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9 juin 2018 6 09 /06 /juin /2018 07:00
Le 15 août 1961, le soldat allemand Conrad Schumann franchissait le mur de Berlin et devenait un symbole de la guerre froide

Le 15 août 1961, le soldat allemand Conrad Schumann franchissait le mur de Berlin et devenait un symbole de la guerre froide

En retrouvant l’air libre en plein quartier de Kreutzberg ils purent vérifier que la zone de chalandise de leurs petits camarades étudiants ne respirait guère l’opulence renaissante de l’Allemagne de l’Ouest car elle se composait essentiellement d’usines bombardées, de gares désaffectées, d’HLM trop proches du mur pour séduire les promoteurs et elle était cernée de bidonvilles turcs empestant la fumée de charbon de bois et le suif de mouton rôti. Ils rôdaillèrent dans des cafés peuplés d’une faune fumant du shit sous des drapeaux du Viêt-Cong et des photos de Mao et d’Hô Chi Minh. L’évocation du nom de Sacha auprès des camarades ne leur attira que des sourires vagues ou même une forme d’hostilité sourde. Fatigués ils échouèrent dans une sorte de club en sous-sol où un guitariste en keffieh palestinien jouait vaguement du Joan Baez sous les regards indifférents de quelques corps indistincts vautrés sur des matelas jetés à même le sol. Certains se pelotaient sans enthousiasme pendant qu’une fille dans un coin allaitait un moutard roussâtre. Venant de je ne sais où un charmant Suédois efféminé leur tendait deux canettes de bière. Ils se posèrent sous un drap accroché au mur sur lequel une main malhabile avait peint des slogans contre la bombe à neutrons. Olof, le suédois, gérant de ce club communautaire, se roulait un joint tout en s’enquérant, dans un anglais hésitant, de leur situation. Leur réponse « Nous cherchons Sacha... » lui tirait un mince sourire, le premier de la journée, qui leur remontait le moral. Toujours dans son anglais guttural il leur confiait « Je crois qu’il loge dans un grand entrepôt avec ses camarades du « Centre de la Paix ». C’est une communauté. Ici presque tout le monde vit en communauté. Vous devez avoir faim. Je vais vous conduire dans un restaurant à kebabs ... » Ils tétèrent leurs bières, demandaient à régler ce qui leur valait un nouveau sourire las du suédois, et ils le suivirent dans un lacis de ruelles sombres jusqu’à un appentis couvert de tôles. « C’est chez Mustapha, l’agneau y est délicieux vous verrez. » Pendant qu’ils se restauraient, leur nouvel ami Olof, toujours aussi obligeant, leur dessinait sur une feuille de carnet le plan qui leur permettrait de se rendre jusqu’à la tanière de Sacha. Le thé à la pomme avait plutôt un goût de serpillière mais, après leur journée d’errance, la perspective de se poser en un lieu hospitalier le leur faisait apprécier bien mieux qu’un Earl Grey de chez Mariage. Benoît réglais l’addition avec des dollars pour le plus grand plaisir de Mustapha le patron qui, pour le remercier, enveloppait des halvas dans du papier journal. Avant de les quitter Olaf murmurait quelques mots à l’oreille de Chloé qui opinait en souriant.

 

La nuit tombait. Le suivi du plan d’Olaf les conduisait jusqu’à un canal dont les eaux noires reflétaient les auréoles jaunasses de gros projecteurs juchés sur des miradors qui s’alignaient, à intervalles réguliers, sur la berge d’en face. Soudain sur leur gauche, alors qu’ils s’engageaient sur un chemin de halage plein de fondrières, surgissait une vedette de la police truffée de mitrailleuses. Son projecteur puissant les enveloppait l’espace d’un court instant avant de continuer sa course sur les murs de briques des usines éventrées. Ils n’étaient pas très rassurés. Chloé tirait Benoît par la manche « Je crois qu’il nous faut prendre cette rue, là... » elle pointait le doigt vers une ruelle aux pavés disjoints. « Que te voulait Olaf ? » La question de Benoît, hors de propos, tirait à Chloé un rire nerveux. « Coucher avec moi mon grand... ça m’a l’air d’être le sport national ici...» Comme Benoît n’était pas convaincu par sa réponse il revenait à la charge. « Tu me racontes des bobards. Je suis sûr que c’est avec moi qu’il souhaitait copuler... » Chloé ricanait « Puisque tu sais, pourquoi me poses-tu la question alors ? » Sa réponse restait en travers de la gorge de Benoît car, face à eux, tel un décor de cinéma, sous le halo blafard de rares lampadaires se dressait une muraille de parpaings grisaillou couronnés d’un buisson de barbelés rouillés, haute d’au moins 6 mètres. Transis, bras ballants, ils restèrent plantés face à elle pendant une poignée de minutes sans même entendre des pas dans leur dos. « Vous n’avez jamais vu le Mur ? »

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8 juin 2018 5 08 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H qui lui avait valu une réponse sans appel de Gustave sur la seule qualité qui vaille : l’allemande et sur le doigt qu’il foutait jusqu’au trognon au cul des putains de bolchos de la CGT de l’île Seguin (115)

