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14 novembre 2011 1 14 /11 /novembre /2011 00:09

68027559.jpgJe cherchais un titre qui sonne clair comme celui du film de Rohmer et ce fut le commentaire de Jules qui leva le mystère : ce serait le vin de Claire. Ce singulier est le fruit d’une première rencontre avec ce vin de Claire en 2008. J’écrivais alors : « Avec notre salade de mâche, la pintade, les fromages et la tarte, nous buvons – j’ai bien écrit buvons et non dégustons, nous sommes à table, pas en représentation - justement un Hautes-Côtes de Beaune (orchis masculata) Vin élégant, raffiné même, qui vous caresse la bouche, lui donne un goût de fruit discret et léger mais persistant comme lorsque vous allez vous-même cueillir une baie aux premières lueurs de l’aurore et que vous la croquez. Sans doute que je vais mal l’exprimer mais ce fruit on le sent nature, il s’exprime dans sa fraîcheur sans les artifices d’une extraction violente. »  

 

Sans aucune intention militante – d’ailleurs la qualification de nature n’était pas encore dans la tendance – je venais de mettre en avant un mot qui fâchait. Ce vin que j’aimais, que je buvais avec délice, n’était pas très en odeur de sainteté auprès des grands maîtres de la typicité. Orchis masculata c’était le vilain petit canard noir de la couvée. Pas d’orchidée pour Miss Naudin en parodiant un des rois du roman noir. Aujourd’hui je plaisante mais en ce temps-là les choses n’étaient guère plaisantes car ces messieurs du collège des agréeurs, qui n’admettaient aucune déviation par rapport au « vin type », ou du moins à l’idée qu’ils s’en faisaient, tenaient le destin de ce vin au bout de leur bulletin.

 

Mais qu’avait-il donc ce vin ? Quelle était son histoire ? Quel était son terroir ?  Voilà ce qu’écrivait Claire en 2008 :

 

« A la base, il y a une petite vigne plantée en cépage aligoté, en 1902, donc par mon arrière-grand-père. Depuis plusieurs années, je rêvais d’en vinifier le raisin séparément, et d’une façon bien particulière, de le presser en raisin entier, sans apport de sulfites. Je voulais le travailler comme mes ancêtres… J’avais l’impression que cela m’apprendrait beaucoup, une intuition très forte, qui s'imposait à moi…

 

En 2007, année pourtant un peu difficile d’un point de vue météorologique, je me sens prête, je me lance. La vendange est rentrée à 11°2 d’alcool potentiel naturel, et là mon intuition me dit de ne pas y toucher : non seulement il n’y aura pas de sulfites, mais pas non plus de sucre ajouté, ni bien sûr de levures, d’enzymes, de bentonite (argile qui sert à clarifier le vin)…

 

Rien que du raisin !  Et tout se passe bien... J’envisage donc assez vite une mise en bouteille sans filtration, par gravité, avec juste un petit apport de sulfites afin de stabiliser le vin et de lui permettre de voyager un peu, si besoin !

 

Á la dégustation il ne ressemble pas vraiment à l’appellation qui devrait lui correspondre : plus aromatique, plus complexe, avec des nuances inhabituelles... En outre, sa vinification particulière fait qu’il n’est pas tout à fait «dans le schéma type », qui vient d’être redéfini par la réforme de l’agrément.  En effet, après questions aux organismes responsables, il apparaît :

 

Qu’il est de bon ton de filtrer les vins (en tous cas un dépôt, même naturel, même s’il n’est aucunement amer ni désagréable au goût, est considéré comme un défaut)…

 

Qu’il est bien vu de sulfiter les vins à des niveaux élevés (même si la loi fixe des valeurs maximums, non pas des valeurs planchers)… Par exemple, là où je me contente de 50 mg par litre de dioxyde de soufre, certains exigent plus de 100 mg/l…

 

Qu’il n’est pas prévu une expression aromatique aussi exubérante, même si elle est le fait d’un terroir, d’un raisin issu d’une très vieille vigne, d’une vinification peu interventionniste, c'est-à-dire de facteurs inhérents à l’appellation…. »

 

Que des choses qui fâchaient les agréeurs mais est-ce proférer des gros mots que :

 

-          d’affirmer qu’un « grand vin, d’où qu’il vienne, se construit 365 jours par an, des vignes à la mise en bouteille, grâce au travail persévérant de toute une équipe, motivée par un objectif commun : aller au bout des choses, oser croire au potentiel de ce vin, et oser se donner les moyens de l’exprimer. » ;

-         de souligner que « c’est sans doute la grande chance de la Bourgogne : le vigneron ici, commence bien souvent par travailler sa vigne lui-même (avec parfois ses ouvriers). Les heures de labeur manuel sont aussi des heures de réflexion. Le contact avec la terre et la plante est source d’intuition à qui veut bien se laisser faire pour ressentir cela. Utilisée en vinification, relevée de toutes sortes d’observations (inévitables lorsque l’on travaille la vigne), accompagnée de quelques résultats d’analyses, cette intuition permet au vinificateur-vigneron d’adapter encore mieux les opérations de vinification à chaque millésime, à chaque lot de raisin, donc à chaque matière première. »

