Comme au rugby, le britannique ne renonce jamais. Passé le rush de la meute j'entrainai ma chère anglaise à un truc qui m'a toujours plié de rire : un cocktail sur un stand d'une grande institution (je ne donne pas de nom car je me ferais encore des amis). Moi j'adore ! Tout d'abord il faut montrer patte blanche pour pénétrer dans l'enclos - bien que moi, comme je suis connu comme le loup blanc, on me laisse entrer les mains dans les poches - enclos où, bien sûr, se pressent les happy few qui gravitent comme des planètes autour des hautes personnalités présentes. Presque toujours les mêmes (là ce n'est pas la peine que je donne des noms vous pouvez le faire tout seul) qui se bourrent de canapés et de petits fours, picolent du champagne ou du whisky (boissons syndicales) et, bien sûr, échangent de hautes pensées sur le devenir de notre planète ou, parfois, du lumbago qu'ils ont récolté après leur partie de tennis ou pire de golf. Je suis très mauvaise langue. Ce qui me plaît par dessus tout c'est que le chaland, celui qui traîne ses guêtres et des kilos de prospectus, qui cherche la dégustation gratuite, qu'en a plein les bottes, qui va mâchonner un mauvais sandwich en buvant de la bière dans un gobelet en plastic, au lieu de regarder le jeune veau, tout juste né, de Flambeuse la belle Normande aux yeux tendres, y zieute tout ce beau monde qui se fait des ronds de jambes. Parfois, je sens dans son regard comme des envies de...
Revenons à Mary. Mon pince-fesses semble lui plaire. Elle écoute aux portes si je puis m'exprimer ainsi. Je sens que je vais en prendre pour mon grade. Tiens cette année, certains qui m'ignoraient l'année dernière me saluent. Bizarre vous avez dit bizarre... Moi je bois un hypocrite : du jus d'orange au champagne. Fendant la galaxie de plusieurs directeurs mon anglaise fond sur ma pauvre petite personne. « Vous les Français vous adorez jeter l'argent du contribuable par les fenêtres... » me susurre-t-elle perfidement. J'ai beau lui dire que des fenêtres y'en a guère Porte de Versailles, elle ne goûte pas mon humour qui n'a rien de britannique. Pourtant, l'air de rien, je lui porte une attaque à laquelle elle ne s'attendait pas. « Voyez-vous, chère amie, c'est moi, si je peux m'exprimer ainsi sans vous paraître un peu outrecuidant, qui ai privatisé le Salon de l'Agriculture... » puis l'estocade « et en plus ce sont des anglais qui ont failli l'acheter... » Là, la pauvre, telle une carpe du bassin du Château de Windsor, arrondit sa bouche, manquant d'air. Je me venge d'Azincourt, lui expliquant que le CENECA (un zinzin public dirigé par un fonctionnaire) perdant de l'argent à pleins tuyaux, nous les spécialistes des poches percées, les adorateurs des déficits, avions sans coup férir mis fin à la gabegie. Le tonneau des Danaïdes s'était trouvé un fond, pas de pension, mais un fond tout de même.
La donzelle sonnée avait trouvé son maître. Elle se vengeait en razziant les éclairs au chocolat. Moi, faux-derche de lui dire « et si nous allions faire un tour sur le stand de votre beau pays... » Déjà déconfite par ma perfidie de mercanti, elle sombrait dans la mélancolie. Et savez-vous ce qu'elle m'a dit quand on s'est retrouvé là-bas : « en tant qu'anglaise, je suis rouge de confusion devant l'échantillon de nos produits. On les dirait tout droit sortis du placard de ma grand-mère dans le seul but de confirmer le cliché selon lequel la Grande-Bretagne est une contrée barbare située loin au-delà des limites du monde culinaire connu... » Bien sûr, j'ai fondu face à une telle détresse et pour me faire pardonner ma méchanceté je l'ai emmené sur le stand du CIV (Centre Interprofessionnel des Viandes) et nous nous sommes offerts - pour être franc c'est eux qui nous l'ont offert - une entrecôte à la bordelaise avec une bonne Folle Noire de chez Mourat - le ragoûtant - des coteaux de Mareuil. Après, comme on était un peu flapi, sous les arbres de l'Office des Forêts on s'est endormi pour une petite mariénée...
