Alain Krivine, lors d'une conférence de presse, le 8 avril 1974. © AFP / STF
Je sais, je sais, comme le chantait Gabin, cette chronique, qui semble sans queue ni tête, va dérouter certains de mes lecteurs, et pourtant elle n’est pas aussi foutraque qu’il n’y paraît, elle est pleine de liens, ceux de mes souvenirs.
Baby-boomer encore véloce, soixante-huitard non révisé, buveur de vin nu qui n’existaient pas au temps du PSU, j’ai croisé sur ma longue route, des gens fort différents.
Le président et fondateur de Pierre et Vacances-Centre Parcs, Gérard Brémond, à Paris le 21 novembre 2018.
Prenons Gérard Brémond, fondateur de Pierre & Vacances-Center Parcs, je l’ai rencontré dans un scénario type Citizen Kane (pour faire plaisir à ciné Papy), le prédateur étant en 1982, Robert Hersant, l’empereur de la presse qui avait concentré jusqu’à 40% des titres de la presse française dans les années 1980. Mon patron, Louis Mermaz, alors président du CG de l’Isère et de l’AN, voyait d’un mauvais œil les manœuvres du Robert pour mettre la main sur Le Progrès de Lyon et le Dauphiné Libéré. Il me confia la mission de provoquer un tour de table afin de contrer le papivore. C’est dans ces conditions que je rencontrai Gérard Brémond, de même que Jean-Claude Gallienne, le papa de Guillaume Gallienne, l’acteur bien connu. À cette occasion je constatai qu’il était plus facile d’aligner des millions de francs que d’en trouver quelques centaines pour faire ses fins de mois. Bref, le tour de table fut bouclé mais un veto vint de l’Elysée, Tonton nous fit savoir qu’Hersant était intouchable.
Dix ans après sa mort en 1996, l’ombre de Robert Hersant plane encore sur son défunt empire de presse. De son vivant, le magnat était passé à travers toutes les gouttes, tant les autres pouvoirs, politique ou judiciaire, semblaient redouter le sien. À titre posthume, un vieux dessous de table de 90 millions de francs remonte tardivement à la surface, à l’occasion de l’interminable agonie du quotidien France-Soir. Ses ayants droit vont peut-être devoir assumer cet héritage encombrant, ressurgi d’un paradis fiscal.
Robert Hersant aura rythmé cinquante années de la vie politico-médiatique française et construit un empire de papier (Le Figaro, France-Soir, Auto Moto, Paris Turf, La Voix du Nord, Le Dauphiné libéré, Le Progrès, Presse Océan, etc.), dont il ne reste aujourd’hui plus rien. Seule la Ve République pouvait mettre en selle ce type de personnage… Il est né en 1920 en Loire-Atlantique, fils d’un capitaine au long cours. Étudiant en Normandie, il est secrétaire des Jeunesses socialistes locales et fréquente alors deux futurs destins politiques : Jean Lecanuet, qui sera candidat centriste à l’élection présidentielle de 1965, et Alexandre Hébert, qui incarnera plus tard l’anarcho-syndicalisme avant de devenir membre du Parti des travailleurs (trotskyste-lambertiste). Mais Robert Hersant a d’autres vues : bien plus que la politique, il embrasse le monde de la presse. Au plus mauvais moment : sous l’occupation allemande.
Chef en 1940 du mouvement collaborationniste Jeune Front, il fonde deux ans plus tard le journal pétainiste
Que reste-t-il du Groupe Hersant ? ICI
Revenons à Gérard Brémond sa capacité à séduire les décideurs, avec ce qu’il faut de rouerie et de prestidigitation économique. Ses armes ? « Empathie, humour, détermination » Il était jazzman, guitariste de bonne famille. Son quintette écume les caves parisiennes. Le succès le fuit, la passion lui reste ; il chroniquera l’avènement de John Coltrane pour Jazz Hot puis, fortune faite, rachètera la radio de jazz TSF et le Duc des Lombards, célèbre club parisien. Il s’amuse aujourd’hui de ses « horaires de jazzman » – difficile de le joindre le matin ou de l’empêcher de travailler le soir. Robert Faure, son factotum à Avoriaz, y voit la source de son art de la synthèse, de l’improvisation et du rythme des affaires.