Sacha rien qu’un prénom, seul viatique pour leur introduction dans la nébuleuse « révolutionnaire » de Berlin-Ouest leur plaisait bien car il leur évitait de débarquer dans des groupes trop structurés avec le risque de s’y retrouver enfermé. Ilse, avant ses exubérances sexuelles, leur avait précisé qu’il leur faudrait chercher Sacha à Kreutzberg.  Ils se documentèrent sur ce quartier populaire, inclus dans le secteur américain qui recélait deux caractéristiques intéressantes pour eux : la présence au sud de l’aéroport de Tempelhof – celui du pont aérien de 1948–49 ravitaillant Berlin-Ouest lors du blocus grâce aux Rosinenbomber – et celle, au nord, de Check-point Charlie donnant accès au secteur soviétique. Avant leur départ ils furent convoqués par la garde rapprochée du « Grand Chef » de la GP pour justifier de leur refus de confier, tout ou partie, de « l’impôt révolutionnaire » en leur possession, à la branche militaire du mouvement. Gustave se chargea, avec un plaisir non dissimulé, de signifier leur fin de non-recevoir lors d’une séance houleuse qui faillit tourner au pugilat entre la fraction dure (les futurs activistes du NAPAP qui tremperont dans l’assassinat de Tramoni le vigile qui avait descendu Pierre Overney à l’île Seguin) et celle qui déjà ne savait plus très bien où elle habitait. Dans la voiture de Gustave qui les menait à Orly, une Mercédès rutilante noire métallisée – Benoît avait charrié Gustave sur cette acquisition tout à la fois peu conforme aux idéaux révolutionnaires des larges masses et au nécessaire soutien à notre industrie automobile nationale, ce qui lui avait valu une réponse sans appel de Gustave sur la seule qualité qui vaille : l’allemande et sur le doigt qu’il foutait jusqu’au trognon au cul des putains de bolchos de la CGT de l’île Seguin – Gustave n'en finissait pas de leur refaire sa prestation devant les frelons. « Je t’assure avec eux c'est ce qui faut – dans sa bouche ça donnait t’achure – faut pas leur laisser de répit, leur dire qu'y z'ont rien dans le calbar et qui sont juste bon à enculer des mouches avec leurs discours à la con, qu’on pouvait jamais compter sur eux pour casser du patron, que de toute façon comme y rentraient tous les soirs au chaud chez papa-maman pendant que nous on continuait de se peler les roubignols dans nos chambres de bonnes, notre flouze s’rait mieux placé chez les boches – t’as dit les boches ? Je ne me rappelle pas. Mouais j’ai même dit : chez ces putains de boches, fallait pas – y’ a que ce grand cornard d’Annibal – pourquoi tu le traites de cornard ? Parce que j’ai sauté sa pouffiasse – qui m’a donné du fil à retordre en disant que dans l’Nord j’avais déjà piqué dans la caisse du syndicat et que le blé j’l’avais mis dans mes fouilles. Celui-là t'as vu j’l’ai pas raté : « Et qui c’est qui a rencardé la poulaille dans notre histoire du Lyonnais si ce n’est pas toi. T’étais où ce soir-là que j’lui claqué à la gueule ? Aux abonnés absents pour sauter ta pétasse qu’à un grain beauté sur’ le nichon droit. » KO debout, un carnage mon pote. J’crois que je suis fait pour le théâtre... » Ce fut la dernière fois que Benoît vit Gustave. Ils se serrèrent la main.

 

L’aérogare de Tempelhof les fascina par son avant-gardisme, en comparaison celle d’Orly semblait bien provinciale avec sa façade plate de HLM. Ici, sur plusieurs niveaux, le bâtiment principal semi-circulaire de 1230 mètres de long, réalisé sous le 3ième Reich, impressionnait par sa fonctionnalité et sa démesure. Alors qu’ils s’extasiaient dans l’immense hall, un gros bonhomme, caricature du Bavarois buveur de bière, les abordait avec un air de contentement, pour faire savoir à ces petits français impressionnés que ce bâtiment était le troisième plus grand au monde par sa surface au sol après le Pentagone et le palais du génie des Carpates à Bucarest. Chloé murmurait à l’oreille de Benoît « Et si je lui répondais : salaud de nazi, tu crois que je ferais mouche ? » Benoît la tira brusquement par le bras laissant en plan sans autre forme de procès ce digne représentant du Schweinesystem.  « C’est un flic... » lui dit-il entre les dents. « Et comment tu sais cela mon grand ? » Il se contenta de sourire en haussant les épaules. Dans le métro qui les emmenait vers le centre du quartier de Kreutzberg il confiait à Chloé sa crainte d’être la victime d’une manipulation. Elle fronçait les sourcils « Une manipulation ! Mais manipulé par qui ? Tu deviens parano... » Il soupira « Peut-être bien mais nous sommes ici en zone américaine et c’est le champ de jeu de la CIA alors je pense qu’il nous faut vraiment nous tenir sur nos gardes sinon nous risquons de nous retrouver au milieu d’une partie de billard à trois bandes... » Ses propos alambiqués ne la convainquaient pas « Sois plus explicite mon grand ! » Alors il allait droit au but « À la réflexion je ne comprends pas pourquoi Marcellin m’envoie ici si ce n’est pour que je serve de poisson pilote aux Yankees ... » Chloé s’esclaffait « Tu viens tout juste de t’en apercevoir. Je rêve ! C’est évident que tu n’es plus ici maître du jeu. Je croyais que tu l’avais compris : dans ce putain de Berlin ce qui compte pour les américains ce ne sont pas ces petits connards que nous allons rencontrer mais les communistes est-allemands de l’autre côté du mur. Marcellin t’envoie dans cette pétaudière pour savoir où se trouve la menace réelle, pour identifier quels sont les éléments qui sont entre les mains de Moscou. Quel jeu joue nos soi-disant alliés. La guerre froide c’est cela mon tout beau. Fini de jouer solo mon coco, ici c’est la cour des Grands. » Fataliste Benoît concluait « Alors nous allons leur en donner pour leur argent... »

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7 juin 2018 4 07 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H de graves incidents ont lieu à la Faculté de Droit d’Assas où le bilan est lourd : 60 policiers, autant de manifestants blessés et des dégâts matériels importants. Longuet et Madelin cassent du gaucho.  (114)

