Ça fait un bail que je n’ai pas posé mes fesses sur le velours d’un fauteuil d’une salle de ciné, suis devenu casanier, confinement oblige, je feuillette même pas Télérama, alors j’suis guère au parfum des sorties de film.
C’est le titre d’un article du Monde : Reda Kateb : « Le vin est comme un océan et moi, je reste dans un petit coin en baignade surveillée » qui m’a mis la puce à l’oreille.
VINS & AUTRES PLAISIRS LIQUIDES
Le vin, la politique : Reda Kateb incarne un directeur du cabinet de la maire d’une ville de Seine-Saint-Denis, interprétée par Isabelle Huppert, l’Algérie de son père, un cocktail qui colle bien avec la ligne éditoriale de ce blog.
L’acteur est à l’affiche des « Promesses », avec Isabelle Huppert, un long-métrage qui explore les ressorts de la politique, en pleine campagne présidentielle. Sans se targuer d’être un spécialiste, il évoque volontiers son rapport au vin, fait de souvenirs et de coups de cœur.
Propos recueillis par Rémi Barroux ICI
Dans Les Promesses, film de Thomas Kruithof, sorti le 26 janvier, l’acteur Reda Kateb incarne un directeur du cabinet de la maire d’une ville de Seine-Saint-Denis, interprétée par Isabelle Huppert. Révélé dans Un prophète (2009), de Jacques Audiard, il a joué dans des dizaines de films, dont Hippocrate, Django, Le Chant du loup, et des séries télévisées aussi passionnantes que Possession ou En thérapie. Il va bientôt tourner en Algérie Omar la Fraise avec le réalisateur Elias Belkeddar. Accompagné (toujours) de son chien, Paulo, un croisé yorkshire et fox-terrier, Reda Kateb, Montreuillois de 45 ans né à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), évoque la politique et le vin, qu’il aime goûter « sans en être spécialiste », prévient-il.
- Dans « Les Promesses », vous refusez de boire du vinho verde lors d’un déjeuner de travail avec la maire mais vous acceptez moult verres d’une eau-de-vie lors d’une fête de la communauté serbe. Goût personnel ou effet du scénario ?
Le scénario bien sûr mais il est vrai que, pour un vrai déjeuner de travail, je suis plutôt eau pétillante. Pour la soirée serbe, comme c’était la dernière scène à tourner, on en a fait une sorte de fête de fin de tournage. La belle bande de Serbes nous a accueillis dans le café et on a bien goûté cette eau-de-vie.
Sans être fin connaisseur, j’aime bien. Un petit verre de rouge le soir. Ma première approche du vin, c’était à 17 ans, quand j’étais étudiant en lettres à la Sorbonne. J’étais porteur de hotte lors de vendanges à Château Margaux, dans le Médoc. Cette rencontre avec le travail de la terre reste un bon souvenir même si j’en suis sorti avec le dos brisé. Il y avait des paysans du coin, des routards, des étudiants, une mixité qui me plaît et que je retrouve à Montreuil. J’adorais la pause, vers 10 heures, avec le pâté des Landes, le verre de rouge – de château margaux quand même…
« Je me souviens des apéros que je partageais avec mon père. C’était une façon de nous approprier la culture populaire en France. »
A mon adolescence, ma mère est partie vivre à côté de Bordeaux. Elle achetait du vin en cubi, à Saint-Emilion, pour le mettre en bouteilles. C’était leur vin de table. Le goût familial était beaucoup entre-deux-mers, médoc, graves, mais ces vins m’ont un peu écœuré, avec un boisé assez fort. J’ai eu envie d’aller chercher autre chose, du côté de la Bourgogne. J’aime beaucoup le pinot noir, les hautes-côtes-de-nuits. C’est un nom qui me fait rêver, comme une belle chanson.
- Cette nouvelle approche du vin, vers quel âge était-ce ?