L’expérience Avoriaz est à la fois rude et joyeuse. Une formidable vitrine, trop peu rentable, jusqu’à ce que le Festival du film fantastique, à partir de 1973, en fasse une station branchée où M. Brémond convie les cabinets ministériels comme les stars, et tisse ainsi son réseau. Il importe un modèle commercial original, la « nouvelle propriété » : des particuliers financent la construction d’une résidence en achetant de petits appartements, que Pierre & Vacances s’occupe de louer.
Nous avons sympathisés.
(Voir article plus bas : La triste sortie de Gérard Brémond)
Passons au café charbon : « Votre Taulier, lors d’une dégustation des vins du Plan de Dieu, au resto Touller Outillage, rue Pierre Timbaud, haut-lieu des bobos d’Oberkampf (le café charbon où je croisais le dinosaure de l’ancienne Ligue Communiste Révolutionnaire, Alain Krivine, le papa politique de Besancenot de la NPA) est tombé nez-à-nez avec Gilles Ferran et Calendal. ICI
Charbon, séduisante brasserie (a)typique, emblématique de l’Est Parisien ICI
Alain Krivine est mort, mais pas le rêve présidentiel de l’extrême gauche française ICI
Le décès d’Alain Krivine, figure historique de l’extrême gauche française, est intervenu samedi alors que cette mouvance politique sera bien présente dans les urnes le 10 avril, pour le premier tour de la présidentielle
Richard Werly
Publié dimanche 13 mars 2022
La révolution, en France, continue de passer par la conquête de l’Elysée. Au moins sur le plan symbolique. Décédé samedi à l’âge de 80 ans, le leader trotskiste Alain Krivine, co-créateur de la Jeunesse communiste révolutionnaire en 1966, incarnait toutes les aspirations contradictoires de l’extrême gauche française. Laquelle fut, dans les années 1970, l’un des principaux viviers de recrutements de la nouvelle génération de dirigeants du Parti socialiste, avec des personnalités telles que Lionel Jospin, Jean-Luc Mélenchon, Jean-Christophe Cambadelis ou Pierre Moscovici, tous issus de la mouvance trotskiste dont ils s’extirpèrent après leurs études pour gravir les marches de la politique et du pouvoir, parfois jusqu’au sommet.
Krivine, ou le miroir d’une réalité française qui, vue de l’étranger même proche, continue de fasciner: celle de l’attirance d’une partie de l’électorat et de l’élite intellectuelle pour des thèses révolutionnaires qu’incarnent aujourd’hui dans la campagne présidentielle deux candidats déjà sur les rangs en 2017: Nathalie Arthaud, enseignante et porte-parole de Lutte Ouvrière. Et Philippe Poutou, ouvrier dans l’industrie automobile et figure de proue du Nouveau parti anticapitaliste. Il y a cinq ans, les deux avaient obtenu respectivement 0,64% et 1,09% des suffrages. Soit, sur la base d’un corps électoral de 48 millions, environ 800 000 voix. Alain Krivine s’était lui, par deux fois, porté candidat à l’Elysée. Il avait recueilli 1,1% des voix en 1969 (lors de l’élection de Georges Pompidou) et 0,4% en 1974 (lors de l’élection de Valery Giscard d'Estaing).
Evoquer le souvenir d’Alain Krivine revient à réveiller, y compris en Suisse Romande, un monde politique d’un autre âge alors que la guerre en Ukraine renvoie à la guerre froide et aux fantômes de l’ex-URSS: un âge internationaliste, façonné par les luttes idéologiques et les combats parfois physiques entre trotskistes et communistes «staliniens», dominé par les querelles intestines entre mouvements d’extrémum (divisée en France entre la Ligue Communiste révolutionnaire, devenue aujourd’hui le Nouveau Parti anticapitaliste, et Lutte Ouvrière) et soutenu, peu ou prou, par une frange non négligeable de la population. Krivine – dont le fils Frédéric est un réalisateur de télévision de premier plan, co-auteur de la série «Un village français» qui raconte le pays sous occupation allemande en sept saisons – était un enfant des années soixante, de la lutte antiaméricaine contre la guerre au Vietnam, des événements de mai 1968.