Etrange ce Pompidou à la fois non-conformiste et conservateur au sens des britanniques,  collectionneur d’art moderne, admirateur de max Ernst, ami de beaucoup d’artistes telle Sonia Delaunay, les recevant souvent pour des dîners intimes à l’Elysée, il veut réconcilier la France avec l’art de son temps. Ainsi, dès le 15 décembre 1969, en bousculant les pesanteurs administratives, il lance l’idée d’un grand centre d’Art Contemporain et choisit le lieu de son implantation : le plateau Beaubourg en plein cœur de Paris. Cette hardiesse irrite les milieux conservateurs qui s’étonnent qu’un homme aussi attaché à la tradition veuille marquer son mandat en érigeant un temple qui devienne le berceau d’un nouveau mai 68. Giscard est de ceux-là mais il se tait laissant son éléphantesque lieutenant le prince Poniatowski étriller l’un des barons du gaullisme, l’amer Michel Debré, en l’accusant d’avoir placé la France parmi les fournisseurs de mort en livrant des avions à la Lybie et en le comparant à Bazil Zaharof, le marchand de canons du début du siècle.  Mais tout cela n’est que clapotis face au bordel qui règne dans beaucoup de secteurs du pays. Le Président s’en irrite, il trouve que son Premier Ministre fait preuve de laxisme. En effet, l’Université reste un cloaque, le campus de Nanterre est placé sous la protection de la police, de graves incidents ont lieu à la Faculté de Droit d’Assas où le bilan est lourd : 60 policiers, autant de manifestants blessés et des dégâts matériels importants. Longuet et Madelin cassent du gaucho. Début mars 70, à la veille du congrès de la FNSEA, Hexagone l’émission de FH de Virieu brosse un tableau réaliste de l’évolution du monde paysan, « Adieu coquelicots » choque profondément les dirigeants agricoles de la FNSEA bien moins inféodés au régime que leurs successeurs. Au Parc des Princes, Gérard Nicoud, le nouveau Poujade du CID-Unati demande à tous les travailleurs indépendants de faire la grève de l’impôt et de retirer leurs fonds déposés dans les banques nationalisées. Le 7 avril dans un entretien avec Pierre Desgraupes Chaban monte sur ses grands chevaux, d’un mot percutant il résume sa contre-attaque « il est nécessaire que les casseurs soient les payeurs... » 

 

Ils ne partirent pas, Chloé et lui, le nez au vent pour Berlin-Ouest. Les semaines qui précédèrent leur départ furent toutes entières consacrées à des prises de contact avec des camarades allemands.  Là-bas comme ici les groupuscules florissaient, la méfiance régnait face au risque d’infiltration et, comme la réputation française de légèreté et d’inorganisation ne plaidaient pas en leur faveur, ils ne recevaient que des réponses vagues. Ce fut le hasard qui les tira d’affaires, lors d’une manif contre la guerre du Vietnam, lors de la dispersion ils dégotèrent auprès d’une grande bringue, Ilse Meyer, fille d’un grand industriel allemand, qui avait défilé à leurs côtés, un contact répondant au prénom de Sacha. « Tout le monde à Berlin connaît Sacha... » se contenta-t-elle de leur répondre lorsqu’ils lui demandèrent un peu plus de précisions. « Dites-lui que vous venez de ma part et tout ira bien... Là-bas, c’est encore plus simple qu’ici, c’est noir ou c’est rouge, si tu cries par ta fenêtre « salaud de nazi !  à un mec de plus de 40 ans tu tombes à chaque fois juste... » et, sans aucune retenue, elle avait embrassé Chloé sur la bouche tout en lui pelotant les fesses. Sa compagne, une hommasse, plate comme une limande, avec ses poignets de force cloutés et ses Doc Martens, mit fin aux effusions en les traitant de « Grosses salopes ! » Autour d’eux les slogans contre les faucons du Pentagone, Harry Kissinger, Lyndon Johnson et le napalm de l’impérialisme américain couvraient les cris et les jurons de celle qu’Ilse tirait par la manche de son Perfecto : « Allez viens ma grande, les mecs sont tous des porcs... ». Rétrospectivement ça faisait sourire Benoît car, dans le Berlin coupé en tranches, « le Schweinesystem : le système des porcs », dans la bouche de l’ultragauche ouest-allemande, qualifiait la collusion des chrétiens-démocrates avec l’impérialisme américain. Le problème là-bas, avec le foutu mur, c’était que le plutôt rouge que mort sonnait encore plus faux qu’à Paris car l’Ours soviétique et ses alliés de la RDA faisait bander mou beaucoup des révolutionnaires en peau de lapin.

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6 juin 2018 3 06 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H l’élection surprise de Michel Rocard, secrétaire-général du PSU, dans la 4ième  circonscription des Yvelines, où il bat l’ancien 1ier Ministre Maurice Couve de Murville, donne la première impulsion à la trajectoire de celui qui va devenir le chouchou des sondages. (113)

Tout le monde depuis son accession à l’Elysée se gargarisait de l’omniprésence du nouveau Président mais en cela, d’une manière directe, sans prendre de gant, il ne faisait que pousser à son terme la logique présidentielle de la Ve République voulue par de Gaulle : le Parlement c’était le honni régime des partis de la défunte IVe. Dans son bouquin, Le Mal Français, Alain Peyrefitte, relate un entretien avec Pompidou, où celui-ci lui confie « Société bloquée, nouvelle société... ce sont les dadas du Club Jean Moulin... La société n’existe pas, il n’y a que les individus et la France... Faire du neuf, on ne fait jamais du neuf ! Ce sont des fantasmes d’adolescents ou de romantiques ! Il n’y a jamais de pages blanches ! On doit se contenter de poursuivre une tapisserie entamée par d’autres et dont la trame nous est imposée... Le patron, c’est moi. Ce que le Général aura légué de meilleur en France c’est la prééminence du Président. Laisser le pouvoir suprême repasser la Seine, permettre que les grandes décisions qui commandent l’avenir se prennent à Matignon et non à l’Elysée, cela voudrait dire à brève échéance que l’Assemblée reprendrait le dessus. On reviendrait au régime des partis et à l’instabilité ministérielle. » On ne saurait être plus clair, les parlementaires godillots et les Ministres potiches ne datent pas d’aujourd’hui mais eu égard au poids de certains, Giscard tout particulièrement, un pacte de non-agression est conclu entre l’UDR et les RI. Dans ce paysage d’apparence pacifié l’élection surprise de Michel Rocard, secrétaire-général du PSU, dans la 4ième  circonscription des Yvelines, où il bat l’ancien 1ier Ministre Maurice Couve de Murville, donne la première impulsion à la trajectoire de celui qui va devenir le chouchou des sondages. En ce temps-là les challengers avaient de la moelle bien plus que les apparatchiks actuels, comme la vieille haridelle de Mélenchon ou le cul pincé de Benoît Hamon.

