J’ai enfin fait mon deuil.
Toute une vie pour revenir à la vie, traverser mon chagrin, lâcher mon refus, ne plus maîtriser mes émotions et accepter la réalité de la perte.
« Le travail du deuil est incompressible, on ne peut ni l’accélérer ni sauter des étapes. Il ne connaît pas le temps, il a ses tours et ses détours, ses haltes, on ne peut que se rendre disponible pour ne pas entraver ses mouvements. »
« On devient jeune à 60 ans. Malheureusement c’est trop tard. »
Pablo Picasso
Entre Marie et Émilie, ma vie, trop tard !
Moi je me souviens du 24 mai 68
Elle et moi, comme isolé du monde, nous étions seuls au monde, sur une île, genoux contre genoux car elle venait de s'asseoir face à moi. Ce elle me crispait. L'échange était inégal. Insoucieuse de mon infériorité, elle se penchait vers moi pour me murmurer à l'oreille, en pouffant, « vous croyez que nous allons bâtir un monde meilleur... » Tout en m'extasiant sur ce nous, que je réduisais à deux, je réfrénais mon envie d'effleurer de mes lèvres la peau ambrée de son cou. Une trace de sel, d'embruns, je la sentais naïade. Tel un naufragé, abandonnant le souci du bonheur de l'humanité opprimée, je m'agrippai à cette intuition en lui posant une question étrange : « aimez-vous la mer ? »
Marie aimait l'océan. Dans son maillot de bain une pièce blanc nacré elle était sirène glissant vers le large pour n'être plus à l'horizon que le petit point blanc de son bonnet de bain. Moi, terrien balourd, emprunté je l'attendais, un peu anxieux, debout sur la grève. Elle était mon Ursula Andress que j’enveloppais à sa sortie de l’eau dans un grand drap de bain. La frictionner. Lui dire que ne nous ne nous quitterions jamais. Elle répondait oui vif et enjoué. La serrer fort pour entendre son coeur cogner contre ma poitrine.
Ce premier jour d'elle, à la terrasse du Conti, place Royale, pendant le temps où elle ne fut encore qu'elle, j'en garde bien plus qu'un souvenir, je le revis chaque jour. À ma question idiote elle avait répondu, en empoignant son grand cabas de fille, un oui extatique, en ajoutant « c'est mon univers Benoît... »
Nous nous étions levés, hors le monde, ce monde plein de bruits et de fureur. Naturellement elle avait glissé son bras sous le mien. Devant nous les cercles s'ouvraient. Nous les fendions sourire béat aux lèvres. Nos amis, nos camarades, des à elle, et des à moi, nous lançaient des petits signes de la main. Aucun ne s'étonnait de nous voir ainsi, c'était cela le charme de mai, ce doux parfum de folle liberté, coeur et corps, hors et haut. J'étais fier. Elle traçait un chemin droit. Nous laissâmes le fracas de la nouvelle place du Peuple derrière nous. Sur le cours des 50 otages nous croisions un groupe de blouses blanches remontées, bravaches comme s'ils allaient au front. Dans le lot, un grand type tweed anglais, nœud papillon et Weston, gesticulait plus que les autres, l'oeil mauvais et le rictus aux lèvres. Arrivé à notre hauteur, il vociférait :
- Alors Marie on se mélange à la populace...
Les doigts de Marie se faisaient fermes sur mon bras. Nous passions outre. Elle, devenue soudain Marie par le fiel de ce grand type hautain, d'une voix douce, me disait comme à regret, « ne vous inquiétez pas Benoît, ce n'est qu'un de mes frères... Il est plus bête que méchant... » Son vouvoiement, léger, mutin, me transportait, tout en elle me plaisait. Elle m'emballait. Je la suivais. Sur le trottoir du grand magasin Decré Marie me montrait un vieux Vespa vert d'eau. Nous l’enfourchâmes. Tous les gestes de Marie étaient déliés, aériens, dans ma tête en éruption je me jurais que je la suivrais tout autour de la terre, tout au bout du monde, là où elle voudrait. Pour l'heure, sans casque, nous filions vers Pornic. Filer est une façon de parler car l'engin ronronnait comme un vieux matou, il nous laissait le loisir d'apprécier le paysage et de papoter. Tout un symbole, Marie pilotait et moi, avec délicatesse, j'enserrais sa taille et je l'écoutais. Quel bonheur de se taire. Marie volubile parlait, parlait de moi et j'avais le sentiment de faire partie de sa vie depuis toujours. Spectatrice de nos palabres interminables elle avait su pénétrer dans les brèches de mon petit jardin d'intérieur. Moi, le si soucieux de préserver l'intégrité de celui-ci, sans me cabrer, j’entendais Marie la douce me dire tout ce que je refusais d’entendre.
