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8 mars 2018 4 08 /03 /mars /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Des filles fatiguées, en bas résilles et bustiers noirs, tentaient d'activer la consommation (37)

À Nantes, à la bascule des années 60, le quai de la Fosse avec ses anciens beuglants pour marins en mal d'amour de passage, comme le quartier de Pigalle à Paris, sentait le stupre. L'imagerie populaire mêlait  les bas résilles des filles de joie, les ombres de types louches, les lumières tamisées de bars enfumés, toute une faune interlope en marge du corset des biens pensants. Pour le provincial en goguette et le bourgeois nantais c'était le quai de la Fesse. Les étudiants y venaient parfois finir leurs soirées. Benoît n'avait jamais pratiqué l'amour tarifé mais il aimait bien tailler une bavette avec les filles, surtout lorsque il était pompette. Dans la lumière jaune des lampadaires, les grues du port ressemblaient à des squelettes noircis. L'air marin remontant le fleuve le revigorait, ses idées noires se teintaient de sang, du rouge, de l'incandescent, une sale envie de se laisser-aller, d'être un enfant de salaud.

 

La boîte affichait « strip-tease permanent » et, en effet, une fois la porte poussée, sur un fond musical sirupeux, Benoît découvrait sur la scène une gamine malingre avec des seins œufs aux plats, des canes de serin, des hanches en porte-manteaux, qui se trémoussait en asticotant son entrecuisse avec son soutien-gorge. Le public clairsemé, quelques voyageurs de commerce en costume-cravate, une poignée de messieurs propres sur eux, des petits maquereaux caricatures de petits maquereaux et un petit vieux tout racorni, s'ennuyait ferme sur des banquettes recouvertes d'un tissu pelucheux orange. Des filles fatiguées, en bas résilles et bustiers noirs, tentaient d'activer la consommation. Posées sur les tables, des lampes chapeautées de crinolines diffusaient une lumière rougeâtre. La barmaid, qui semblait être la patronne, une poufiasse grasse et blondasse, le toisait de ses yeux globuleux tout charbonneux. Tout était à chier, surtout la musique, Benoît alla s’installer dans une sorte de niche demi-circulaire éclairée par une lampe sur pied, une Betty Boop rousse et sensuelle. Derrière son bar la patronne s'affairait mais manifestement Benoît l'intriguait, il n’était pas raccord avec la chalandise habituelle. N'y tenant plus la taulière, perchée sur des talons aiguilles vertigineux, fondait sur lui en ballotant du cul. «Mon bichon je te sers quoi ?»

 

  • Une vraie bière d’abbaye avec un shot de gin !

 

  • Je n’ai pas ça en magasin mon gars !

 

  • D’abord je ne suis pas votre gars, nous n’avons pas gardé les vaches ensemble. Qu’est-ce  que vous avez  de convenable à boire dans votre bouiboui ?

 

  • Soyez poli, la maison est convenable…

 

  • Arrêtez votre char, en dehors des mauvais roteux que vos filles fourguent à votre respectable clientèle, vous avez quoi comme bon champagne ?

 

  • Du Cordon Rouge…

 

  • Alors va pour le Mumm…

 

  • Une bouteille ?

 

  • Oui et une brosse à dents, j’ai l’haleine chargée…

 

La matrone le fusillait du regard et voltait avec une rage qui lui faisait frémir son arrière-train de vache limousine.

 

Sur la scène de poche, la petite, qui en avait fini avec son effeuillage, se dandinait en croisant les bras sur sa maigre poitrine. Elle quémandait des applaudissements qui ne venaient pas. Benoît la trouvait pathétique. Debout il claqua des mains au-dessus de sa tête en gueulant « Bravo ». D'abord surpris les VRP en goguette se mirent à frapper du plat des mains sur les tables. Ravie la petite envoyait des baisers à la cantonade. Le vieux tout sec braillait d'une voix de fausset « Enlève ta culotte ! » et le reste de l'assistance, émoustillé, se mettait à scander «La culotte, la culotte, la culotte... » Tambourinant sur le bois des tables leurs grosses chevalières crépitaient. Décontenancée, la petite quêtait l'approbation de la taulière. Benoît enjambait la table, en quelques enjambées il se hissait prestement sur l'estrade. La petite, déjà mal assurée sur ses hauts talons, eut un mouvement de recul qui faillit l'envoyer à la renverse. Benoît la retint par le poignet. Ses faux-cils, lourds et charbonneux, papillotaient. Dans la salle, les braillards interloqués se taisaient. La petite frissonnait. Lui arracher son bout de culotte eut été une ignominie. Pour la rassurer, très paternel, Benoît posait son bras gauche sur ses épaules glacées et, tel un bateleur de foire, il imposait le silence. Dans la salle les mecs n'en pouvaient plus. Il s’attendait à ce que Benoît passe à l’acte. « Vous n’êtes que des porcs ! ». Il tirait la petite vers la coulisse. Une bronca les salua. La mère maquerelle vint les rejoindre. Elle posait son gros cul sur une banquette en soupirant « Vous me manquez pas d'air mon garçon... »

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7 mars 2018 3 07 /03 /mars /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Benoît l’avait convaincu d'élargir son offre au hot-dog. « Mais c'est du cochon mon frère lui avait-il objecté ? C'est péché... » (36)

