Les gars de chez moi, quand y montaient à Paris pour le Salon c'était pour deux raisons avouables : voir les bêtes et le matériel et deux, qui ne l'étaient pas : se prendre quelques mufflées carabinées dans le couloir de la mort (l'actuel hall des provinces) et aller trainer du côté de Pigalle. Je ne veux pas être mauvaise langue mais, comme leur moyen de transport exclusif dans Paris était le métro, beaucoup d'entre eux, en dehors du quartier de la Porte de Versailles et des lieux de perdition, ne connaissaient rien des splendeurs de notre capitale, exception faite peut-être de l'Eiffel Tower. Ces temps sont révolus, la machine agricole a émigré à Villepinte et notre Salon de l'Agriculture attire, plutôt que les agriculteurs, les urbains, les enfants des écoles et les étrangers. Alors j'ai décidé, ce matin, de vous narrer la visite d'une anglaise au SIA (le sigle est déjà la preuve qu'on est en présence d'une grande vitrine plutôt que d'un salon professionnel).
Pourquoi une anglaise ? Parce que celle-ci, par commodité je la prénommerai Mary, m'a écrit « Il est des moments où l'on ne peut s'empêcher d'aimer les Français. Comme samedi dernier, jour d'ouverture à Paris du Salon International de l'Agriculture... » Venant d'une ressortissante de la perfide Albion ça mérite réflexion. Pour elle c'est la France profonde* qui débarque à Paris. Les Français ont les pieds dans le terroir*. Et d'ajouter rien de tel qu'une visite au Salon pour comprendre tout ce qui sépare culturellement les Britanniques et les Français. Bigre ! Et pour enfoncer le clou : même si ses enfants étaient fourbus lors de leur première visite, le lendemain il la suppliait d'y retourner. « Rendez-vous compte : même les enfants adorent y aller ! » s'extasie-telle... Alors pourquoi bouder ce plaisir, au front, quand faut y aller faut y aller...
* en français dans le texte
L'épicentre du Salon c'est bien évidemment le grand Ring de présentation des animaux. Des bêtes bichonnées comme des top-modèles, des taureaux Limousins couillus, des Pies rouges pimpantes, des Parthenaises rosissantes, des Blondes d'Aquitaine aguichantes, des gorets de Bayeux noir et blanc, des biquettes poitevines : de bien belles grisettes, des brebis de Lacaune, celles qui font, sans que José y prête la main, du Roquefort alter, des béliers Southdown altiers, j'en passe bien évidemment : la France est un pays Jacobin assis sur de belles provinces qu'il glorifie lorsqu'elles montent à Paris. C'est ce que je dis à mon anglaise pour faire l'intéressant. Mais elle me dit qu'elle a un petit creux. On va donc se faire un petit mâchon : rillettes, grattons, saucisson à l'ail, andouille de Vire, y manque que de la fressure, sur de bonnes tartines de pain embeurrées d'Echiré (qui ne vaut pas bien sûr le beurre salé de mémé Marie) arrosées d'un p’tit coup blanc (je ne dis pas lequel pour ne vexer personne) Comme je suis un gars qu'a des relations on est allé, ma nénette du Surrey et ma pomme, poser nos fesses sur le stand d'une organisation. Eux, les gars des z’organisations agricoles, y distribuent que du papier mai y z’ont des salons pour VIP. Donc on s'est vautré sur des canapés et, tout casse-croûtant on s'est mis à bavasser...