Marie, son prénom, son scooter vert et son grand frère arrogant, voilà en tout et pour tout ce que je savais d'elle et l'affaire était pliée. J'allais passer ma vie avec cette grande fille droite et simple. Nous sommes allés manger des berniques et des sardines grillées sur la terrasse d’un petit restaurant aux volets bleus. Nous étions les seuls clients. Le serveur, sans doute impressionné par nos airs extatiques, nous offrait Françoise Hardy :
Tous les garçons et les filles de mon âge
Se promènent dans la rue deux par deux
Tous les garçons et les filles de mon âge
Savent bien ce que c'est qu'être heureux
Et les yeux dans les yeux et la main dans la main
Ils s'en vont amoureux sans peur du lendemain
Oui mais moi, je vais seule par les rues, l'âme en peine
Oui mais moi, je vais seule, car personne ne m'aime...
Le 45 tours du juke-box grésillait. Je disais à Marie : « J’aime bien Françoise Hardy…
Elle riait : « Et moi tu m’aimes comment ?
- Comme le beurre de sardines...
- J'ai peur... Tu vas me croquer...
- J'hésite...
- Menteur !
- Quand j'étais petit j'aurais vendu mon âme au diable pour une bouchée de pain qui avait saucé le beurre de sardines...
- Je note et je commence à te croire…
- Je t'aime tout court !
- Que tu dis.
- Avant toi je ne l'ai jamais dit.
- Menteur !
- Et toi tu m’aimes ?
- Je ne veux que toi !
- Alors c'est simple, puisque je t'aime plus que le beurre de sardines, je vends mon âme au diable pour toi.
Nos mots, nos rires, nos silences, le Muscadet, les deux babas au rhum couverts de Chantilly, le mitan du grand lit, des draps frais et parfumés, un rideau de gaze qui se gonflait sous la brise, nos caresses, nos premiers émerveillements, le coeur de la nuit, le lisse de ses cuisses, son souffle sur mon cou, nos enlacements, nos maladresses, le rose de l'aurore, la découverte de nos corps, notre désir. Chaque seconde était bonheur, simple comme le bonheur. Mettre des mots sur lui serait le rendre mièvre. Marie et moi on se fichait pas mal de le cerner, de le retenir, il nous était tombé dessus comme ça, c'était bon, c'était à nous rien qu’à nous. Le 24 mai 1968 fut le jour d'elle, le seul jour, l'unique et irremplaçable.
Aujourd’hui, je m’enferme et je pose la première pierre « D’extrait sec. »
Seule la dédicace est couchée sur ma page.
Peut-être ne verra-t-elle jamais le jour par la faute d’un éditeur insoucieux de mes amours.
Qu’importe !
Après le deuil, la renaissance dans la douleur de ce qui ne sera jamais abouti.
J’écris !
Elle est partie au bout de la terre et elle ne pense même pas à moi qui ne pense qu’à elle, ainsi va la vie.
Je m’accroche à la vie en pensnat à ce que me disait ma mère « à l’écoute de toi du passe trop de temps… »
Je lis aussi.
Dans ce texte écrit deux ans avant sa mort, l’ancien Premier ministre, qui n’a «pas une goutte de sang corse» explique pourquoi il voulait reposer à Monticello. Lues par son fils aîné lors de la cérémonie au temple de l’Etoile, ces lignes nous ont été transmises par un ami de la famille.