La moutarde lui piquait le nez, des larmes fluides dégoulinaient jusqu'à ses lèvres. Pour éteindre le feu Benoît sifflait au goulot une grande lampée de bière. Dans sa camionnette un peu pourrie, empestant l'huile de friture, juché derrière son comptoir graisseux, Ali Berkane, préposé à la graille ambulante, se gondolait. « C'est de la vraie mon frère. C'est comme les lacrymos de tes potos CRS ça chatouille le pif... » Benoît opinait en enfournant une nouvelle bouchée de brûlot. « Un enragé que t'es mon frère. On te dit fais gaffe c'est de la nitro et paf ! Tu remets ça... » Ali lui offrait le spectacle de ses dents capotées d'acier inoxydable. Ali, ses frites molles, sa harissa et ses merguez, Benoît l'avait convaincu d'élargir son offre au hot-dog. « Mais c'est du cochon mon frère lui avait-il objecté ? C'est péché... » Avec ses copains, très férus de dialectique, il lui avait démontré qu'en tant qu'Infidèle, commerçant de surcroît, qui ne crachait pas sur le jaja par ailleurs, dans une Terre de Vieille Chrétienté l'absence de hot-dog à sa carte serait perçu comme une forme insidieuse de racisme anti-français. Depuis, Ali les bénissait. Son chiffre d'affaires montait en flèche. « Même des anciens bidasses d'AFN viennent maintenant se fournir ici... » ajoutait-il pour se rassurer.

 

 Le plaisir du hot-dog  Benoît l'avait découvert grâce à l'une de ses voisines de son pays crotté et ignare, une alsacienne émigrée là par le hasard d'un mariage avec un Parisien qui lui ne savait pas trop pourquoi il était resté là à faire le garagiste après la Libération. Ce fut par le truchement de la choucroute qu’il arriva à la saucisse, la Strasbourg ou la Francfort, il ne savait plus très bien, mais ce qu’il savait c'est que le jour où, la mère Raymonde – la femme du pompiste donc – glissa dans une baguette de pain, transformée en une sorte de tuyau tiède, une saucisse qu'elle venait d'oindre de moutarde, Benoît tomba sous le charme du hot-dog, un sandwiche qui porte bien son nom. Cette histoire il l'avait bien sûr raconté à Marie en s'extasiant sur l'étrange alliance sous la dent du mou et du fort. Elle avait beaucoup ri, elle aussi s'était convertie. Leurs envies soudaines et irrépressibles de hot-dog les voyaient se précipiter, sitôt la séance de ciné terminée, au comptoir de leur pote Ali. Aujourd'hui, Benoît n'a rien dit Ali. À voir sa gueule de déterré il avait dû se dire : elle est partie. Alors il a faisait comme son pote Ali. Marre des souvenirs, Benoît allait mal. Et puis merde, voilà que c'était le saucisson-beurre de leur premier jour au Conti qui lui prenait la tête. Ali lui dit « C'est moi qui t'offre aujourd'hui. Benoît répondait « Merci l’ami ». Ils se tapèrent dans les mains, Benoît s’éloignait. Face à lui le bitume de la Place du Commerce lui apparaissait comme un lac gris, hostile. Traverser, gagner la Place Royale, affronter la serre vitrée du Conti. Que des souvenirs heureux... Fuir ? Y aller ! Il y allait d'un pas décidé, le rire de Marie l'y accompagnait.

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6 mars 2018 2 06 /03 /mars /2018 06:00
La résistible ascension de Benoît H De la terre remuée et ce ciel pur, cette boîte en chêne vernis à poignées argentées, un moment Benoît aurait voulu qu'on chantât le Dies Irae (35)

La mort rassemble. Autour de la grande table de Jean, le soir, ils parlaient, parlaient même d'elle. Ils buvaient aussi, le vin délie les langues et allège le coeur. À aucun moment ils étaient tristes. Marie, couchée dans le grand lit de Jean, leur imposait son silence éternel. On prit l’emmurement serein de benoît pour du courage. Aux yeux des autres, ses proches, ses amis, ceux de Marie, ses parents, il était admirable. Non, il était déjà mort. Seul Jean pressentait son délitement intérieur. Il bougonnait, tournait en rond, maudissait le ciel et le pistait comme un vieux chien fidèle. Les mots des autres filaient sur Benoît sans y laisser de traces, On le laissait faire. Avec Jean, ils décidèrent de porter eux-mêmes Marie en terre au cimetière de Port-Joinville. Qu'elle restât sur notre île, sans fleurs ni couronnes, relevait pour nous de la pure évidence. Ça ne se discutait pas. Le maire obtempérait, et c'est dans la C4, au petit matin, avec Achille coincé entre eux deux, ils s’étaient rendus jusqu'au trou béant. De la terre remuée et ce ciel pur, cette boîte en chêne vernis à poignées argentées, un moment Benoît aurait voulu qu'on chantât le Dies Irae. Des mains serrées, quelques pelletées, des baisers, des étreintes, des sanglots étouffés, encore des mots échangés et ils étaient allés au café. Là, Benoît aurait bien voulu pleurer.