«Militant jusqu'au bout»
Il était un «68ard qui n’a jamais renié ses convictions anticapitalistes et révolutionnaires et est resté militant jusqu’au bout», a souligné Nathalie Arthaud – successeure à Lutte Ouvrière d’Arlette Laguillier, l’ex-rivale politique de Krivine bien plus populaire jusqu’à obtenir 5,30% des suffrages à la présidentielle de 1995, et 5,72% en 2002 – qui lui reprochait pourtant d’avoir rompu avec le communisme et de ne plus prononcer ce mot. «Il était une figure du combat vital de l’opposition de gauche à ce stalinisme dont Poutine est l’ultime avatar», a pour sa part commenté le fondateur de Médiapart Edwy Plenel, qui démarra sa carrière journalistique à Rouge, le journal de la Ligue Communiste révolutionnaire.
De ce monde politique là, nourri à la soif d’égalité et au rejet du système capitaliste, trois types de personnalités politiques sont sorties en France. Les premiers sont les ex-trotskistes qui s’employèrent ensuite à gommer leur passé, comme l’ancien premier ministre socialiste Lionel Jospin. Les seconds sont les militants restés passionnés par la lutte et résolus à dénoncer tous les pouvoirs, comme Olivier Besancenot, Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud, dont le seul moment d’exposition au premier plan est la présidentielle, même si celle-ci est un combat inégal (ils seront ainsi absents, l’un comme l’autre, de la première grande émission TV sur la guerre en Ukraine avec huit des douze candidats lundi sur TF1) . Et un troisième a réussi, seul, à concilier à la fois sa fidélité et une posture rassembleuse: Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France insoumise, parvenu à 19,6% des voix au premier tour de la présidentielle de 2017. Mélenchon qui, de nouveau candidat en 2022 (crédité pour l’heure de 11 à 15% des voix) a salué le décès d’Alain Krivine en ces termes: «Émotion et chagrin. Une pensée affligée à sa famille et salut fraternel à tout le mouvement trotskiste».
Pourquoi une telle persistance du trotskisme et de ses avatars en France? Pourquoi deux candidats à nouveau sur la ligne de départ du sprint élyséen? La seconde question trouve sans doute sa réponse dans une «frustration» de la gauche française. «Beaucoup d’élus de gauche donnent leurs parrainages à l’extrême gauche pour se faire en quelque sorte pardonner commentait devant nous récemment le politologue Pascal Perrineau. Les mouvances trotskistes, c’est la nostalgie de la révolution, c’est l’idée que la lutte finira bien par l’emporter, ou en tout cas qu’elle ne meurt pas». Et pourquoi deux candidats? «Krivine, alias «le président» incarnait aussi l’esprit féroce de chapelles de cette gauche groupusculaire, avec son lot de règlements de comptes, de zones d’ombres, d’autocritiques et de contradictions, juge un de ses anciens amis, un temps élu écologiste. Cette gauche ultra-radicale se vit en combat permanent. Elle ne peut se résoudre à l’union ou au compromis puisqu’elle affirme détenir la vérité sur la société». Dans son livre de mémoires publié en 2006, Alain Krivine avait osé un titre provocateur « Ça te passera avec l’âge..» (Flammarion). Pour mieux s’employer à dire, au fil des pages, que le goût de la révolution, chez lui, ne s’était jamais éteint.
Photo archives Progrès /Renaud LAMBOLEZ
Domaine Ganevat : le nouveau propriétaire russe va devoir vendre ICI
La famille Pumpyansky figure sur la liste noire de l’Union européenne visant à sanctionner la Russie pour l’invasion de l’Ukraine. Six mois après avoir fait l’acquisition du célèbre domaine situé à Rotalier, elle est contrainte de s’en défaire. Un énorme coup dur pour Jean-François Ganevat qui restait étroitement associé à l’exploitation.
Par Arnaud BASTION
Éprouvé par la crise sanitaire et écrasé par la dette, Pierre & Vacances-Center Parcs a un besoin urgent de nouveaux investisseurs pour renforcer son assise financière. Rothschild & Co, qui conseille le groupe de résidences de tourisme fondé par Gérard Brémond, avait demandé aux prétendants de remettre leurs propositions fermes lundi 8 novembre : trois offres étaient attendues, mais, déception, deux seulement devraient porter sur la totalité du groupe.