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Quand j’ai commencé à m’embourgeoiser, dans la trentaine, après le film Un prophète. Avec les repas de travail, les voyages, j’ai eu accès à de bonnes tables. Cela dit, quand je fais des soirées palabres jusqu’à pas d’heure, dans un café de Montreuil avec mes copains, on est plutôt bière. J’ai gardé cette habitude festive de ma période étudiante et même après.
- Avez-vous des vins préférés ?
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Pour moi, un bon vin est indissociable d’un lieu, d’une histoire et d’un plat à partager. Les vins que j’apprécie sont ceux que je veux goûter avec des amis et qui vont s’accorder au mieux avec notre repas. J’ai un coup de cœur pour les vins blancs secs, les bourgognes – notamment [du domaine] Les Enracinés, un petit mâcon –, les chablis, des languedocs… Des vins italiens aussi, comme le terre-brune sarde ou ceux des Cinque Terre, où j’aime à me promener, du côté de Levante [sur la côte ligure]. Ces vins sont magnifiques sur des pâtes alle vongole ou à la poutargue et aux pistaches, que j’aime cuisiner.
- Etes-vous conseillé pour acheter des bouteilles ?
Je possède une armoire à vins que je renouvelle souvent. J’achète et on m’offre. A la fin du tournage des Promesses, on m’a offert quelques bouteilles de meursault et des médocs. J’ai un ami qui m’a fait découvrir des vins nature. On passait des soirées dans un restaurant à Montmartre qui porte bien son nom, Le Grand 8, car on finissait souvent la tête à l’envers, après avoir dégusté par exemple des juras, légers et complexes à la fois. Un autre ami qui vit au Japon m’a aussi initié au vin. Il avait le talent pour parler d’une bouteille, vous mettre sur la piste de votre goût, sans vous saturer d’informations.
- Le vin doit-il raconter une histoire, comme un film ?
Oui et la comparaison va plus loin. Il y a des films légers, comme celui du dimanche soir, où on ne veut pas s’engager émotionnellement. Dans le vin, c’est pareil. J’aime bien, de temps en temps, un petit beaujolais qui sait se faire discret avec un plat de bistrot.
- Le champagne n’est-il pas incontournable dans le milieu culturel ?
De moins en moins. J’ai connu, il y a douze ans, des rivières de champagne. Aujourd’hui, il arrive souvent qu’on serve de la sangria ou des kirs lors des fêtes de fin de tournage. Pour des raisons de budget et parfois d’image. Mais j’aime beaucoup le Mumm, le Piper-Heidsieck aussi. J’apprécie des champagnes plus modestes mais je ne sais pas encore les trouver. J’aimerais faire un stage d’œnologie pour découvrir ce monde. J’ai l’impression que le vin est comme un océan alors que moi je reste dans un petit coin en baignade surveillée.
- Le vin est souvent stigmatisé pour des raisons culturelles, religieuses ou de santé. Qu’en pensez-vous ?
Je me souviens des apéros que je partageais avec mon père [Malek-Eddine Kateb, acteur franco-algérien de théâtre et de cinéma, et neveu de l’écrivain algérien Kateb Yacine]. C’était une façon de nous approprier la culture populaire en France, ses codes, voire de les transformer. Les enfants d’immigrés, à qui il arrive de ressentir une forme d’exclusion sociale devant des pratiques culturelles, peuvent découvrir et apprécier ce qui ne leur est pas promis.
Dans une scène des Promesses, lors d’un repas un peu tendu, je raconte une longue anecdote sur Barack Obama à la maire, jouée par Isabelle Huppert. J’ai proposé au réalisateur que je finisse mon récit en croquant un morceau de saint-nectaire, avec du pain et une gorgée de vin rouge. Ce geste veut dire beaucoup pour un enfant d’immigré qui se retrouve à une table bourgeoise. Il signifie : « Je peux comme vous apprécier tout ce qui est bon. » C’est une forme d’appropriation. Comme quand des jeunes de quartier s’habillent en Lacoste. Il n’y a pas de limites et de frontières aux identités. On peut accéder à des choses qui ne nous sont pas destinées et exceller.