 

À son arrivée à Nantes, avec l'argent de Jean, son dû, une poignée de billets fripés – s’il l'avait écouté il lui aurait donné tout le liquide du coffre – Benoît louait une chambre, pour une semaine, dans un hôtel miteux du quai de la Fosse. La patronne, déjà intriguée par sa dégaine de mal rasé et son étrange balluchon, le regardait d'un drôle d'air quand il insista pour payer d'avance en petites coupures. Pour l'amadouer Benoît esquissa un sourire, sa tronche de chien battu devait la rassurer, elle lui tendait une fiche de police qu’il remplissait avec soin. Le parfum de pacotille de la taulière, mêlé au suif de sa peau, épandait des remugles fades, elle lui tendait une grosse clé pendue à une étoile de bronze « la 18 est au premier gauche... » L'escalier recouvert d'un tapis élimé grimpait sec. Les immeubles du quai, étroits et de guingois, empilaient des pièces hautes de plafond, la chambre, qui donnait sur une cour intérieure, n'échappait pas à la règle. Benoît tirait les doubles rideaux jaune pisseux, la lumière les traversait sans peine tant ils étaient élimés. Il s'allongea tout habillé sur le lit recouvert d'un dessus de lit d'un blanc douteux. Le plâtre du plafond, bouffé par le salpêtre, partait par larges plaques en lambeaux. Il pleurait, pleurait doucement, en silence, les yeux rivés sur un petit tableau aux couleurs défraîchies.

 

Sur la dalle de ciment, avec Jean, ils avaient fixé une petite plaque émaillée – c'est un de leurs amis potier qui  l’avait confectionné – sur laquelle était écrit Marie fleur de mai. Quand ils furent tous repartis, au bateau du soir, même le regard implorant de sa maman n'avait pu ébranler la détermination de Benoît. Partir ! Sa survie en dépendait, il voulait vivre dans sa plaie ouverte. Jamais elle ne devait cicatriser. Ne croyez pas que c'était pour se complaire dans le malheur, Benoît n'était pas malheureux, il n'était plus rien. Reprendre le cours d'une vraie vie sans Marie était au-dessus de ses forces. Il ne lui restait plus qu’à vivre une vie de merde, y patauger, s'y souiller, s'y perdre pour faire comme si, le temps ce grand laminoir impitoyable ferait son œuvre sans qu’il n’oppose la moindre résistance. Avant de partir Benoît était allé sur la lande cueillir une brassée de fleurs. Jean l'attendait devant le portail du cimetière avec un grand vase rouge sang. Ils offrirent à Marie ce bouquet puis ils descendirent se bourrer la gueule au port. Les marins piquaient le nez dans leurs verres. Pas fiers, c'était l'un des leurs qui avait écrasé Marie.

 

Benoît dormi pendant une semaine sans rien avaler sauf un peu d’eau du robinet. La taulière s’inquiétait, elle lui portait des plateaux-repas qu’il ne touchait pas. Enfin, ayant perdu toute notion du temps il se leva, se déshabilla, il puait. Sous la douche, l'eau, tiédasse et jaunasse, se déversait en une alternance de trombes et de pluie fine. Benoît se récura au savon de Marseille, la mousse lui piquait les yeux. Son estomac criait famine, ses jambes molles flageolaient. La serviette était rêche, Benoît se frictionna jusqu'au sang. Face au miroir piqué sa gueule flétrie bouffée par la barbe le laissa indifférent. Il se brossa les dents pour tenter de se défaire d'une haleine fétide. Dans la chambre d'à côté, un client limait une fille en gueulant « T'es qu'une pute ma salope... » ce, qu'à l'évidence, elle semblait être. De la brume dans les yeux... la peau de Marie... de la rage... il fourrageait dans ses cheveux humides pour domestiquer sa tignasse frisée... jamais plus... alors des filles comme ça... pourquoi pas... Une envie monstrueuse de hot-dog l'emplissait.

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5 mars 2018 1 05 /03 /mars /2018 06:00
La résistible ascension de Benoît H De la terre remuée et ce ciel pur, cette boîte en chêne vernis à poignées argentées, un moment Benoît aurait voulu qu'on chantât le Dies Irae (34)

Ce lundi-là, le père de Marie, ce cher maître, annonçait par téléphone son arrivée sur l'île pour le lendemain. Branle-bas de combat pour Marie, il lui fallait mettre la villa en ordre de marche. Bien sûr, il ne venait pas seul, une cour de beaux jeunes gens l'accompagnait. Pendant toute la journée Marie vaqua. Le soir venu, Benoît allait la chercher pour que dîner à la Ferme des 3 Moulins. La pauvre était fourbue. Pour lui redonner des forces Benoît cuisina des spaghettis à la carbonara. Marie tombait de sommeil. Comme elle devait rentrer à la villa Benoît lui proposa de la raccompagner. « Non, non me répondait-elle, je prends le solex, ça m'oxygènera et toi tu dois attendre le coup de fil de Jean... » En effet, celui-ci, qui était toujours sur le continent l'appelait tous les soirs au téléphone aux alentours de minuit. Benoît bougonna que Jean pouvait attendre. Marie lui fit les grands bras « Je suis une grande fille mon amour, les loups garous ne vont pas me manger en chemin. Tu sais bien que si tu n'es pas au bout du fil quand il appellera, grand zig va paniquer... » De mauvaise grâce il céda. Avant qu'elle n'enfourche le mini-solex il la serra fort. La nuit était claire. Le lit grand et froid. Comme ce cher maître refusait d'installer le téléphone dans la villa, Benoît ne pouvait même pas appeler Marie. Le sommeil le précipitait dans une nuit agitée.