 

Moi je ne trouve pas. Qu’on ne vienne pas me jouer l’air du passéisme, du retour à…Tous ceux qui nous bassinent avec le terroir et qui le traitent, parfois le maltraitent, avec des recettes toutes faites, importées, imposées, me semblent bien plus éloignés de la modernité que ceux qui, comme Claire, sont  attentifs, précautionneux, pour tenter de « tirer le meilleur parti du potentiel intrinsèque de chaque lot de raisin ». Que ça plaise ou non aux tenants des solutions clés en mains, ces gestes, sont le fondement même du métier de vigneron lorsqu’il se fait artisan. Ils sont ce que fait la main après observation, réflexion, tâtonnements, hésitations pour aller, comme le dit Claire, « au bout de l’expression de nos terroirs, dans leur diversité, leurs richesses. »

 

Septembre 2008, c’était le temps des interrogations, des crispations, du doute parfois face à l’adversité, de l’espoir aussi car ces cuvées, vinifiées d’une façon bien particulière… les clients étaient nombreux à s’en dire satisfaits. Alors Claire s’accrochait car ces cuvées lui faisaient aimer plus encore son métier car elles exigeaient d’elle une immense rigueur technique, tant aux vignes qu’en cave, et elles lui  procuraient un immense plaisir des sens : complexité, saveur, émotion, »  Alors dans cette complétude Claire rêvait « d’AOC où cohabiteraient des vins aux multiples faciès, pour votre plus grande satisfaction. » ; elle bataillait «  J’ai passé des heures et des heures en réunions, pour défendre ce point de vue. « ; elle craignait « de ne pas faire le poids… »

Palace-0470.jpg 

Novembre 2011, trois années se sont écoulées et me voilà inclus dans une petite troupe, un caviste client et ses proches, qui suit Claire armée de sa pipette. Nous goûtons les 2011 :

Hautes Côte de Beaune Orchis

 Haute Côte de Nuits Myosotis arvensis

Côte de Nuits Villages Viola odorata  

 

Pour les notes des cuvées link

93278.jpg

Je me concentre sur ma dégustation tout en écoutant Claire parler de ses « enfants » comme une mère qui a trouvé avec eux qui, sans être turbulents, ne sont pas forcément toujours très sages, une harmonie, un équilibre, une façon de faire qui leur convient. En effet, ne pas être interventionniste est tout le contraire de se désintéresser de ce qui se passe,  ça exige de redoubler d’attention, de présence, de précision. Moi, qui ne suis pas vigneron, mais qui suis père, je sais d’expérience que cette liberté n’est pas un facile laisser-faire mais la capacité d’être à la fois doux et ferme. Certains d’entre vous vont sans doute  sourire, me railler même, en me taxant de littérateur, d’assembleur de mots et que la dégustation c’est bien autre chose que cette approche sensible. Qu’en savez-vous ? En effet, à l’instant où j’écris ces lignes, du temps s’est écoulé depuis  ma dégustation des vins de Claire et je l’ai intériorisée. En clair, si le vin de Claire – je maintiens volontairement le singulier – ne m’avait pas de nouveau séduit, comblé, je ne serais pas en train d’écrire ce que je vous venez de lire. Si je croisais de nouveau l’un des vins à petite fleur de Claire, non pas à l’aveugle mais dans un verre servi sans que je vois l’étiquette du flacon, je le reconnaîtrais. Prétentieux peut-être mais il n’empêche que ce fut le cas l’autre soir avec un verre de Chablis d’Olivier de Moor. Un vin à forte personnalité à une forte identité que ma mémoire sensorielle, comme ma mémoire tout court, reconnaît avec une plus grande facilité.

 

Ainsi va la vie d’un petit chroniqueur, ses vrais petits bonheurs il les trouve ainsi au détour de ses rencontres, de ses retrouvailles, des liens créés sur son espace de liberté. La vraie vie quoi ! « Un peu de douceur, de convivialité, de plaisir partagé, dans ce monde de brutes... » c’est ma raison sociale et je n’ai pas l’intention d’en changer…

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commentaires

J
<br /> Je suis fan absolu !<br /> <br /> <br /> Claire est malheureusement souvent en rupture, mais elle a un caveau qui est ouvert (et à 5 mn de Beaune) ! La rencontrer est donc facile.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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B
<br /> <br /> "Je me concentre sur ma dégustation tout en écoutant Claire parler de ses « enfants » comme une mère qui a trouvé avec eux qui, sans être turbulents, ne sont pas forcément toujours très<br /> sages, une harmonie, un équilibre, une façon de faire qui leur convient. En effet, ne pas être interventionniste est tout le contraire de se désintéresser de ce qui se passe,  ça exige de<br /> redoubler d’attention, de présence, de précision. Moi, qui ne suis pas vigneron, mais qui suis père, je sais d’expérience que cette liberté n’est pas un facile laisser-faire mais la capacité<br /> d’être à la fois doux et ferme. "<br /> <br /> <br /> J'aurais aimé écrire cela :-)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> François<br /> <br /> <br /> <br />
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