- Boire du vin dans les sociétés de culture musulmane pose-t-il problème ?
Il y a un rapport parfois schizophrénique, un monde entre ce que l’on montre et ce que l’on est. J’ai bien sûr connu les mariages où on trouvait sur les tables de l’eau, du Coca, pendant que, dehors, les hommes buvaient du vin et de l’alcool sortis des coffres des voitures. Je propose plutôt de relire le grand poète et philosophe persan des XIe et XIIe siècles, également mathématicien, Omar Khayyam. Il a écrit les Rubayat, des quatrains à la gloire du vin, et notamment : « Bois du vin ! Tu ne sais pas d’où tu es venu ! Vis la vie ! Sais-tu, vers où t’en iras-tu ? » Omar Khayyam voit dans ce breuvage quelque chose de mystique, la louange du plaisir ici-bas. Une transcendance [ce poète est également l’auteur de L’Amour, le désir et le vin]. L’alcool produit souvent des excès mais le plaisir, c’est le dosage de son ivresse.
- « Les Promesses », un film sur l’ambition et les décisions d’une maire, ne colle-t-il pas au climat actuel de rejet de la politique ?
Non. Les réactions lors de projections et débats dans de très nombreuses villes, par exemple à Clichy-sous-Bois [Seine-Saint-Denis], où a eu lieu le tournage, disent le contraire. Les gens voient dans le film autre chose que le « tous pourris », l’ambition démesurée, la corruption… Ils restaient après les projections pour parler. Ils nous disaient merci de montrer « autre chose que ce début de campagne présidentielle », la notion de dévouement par exemple. Ce film montre, il est vrai, les ressorts intimes des petits travers, des renoncements, de la médiocrité parfois. Mais au milieu de ces tambouilles, il y a un projet très concret de réhabilitation d’une cité – et on voit le véritable impact que peut avoir le politique sur la vie des gens. Cela donne, à l’arrivée, une vision de la banlieue qui, pour une fois, ne passe pas par le prisme de la délinquance, de la police, de l’islamisme dans les quartiers.
Je suis en phase avec ce film, une certaine finesse dans la façon de montrer la réalité, une confiance aussi dans le spectateur, de suggérer enfin que des responsables politiques gagneraient à ne pas prendre les gens pour des cons. Au-delà, j’ai aimé jouer un directeur du cabinet qui n’est pas un élu mais se révèle important sur l’échiquier politique – une première pour moi. Et puis j’ai été séduit par le scénario. Je suis très attentif au rythme, aux dialogues. C’est un film de langage, l’action et la mécanique narrative se déroulent par la langue.
- Le film est sorti au début de la campagne présidentielle. Est-ce un hasard ?
C’était un choix délibéré. J’étais content de pouvoir évoquer autre chose que ce que l’on entend en ce moment, avec un déficit terrible de propositions, l’instrumentalisation de la peur et de la colère pour cibler des boucs émissaires, alors qu’il faut au contraire instiller une note d’espoir, qui est l’essence même de la politique.
- Au générique apparaît un nouveau « métier » du cinéma : « référent Covid ». Comment avez-vous vécu les confinements ?
Le premier avec beaucoup d’incertitudes même si la période a été pour moi assez salutaire. J’avais besoin de me poser un peu après avoir beaucoup tourné, beaucoup voyagé. C’était bien de marquer une pause, d’être plus en famille [Reda Kateb est père d’un garçon de 7 ans, Enzo], de voir mes voisins…
On a tourné Les Promesses pendant le deuxième confinement, à l’automne 2020. C’était étrange. On traversait la ville, il n’y avait quasiment personne dans les rues ; que des gens masqués. Ça manquait terriblement de vie alors qu’un tournage, pour ses scènes urbaines, a besoin de figurants mais aussi d’une animation normale, avec des personnes qui bougent et circulent. La production a dû recréer des moments de « la vie d’avant ». C’était comme si la réalité et la fiction étaient inversées…
Rémi Barroux