 

Achille tournait en rond, se grattait, lâchait des grognements, plusieurs fois Benoît s’éveilla en sursaut couvert de sueur. Lui qui d’ordinaire dormait comme un bébé alignait des cauchemars atroces. Vers trois heures il se leva, descendit pour aller pisser dans l’herbe de la prairie. L’air était doux. Achille qui l’accompagnait le contemplait d’un air qui lui parut chargé d’angoisse. Benoît balança de se rendre à pied jusqu’à la villa mais il se ravisa en se disant qu’il n’allait pas réveiller Marie au beau milieu de la nuit pour lui faire part de ses angoisses. Il sombra dans un sommeil lourd, avec Achille pelotonné à ses côtes, au petit matin. Marie courrait sur la grève, éclaboussant ses mollets de jets de perles d’eau salée, Achille jappait, sautait, elle riait.  On tambourinait à la porte d'entrée. Benoît s’éveillait en sursaut, se levait sur son céans, enfilait son jean et descendait. Il ouvrait, dans l'encadrement l’adjudant de gendarmerie Thouzeau se dandinait en se tordant les mains. « Entrez-donc, qu’est-ce qui vous amène ? » Le militaire lui fit signe de la tête que non. Benoît s’inquiétait. « Jean a fait des conneries ? » D'une voix enrouée l’adjudant lui répondait en baissant les yeux «  Il vaut mieux que je vous le dise tout de suite monsieur, elle est morte sur le coup. C'est encore un de ces fichus poivrots... »

 

Benoît lâcha prise, coupa tous les ponts sans fuir. Sonné, KO debout, il se laissait glisser, comme ça, sans réagir, doucement, les yeux grands ouverts. Ce fut une glissade un peu raide mais toujours contrôlée, bien maîtrisée. Il savait ce qu’il voulait, mourir, mais à petit feu. Son but, aller au bout de son chemin, sans contrarier la nature, en se contentant de contempler sa déchéance. Simple spectateur de sa vie. Emmuré dans le chagrin, ses yeux restaient secs. Pleurer c'était prendre le risque de fendre sa carapace, de s'exposer à la compassion. Pour tenir il devait faire bonne figure. Alors, il allait et venait, affrontant l'intendance qui suit la mort avec le courage ordinaire de ceux qui assument les accidents de la vie. Son masque de douleur muette, souriante même, lui permettait de cacher, qu'à l'intérieur il n'était plus que cendres.

 

La mort rassemble. Autour de la grande table de Jean, le soir, ils parlaient, parlaient même d'elle. Ils buvaient aussi, le vin délie les langues et allège le coeur. À aucun moment ils étaient tristes. Marie, couchée dans le grand lit de Jean, leur imposait son silence éternel. On prit l’emmurement serein de benoît pour du courage. Aux yeux des autres, ses proches, ses amis, ceux de Marie, ses parents, il était admirable. Non, il était déjà mort. Seul Jean pressentait son délitement intérieur. Il bougonnait, tournait en rond, maudissait le ciel et le pistait comme un vieux chien fidèle. Les mots des autres filaient sur Benoît sans y laisser de traces, On le laissait faire. Avec Jean, ils décidèrent de porter eux-mêmes Marie en terre au cimetière de Port-Joinville. Qu'elle restât sur notre île, sans fleurs ni couronnes, relevait pour nous de la pure évidence. Ça ne se discutait pas. Le maire obtempérait, et c'est dans la C4, au petit matin, avec Achille coincé entre eux deux, ils s’étaient rendus jusqu'au trou béant. De la terre remuée et ce ciel pur, cette boîte en chêne vernis à poignées argentées, un moment Benoît aurait voulu qu'on chantât le Dies Irae. Des mains serrées, quelques pelletées, des baisers, des étreintes, des sanglots étouffés, encore des mots échangés et ils étaient allés au café. Là, Benoît aurait bien voulu pleurer.

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4 mars 2018 7 04 /03 /mars /2018 06:00
La résistible ascension de Benoît H avec son allure de Pierrot lunaire, ses fringues pourries, ses sandales en plastoche, il était l'un des meilleurs de la place, il embobinait les vieilles dames en grommelant des tirades incompréhensibles en grignotant des gâteaux secs et en sirotant des petits verres de vin doux.(33)

Les affaires de Jean prenaient de l'ampleur, les clients affluaient, achetaient, Benoît lui disait « si nous n'y prenons garde nous allons manquer de marchandise. » L’originalité de la maison c’était la patte du patron farfelu, à la Ferme des 3 Moulins, voisinaient des meubles et des objets de brocanteur, à des prix raisonnables, et des pièces rares dignes des meilleurs antiquaires.

 

La bonne gestion des finances par Benoît avait permis de financer de belles acquisitions à des prix de marchands. La revente, coup sur coup, d'un compotier en vieux Rouen et d'une adorable petite commode signée d'André Charles Boulle – une merveille bien achetée à une vieille originale et très bien vendue à un industriel du Nord – leur donnait capacité à aller draguer sur le continent chez des confrères moins bien lotis qu’eux. Le stock de fin de saison est l'ennemi du brocanteur. Il lui faut de la fraîche pour se livrer à son plaisir favori : acheter. Jean pouvait repartir en chasse. Sans conteste, avec son allure de Pierrot lunaire, ses fringues pourries et ses sandales en plastoche, il était l'un des meilleurs de la place, surtout auprès des vieilles dames grosses pourvoyeuses de notre biseness. Il les embobinait, en grommelant des tirades incompréhensibles tout en grignotant des gâteaux secs et en sirotant des petits verres de vin doux. Le seul problème était de le laisser battre la campagne avec autant de liquide en poche. Marie, fine mouche, trouvait la solution : Button. « Il vous servira de chauffeur et de banquier... » et d'ajouter « c'est plus prudent » sans préciser s'il elle faisait allusion à sa conduite automobile approximative ou à son côté panier percé.

