Dans une très récente chronique « Entre Champagne et Bourgogne » mon éminent collègue, Hervé Lalau, à la suite de mes chroniques champenoises en appelait à l’Histoire « Jacques, sais-tu que le village d'Aÿ a été la première capitale de la viticulture en Champagne, bien avant Reims et Epernay. Je parle du 16ème siècle. Selon une étymologie discutée, Epernay, qui n'était à l'époque qu'un petit bourg, voudrait dire « au-delà d'Aÿ ». Ce qui est sûr, c'est que Gosset, la plus vieille maison de la Champagne, a été fondé à Aÿ en 1584; elle y vinifiait des rouges tranquilles. La bulle viendra bien après » la suite sur http://www.les5duvin.com/article-anecdotes-champenoises-62451751.html
Cruel camouflet pour tous ceux qui affirment que la Toile ne recueille que des inepties de gamins ignares, d’adolescents boutonneux ou de seniors désœuvrés. Nous piochons, nous exhumons pour vous de belles histoires de l’Histoire de notre terroir. « Le vin d’Aï, précisait Le Paulmier, en 1588, est de déliée et subtile matière, plaisant à boire, de facile digestion et de prompte distribution, qui fait que les roys et princes en font souvent leur breuvage ordinaire. » Ghislain de Montgolfier aime à le dire « autrefois, notre bon vin servait à faire du rouge et seulement un peu de mousse. Le champagne a pour origine un vin fin de pinot noir, vinifié en rouge et c’est ce vin-là qui concurrençait les bourgognes auprès des Cours royales. »
« La Côte aux enfants » un nom qui sonne un peu comme l’Ile du même nom de notre enfance émerveillée par la télé. Pour certains cette colline abrupte est ainsi dénommée parce qu’autrefois les gamins d’Aÿ allaient y faire provision de sarments le jeudi. Pour d’autres, c’était la Côte aux enfers quand les femmes devaient remonter dans des paniers la terre emportée par les intempéries. Au début du XIXe siècle, Jacques Bollinger reconstituera et réunifiera ce vignoble de 3 ha qui, avant le phylloxéra, appartenait à une cinquantaine de propriétaires.
Alors, retour aux sources du vin rouge d’Aÿ, un vin de mémoire produit sur cette « parcelle sacrée » de 70 ares, lorsque dans les années soixante on a découvert « dans les caves de la vieille maison d’Aÿ, un recoin oublié (parce qu’on l’avait dissimulé à la convoitise des occupants allemands) entièrement consacré au rouge, ce fut comme un retour aux sources. Il y avait, dans cette caverne d’Ali-Baba, du 1893, dont Ghislain de Montgolfier dit qu’il peut encore « donner du bonheur ». Bien sûr, ce vin c’est du cousu-main. Du soin extrême de la vigne au chai, chute de grappe six semaines avant la vendange, tri manuel en gants beurre frais (j’exagère toujours), vinification avec une macération qui dure entre 10 et 12 jours, élevage pendant 2 ans dans des fûts de 3 à 5 ans. Vin d’exception. Lorsque le pinot noir de La Côte aux enfants n’est pas jugé digne de produire ce vin de souverain il n’y a pas de vin. Je goûte avec délectation ce petit côté marquis de Lur Saluces, grand seigneur pour grand vin.
4000 bouteilles par an, une rareté qui confine« La Côte aux enfants », ce fleuron des « Coteaux Champenois », à une rareté élitiste de bon aloi. Je ne résiste donc pas au plaisir de reproduire ce texte intitulé « Éloge des vieilles vignes françaises » qui me semble très représentatif de l’esprit de la maison Bollinger. « Derrière les fenêtres de la maison qui domine Aÿ, les vieilles vignes françaises enlacent leur étrange feuillage en désordre. Le regard sur ces vignes porte aussi un autre regard sur le temps. Le temps de la Champagne avant les ravages du phylloxéra. Vignes plantées en foule, non greffées, pour lesquelles s’applique encore la méthode du provignage. Le rendement, faible, est sans commune mesure avec une vigne classique. [...] Pour Bollinger, ces vignes témoignent de la tradition viticole du XIXe siècle. Parce que le devoir de mémoire est la meilleure façon de rendre l’histoire vivante. »
Dans certaines de mes chroniques un peu dures j’ai coutume d’écrire que la France est un vieux pays chargé d’Histoire, pour le regretter parfois lorsque nos pesanteurs nous entravent, nous rendent quasi-immobiles, mais qui aime bien châtie bien, c’est que je l’aime ce fichu beau pays, il y fait bon vivre parce que certains de nous continuent de défendre le bien vivre à la française. Je m’étais permis d’écrire dans la charte de l’Amicale du Bien Vivre : « Le bien-vivre n’est ni un luxe réservé à une élite, ni le privilège d’une société opulente, mais un élément essentiel de notre mode de vie à la française. Convivialité, accueil, hospitalité, échange, plaisirs simples partagés, trame de liens amicaux, voisinage, ciment de la vie en société, le vin est, et reste, comme l’écrivait l’ethnologue Claude Lévi-Strauss en 1974, une boisson à consommer ensemble. Dans les temps difficiles que nous traversons, notre combat pour le bien-vivre n’est pas une provocation mais, bien au contraire, une juste cause pour la préservation d’une façon de vivre que le monde entier nous envie. »
Dans l’univers du bien-vivre, tel que définit ici poser, sur sa table pour un grand jour, un jour de fête ou un jour de mémoire, une bouteille de « La Côte aux enfants » 1999 de la maison Bollinger www.champagne-bollinger.com redonne au mot luxe toutes ses lettres de noblesse. Nulle ostentation, mais simplement une parcelle de raffinement dans notre monde formaté, comme l’envie de s’offrir une parcelle de rêve, un petit morceau de ces vieilles vignes françaises, une échappée belle dans l’esprit d’une maison où « l’on sentirait presqu’encore l’odeur de la cire ou le craquement des pas à l’étage » où « le soleil jouerait délicatement sur le vert céladon des murs de la salle à manger » où « sur la table est posé un bouquet de roses fraîchement cueillies du jardin... »