 

Pour bien s’imprégner du climat de cette période, où la Chambre introuvable issue du raz-de-marée de juin 68 ne représentait pas le pays réel mais était, selon Pompidou, un ramassis « d’attitudes mesquines et partisanes, prônant une politique d’ordre moral », il faut insister sur l’omnipotence du couple PC-CGT face au pouvoir. La gauche non-communiste est en miettes et les groupuscules gauchistes ne sont que des frelons que Marcellin attise pour placer ce couple dans une situation ambiguë face à ce que tout le monde appelle encore la classe ouvrière. Pompidou le sait « Notre tâche est de faire tomber le parti communiste dans le trou chaque fois qu’il fait une gaffe. La CGT et le PC avancent lorsqu’ils sentent du mou. Il est inutile d’être aimable avec eux, cela ne sert à rien. Cela conduit à Prague. Le 29 mai 1968, le PC n’est pas allé plus loin parce qu’il savait qu’il y avait les chars devant lui. S’il avait continué, il y aurait eu quarante morts. Je vous garantis que cela se serait passé comme cela » confie-t-il à Raymond Tournoux. Les chars sur la place de la Concorde ce n’était pas, en ces années tristes 69-70, un phantasme mais une idée bien ancrée dans la classe politique non-communiste : en mai 1981 ils seront nombreux à boucler leurs valises pour fuir vers la Suisse face à l’imminence de l’arrivée des chars du Pacte de Varsovie sur cette place-clé. La droite française ne s’est jamais caractérisée par sa finesse et son intelligence stratégique, Mitterrand saura en jouer à merveille pour prendre Marchais à son propre piège.

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5 juin 2018 2 05 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Marie-France Garaud, jeune et ambitieuse avocate, qui avait gagné la confiance de Pompidou en démêlant l’imbroglio de l’affaire Markovic (112)

L’UDR se taillait la part du lion dans le gouvernement Chaban : 27 maroquins – Union pour la Défense de la République, rien que ça – première déclinaison depuis la création en octobre 1958 d’un réel parti gaulliste : l’UNR héritière du feu RPF, ce dont se souviendra Jacques Chirac lors de son OPA sur la vieille maison après son coup de poignard dans le dos de Chaban en 1974 en créant le RPR habile fusion du vieux fonds de commerce gaulliste et de l’appareil verrouillant la mainmise du parti dominant sur la République. Trois Ministres d’État : l’amer Michel Debré à la Défense, le mystique Edmond Michelet aux Affaires Culturelles – on était loin des paillettes et des affaires – et l’apparatchik Roger Frey au poste clé des Relations avec le Parlement. Les centristes ralliés à Pompidou, comme toujours, jouaient les paillassons : René Pleven à la Justice, Jacques Duhamel à l’Agriculture et Joseph Fontanet au Travail. Ce ne sont pas eux qui troubleront les nuits du madré de Montboudif alors qu’en revanche le retour du déplumé de Chamalières, encore jeune et fringant, Giscard dit d’Estaing – la saillie pince-sans-rire du Général, à propos de l’annexion en 1922 du noble patronyme de d’Estaing par Edmond Giscard, lorsque le Ministre des Finances voulut que son nom, à l’instar de celui du père Pinay, soit donné à l’emprunt qu’il allait mettre en œuvre : « Vous avez raison, Giscard cela fera un joli nom d’emprunt » - ne l’enchantait guère. Il voulait Pinay au Finances et Giscard à l’Éducation pour remettre de l’ordre dans le « bordel » initié par Edgard Faure – ce dernier étant le sacrifié du nouveau régime – mais le rentier de Saint Chamond refusa car il voulait avoir les mains libres pour purger les effets sociaux des accords de Grenelle post-soixante-huitard. Georges Pompidou avait toujours en travers de la gorge, les « cactus », le « oui mais », et l’attitude de Giscard à son égard en mai 68, mais comme celui-ci l’a appuyé de manière décisive contre Poher, son entrée au gouvernement était évidente. Le maintien de Marcellin le pétainiste à l’Intérieur, étiqueté RI mais hostile au « modernisme » de Giscard, marquait la volonté de Pompidou de garder la haute main sur le Ministère de l’ordre et des élections. Les ambitions du maire de Chamalières, mijotées dans l’ombre par son porte-flingue Michel Poniatowski étaient trop voyantes pour ne pas être surveillées comme du lait sur le feu.

 

Pompidou ne s’en tenait pas qu’au verrouillage du gouvernement Chaban, il bouleversait aussi l’organigramme de l’Elysée en mettant fin à la dualité Secrétariat-Général et Cabinet, le premier absorbait le second. Sous de Gaulle, dans l’ombre, le Secrétaire-Général, jouait un rôle capital. Interlocuteur privilégié du chef de l’Etat il était le seul membre de l’équipe à pouvoir entrer à tout moment dans le bureau présidentiel. Le nouveau Secrétaire-Général était l’énigmatique Michel Jobert flanqué d’un adjoint le byzantin Edouard Balladur. Très vite la césure entre la tendance « rive gauche » décidée à donner ses chances à la « nouvelle société », et la tendance « rive droite » résolue à avoir la tête du folâtre Chaban, se dessinait dans l’entourage de Pompidou. L’ancien mendésiste Jobert, sincèrement européen, qui, selon Viansson-Ponté, « est le personnage le plus important de l’Elysée soutiendra loyalement les thèmes progressistes du chef du gouvernement. Balladur, « solide, subtil, distant, rapide » selon Jobert, dévoué à Georges Pompidou, même s’il jugeait aventureux certains projets de Chaban, fera preuve à son égard d’une grande correction. L’autre tendance est emmenée par un personnage qui cultivait son image de la droite France profonde, ultranationaliste : Pierre Juillet. Il était chargé de mission et flanqué de la redoutable Marie-France Garaud, jeune et ambitieuse avocate, qui avait gagné la confiance de Pompidou en démêlant l’imbroglio de l’affaire Markovic. C’était une passionnée, directe, cynique, qui gardait un chien de sa chienne à Chaban car celui-ci l’avait éconduit sèchement lorsqu’elle postulait à son cabinet de la Présidence de l’Assemblée. Impitoyable, bluffeuse, elle allait de suite tout tenter pour nuire au chef du gouvernement. En marge, à côté de ce beau monde, le très fameux secrétariat général pour les affaires africaines et malgaches tenu par le redouté taulier Jacques Foccart dont les fonctions officieuses couvraient un large champ dans le marigot gaulliste où se mêlaient les services secrets, les barbouzards, les affairistes et tout un petit monde interlope où je nageais comme un poisson dans l’eau.