 

Avec Marie ils évoquaient, pour la rentrée, leur installation. Le pécule de Benoît gagné sur l'île, plus la petite rente que lui versait son père, leur permettraient de louer soit un studio, soit un petit deux pièces dans la partie populaire de Nantes. Pour vivre ensuite, les petits boulots ne manquaient pas. Ils aviseraient. La perspective d'entamer leur vie commune, rien que tous les deux, les rendaient plus amoureux encore. Marie le rendait simple. Benoît ne fabriquait plus de nœuds. Depuis leur premier jour, à aucun moment, ils ne s’étaient livré au ballet traditionnel du je me présente sous mon meilleur jour et je me garde bien de remarquer, les grandes et les petites choses, qui m'agacent chez l'autre. Pour ce qui concernait Benoît, ça tenait de l'exploit, avant elle c'était son mode fonctionnement exclusif. Quant à Marie, comment le dire sans paraître prétentieux, elle le dispensait, à doses quasi égales, ce qu'il lui fallait, et d'admiration, et de franchise. Avec son petit air pince sans rire, et sans jamais lui faire la morale, elle mettait le doigt sur ses si nombreuses contradictions. Elle le rendait léger. Ils aimaient être ensemble, se retrouver. Benoît ne lui cachait pas son soleil et elle lui donnait sa lumière.

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3 mars 2018 6 03 /03 /mars /2018 06:00
La résistible ascension de Benoît H, Benoît haïssait le Monbazillac qui lui empâtait la langue (32)

Le « Tu peux monter vos affaires dans ta chambre... » fut le sésame de sa mère. Après le dîner ils prirent le frais dans le jardin. Comme Benoît l'avais prévu, son mendésiste de père, prenait un malin plaisir à mettre Marie sur le grill en la prenant à témoin de la légèreté et de l'inconsistance du mouvement de mai. Pratiquant à merveille le billard à bandes c'est Benoît qu'il visait. Pour lui, avec ce qu'il lui reconnaissait de talent, Benoît avait joué au révolutionnaire par pur plaisir esthétique et romantique. Lui et ses petits camarades gauchistes, avec le soutien objectif des communistes, en se contentant de psalmodier leur vulgate révolutionnaire, venaient de priver la gauche réformiste, celle de PMF, la seule capable de tenir ferme le gouvernail et de moderniser la France, d'une éclatante victoire dans les urnes. En ressoudant aux gaullistes, la droite rentière des Indépendants, et celle encore bien planquée, sans leader, mais toujours chevillée à une part de la France xénophobe, ils avaient fait le lit de Mitterrand. L'ambiguë de Jarnac saurait lui, le Florentin, s'asseoir sur le PCF pour mieux l'étouffer. Marie bichait. Elle approuvait pour le plus grand plaisir de son séducteur de père.

 

Avoir Marie à ses côtés dans son lit d'adolescent ravivait les souvenirs des soirées de Benoît passées, sous la tente de son drap, à ériger des cathédrales, à imaginer tout ce qu'allait lui apporter son bel avenir. Dans l'obscurité, Marie, lui chuchotait « Je suis bien mon Benoît. Ici je me sens toi. Toute à toi. Je t'aime... » Comme ils ne galvaudaient pas leurs je t'aime, ceux de ce soir-là, mêlés à leurs caresses, à leur osmose, les haussaient en des espaces qui donnent à l'amour un goût d'éternité. Amour sensuel, accord parfait. Ils s’endormirent qu’au creux de la nuit. La maisonnée s'était donné le mot pour que leur grasse matinée ne soit pas troublée par la préparation du déjeuner. À leur éveil, vers dix heures, ils étaient tous partis à la grand-messe. Dans la cuisine, où leur petit déjeuner les attendait, la logistique du repas de midi impressionnait Marie. Tout était en place, le clan des femmes, mobilisé et efficace, avait donné le meilleur de lui-même. La brioche de Jean-François était mousseuse à souhait. Sa maman avait préparé un cacao mousseux ; plus exactement le cacao qu'elle préparait chaque matin pour son écolier de fils.

 

Le service du déjeuner fut assuré par la femme du cousin Neau lui-même préposé aux vins. Alida, la laveuse de linge, assurait la plonge. La maman de Benoît, qui avait fait la cuisine, orchestrait l'ensemble avec autorité et doigté. À l'apéritif, Banyuls pour tout le monde, on disait vin cuit en cette Vendée ignare. Le menu : vol au vent financier, colin au beurre blanc, salade, de la chicorée – son père avait droit à une préparation personnelle avec croutons aïllés – fromages : du Brie de Meaux et du Gruyère, et en dessert : un savarin crème Chantilly, évitait à son cordon bleu de mère de passer trop de temps devant ses fourneaux. Le seul moment grave, bien sûr, avait consisté à monter le beurre blanc. En l'absence de son épouse, le facétieux père de Benoît informa Marie que sa Madeleine de femme avait des doigts de fée. Du côté des vins, du Muscadet sur lie, un Gevrey-Chambertin et du Monbazillac. Benoît haïssait le Monbazillac qui lui empâtait la langue. Tout atteignait l'excellence, même le café passé dans une cafetière à boule de verre que sa mère ne sortait que pour les grandes occasions. Son père les empesta avec ses affreux petits cigares de la Régie. Les yeux de Marie brillaient.