Michel Rocard : «J’irai dormir en Corse»
Le temps viendra bientôt, pour moi, comme pour tous, de quitter la compagnie des vivants. Enfant de la guerre, préservé presque par hasard des souffrances les plus atroces qu’elle a pu engendrer, j’en ai côtoyé le risque d’assez près pour avoir ensuite voulu découvrir, observer, savoir, analyser, comprendre, visiter aussi les lieux d’horreur d’Alsace, d’Allemagne, de Pologne, plus tard d’Algérie ou du Rwanda. Toute mon adolescence, j’ai rêvé que ma trace soit porteuse de paix. Je ne pense pas avoir manqué à ce vœu. Certains le savent encore en Algérie, tous en Nouvelle-Calédonie, je fus un combattant de la paix. N’était la violence des hommes, la nature étant si belle, la vie aurait toutes ses chances d’être merveilleuse si nous savions y créer l’harmonie. Ce fut l’effort de mon parcours.
Reste un rêve un peu fou, encore un : que ma dernière décision, l’ultime signal, le choix du lieu où reposer, soit pour tous ceux qui m’ont aimé, ou même seulement respecté, une évidente, une vigoureuse confirmation. Après tout, le déroulement de la vie elle-même a son rôle à jouer dans ce choix final.
Sylvie, ma dernière épouse, m’a fait, le temps de ce qui nous restait de jeunesse, redécouvrir l’amour, puis surtout rencontrer sérénité, tranquillité, confiance, le bonheur tout simplement.
A son père adoptif corse, elle doit le sauvetage de son statut social, mais pas l’affection. Elle lui doit pourtant un lieu, celui de ses joies d’enfant, de ses premières et longues amitiés, de l’exubérance de la nature, de sa beauté et de ses odeurs, au fond le lieu de son seul vrai enracinement. C’est un village, Monticello en Balagne.
Je n’ai pas une goutte de sang corse, et n’avais jamais mis les pieds sur l’île avant 1968. Le mois de mai de cette année-là avait échauffé les esprits. Je ressentis puissamment le besoin de rassembler pour une bonne semaine, la quarantaine la plus active d’étudiants et de cadres du PSU. La mutuelle étudiante rendit cela possible en Corse. «De la violence en politique et dans l’histoire, pourquoi ? Jusqu’où ?». Tous les jours exposés, découvertes de textes, réflexions, discussions… Tous les soirs et le dimanche, pour moi, découverte de cette merveille du monde, la Corse, qu’habitaient deux bonnes centaines de militants PSU… Paysans, historiens, chercheurs, animateurs du nationalisme non violent prirent à cœur d’être mes instructeurs. Je découvris la violence de l’histoire corse, ne l’oubliai plus, j’appris surtout à la connaître et à la respecter. J’en parlai beaucoup, j’écrivis même.
Mais je m’occupais d’autre chose, longtemps d’Europe notamment sur la fin. Vint cette situation bizarre où la régionalisation des élections européennes, combinée avec les manœuvres internes au PS firent de moi la «tête de liste» socialiste pour les élections européennes de 2004 en Corse… J’avais sur ma propre tête 22 campagnes électorales de toutes dimensions de la France entière à ma commune. La Corse m’honora de 28 %. C’est le record absolu de toute ma vie sur trente-cinq ans. C’est aussi le record régional du PS à ces élections-là. C’est enfin le record historique de la gauche sur l’île. Et puis Monticello : 37,2 % tout de même. L’occasion ne m’avait jamais été donnée de remercier. Ce sera fait. A Monticello, le cimetière est plein. Ne restait dans la partie haute, au-delà des caveaux, qu’une microparcelle trop petite pour une tombe, suffisante pour deux urnes, au ras de la falaise. Arbres et tombeaux, tout est derrière nous. L’un des plus beaux paysages du monde. Et puis bien sûr, qui dit cimetière dit réconciliation… Le grand Pierre Soulages s’est chargé de pourvoir à ce que les objets à placer là, une urne puis deux, un support, une plaque puis deux, magnifient la beauté du lieu plutôt que de la déparer.
A l’occasion, venez nous voir, me voir : il faut garder les liens. Peut-être entendrez-vous les grillons, sans doute écouterez-vous le silence… A coup sûr la majesté et la beauté de l’endroit vous saisiront. Quel autre message laisser que de vous y convier ?