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4 juin 2018 1 04 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Dans l’entourage du maire de Bordeaux les mendésistes François Bloch-Lainé et Simon Nora, le syndicaliste CFDT Jacques Delors témoignaient de ce souci d’ouverture (111)

Chloé accepta d’accompagner Benoît à Berlin, elle trouvait son plan assez minable mais faisait contre mauvaise fortune bon cœur en comprenant qu’il n’était pas possible de faire une omelette sans casser des œufs. Tout se passa comme prévu sauf que les guetteurs pris d’une trouille prémonitoire se tirèrent avant même que les bourres n’interviennent. Marcellin furax passa un savon aux chefs mais empocha les dividendes de l’opération en exhibant auprès de journalistes triés sur le volet les tracts de la GP trouvés sur place. La presse de gauche cria à la manipulation et la Cause du Peuple publia un texte tellement obscur et embrouillé sur l’affaire que cela eut pour effet d’accréditer la version de Marcellin tout en jetant un profond trouble jusque dans son état-major : les soupçons de traîtrise pourrirent plus encore les débats et surtout paralysèrent toutes nouvelles tentatives de financement de l’armement des masses par des coups de mains audacieux. Les délices des débats, fumeux et interminables, et la cascade des autocritiques permirent à Benoît de jouer sa carte allemande sans aucun risque. Restait à traiter son cher Ministre : allait-il le laisser tomber sans un mot d’explication ou bien serait-il de meilleure politique de lui vendre une version enluminée de son périple européen ? De toute façon Benoît ne pouvait échapper à l’explication que Chalandon avait souhaitée sur le tarmac de Villacoublay. Tout ce que Benoît avait réussi à obtenir, en prétextant des problèmes de santé, ce fut un délai. Chloé lui sauva la mise en le voyant préoccupé « Dit lui que nous partons en voyage de noces, je suis certaine qu’il n’y verra rien à redire... » C’est qu’il fit le soir même. Le bel Albin peu convaincu sourit mais sa bonne éducation lui interdit de le soumettre à la question. Ses relations avec Marcellin le préoccupaient manifestement plus que la situation matrimoniale de Benoît qui fit long mais simple en mettant en avant sa relation privilégiée avec le père de Marie, grand ami de madame Pompe, pour lui expliquer qu’il lui servais d’intermédiaire auprès du Ministre de l’Intérieur depuis l’affaire Markovic dans laquelle il s’était beaucoup impliqué pour défendre l’honneur de Claude Pompidou. La stature de l’homme impressionnait manifestement son cher Ministre qui écouta son récit sans l’interrompre. En le raccompagnant à la porte de son bureau, avec un large sourire il lui dit « Je vous fais porter un cadeau de mariage dès demain matin... » L’archange Gabriel, qui pointa son museau dans l’antichambre, se crut obligé de présenter à Benoît ses félicitations ce qui lui valut l’ironie de son cher Ministre « Vous devriez prendre de la graine Gabriel, célibataire à votre âge ça fait jaser... »

 

En remettant son ouvrage sur le métier Benoît prenait conscience que la toile de fond politique des années Pompidou, ce septennat étrange où l’héritage de l’homme du 18 juin, parti en une retraite hautaine et désabusée à Colombey puis en Irlande, venait d’être recueilli par l’homme qui avait tué le père. Légitime certes, mais comme l’avait mis crument en lumière l’affaire Markovic Georges Pompidou n’était pas considéré par beaucoup de grognards du gaullisme, les fameux barons, comme un homme susceptible de perpétuer l’œuvre du Général. La désignation de Chaban-Delmas au poste de 1ier Ministre répondait donc au souci du normalien de Montboudif, à la fois de rassurer ces derniers, tout en affichant une volonté de dialogue avec des personnalités de droite jusqu’ici opposées au régime. Dans l’entourage du maire de Bordeaux les mendésistes François Bloch-Lainé et Simon Nora, le syndicaliste CFDT Jacques Delors témoignaient de ce souci d’ouverture. Mais, il ne faut pas se laisser leurrer par ces affichages dès les premiers jours du septennat, entre un Pompidou très attaché à la primauté absolue du Chef de l’État et un Chaban modelé par les jeux subtils de la IVe la ligne de fracture se dessinait.

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3 juin 2018 7 03 /06 /juin /2018 07:00
;) Jean-Paul Sartre, painted on a wall of The Abode of Chaos, a Museum of Contemporary Art located in Saint-Romain-au-Mont-d'Or.

;) Jean-Paul Sartre, painted on a wall of The Abode of Chaos, a Museum of Contemporary Art located in Saint-Romain-au-Mont-d'Or.