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28 février 2018 3 28 /02 /février /2018 06:00
La résistible ascension de Benoît H les préséniles du Kremlin n'ont que faire du sang neuf, ils préfèrent l'épandre dans les caniveaux de Prague. Marie et Benoît en pleuraient de rage en écoutant le silence assourdissant des dirigeants communistes français (29)

Quand ils discutaient, et surtout lorsqu'elle se passionnait, Marie jouait en permanence avec le troisième bouton de ses corsages, Benoît adorait ce geste léger, instinctif. Voulait-elle le défaire ou vérifiait-elle qu'il fût bien en place ? Balancement ou équilibre, il se régalait avec volupté, du jeu de son pouce et de son index. Parfois, dans le feu de la conversation, la barrière du troisième bouton tombait, les pans du corsage s'entrouvraient, laissant apparaitre la naissance de la gorge de ses seins.  Il la désirait alors, avec une force brutale, il bandait, se réfrénait. Souvent, Benoît se levais pour lui caresser la nuque, sentir au bout de ses doigts le grain si fin de sa peau. Transfuser de sa chaleur adoucissait le tranchant de son sexe de silex. Marie attrapait sa main. Il la laissait la guider « Benoît, m'aimeras-tu quand je serai vieille et que mes seins ne seront que des petites pommes ridées ? » Benoît,  les enveloppant dans le creux de ses mains lui répondait « Nous ne serons jamais vieux ma belle car nous vieillirons ensemble... »

 

Les parents de Benoît,  sa mère surtout, l’avaient élevé dans la  diabolisation de la chair, le plaisir érigé en péché, après ce mois de mai de tous les excès, ils allaient être étiquetés comme les enfants de la libération sexuelle, et Dieu sait que ce boulet ils le traineraient dans les temps futurs. Ce sujet n’était pas à l’ordre du jour, leur harmonie suffisait, le mot fidélité s'ancrait naturellement dans leur manière d'être. Pour sa part, Benoît, en libertin repenti, appréciait l'intensité de leur vie à deux. Marie comblait tous ses vides, le protégeait de ses démons. Il n'imaginait rien d'autre que la vie avec elle. Sur cette miette d'île, il travaillait, elle peignait, ils lisaient au lit jusqu'à des heures avancées. Benoît s'appuyait sur elle, Marie le déliait, Marie le bordait, Marie l'aimait, il l'admirait, elle le haussait, il l'adorait, avec Achille ils arpentaient la côte sauvage en se disant que vite ils auraient des enfants. 

 

À partir du 18 août, les 200 000 soldats et les 5000 chars du Pacte de Varsovie allaient étouffer les premiers bourgeons du printemps de Prague. L'opération Danube réprimait brutalement dans le sang le peuple de Prague qui n'avait que ses mains et son courage à opposer aux tankistes soviétiques, qui, sur les photos, semblaient tout étonnés de ne pas être accueillis par des jeunes filles aux bras chargés de fleurs. Ils sont jeunes eux aussi mais les préséniles du Kremlin n'ont que faire du sang neuf, ils préfèrent l'épandre dans les caniveaux de Prague. Marie et Benoît en pleuraient de rage en écoutant le silence assourdissant des dirigeants communistes français. Fort des voix populaires, ces couards, insensibles aux cris de liberté, ces merdes suffisantes, ces intellectuels émasculés, allaient jouer la comédie de la protestation officielle avant de devenir le parti de Georges Marchais, tout un symbole du dévoiement d'hommes et de femmes confinés dans leur bunker de la place du Colonel Fabien. Ils sont morts, jamais plus ils ne pourront parler en notre nom.

 

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27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 06:00
La résistible ascension de Benoît H Benoît avait levé, en son pays, sa Mme de Tourvel. Femme mariée, aux yeux de biche effarouchée à peine masqués par sa voilette légère de pieuse se rendant à la messe du matin.(28)

Avant l'irruption de Marie dans sa vie Benoît adorait se glisser dans la peau du libertin. Dans ces temps où le péché de chair pour les filles gardait un goût de fruit défendu, conduire hors du sentier balisé l'innocente victime, la séduire, l'amener dans ses filets, procurait des émotions fortes. Faire œuvre de séduction pour un libertin c'était suivre un plan déterminé, avoir un projet. Tout est dans l'avant, la traque, l'attente, la jouissance suprême de voir la caille innocente s'engager sur le chemin de l'abandon. Le libertinage est cérébral, on y manipule le cœur humain, on y est patient, calculateur. Se contrôler, ne pas céder à la passion, éviter l'écueil de l'amour forment l'armature froide du projet libertin. Dans ce jeu cruel, où la victime devient très vite consentante, l'important pour le libertin est de ne pas être conduit à son insu là où il n'a pas prévu d'être. Toute la jouissance vient de ce contrôle sur ses actes, ses sentiments, ses pensées et d'exercer sur l'autre un empire total. Comme dans un jeu d'échecs il faut toujours prévoir le coup d'après. Mais une fois l'acte accompli l'angoisse du vide vous saisit. On n'est plus qu'un animal à sang froid.

