Ausculter le ciel, se référer à des dictons, rechercher dans le passé des références, suivre le rythme des saisons, dans le fin fond de mon bas-bocage les fluctuations du climat occupaient une place importante. Trop chaud, trop froid, trop mouillé ou pas assez le paysan a toujours été raillé pour son éternelle insatisfaction à propos du temps qu’il fait. Il fallait le comprendre en ces temps où les mauvaises récoltes étaient synonymes de ceinture serrée pour toute une année. Bien sûr, je n’ai pas connu les périodes où les mots, disette, famine, misère étaient le lot des petits, les menuz. Ainsi « À Noël 1420, les enfants pauvres se réfugient sur les fumiers, qui dégagent une chaleur animale, et ils crient. « Je meurs de faim ! » L’importance de la récolte de blé, le froment, liée à la climatologie – pas qu’à elle car les guerres avec leur lot de pillage, de récolte détruites, scandent de longues périodes – se traduisaient soit par de véritables saignées dans la population, soit par un développement de la natalité et de la prospérité.
Le livre d’Emmanuel Le Roy Ladurie et de Daniel Rousseau&Anouchka Vasak « Les fluctuations du climat de l’an mile à aujourd’hui » chez fayard est un ouvrage remarquable car accessible à tous. Pour un esprit curieux ça se lit avec un intérêt soutenu car comme le souligne la quatrième de couverture « il n’y a pas plus de sens de l’histoire que de fatalité climatique. Sur une question aussi complexe que les changements climatiques, il faut se méfier des vérités établies et leur préférer l’étude scrupuleuse année après année, des sources disponibles de la longue durée. »)
De plus il y a de la poésie dans les dénominations du découpage historique : on part du petit optimum médiéval, puis vient l’installation en force du petit âge glaciaire, suit le Quattrocento, suit le « beau » XVIe siècle avant le retour en force du petit âge glaciaire. À partir de là s’enchaîne les fluctuations aux noms de baptême en harmonie avec la période concernée : ainsi la première, la fluctuation Galilée (1602-1634) prince de la science de son temps » et l’un des « précurseurs du thermomètre. » ou la fluctuation Montesquieu (1718-1746) inventeur pour le XVIIIe de la « théorie des climats » ou la fluctuation Choiseul (1747-1774) qualifié de Mendès-France du règne de Louis XIV pour finir sur la fluctuation Prométhée (1998-2010) l’inventeur du feu qui « donne légitimement son nom à notre époque marquée par l’excès prométhéen des combustions de toute espèce, généreusement génératrices d’un CO2 dont l’influence réchauffante sur notre climat planétaire paraît bien établie ».
Un livre à lire donc moi je l’ai trouvé passionnant !
Pour vous en persuader je vous en livre quelques extraits dans l’ordre chronologique :
« On signalera aussi, dans le style possiblement du petit âge glaciaire, la très mauvaise année 1330 : récolte de vin désastreusement amputée en Ile de France… »
« Le millésime 1481, c’est d’abord l’année du grand hiver (glacial de décembre à février 1480-81) ; puis ce sera le festival des pourritures terrestres, printemps et été, variables certes, mais maintes fois extraordinairement pluvieux (…) Les vin du pays de Bade sont, cette année-là, exécrables »
« L’année 1540, estivalement parlant est splendide ; elle donne un vin à telle charge de sucre qu’il fait fonction d’apéritif vendu très cher pendant plus d’un siècle. »
« 1556 est une année de grande sécheresse (…) Vendanges qualitatives, bons vins, ample exportation des vins locaux produits dans les pays de basse Loire, ainsi que du sel marin récolté en abondance grâce à l’intense évaporation due à l’ensoleillement, le tout exporté à partir du port de Nantes.. »
« La date des vendanges, elle, est éloquente : leur moyenne s’établissait, durant le « beau XVIe siècle » (1500-1561), au 27 septembre ; elle n’est plus, dans la période1562-1601, que le 30 septembre. Le taux des vendanges tardives (en octobre) est monté de 37% pour la première période à 48% pour la seconde ; le rafraîchissement est net. »