Le Gustave ça lui avait coupé la chique, les larmes lui étaient venus aux yeux, il empoigna Benoît par les épaules « Bordel de merde, venant de toi mon grand le compliment me retourne comme une crêpe. Tu m’diras que c’est plutôt mon truc d’me faire retourner mais là tu me troues ! Allez ça s’arrose j’vais faire péter une roteuse de première ! » Le Gustave carburait maintenant au Moët ce qui peut expliquer qu’avec sa bande de traîne-lattes la caisse du théâtre populaire s’apparentait au tonneau des Danaïdes et qu’il a vite sombré. Sans le vouloir Benoît venait de gagner la partie, comme si son estime proclamée, tel un attendrisseur, avait transformé cette vieille carne de Gustave en perdreau de l’année. Il en profita pour vider mon sac sans précaution : le projet des frelons tira de la roulure des commentaires offusqués « Non, y sont encore plus dingues que j’le pensais. Y’s’prennent pour la bande à Bonneau. Faut pas laisser faire ça mon mignon. Ces bavassous vont à l’abattoir, ça va être un carnage... » Benoît opina gravement. « Qu’est-ce je peux faire mon grand ? » Benoît l’encourageait du regard, Gustave se grattait les couilles : « Faut que je vois le Grand Chef... » soupirait « Y va pas t’écouter, il n’écoute personne... » Du tac au tac, sans préméditation, Benoît rétorquait « Si, toi ! » Gustave rotait d’aise. « Ce n’est pas con ce que tu viens de dire mais le problème c’est qu’est-ce que je pourrais bien lui dire à ce petit con ? » Benoît lui tendait une coupe « Ça je m’en occupe... » Gustave fronçait les sourcils « Mouais t’en ai capable mais faut pas que ça bousille ma position auprès de ce petit monde. Tu comprends j’ai un standing à tenir avec le beau linge comme le bigleux de Sartre et tout le fourniment. Si je leur parais tiédasse y vont prendre pour un jaune... » Le pépère Gustave s’inquiétait surtout pour son pèse et ce souci fournissait à Benoît le plan pour se sortir de la mouise. « Tu vas lui dire que c’est toi qui va faire le coup... » Gustave s’étranglait. « T’es louf ! Je ne vais pas faire dans la cambriole pour me retrouver à l’ombre... » Benoît le rassurait « Ce sera du bidon arrangé par la grande maison... » Il se détendait « Pas con comme embrouille... mais le pognon où est-ce qu’on va le trouver ? » Benoît poussa ses pions « Pas de problème j’ai du crédit... » L’œil de Gustave s’animait. « Bien évidemment, au passage tu prélèveras ton pourcentage pour tes faux-frais... » Gustave se rembrunissait « La maison poulagas va jamais vouloir lâcher du pèze pour que ces petits cons achètent de l’artillerie... » L’objection tenait mais Benoît, toujours en verve, rétorquait « Dans cette affaire tout le monde sera cocu... » Gustave se grattaient à nouveau les roubignols en regardant benoît d’un air inquiet « Qu’est-ce t’entends par là ? » Benoît servait deux nouvelles coupes en lâchant « Je vais t’expliquer mon plan... » 

 

Son plan était aussi tordu qu’un cep de Carignan centenaire. Gustave en restait pantois. Tout reposait sur ses épaules.

 

Acte 1 : il vendait au Guide suprême de la GP la reprise à son compte du coup de main. Facile, d’après lui.

 

Acte 2 : avec l’aide de la Grande Maison nous montions un faux traquenard dans une succursale du Lyonnais où seuls nos petits camarades de la GP, chargés de faire le guet, se feraient gentiment alpaguer alors que nous, certes bredouilles, nous en réchapperions.

 

Acte 3 : le soir même avec Gustave, pour rattraper le coup raté,  nous cambriolerions l’appartement du père de Marie.

 

Acte 4 : de retour auprès de nos camarades, magot en lieu sûr, nous leur déclarerions avoir été trahis dans l’affaire du Lyonnais et, qu’en attendant la nécessaire épuration interne, nous mettions sous séquestre le trésor de guerre.

 

Merdier assuré à tous les étages de la GP et, bénéfice net pour Marcellin du côté de la presse et de l’opinion publique apeurée, sa police venait de déjouer, sans casse, un hold-up de la fraction la plus activiste des enragés. Seules victimes collatérales de l’opération : les trois ou quatre branleurs de la GP épinglés par la poulaille. Gustave les choisirait parmi les plus beaux représentants des fils de la haute bourgeoisie universitaire afin que la mobilisation en leur faveur dans la presse bien-pensante de gauche soit maximale. Marcellin avait signé des deux mains. Certains des collègues de Benoît tiraient la gueule : ça sentait l’arnaque mais puisque la hiérarchie couvrait ils ne firent aucune objection.

 

L’Acte 5 restait top secret, seul Marcellin était dans la confidence : le fameux magot, soi-disant dérobé au père de Marie, servirait de couverture à Benoît pour son périple à Berlin Ouest. Gustave, trop heureux d’empocher un beau paquet, s’en laverait les mains auprès de ses admirateurs de la GP en déclarant que l’urgence révolutionnaire exigeait que ce bel argent aille à l’avant-garde de l’Internationale Terroriste. Les petites bites françaises de Benny Levy goberaient l’argument sans regimber et surtout, ils ne manqueraient pas d’en répandre l’info dans le petit monde des gauchistes européens. S’ils tardaient à le faire des fuites organisées par la grande maison ce qui permettrait à Benoît de débarquer à Berlin-Ouest dans les meilleures conditions.

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2 juin 2018 6 02 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Gustave la balance se bâfrait, picolait, forniquait dans une ambiance digne de la décadence de l’Empire Romain. (109)