 

Comme dans les Liaisons Dangereuses Benoît avait levé, en son pays, sa Mme de Tourvel. Femme mariée, aux yeux de biche effarouchée à peine masqués par sa voilette légère de pieuse se rendant à la messe du matin. Jeune, très jeune prisonnière de la couche d'un barbon ventru et moustachu, au portefeuille épais, pour Benoît ces messes matinales ne pouvaient être que le change donné à sa sèche et impérieuse belle-mère. Il lui fallait donc se placer sur son chemin avec une régularité qui attiserait sa curiosité. Ce qu’il fit sans jamais lui adresser autre chose que des regards appuyés. Après avoir baissé les yeux puis sourit, Benoît pressentit qu'une révolution s'opérait chez la belle pieuse. Elle devait, avant son départ du domicile conjugal ruser, se donner des frayeurs extrêmes. Restait pour elle à franchir une nouvelle étape : lui donner le premier signe de sa soumission. Le printemps à cette vertu que les matins y sont souvent tendres. Ce matin-là, sa trajectoire ordinaire s'incurva et la belle, d'un pas vif, gagna la place des tilleuls. Dans la ligne de mire de Benoît, elle posait le pied sur un banc de pierre dévoilant une jambe galbée d'un bas de soie noire. Imperméable à sa volupté Benoît exigea d'elle plus encore. Ce qu'elle fit. Sous un imperméable mastic, perché sur des hauts talons, elle me présenta avec des yeux implorants son corps à peine voilé d’une combinaison en dentelles. Leurs amours, dans les prés hauts de Bibrou, furent longtemps catastrophiques, elle attendait, soumise, la jouissance de Benoît, alors que c'était la sienne qu’il espérait.

 

Benoît la déniaisa, la guida dans des voluptés extrêmes, elle devint une amante insaisissable dont il eut grand peine à se défaire. Par bonheur, un jeune brigadier fut nommé à la gendarmerie, elle devint sa maîtresse. L’irruption dans sa vie de Marie lui ôta ce carcan de froideur qui l’enserrait. Lui le silencieux, le garçon qui tenait tout sous contrôle, se laissait aller à lui confier ses peurs, ses faiblesses. Cet abandon il le devait à l'absolue certitude, que jamais Marie ne retournerait ces armes contre lui. Ils étaient si différents, leurs origines aux antipodes, mais leur nous s'érigeait sans question, avec naturel. Marie lui donnait la chance de s'aimer lui-même, de se départir de ses refus, d’abattre ses hautes murailles. Jamais nous ils ne faisaient de projets. Ils vivaient. À chaque moment, seuls ou ensemble, ils inventaient leur vie. Benoît abordait leur vie à deux avec dans sa besace de jeune homme rien de ce qui encombre les gens de son âge : tous ces désirs refoulés qui, le jour où la flamme décline, resurgissent à la surface.   

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26 février 2018 1 26 /02 /février /2018 06:00
La résistible ascension de Benoît H Le Printemps de Prague le « socialisme à visage humain » d'Alexander Dubcek indisposait nos staliniens officiellement reconvertis à la démocratie (27)

Le matin ils allaient à vélo, par le sentier côtier, jusqu'à l'anse des Vieilles. Au soleil levant l'eau, d'une extrême transparence, semblait de pur cristal. Marie l'intrépide s'y plongeait sans la moindre hésitation et, de son crawl fluide et silencieux, elle filait vers le large. Benoît s'adossais à la pente sableuse pour lire. De temps à autre il relevait les yeux pour repérer le point blanc du bonnet de bain de sa naïade favorite. La montée du soleil l'emplissait d'une douce chaleur mais il ne pouvait effacer la pointe d'angoisse qui ne disparaîtrait que lorsque Marie serait de nouveau à portée de sa brasse minable. L'océan, avec ses airs paisibles, lui déplaisait. Il connaissait sa nature profonde, charmeuse et hypocrite comme celle de tous les puissants. À la fin juillet, en un accès de rage soudain, de ses entrailles obscures, il avait enfanté une tempête féroce. Avec Marie, blottis dans la faille d'une falaise, à l'abri du vent et des embruns, pendant des heures, ils s’étaient grisés de ses outrances. Dans le grand lit de la Ferme des Trois Moulins, ce soir-là, pour conjurer sa peur, Benoît avait pris Marie avec une forme de rage désespérée. Après, blottie dans mes bras, elle lui avait dit « Tu m'as baisé mon salaud, c'était vachement bon... »

 

Écrire que leur nous aurait survécus aux pires tempêtes comme à la mer d'huile du quotidien lui semblait dérisoire. Benoît avait la certitude qu’il aurait préféré que ce putain de quotidien se disloquât sous leurs faiblesses ou, pire, avec l'irruption d'un autre, plutôt que de le voir trancher ainsi sans appel. Même si ça emmerde tous ceux qui pataugent dans le foutre et le cul, l'amour heureux existe. Ne venez pas faire chier Benoît avec des railleries sur l'eau de rose ou le sucre Candy et toute autre vacherie. Même maintenant qu’il était au régime sec sa faculté de vous faire une tête au carré, de vous bourrer le pif, de vous foutre ma main sur la gueule, restait intacte. Marie et lui, dans la grande loterie des rencontres, étaient l'exception qui aurait confirmé la règle de leur génération championne du divorce. À cet instant, alors qu’il s'échinait à ne pas décrire par le menu leurs 52 jours passés à vivre simplement ensemble, il s’accrochait à la certitude qu’ils auraient été, trente ans après, les mêmes. La vie les aurait sans doute cabossés mais les autres envieraient leur amour intact. Présomptueux me direz-vous ? Sans doute mais, Benoît se connaissait, toute l'énergie qu’il avait déployé à s'avilir, il l’aurait, avec encore plus de force et de pugnacité, tournée vers Marie. Quant à elle, n'y touchez pas, son coeur n'avait pas de limite et son ventre eut été fécond.