Michel Rocard ancien Premier ministre
Boualem Sansal : «Nommez l’ennemi, nommez le mal, parlez haut et clair»
Le Monde.fr | 25.03.2016 à 10h13
Si, aujourd’hui, il est un mot à bannir du langage, c’est le mot « résister ». Résister, c’est donner l’avantage à l’ennemi, lui offrir l’honneur de porter le dernier coup, c’est capituler et mourir.
Résister c’est quoi, quand l’ennemi est déjà dans la forteresse et dispose alentour de réserves fraîches qui ne demandent qu’à passer à l’action ? C’est quoi, quand on a si peur de lui qu’on l’appelle ami, qu’on lui trouve toutes les excuses, quand en vérité l’ennemi c’est nous-même ? Il ne faut quand même pas oublier le début de l’histoire : cet ami qui égorge nos femmes et nos enfants et saccage nos demeures, nous l’avons accueilli, couvé, choyé et même, à tout dire, créé. Ben Laden était le fils de qui, le protégé de quelle compagnie ? Khomeiny habitait où, Bouteflika se soigne où et à l’œil, où Kadhafi a-t-il planté sa tente, etc., etc., etc., etc., etc. ? Ces hommes ne sont-ils pas, n’étaient-ils pas des ennemis de l’humanité, de peuples entiers à tout le moins ?
Résister c’est quoi, quand on travaille à faire taire toute contestation dans le pays et empêcher les citoyens de se mobiliser et de monter au front ? Priver un peuple du combat pour sa vie et son honneur, c’est le tuer et le déshonorer, ses enfants ne le lui pardonneront jamais. C’est un génocide. Ce combat, on le mène soi-même, il ne se délègue pas, ne se reporte pas, le sang du peuple doit couler héroïquement pour que les chants de gloire à venir soient de vrais chants.
Ce n’est pas tout. Contre qui et quoi veut-on résister ? Les Chinois, les Martiens, la fièvre jaune, la pollution ? Qui veut-on éliminer : des lampistes, des poseurs de bombes occasionnels, la finance internationale, une religion, une organisation secrète, une secte, des émirs ?
Nommez l’ennemi, nommez le mal, parlez haut et clair, tout est là, le reste est détail, il relève de la technique.
Si les autorités manquent de mots, je peux leur prêter les miens : l’islam radical, l’islam modéré comme son appoint, le salafisme, l’Arabie, le Qatar, les dictatures arabes malfaisantes.
Au stade où en est l’affaire, le seul mot valable est « attaquer ».
Et là se posent deux questions cruciales. La première : sommes-nous capables de nous battre et de verser notre sang si on ne croit pas à nos valeurs, si on les a déjà trahies mille fois ? La seconde : quel est ce brillant et courageux chef qui va nous conduire à la victoire ?
Il faut y répondre avant tout ordre de marche, car s’apercevoir en chemin de l’inutilité de son combat et de l’incompétence de son commandant en chef, c’est offrir gratuitement son cou au couteau de l’ennemi.
Quand on sait cela, on sait se battre et on sait aussi être magnanime. La victoire n’est pas tuer mais sauver, aider, accueillir, construire.
« Aux arrrrmes citoyens, formeeeeez vos bataillons… » est-il toujours l’hymne de ce pays ?
Boualem Sansal, écrivain algérien, a reçu le Grand prix du roman de l’Académie française 2015 pour 2084 : la fin du monde (Gallimard).
Pourquoi nommer les choses
Si les espèces incarnent la vie sous toutes ses formes et que les nommer permet de les sortir de l’anonymat, alors il convient de bien choisir ces noms. Quel bonheur à ce titre que la bien nommée Umma gumma, une libellule étincelante désignée de la sorte en référence à un album des Pink Floyd, Ummagumma (qui signifie « faire l’amour » en argot). Quant aux libellules à longues pattes, Notogomphus kimpavita et N. gorilla, elles furent appelées ainsi en référence au saint patron et symbole de la conservation des régions en Angola et en Ouganda.
Mais qui donc part à la découverte de ces espèces, qui donc les fait connaître au genre humain ? La nature est aujourd’hui prisonnière des demandes et besoins sans cesse grandissants des hommes… L’expertise environnementale est à la solde du marché. Nombreux sont les biologistes qui ne sortent plus de leurs labos et, sans moyens pour découvrir et faire connaître, même les muséums d’histoire naturelle semblent avoir jeté l’éponge.