Dès sa sortie de la place Beauvau Benoît sonnais le rappel de sa petite troupe pour qu’elle déniche au plus vite cette vieille roulure de Gustave qui, profitant de son relâchement, n’avait pas donné signe de vie depuis plusieurs semaines. Lui seul pouvait lui permettre d’accéder dans les plus brefs délais au reclus de la rue d’Ulm, le chef « clandestin » de la GP Pierre Victor-Benny Levy. Son plan, pour stopper l’escalade de la branche armée de la GP, était simple comme une alternative : soit il arrivait à le convaincre, soit il l’achetait. Benoît aurait pu laisser faire, mais la prise de risque pour sa petite entreprise se révélait maximale dans tous les cas de figures. En effet, si la tentative de hold-up tournait au fiasco avec mort d’hommes dans l’un ou les deux camps, il savait qu’il ne se sentirait plus le courage de continuer à faire joujou dans une mare de sang. La position de Marcellin sur le sujet restait ambiguë : l’attaque d’une banque par la GP conforterait son discours sur le tout répressif pour éradiquer la subversion liée au terrorisme international mais il ne fallait pas que ça dérape car le PC ne manquerait pas d’accuser le pouvoir de collusion avec les gauchistes. Le scénario idéal pour lui consistait dans une belle souricière juste à l’instant du passage à l’acte qui conforterait l’image d’une police efficace. Dans cette hypothèse l’implication de Benoît se devait d’être maximale pour maîtriser le détail de l’opération voire s’impliquer personnellement dans l’action du commando. L’amateurisme de la branche militaire de la GP, arme au poing, lui faisait bien sûr craindre le pire. Il se devait donc de tuer la tentative dans l’œuf en faisant croire ensuite à ses chefs que ce n’était un bobard. Gustave ne se ferait pas prier pour confirmer ses dires. Convaincre le Guide lui paraissait hors d’atteinte car le mythe de la lutte armée le fascinait et que pour tendre des fusils aux larges masses il fallait au préalable accumuler du fric pour les acheter. Restait à tenter de le corrompre ce qui lui semblait encore plus mal aisé mais il n’avait pas d’autre choix que d’aller se confronter à lui.

 

Gustave, grand intellectuel s’il en faut, délaissait l’action directe pour se consacrer au théâtre d’avant-garde : la subversion des larges masses passait d’abord par les mots chuintait-il à qui voulait bien l’entendre. Ce fut Marie-Églantine, la nièce de Raymond qui nous le débusqua. L’outre à bière pérorait derrière le bar de son théâtre entouré de sa Cour qui, tout en bitant que dalle, à son ch’timi révolutionnaire, le considérait comme l’expression la plus accomplie de l’alliance du prolo avec la fine fleur des intellos. La Marguerite Duras, Maurice Clavel et Claude Mauriac lui servaient de caution. Bref, la balance se bâfrait, picolait, forniquait dans une ambiance digne de la décadence de l’Empire Romain. Quand Benoît pointa sa truffe dans son antre notre homme, entouré de deux nymphettes aux cheveux sales et aux regards envapés, arborait une tenue digne de Jean Gabin dans la Bête Humaine. Gustave l’accueillit avec les honneurs dus à son rang d’une rude accolade accompagnée d’un discours bien troussé. Le Gustave s’imbibait vite des tics de l’intelligentsia en ponctuant ses dires de « C’est divin ! C’est génial ! C’est la revanche du peuple ! » Il fit faire à Benoît la tournée du propriétaire de son pot au miel « Ça attire les guêpes mon grand et c’est bon pour notre blot... » lui disait-il en lui lançant un clin d’œil appuyé. Comme il se doutait bien que sa venue n’avait rien de littéraire, avant de se mettre à table, il tenta tout de même une petite diversion « Si ça te dis de t’faire pomper avant qu’on s’tape la cloche j’ai une fille de Procureur qu’a vraiment de belles dispositions. En plus, toi qu’aime les bourges aux belles manières c’est la seule qui ne soit pas une mochtée... » Pour la première fois depuis que nous nous connaissions Benoît le trouvais drôle, bien dans sa peau d’histrion, de fouteur de merde et il le lui dit.

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1 juin 2018 5 01 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Ça le faisait jouir, le maire de Vannes, d’entendre les cris d’orfraies des intellos de gauche, c’était comme si lui, le bon chrétien qui va à la messe le dimanche avec bobonne, les niquait profond sans avoir besoin d’en confesser sa faute. (108)

Benoît, au lieu de profiter de son avantage – ce qui à court terme aurait pu flatter mon ego mais qui, sur le long terme se serait révélé contre-productif : un Marcellin humilié ne lui pardonnerait jamais –il proposa au Ministre de s’investir plus encore sur un sujet qui lui tenait particulièrement à cœur : l’Internationale gauchiste. Ce nouvel avatar de leur entretien plut d’emblée à Marcellin, ils allaient pouvoir manger dans la même écuelle en toute confraternité. Au grand banquet de la manipulation, des coups fourrés, à qui baise qui, seuls ceux qui n’ont aucun souci de l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes peuvent espérer en l’avenir. Touiller dans la merde, y mettre à l’occasion la main, provoque dans la cohorte des signataires de pétition des hauts le cœur. Pour eux, la basse police s’apparente à une forme de sodomie des libertés fondamentales. Ça le faisait jouir, le maire de Vannes, d’entendre les cris d’orfraies des intellos et des bourgeois de gauche, c’était comme si lui, le bon chrétien qui va à la messe le dimanche avec bobonne, les niquait profond sans avoir besoin d’en confesser sa faute. La proposition de Benoît le comblait d’aise ce qui ne l’empêchait pas de le prévenir que tout ce qui se passait hors de nos frontières n’était pas de son ressort. En clair, tu tires les marrons du feu si tu t’en sors mais ne compte pas sur moi pour te tirer d’un mauvais pas. Benoît en convint en lui demandant d’éviter les fuites en direction de la Piscine. « Vous plaisantez j’espère ! L’idée ne m’aurait jamais effleuré l’esprit. J’ai en profonde horreur ces culottes de peau prétentieuses et inefficaces. Rien que des j’en foutre, des demi-soldes, dans l’affaire que vous évoquiez, avec pertinence, tout à l’heure ce sont certains d’entre eux qui ont monté la machine contre le Président. Par bonheur notre bonne vieille PJ a fait son boulot... » Benoît apprécia toute la saveur de l’évocation de sa pertinence mais, plus prudent qu’un chacal, il rajouta une couche de flagornerie.