« la belle prospérité du règne d’Henry IV, post-1600, règne devenu enfin pacifique, devrait encourager des vendanges plus qualitatives et plus tardives, mais il n’en est rien. Le climat a dicté sa loi, plus rigoureuse avant 1600, un peu plus douce après cette date. »
« les effets négatifs de la décennie « trop » fraîche, 1591-1597, par rapport à des périodes antérieures et ultérieurs, sont très nets en particulier vis-à-vis de la production du vin. De fait, on a affaire à des hivers rudes qui qui peuvent même geler les ceps ou simplement geler les rameaux de vigne et paralyser ainsi la production des raisins sur une grande partie du vignoble pendant trois ou quatre ans. Citons ensuite les gelées de printemps, avril-mai, qui portent un coup mortel ou semi-mortel aux futures vendanges, et enfin des étés pourris, trop dépressionnaires, hyper-pluviométriques. »
« On connaît bien la production des susdit breuvage par les taxes qui s’y appliquent, les redevances fiscales, les comptes des institutions, abbayes et autres propriétaires, par les recettes des hôpitaux, qui sont souvent de grandes étendues de vignobles. La conclusion va de soi. De 1587-1588 à 1594, il y a une diminution dramatique de la production de vin, renchéri du coup en raison de toutes ces intempéries dans les régions ci-dessus mentionnés, spécialement l’aire de Vienne et de Zurich, très bien étudiées ; et puis en contrepartie, un essor remarquable de la production de céréales, et don c de bière en tant que production de remplacement. »
« Nouveaux contrastes, s’agissant des quatre années 1672 à 1675 : les vendanges y sont en date moyenne au 2 octobre ; tardivité ! (…) Ce rafraîchissement est sensible dès 1672 ; très net en 1673 ; net encore en 1674, et terriblement évident en 1675 avec une vendange bourguignonne au 14 octobre (…) La marquise de Sévigné a commenté admirablement le phénomène dans des lettres de juin-juillet 1675 : le rafraîchissement fut très sensible à Paris en juin, avec ensuite un réchauffement en juillet qui a sauvé les moissons ; rafraîchissement durable (par contre) en Provence et en Vaucluse, et jusqu’à Valladolid où les vendanges sont au 26 octobre (…)
« En 1692 surtout le pronostic s’aggrave : grosse pluies au printemps, puis en été et en automne. Par représailles, on profane la statue de saint Médard, patron de la pluviométrie, car il a stimulé à l’excès les abats d’eau. Les vendanges de 1692 prennent place tardivement en octobre, et même en novembre selon les régions, en lieu et place de septembre. Les raisin sont durs comme des billes ; le jus issu du pressoir a goût de vinaigre. Le vin obtenu ressemble à celui de 1675, autre année ultra-tardive. »
« La France en général et le Bassin Parisien en particulier ont donc vécu de 1727 à 1738 une douzaine d’années frumentairement plaisantes, sans accident climatique grave, comme une bénédiction tombée du ciel. Mais ces années exemplaires ont un revers : la surproduction des vins, fille du trop beau temps. Et donc l’effondrement des prix du breuvage, lésant la viticulture méridionale. En moitié nord de la France 5bourgogne et ailleurs), la demande accrue, en provenance notamment de Paris, avait stimulé la plantation des ceps. »
« Le gouvernement de Louis XV s’est décidé de toute façon à suivre l’exemple de l’empereur Domitien (92 après JC) : il interdit partiellement les nouvelles plantations de vignes à partir de 1729 ; en 1731, l’interdiction se fait impérative. Mais les volumes des récoltes sont à nouveau regonflés, en 1737, 1738 et 1739, par un triennat de grosses vendanges. Le désastre climatique froid/humide de 1740, tueur de raisins, mettra fin provisoirement à cette dépression du prix du breuvage. »
« La canicule 1811 n’a toutefois pas que des inconvénients (souvent graves). Elle favorise, en termes viniques, l’émergence d’un bon millésime : c’est l’inoubliable vin de la Comète, par coïncidence avec le passage d’un astre errant dans le ciel du grand Empire. L y a ainsi disjonction du double symbole eucharistique : raréfaction et cherté du pain ; hyper-qualité du jus de la treille. »