Pour faire couler la miette, mon anglaise et moi, en plus du P’tit Chablis de nos amis de la Chablisienne, nous nous enfilions un grand café puis un pousse-café : une rincette au Calva (pardon dans ce cas-là c'est la bonne orthographe). Bien sûr ça donnait des couleurs à ma pâlotte du Surrey qui, dans cette douce euphorie, trouvait le moyen de penser que l'heure était venue de me balancer quelques vacheries. Y sont comme ça les britishs, peuvent pas s'en empêcher. Je pourrais ironiser sur les vaches anglaises et leur goût pour les farines mal chauffées mais ce serait de mauvais goût. Bref, voilà t'y pas que la Mary, tout en sauçant son sucre dans le jus de pomme du pays d'Auge, me dit « vous les Français vous êtes drôles. Les citadins et leurs enfants viennent s'extasier devant les animaux au Salon une fois par an. En dehors de ce moment de rêve, à les entendre ceux qui les élèvent polluent leurs belles rivières, ceux qui font du blé en font tellement qu'ils cultivent plus les primes de l'Europe que des céréales, que de toute façon les paysans ne sont jamais contents, trop chaud, trop froid, trop mouillé, trop sec, qu'ils barrent les routes à tout bout de champ, que les viticulteurs jettent à tous propos leur vin au caniveau... Tout ça n'est pas très cartésien monsieur je sais tout... » Comme je suis de bonne humeur je ne lui en tiens pas rigueur. Je pourrais évoquer les primes européennes de sa Très Gracieuse Majesté pour ses petites propriétés mais je suis fair-play. De plus je n'ai pas envie de discuter. Alors je la prends par le bras et d'un bon pas nous partons nous immerger dans la profondeur des terroirs de France.
Bon, comme je ne veux vexer personne, je ne peux citer tout ce qu'on s'est enfilé, mais je puis vous assurer que nous les avons tous fait les terroirs de France, DOM-TOM compris. On a commencé par des huîtres de Bouzigues avec un coup de Picpoul de Pinet, puis on s'est tapé de la Poutargue. Puis on s'est dit qu'on allait faire dans le fromage : Boulette d'Avesnes, Fourme d'Ambert, Banon, Gaperon, Langres, Beaufort, Livarot, Niolo, Osso-Iraty, Epoisses, j'en passe... avec de la fougasse et les liquides locaux qui vont avec. Et puis, j'ai du céder au désir de femme et nous sommes allés nous taper un Chabichou avec un blanc du Haut-Poitou, cuvée La Surprenante. Très drôle ! Pour compenser je l'ai emmené boire un Pacherenc-de-Vic-Bilh en lui disant que c'était bon contre le bégaiement. Puis comme j'avais un petit creux on est allé se taper un aligot - qui comme vous le savez est fait avec du Laguiole frais - arrosé d'un Marcillac acidulé. Après ça, elle avait envie de sucré alors on s'en est allé chez les Bretons pour savourer un Kouign-amann - qui comme vous le savez n'est que du beurre salé et du sucre - avec une bolée de Cidre de Cornouailles de Christian Toullec qu'a eu une médaille d'or au Concours Général de 2004. C'est alors que je me suis dit qu'il fallait que j'aille revoir ma Normandie. On n'a pas fait de chiqué : un tarrasson de Teurgoule avec un cidre du Père Jules. A ce moment là Mary m'a dit « où allons-nous aller déjeuner ? »
Je n'ai pas eu le temps de lui répondre, une vague, un raz-de-marée, un tsunami a failli nous emporter. C'était le cortège de l'homme qui depuis longtemps savait parler à l'oreille des animaux. Les paysans avaient le coeur gros, leur grand Jacquot allait tirer le rideau. C'est alors que mon petit doigt m'a dit « mon garçon, fait attention, pas de panique, elle va te brancher sur la politique... » Le coquin ne s'était pas trompé, alors qu'on venait tout juste d'échouer du côté de la Martinique et qu'on sirotait un rhum agricole, mon emmerdeuse patentée du Surrey a attaqué. « Mais qu'est-ce qu'ils viennent chercher là ? » Bêtement j'ai répondu « des voix... » Ça ne la satisfaisait pas elle m'a rétorqué « que nous les Français on adorait se défiler... » Bon, j'ai fait le dos rond, évité d'évoquer Mers-El-Kébir ou d'autres mauvais souvenirs et, pour faire diversion je lui ai dit, d'un air un peu niais, « cette année vous savez on peut à nouveau admirer les poulets... » D'accord, avec une sortie comme ça, je n'ai pas fait progresser d'un pas l'Entente Cordiale mais, comme je suis un besogneux, tout en nous tirant des profondeurs de nos terroirs je me suis dit que j'allais m'en tirer en lui racontant une histoire.
à suivre de suite sur une chronique qui va se mettre en ligne...