 

« Permettez-moi, monsieur le Ministre, d’imaginer que vous ne m’avez pas convoqué ce matin pour que vous puissiez me fournir de faux passeports... Je me tiens à votre entière disposition avant mon départ pour remplir la mission que vous vouliez me confier... car je suppose que telle était votre intention... » Marcellin en resta, un instant, stupéfait de voir ce soi-disant petit branleur magouillant avec les RG lui dicter la conduite à tenir. Il grommela « Vous devriez faire de la politique... » avant de se raviser goguenard « En fait je ne crois pas, vous êtes trop intelligent pour vous fourvoyer avec ce troupeau de minus... » L’avertissement était sans frais, Benoît cessa de la ramener car il risquait de perdre tout le bénéfice de l’avantage qu’il venait de gagner. Le Ministre rejoignit son bureau d’un pas lourd, il se saisit d’une chemise cartonnée, sans même le regarder, à son tour il le prenait de court « Avant d’aller à Rome vous allez d’abord vous rendre à Berlin-Ouest. Les gauchistes teutons me semblent bien plus dangereux pour nous que leurs confrères ritals, le voisinage de l’Est les rends plus perméable aux manipulations des cocos. Vous parlez l’allemand ? » La réponse négative de Benoît ne le démonta pas « Alors vous emmènerez votre dulcinée qui elle, je suppose, est polyglotte et, comme elle est bien introduite dans l’Internationale gauchiste ça ne peut que faciliter l’infiltration... » Marcellin savourait le fait d’avoir repris la main, il lui tendit la chemise défraichie « Vos petits copains envisagent de perpétrer un hold-up dans une succursale du Crédit Lyonnais pour alimenter leur trésor de guerre. Je compte sur vous pour m’en dire plus que ce qu’il y a dans ce fichu dossier, soit presque rien... »   

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31 mai 2018 4 31 /05 /mai /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Le niveau d’information de Benoît sur l’affaire Markovic le rangeait dans la classe de ceux avec qui il faut conclure un pacte de non-agression (107)

Même si Marcellin n’avait jamais fréquenté l’école des cadres du PC, et aucun doute n’était possible vu son passé Vichyssois, il appliqua à Benoît, pendant le premier quart d’heure, un traitement de choc s’inspirant largement des principes de l’intimidation maximale chère aux héritiers des soviets. Son dossier, était lourd, à charge, fort bien préparé par ces messieurs qui, en rang d’oignons, affichaient des mines faussement contrites en contemplant Benoît avec commisération. Le problème pour eux c’est que ce dossier était aussi plein de trous, de belles brèches dans lesquelles Benoît allait s’enfourner une fois l’orage passé. Marcellin, il le sentait, plus il tapait sur le clou plus il doutait du bien-fondé de sa méthode. Pourquoi ? Benoît ne saurait le dire mais, sans doute, l’instinct, la prescience que ses munitions, certes bruyantes, relevaient plus de l’opéra-bouffe que de la bonne police. Pour Marcellin, au fur et mesure qu’il assénait des reproches cinglants plus ceux-ci prenaient la tournure de vrais compliments : « Un vrai bourrin, obtus, obéissant, ne lui paraissait pas en mesure d’accumuler autant de conneries sensées ». L’ennui amusé de Benoît devait aussi transparaître. Brutalement, alors que Benoît affutait sa contre-attaque, Marcellin s’interrompait. Soupirait. Allumait une cigarette l’air mauvais. Les chefs prenaient peur Benoît le voyait dans leurs regards de cireurs de pompes lécheurs de bottes. « Messieurs, vous pouvez prendre congé... » Le geste accompagnait la parole, un rien méprisant et impatient. Les hauts-fonctionnaires, tels des généraux répudiés, dignement, un à un, se retiraient après avoir exprimé leurs respects à Monsieur le Ministre. « Accompagnez ces messieurs... » L’adresse frappait le Directeur de cabinet alors qu’il s’attendait à être épargné. Il ne mouftait pas. Marcellin bouffait de la fumée avec une délectation malsaine. Toujours debout, j’attendais. « Asseyez-vous et dites-moi tout... »

 

Affirmer que le soudain renversement de situation ne prit pas Benoît de court serait mentir. Face à un Marcellin toujours debout, clope au bec, l’œil narquois il mit un peu de temps à reprendre mes esprits. Son apparent désarroi dut convaincre le Ministre que sa stratégie était la bonne et qu’il allait se déballonner, se mettre à table. Pour reprendre pied Benoît adopta un ton désinvolte : « Avant de tout vous dire, je prendrais bien à café... » Sa requête fit sourire Marcellin, il devait penser, « Ce petit con veut gagner du temps mais je le tiens par les couilles et il ne va pas s’en sortir avec des provocations... » Y’avait chez lui du Pompidou, le côté pesant, madré, retors, mais sans la finesse du normalien de Montboudif. Pour se tirer les roupettes de ses grosses pognes Benoît allait devoir accepter de jouer avec lui dans le caniveau, pas finasser, le Raymond n’appréciait pas les intellos, les faiseurs de théories. Fallait que Benoît marque d’entrée son territoire avec du foutre bien chaud, bien gluant, pour que cette vieille crapule comprenne vraiment à qui il avait à faire. Les plaies mal cicatrisées, celles qui démangent encore, constituent le lieu privilégié des attaques les plus virulentes. Verser un peu de vinaigre, goutte à goutte, en évoquant le souvenir des saloperies fabriquées de toute pièce contre le couple présidentiel par exemple, sans, bien sûr, mettre en doute la bonne foi du Ministre dans cette sale affaire mais seulement en lâchant quelques noms, comme ça, l’air de rien, sur le ton de la confidence. Les politiques, surtout ceux de l’acabit de Marcellin, ne se laissent jamais impressionner par le rappel de leurs vilenies ou de leurs mauvais choix, bien au contraire ils en tirent parti pour rebondir. Le niveau d’information de Benoît sur l’affaire Markovic le rangeait dans la classe de ceux avec qui il faut conclure un pacte de non-agression. La cendre de sa clope poudrait le revers du veston de Marcellin et le tapis, preuve de l’extrême attention de Monsieur le Ministre de l’Intérieur aux propos d’un sale petit branleur. Son « Qu’attendez-vous de moi ? » sonnait l’heure d’un changement de tactique.

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