« En France, la qualité vinique 1868 est extraordinaire, même si l’on déplore les débuts du phylloxéra – mais c’est un autre problème. Dans le Médoc, les vins super-qualitatifs de 1868 grimpent à des prix quelque peu délirants du fait de ces conditions climatiques exceptionnelles. Le courtier bordelais Lawton note parmi les vignobles une pousse vigoureuse et rapide. Fortes chaleurs, heureux développement de la fleur, récolte abondante, espérance d’une bonne qualité. Le 14 septembre 1868 Lawton signale encore, rétrospectivement, une température constamment favorable depuis le printemps jusqu’aux vendanges ; maturité parfaite ; belle couleur ; netteté et finesse du goût ; vins vifs, corsé, élégants, séveux. »
« Les vins, au terme de ces beaux étés, ont eu « leur chance ». C’était vrai de 1893, ce l’est également de 1898 et 1899 : similitude climatique agréable ! A Bordeaux notamment, très forte moyenne thermique du trimestre estival, spécialement lors de l’ultra-calorifique printemps-été de 1899. Pluviométrie parfaitement ajustée ; vins indemnes de toute maladie, et d’une grande rectitude de goût, absolument sains u cours des deux années terminales du siècle. En 1899 surtout, fraîcheur de goût ; distinction et bouquet ; quantités viniques pourquoi pas, en effet, diminuées par la sécheresse ; mais les raisins sont propres et sains (sans mildiou, ni conchylis, ni pourriture) ; espérance de très bons vins au terme du parcours – espérance effectivement concrétisée à l’automne. »
« Les années 1904-1906, elles, ont d’énormes vendanges (favorisées par l’ensoleillement), en quantité à Béziers, en qualité à Bordeaux, avec en conclusion la révolte des vignerons du Midi en raison de cette surproduction et de l’écroulement des prix de leurs vins. Les trois dates de vendanges successives, lors du triennat « solaire » 1904-1906, sont unanimement précoces, en Bourgogne et à Bordeaux. »
1911 « Les vins sont délicieux, notamment à Bordeaux, grâce à une canicule sèche. Le Guide Hachette distribue des 19 ou des 20 à la plupart des grands vignobles français, alors qu’en 1910, pour des raisons inverses, on en était plutôt aux notations exécrables, par suite du mauvais temps ; cela allait jusqu’au « zéro pointé »En 1911, Bordeaux triomphe. Du vin à »bonne couleur, très belle, du bouquet, de la netteté, maturité suffisante mais pas excessive ; du vin onctueux (sic), sans aucune âpreté, ni aucun angle. Un produit très plaisant ». Vendanges précoces, autour du 12 septembre, en France du Nord. »
« Restons en 1921 : logique estivalo-automnale ! Les vendanges 1921 sont précoces. Qualité extraordinaire du breuvage de ce millésime : 20 sur 20 un peu partout selon le Guide Hachette des vins. Du nord au sud et de l’est à l’ouest, côtes-du-rhône exceptés. A Bordeaux, et ailleurs, le vin est excellent et de bonne garde. Le plus grand des château-yquem, selon certains Anglais, est daté de ce millésime. »
« La séquence 1928-1950 débute par les beaux étés chauds et secs de 1928-1929 (…) Côté vins, 1928 et 1929 sont d’extraordinaire qualité en Bordelais comme en Bourgogne et en Champagne. René Pijassou, l’éminent spécialiste du Médoc, qualifie les grands vins de sa région en 1928 et 1929 de « pleins, corsés, séveux, riches, de longue garde et servant de référence. Une fois de plus, on ne se lassera pas de le répéter dans ce genre de conjoncture, Bordeaux pavoise et Béziers gémit : déluge vinique national et méridional !La surproduction du breuvage écrase les prix dans le méga-secteur sudiste des « gros rouges », gonflé aussi par la technique en progrès. »
« 1945 : janvier glacial, anomalie thermique négative de 5,5° (soit une température moyenne de – 0,7°) pour l’ensemble de l’Hexagone (…) Mais l’été est exceptionnellement chaud et sec : vendanges précoces ; vins prodigieux, notamment le mouton-rothschild 1945, d’illustre mémoire, et en Lusitanie le porto Graham’s de la même année chère aux Britanniques. »
Après je suis né et tout a été bouleversé (ma mobylette…). Pour connaître la suite reportez-vous au livre d’Emmanuel Le Roy Ladurie et de Daniel Rousseau&Anouchka Vasak « Les fluctuations du climat de l’an mile à aujourd’hui » chez fayard