est plutôt derrière moi. Cependant si j’évoque ce passage quotidien devant le miroir c’est que, depuis toujours, pour moi c’est le moment privilégié des informations : la tranche matinale de nos radios nationales reste encore un espace où le citoyen peut ouvrir ses oreilles à la vie du monde et de la cité. En 1998, j’étais encore jeune et beau et je vivais comme un homme des bois dans ma grande maison de la Chapelle-en-Serval. À l’époque j’écoutais Europe 1 et, un matin, dans ma salle de bains, mon oreille fut attirée par une publicité dans une langue étrange, rocailleuse, dure. Qu’est-ce donc me dis-je ? C’était du catalan, pur jus Séguéla pour le compte du Comité des Vins Doux Naturels. Étrange, à postériori j’y vois un signe du destin puisque quelque temps plus tard je débarquais à Perpignan pour faire le médiateur. À l’épicentre de la « tornade catalane », un homme, dont le nom était quasiment une marque, Bernard Dauré.
En bon vendéen que je suis-je n’aime ni couper les têtes qu’on me réclame, ni me soumettre au discours politiquement correct, alors entre les procureurs autoproclamés – y’en avait une flopée – et ceux qui, comme Bernard Dauré, avaient tenté, au travers du Plan Rivesaltes, de retrouver le chemin des réalités du marché, je n'eu aucun mal à choisir. Dans la touffeur de ce mois d’août, campant dans salle Pams transformée en quasi-confessionnal, certains me confiaient outrés : « en plus il a investi au Chili… » La belle affaire, comme si, tout en restant bien implanté sur ses terres d’origine : Château de Jau, Clos des Paulilles et Mas Christine, la famille Dauré trahissait la « cause catalane » en tentant l’aventure du Nouveau Monde. Ça me rappelait la phraséologie du Che – celui de Belfort qui est monté au ciel avant de redescendre – et me confortait dans mes analyses : le CIVDN, pourtant construit sur le même modèle que le CIVC (Champagne), en assurant une « petite rente » aux viticulteurs, sans tenir compte du déclin de la demande, avait, avec les meilleures intentions du monde, généré un système d’assistanat ravageur qu'il fallait enterrer sans fleurs ni couronnes...
C’est donc ainsi que Bernard Dauré, si je puis m’exprimer ainsi, est entré dans ma vie et que ce matin m’est venue l’envie de parler de lui et de "ses drôles de dames *"
* Drôles de dames (Charlie's Angels) est une série télévisée américaine, en 116 épisodes de 50 minutes, créée par Ivan Goff et Ben Roberts et diffusée entre le 22 septembre 1976 et le 24 juin 1981 sur le réseau ABC. En France, la série a été diffusée à partir du 8 janvier 1978 sur Antenne 2. Le pilote et la saison 5 ne furent diffusés qu'ultérieurement sur M6. Le Pilote (1976) s'intulait : Quand le vin est tiré (Charlie's angels)