 

Le Printemps de Prague semblait résister aux grosses pattes de l'Ours soviétique. Notre PC national, toujours à l'extrême pointe de la collusion avec la nomenklatura du Kremlin, soutenait du bout des lèvres, les initiatives du parti frère. Grand progrès par rapport à l'insurrection de Budapest de 1956, où la chape de silence, la même que celle qui avait étouffé les cris de Laszlo Rajk et de ses compagnons d'infortune, exécutés à la suite des procès préfabriqués, en 1949. Le « socialisme à visage humain » d'Alexander Dubcek indisposait nos staliniens officiellement reconvertis. Marie espérait, Jean lui doutait de la capacité d'un parti unique à se réformer de l'intérieur, Benoît avait la certitude que les gardiens du bloc ne pouvaient le laisser se fissurer. Ses talents culinaires explosaient. Lui, que sa très chère maman n'avait jamais laissé effleurer une queue de casserole, se révélait un maître-queue inventif. Marie le charriait gentiment «Tu es l'homme parfait mon amour, où est la faille de l'armure ? » Et Jean de répondre « C'est qu'il n'a pas d'armure belle enfant... » 

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25 février 2018 7 25 /02 /février /2018 06:00
La résistible ascension de Benoît H Y’a pas à dire ça rapporte plus de vendre du vermoulu aux parigots que d'aller lever des casiers les gars...(26)

Les mots lui manquaient, pourtant ils se bousculaient dans sa tête, lui faisaient mal. Écrire sur un temps heureux, un temps de grand bonheur simple, se replonger dans son passé pour en extraire, non pas des souvenirs éteints, mais des braises vives, était une vraie douleur. Depuis ce fichu jour, chaque moment, tous leurs instants, leurs débordements, leurs rires, leurs fous-rires, les riens, tout ce qui était leur nous dont Benoît ne retenait que ce qui était « elle », sa belle, la douceur de sa peau, le  grain beauté sur son cou, son parfum, la soie de ses cheveux, le lac de ses yeux, son envie d'elle, sa fièvre aussi, l'amour comme on dit, Benoît les retenait, tout au fond, tels des biens précieux, enfouis, protégés de l'oubli. Pas un jour, pas une nuit, sans les avoir exhumés pour tenter de conjurer son malheur, de tenter de revivre. Vain combat, jamais entamé, toujours perdu, seul moyen de perdurer, de traîner sa vie comme un boulet. Et pourtant ce fardeau n'était rien, aujourd'hui enchaîner des mots en des phrases heureuses le plombait. Benoît n’avait pas envie de gueuler pour qu'on vienne me sauver. Face au silence, à l'indifférence il se contente de pleurer sur ce qui n'est, après tout, rien que son malheur.

 

Ce vieux salaud d'Achille fit une fête d'enfer à Marie. Jean et Benoît arboraient des salopettes Adolphe Laffont bleu marine flambant neuves. Ils les avaient achetées à la coop maritime. Avant que le bateau n'accoste, les marins les avaient chambrés copieusement « Y’a pas à dire ça rapporte plus de vendre du vermoulu aux parigots que d'aller lever des casiers les gars... Faudra tout de même qu'on se cotise pour lui acheter des souliers au Jean. La sandale en plastique c'est bon pour aller aux berniques mais pas pour faire le gandin... » Imperturbables ils les laissaient dire. Lorsque Marie apparut en haut de la passerelle de débarquement, Achille se faufila sitôt entre les jambes du flux descendant. Jean marmonna entre ses dents serrées sur son tuyau de pipe éteinte « la classe... du rare mon petit Benoît... » Il faut dire que tout de blanc vêtue, Marie prenait si bien la lumière de l'Ile d'Yeu, un blanc de bleu, pur, qu'elle semblait tout droit sortie d'une toile de maître peinte a tempera.

 

Jamais ils ne s’embrassèrent comme ce jour-là. Les marins, bouche bée, les protégeaient par leur silence. Ils étaient beaux tout simplement. Jean décréta que c'était un jour à langouste. En dépit de du froncement des sourcils de Benoît, le redressement de leur trésorerie était encore fragile, grand seigneur les embarqua dans la C4 jusqu'au port de la Meule. Le déjeuner fut somptueux de simplicité, palourdes, langouste grillée, bar de ligne en croûte de sel, bien arrosé d'un Muscadet, avec un Jean au sommet de son art. Marie était aux anges. Au dessert, ce grand escogriffe, tout en frottant ses éternelles allumettes qui n'allumaient jamais rien, demanda le silence. C'était cocasse puisque lui seul parlait. Tout d'abord, il commanda du champagne. Le patron confus avouait qu'il n'en avait point. Nous nous rabattîmes sur un Saumur. Il était tiède. Jean gazouillait « Mes amis, c'est ma décision, mon service en vieux Rouen, c'est mon cadeau pour votre mariage... » 

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