Et pourtant bien avant de vous noyer ici même sous la pluie fine de mes mots, le déluge diront certains, Dieu sait que j’ai commis – normal pour un Grand Commis de l’État : j’adore cette appellation car je ne me souviens plus quand je me suis gagé pour le compte de ce gars-là – des brouettés de « gros mots » sur Bordeaux. Pas la ville aux Chartrons délaissés mais ses environs pleins de châteaux où, comme vous le savez, il est de bon ton de ne pas mélanger les torchons avec les serviettes. S’il y avait eu une place de Grève en lieu et place de celle des Quinconces les maîtres du « troupeau » de l’époque m’y auraient bien vu exposé publiquement à la vindicte populaire. Mais, si puis dire, la roue a vite tournée et je fus l’invité de tous les plateaux, colloques, assemblées générales, numéros spéciaux (1), de la ville de Bordeaux en grands travaux. J’eus pu en tirer une légitime satisfaction, peser sur la tête repentante de certains, me payer la tronche d’autres, non je continuais mon petit bonhomme de chemin. L’essentiel était ailleurs et les analyses, même jugées pertinentes, ne font pas forcément une bonne politique si les intéressés eux-mêmes ne s’en emparent pas.
Bref, aux premiers temps de cet Espace de Liberté je me penchais souvent sur les écrouelles du Géant Malade comme le montrent ces deux chroniques « Mes biens chers frères » link et « Victime du système » link Si vous ne souhaitez pas lire ces 2 chroniques je vous signale que la première avait trait à un document de réflexion d'un groupe de travail réuni autour du cardinal Ricard Archevêque de Bordeaux Evêque de Bazas : « La crise viticole n'est pas une fatalité ». Il était daté du 5 mai 2006 et la seconde était un extrait du témoignage de Jean-Luc D recueilli par Catherine Mousnier dans le Paysan Vigneron revue régionale viti-vinicole des Charentes et du Bordelais N° de janvier 2007 consacré à la Crise des vins de Bordeaux : Une prise de conscience collective. Le temps passant bien sûr je m'en retournai à Vinexpo que je fréquentais en y allant à vélo, je me pointais même dans les châteaux pour le faire le beau en primeurs, même qu'on m'invitait à l'AG d'une ODG. Le maire de Bordeaux répondait à mes 3 Questions alors que Bordeaux fêtait le vin link
Comme je ne vais pas vous infliger l'énumération de toutes mes chroniques bordelaises j'en reviens à l'objet de celle-ci : pourquoi ne ratiocinai-je plus sur les heurs et les bonheurs de notre vignoble amiral (au sens du vaisseau) ? Il faut que je vous avoue qu'une fois que je me fusse posé la question et que je l'eusse couchée en titre, aucune bonne ou mauvaise raison de cette abstinence ne vint exciter mes neurones fatigués. Tout irait-il dans le meilleur des mondes à Bordeaux ? Ce serait faire injure à ceux des vignerons qui sont dans la difficulté que de répondre oui. Cependant, à propos de monde à Bordeaux, sans vouloir ironiser, y'en a bien au minimum trois qui se côtoient sans toujours vivre ensemble. Pour me dédouaner je pourrais écrire, l'air pincé, que plus personne ne m'invite à gloser, à délivrer mes oracles éclairés. Trop facile, et de plus inexact car si j'en avais le temps je pourrais aller éclairer la lanterne d'un Président. Alors, pourquoi diable cette disette ? Avant de répondre je dois confesser l'inavouable : je voulais un jour placer dans un titre de chronique le verbe ratiociner, couper les cheveux en 4, et ce fut l'occasion lorsque l'idée me vint de m'interroger sur mon abstinence bordelaise. Comme je déteste les ratiocineurs c'était une façon pour moi de pratiquer l'auto flagellation.
Certains ironiserons que si je ne coupe pas les cheveux en quatre en revanche je délaie un tantinet la sauce pour masquer le vide sidéral de cette chronique. Détrompez-vous, même si ce ne fut pas une position réfléchie, volontaire, mon abstention est le fait d'un besoin de prendre de recul, de la distance, d'observer. En effet, le 19 juillet 2010, lors de sa dernière AG, a présenté un plan nommé « Bordeaux demain » pour redresser la situation économique de la filière. En effet, je cite « La filière vitivinicole bordelaise a souffert ces dernières années d’une baisse des prix en grande distribution – y compris sur des marchés comme les Pays-Bas ou l’Allemagne – et d’une baisse des ventes en restauration. Ses parts de marché ont reculé en France et à l’exportation. La « marque » Bordeaux elle-même « s’abîme ». De nombreux opérateurs sont en situation précaire. Parmi les raisons évoqués l'«impasse » des modèles « de production et de vinification », des problèmes de transmission d’exploitations, des produits qui ne sont pas en phase avec les attentes des consommateurs et des soutiens bancaires incertains. Pour autant les professionnels croient « aux opportunités du marché actuel et a dressé un plan pour permettre à la filière, d’ici 5 à 8 ans, de « réaliser un chiffre d’affaires de 4,6 milliards d’euros et commercialiser 6,3 millions d’hl », en développant ses ventes notamment en Chine, États-Unis et Royaume-Uni. » en resserrant la gamme autour de trois segments et en supprimant les vins dont les « niveaux de qualité » ne sont pas « cohérents avec l’image de la marque ». Et de conclure « qu'à moyen-long terme, le volume des vins basiques bordelais devra reculer. »
Ce plan est très complet. Je l'ai lu et analysé. J'ai eu le projet d'écrire sur le sujet et puis je me suis ravisé. Quelle légitimé aurais-je à venir mettre mon grain de sel dans un processus bien calibré, bien formaté par des hauts spécialistes jugés bien plus aptes que moi à déterminer la stratégie et à conduire la manœuvre ? Aucune ! Comme je sais parfois être sage j'ai gentiment rangé mes petits outils dans leur mallette pour me consacrer à d'autres occupations. Voilà, vous avez la réponse à une question que vous ne vous posiez même pas mais que je me devais de me poser car Bordeaux reste Bordeaux et la maison Berthomeau, qui ne rechigne jamais devant le boulot, va se réveiller un de ces quatre et faire un retour en force, sans passer en force, au pays des châteaux... Si d'ici là quelques bordelais ou bordelaises veulent venir s'exprimer sur mon petit espace de liberté ils seront les bienvenus. Bonne journée à vous tous.
(1) Extrait du N° Spécial Sud-Ouest Aquitaine Eco : Vins d’Aquitaine des Trésors à défendre d’octobre 2003 où j’occupais une belle surface dans le Gotha du tonneau des châteaux de Bordeaux et en plus j’avais droit à l’Appellation que j’adore « Haut Fonctionnaire »