Seules 9 de nos 60 libellules furent découvertes par l’un d’entre nous alors qu’il travaillait pour une université ou un muséum. 33 autres le furent lors d’une mission de consultation et 18 autres par un professeur. Aujourd’hui, les meilleures recherches en biodiversité proviennent d’amateurs et d’universitaires dévoués qui y consacrent leur temps libre.
Dans nos sociétés gouvernées par l’argent, la bienfaisance réside dans ce que nous faisons à titre gracieux pour les autres. Mais nous ne pouvons pas uniquement nous reposer sur les bonnes volontés pour protéger l’environnement ; de même que nous ne pourrons conduire l’exploration de la vie sur la planète Terre sans de vrais renforts. La nature a besoin de plus d’explorateurs !
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Menteur, narcissique, sociopathe : Donald Trump vu par sa plume cachée
LE MONDE | 18.07.2016 à 16h35| Par Luc Vinogradoff
Donald J. Trump est devenu, à la fin des années 1980, l’incarnation d’une certaine idée du rêve américain : le businessman charismatique et manipulateur, le self-made-man capable de vendre de l’eau à un homme qui se noie, l’homme qui ne doit rien à personne.
Cette image soigneusement entretenue a pris une autre dimension depuis que Trump s’est lancé, avec succès, dans la course pour la nomination républicaine à la Maison Blanche. A quelques heures de l’ouverture de la convention qui scellera son statut de candidat, un homme qui connaît très bien Donald Trump, et qui n’avait jamais abordé le sujet avec autant de détails jusqu’à présent, a parlé. C’est l’homme qui a façonné « le mythe Trump ».
En 1985, Tony Schwartz, alors journaliste, devient le nègre de celui qui n’est alors qu’un joueur parmi d’autres dans l’immobilier et les casinos de la côte Est. Après avoir passé plus de dix-huit mois en sa compagnie, il écrit Trump, the Art of the Deal, mi-hagiographie, mi-manuel de motivation pour devenir Donald Trump. Le livre fut un immense best-seller, rapportant des millions de dollars et cimentant dans l’imaginaire collectif l’image que Trump voulait donner de lui-même.
Or tout ou presque était romancé, exagéré ou carrément faux. Presque vingt ans plus tard, alors que le « héros » du livre peut potentiellement devenir l’homme le plus puissant de la planète, le désormais ex-journaliste qui a tout fait pour le rendre sympathique – « J’ai mis du rouge à lèvres sur un cochon » – prend la parole dans le New Yorker pour dire qu’il « regrette profondément ». Et qu’il a de plus en plus peur. Car toutes les tares et les traits de caractère qu’il avait perçus à l’époque (le mensonge systématique, l’absence d’empathie, le narcissisme extrême, une coupure totale avec la réalité) se sont dangereusement exacerbés depuis.
C’est un « sociopathe »
« Je pense sincèrement que si Trump gagne et obtient les codes nucléaires, il y a de très grandes chances que cela entraîne la fin de notre civilisation. »
Le constat de Tony Schwartz peut sembler exagéré, mais il le dit très sérieusement. Cela n’a rien à voir avec l’idéologie, dit-il, car il pense que Donald Trump n’en a pas. « Le problème était sa personnalité, que Schwartz considérait comme pathologiquement impulsive, égocentrique » et « obsédée par la publicité » écrit le New Yorker.
A ceux qui pensent que le Trump de la campagne, insultant, abrasif, moqueur, incohérent parfois, sera différent du Trump qui entrerait à la Maison Blanche, l’ex-journaliste répond : « Il n’y a pas un Trump privé et un Trump public […]. Tout ce qu’il veut, c’est de la reconnaissance extérieure, toujours plus. » S’il devait écrire à nouveau The Art of the Deal et être honnête, il l’appellerait Le Sociopathe.