Rude journée pour la reine ! Au salon de l'agriculture la chaussure est l'outil essentiel pour tenir le coup. De ce côté-là mon anglaise est lourdement ferrée, le genre Méphisto en croute de cuir délavé. Sur le flanc de la descente, la Mary est une redoutable : elle écluse et distille en temps réel. Moi je suis plus douillet sur le liquide mais imbattable sur le solide. Après notre petite sieste nous déambulons dans les travées, sans but précis, au gré de nos envies. C'est ainsi que nous nous sommes retrouvés dans le hall de l'Odyssée Végétale qui se veut le pendant du hall des bestiaux. En ce moment on se dirait au Salon de l'auto car les gars des céréales, du sucre, et bien sûr du colza y ne pensent plus qu'à la carburation. Roulez à l'huile de friture ! De mon temps les plaisantins foutaient du sucre dans le réservoir des gars qui pouvaient pas piffer et maintenant c'est tout ce qu'il y a de plus officiel, ça s'appelle le bioéthanol. Un de ces jours, y se pourrait que nous roulions au Bordeaux. Quand j'ose dire ça à mon anglaise elle me prend vraiment pour un fêlé. Merlot 33 aussi, c'est ainsi.
Juste après que j'eus prononcé ces fortes paroles nous sommes tombés sur une très bonne amie. Quand elle m'a vu avec mon anglaise elle l'avait un peu mauvaise car je lui dis toujours que le Salon ce n’est pas dans mes amours. Bon fallait que je trouve une dérivation : le terroir bien sûr ! On était à quelques encablures de l'huile d'olive. Mal m'en prit, voilà t'y pas que ma très chère amie se lance dans une diatribe où elle dit à Mary que tout cela est du freli frela car elle quand elle va à Carrefour : elle négative. Dans les caddies la plupart achètent du prix et que, comme le dit le Professeur je ne sais plus qui, l'ami de Michel H, les enfants obèses se recrutent dans les couches les plus défavorisées. Que c'est bien beau de se gargariser avec la qualité, l'authenticité, le terroir, mais qu'il faudrait quand même se préoccuper de ce que bouffent vraiment les gens. Arrêter de se raconter des histoires. Retrouver le lien avec la nourriture. Cesser d'interdire des trucs en disant qu'ils font mourir. Voir comment vivent les gens. Que, oui, l'ami de Michel H c'est le professeur Arnaud Basdevant. Moi, courageux comme un mec en présence de deux femmes qui discutent, je me suis discrètement esbigné, les laissant en plan, trouvant que ma journée au Salon était terminée. Je suis rentré en métro : la ligne 12.
Désolé je n'ai pas pu m'en empêcher : repasser les plats c'est un peu la tradition du Salon de l'Agriculture, non vous ne trouvez pas. Ces 4 chroniques dont je n'ai pas touché une ligne sauf à corriger les fautes d'orthographe (1-2-3-4) sur le Salon de l'Agriculture 2007, avaient trouvé leur origine dans la lecture d'un article du Daily Telegraph : Un anglais les pieds dans le terroir, sont à la fois le fruit de mes souvenirs de tout ces jours passés au Salon, inaugurations comprises, Ministre et Président compris, et, bien sûr aussi, un peu de mon imagination. J'espère ne pas vous avoir trop insupporté avec mes digressions mais, comme je suis persuadé que l'on peut traiter des questions importantes avec un peu de légèreté, je l'ai fait pour que les choses avancent, pour qu'on cesse de se payer de mots, surtout en ce temps où l'inflation des mots est de mise. Le bien manger, le bien vivre à la française, est un héritage qu'il ne faut pas se faire confisquer ni par les intégristes du terroir, ni par les faiseurs de nourriture hygiénique à soi disant deux balles... Quel beau challenge que de proposer au plus grand nombre des produits de qualité à un prix accessible pour leur porte-monnaie !
(1) Aux culs des vaches avec une anglaise
(2) Quelle est la profondeur des terroirs de France ?
(3) La vengeance est un plat qui se mange froid
(4) Avec Carrefour je négative