L’une émane d’un consortium regroupant l’investisseur immobilier français Atream, associé aux fonds londoniens Alcentra et Fidera, l’autre est présentée par le fonds de capital-investissement américain Sixth Street. Dernier postulant, l’attelage entre le fonds américain Certares (déjà actionnaire de Voyageurs du monde et Marietton) et le new-yorkais Davidson Kempner paraissait jusque-là tenir la corde. Mais, selon nos informations, le tandem aurait in extremis renoncé à déposer une offre globale, réduisant son intérêt à Center Parcs. Ce qui serait un coup dur pour les organisateurs de ce « processus d’adossement ».
Après des mois de panne sèche, pour cause de confinement et de restrictions sanitaires, l’activité redémarre à peine pour Pierre & Vacances. Le groupe s’est félicité, le 19 octobre, d’avoir dégagé, entre juillet et septembre, « une croissance du chiffre d’affaires des activités touristiques de 17,3 % par rapport au même trimestre de l’exercice précédent, et de 2,2 % par rapport à l’été 2019 ». Les réservations sont également en hausse par rapport aux deux exercices précédents. Mais cette reprise de l’activité ne suffit pas, à elle seule, à remettre sur pied l’opérateur de tourisme et promoteur immobilier qui accumule les pertes depuis dix ans : son endettement a grossi pendant la crise, pour atteindre 1,1 milliard d’euros.
L’Etat suit de près le dossier
Une restructuration financière apparaît dès lors indispensable afin de réduire le poids de cette dette. De deux manières. D’abord en remboursant la dette d’urgence émise au premier semestre grâce aux capitaux apportés par les investisseurs, soit environ 300 millions d’euros. Ensuite en convertissant une partie des crédits en actions. A quel niveau ? C’est ce que chacun des prétendants devra détailler dans son offre. A noter qu’Alcentra et Fidera sont des porteurs de dette de Pierre & Vacances tandis qu’Atream a investi près de 600 millions d’euros dans des résidences du groupe de tourisme.
Le projet industriel et la capacité à développer le groupe tricolore seront également des critères importants pour Franck Gervais, le directeur général de Pierre & Vacances. Cependant, les investisseurs devront au premier chef convaincre Gérard Brémond, le président du groupe. L’octogénaire détient 49,4 % du capital de Pierre & Vacances et plus de la moitié des droits de vote à travers une holding, elle-même endettée. Selon plusieurs sources, les repreneurs sont incités à investir directement dans la holding de M. Brémond, afin de renflouer l’homme d’affaires.
Un montage qui pourrait fâcher les petits porteurs. En outre, l’entrepreneur n’est pas le seul à décider. Pour s’assurer d’avoir leur mot à dire, les « partenaires financiers » de Pierre & Vacances ont obtenu, en mai, en échange d’un prêt de 300 millions d’euros, que les titres de Center Parcs – le principal actif du groupe – soient placés en garantie dans une fiducie. De quoi donner à ces créanciers un puissant levier dans la discussion.
Les investisseurs devront au premier chef convaincre Gérard Brémond, le président du groupe qui 49,4 % du capital de Pierre & Vacances et plus de la moitié des droits de vote à travers une holding
Or, ils ont peu été associés aux négociations avec les repreneurs jusqu’à présent. D’aucuns n’excluent pas que les banques décident in fine de prendre le contrôle de l’opérateur de tourisme, si leurs intérêts n’étaient pas respectés. Tout le monde a en tête comment BNP Paribas et Natixis notamment ont pris la barre du groupe Bourbon en 2019 après un bras de fer avec Jacques de Chateauvieux, le fondateur du spécialiste des services maritimes.
L’Etat, enfin, suit de près le destin du dernier géant national du tourisme. Et pas seulement car il a garanti deux prêts pour un montant total de 274,5 millions d’euros. Le dossier est politique à plus d’un titre. Les six Center Parcs en France sont des investissements dans des territoires à l’écart des circuits touristiques, auxquels les collectivités locales sont associées logistiquement et économiquement. La Caisse des dépôts et consignations est un propriétaire important d’appartements et de cottages.
Surtout, quelque 20 000 foyers français ont succombé aux tentations de la déduction fiscale liée aux résidences de tourisme, et sont aujourd’hui propriétaires particuliers de cottages ou d’appartements. Un tiers d’entre eux a refusé la dernière proposition de conciliation du groupe, qui leur réclame un abandon de sept mois et demi de loyer.
Clément Guillou et Isabelle Chaperon