« Les millions de personnes qui ont voté pour lui et croient qu’il représente leurs intérêts apprendront ce que tous ceux qui ont vraiment eu affaire à lui savent déjà : il se fiche complètement d’eux. »
Il n’a aucune capacité de concentration
Tony Schwartz se rappelle que, pour écrire le livre, il a dû abandonner la technique de travail habituelle, qui consiste à poser des questions à la personne dont parle le livre, car Trump se comportait « comme un gamin de maternelle qui ne peut pas rester tranquille en cours ».
« Il est impossible de le faire se concentrer pendant plus de quelques minutes sur un sujet qui ne concerne pas son auto-glorification (…). Il est stupéfiant de voir à quel point ses connaissances sont superficielles (…). S’il devait être briefé dans la “situation room” [salle de crise de la Maison Blanche], je ne l’imagine pas rester concentré très longtemps. »
Sa nécessité d’être au centre des choses est aussi « complètement compulsive ». Schwartz use d’une métaphore un peu douteuse avec un junkie voyant dans la présidence des Etats-Unis le fix ultime d’un homme qui s’est toujours shooté à la reconnaissance.
« Il a réussi à augmenter la dose pendant quarante ans. La seule chose qui lui manquait était d’être candidat à la présidence. S’il pouvait se présenter pour être empereur du monde, il le ferait. »
Il ment comme il respire
Le mensonge est un outil que tout homme politique qui veut durer a utilisé, mais pour Donald Trump, c’est plus profond – « une seconde nature » – et presque maladif, à en croire Tony Schwartz.
« Il a, plus que n’importe quelle autre personne que j’ai connue, cette capacité à se convaincre lui-même que tout ce qu’il dit est vrai, ou à moitié vrai, ou, au moins, devrait être vrai. »
Les mensonges que Schwartz a passés sous silence pour la biographie sont anodins (le prix d’un achat, le lieu de sa naissance), financiers (pour doubler un concurrent ou écarter un partenaire) ou plus profonds (le mythe du self-made-man s’effondre lorsqu’on sait que c’est le père, Fred Trump, qui a lancé le fiston), mais ils sont constants.
S’il était attaqué sur ses mensonges ou approximations, « Trump en remettait une couche et devenait agressif », ce qui n’est, note le New Yorker, « pas une qualité idéale pour un chef d’Etat ».
Donald Trump, qui n’a jamais caché ce comportement pendant la campagne, le prouve lorsque le New Yorker l’appelle pour les besoins de l’article. Il jure que Tony Schwartz – « très déloyal ! » – n’est que le « coauteur » et que c’est lui qui « a écrit le livre […], certains disent même que c’est le livre de business le plus vendu de tous les temps ». Ce que la maison d’édition dément totalement – « Trump n’a pas écrit une ligne ». Le milliardaire « s’est apparemment auto-convaincu de l’avoir écrit », constate le New Yorker.
La croix de Tony Schwartz
« The Art of the Deal », sorti en 1987, fut un immense best-seller, rapportant des millions de dollars et cimentant dans l’imaginaire américain l’image que Trump voulait donner de lui-même.
Après avoir lu cette longue confession, on comprend que Tony Schwartz a l’impression de porter une croix. Il se sent coupable d’avoir participé à la création d’un monstre, et à mesure que la candidature de Donald Trump passait de la blague à la réalité, il a décidé de dire sa vérité, même si cela s’apparentait à un crachat dans la soupe (en tant que coauteur, il a empoché la moitié des royalties, qui s’élèvent à plusieurs millions de dollars).
« J’ai de profonds remords d’avoir contribué à faire de Trump quelqu’un de plus attirant qu’il ne l’est réellement, et à lui avoir donné un public élargi […]. Je garderai cela en moi pour le reste de ma vie. Il n’y a aucune façon de le réparer. »
Pour tenter de « racheter son âme », il va donner sa part des royalties reçues en 2016 à des ONG et œuvres caritatives « qui défendent des personnes dont Trump veut réduire les droits ».
Sa contribution à détruire l’idole qu’il a en partie érigée a beau être l’équivalent politique d’un bombardement au napalm, on a bien vu, tout au long de la campagne, que même les polémiques les plus toxiques glissent sur Donald Trump comme de l’eau sur les plumes d’un canard.
Dérapages de Wauquiez et Douillet : au secours, la droite revient ! ICI