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21 juin 2009 7 21 /06 /juin /2009 00:00

 

Ma trajectoire de petit « barbouzard à la manque » avait subi une rude inflexion lors de ma rencontre, chez le père de Marie, avec Ange-Raymond Antonini. L’homme, qui venait de commettre chez Fayard un brulot : « Le temps des policiers » sous le pseudonyme de Jacques Lantier, haut fonctionnaire de l'Intérieur, ancien agent secret, cité à l'Ordre de la Nation pour faits de Résistance, jouissait d’une réelle notoriété dans la Police vérolée de la IVe République. En 1960, il se portait volontaire pour la Coopération et partait en Afrique Noire, d'abord au service de la France, puis ensuite comme expert de l'Organisation des Nations Unies. En Afrique, Ange-Raymond Antonini se convertit à l'anthropologie et se livre à des recherches au cours de ses voyages. De retour à Paris il fait, au Musée de l'Homme notamment, des conférences qui lui valent d'être admis à la Société d'Anthropologie de Paris. Son livre véritable acte d'accusation contre notre société demeurée selon lui, proche des sociétés primitives, en proie aux angoisses collectives, à la merci des ambitions et des appétits de minorités dénuées de scrupules. Pas vraiment le genre de la grande maison poulaga.

De Gaulle m’avait-il confié « avait du militaire à la fois la grandeur et les faiblesses. Tout comme Pétain, on le savait obnubilé par des histoires de 2e Bureau, de police, d’espionnage, de barbouzes, de dames Bonacieux… » et que « l’un et l’autre couvrirent la France et le reste de réseaux jacassiers où l’on retrouvait parfois des moines ferrailleurs, comme on allait autrefois des mousquetaires de la reine aux mousquetaires du roi… » Le père de Marie, bien évidemment, pas du tout innocent dans cette affaire, lui fit remarquer qu’il ne m’apprenait rien. Ange-Raymond ne put réprimer un sourire narquois. « Ce jeune homme, en dépit d’un réel talent pour nager en eaux troubles, si vous me le permettez, cher ami, ne nage pas dans le bon bassin pour tirer le meilleur parti de son action. Nos Excellences ne se salissent pas les mains, elles délèguent l’intendance à leur cabinet. Je trouve l’appellation fort adéquate car ces cabinets sont bourrés de personnages aux qualifications douteuses qui coiffent les administrations sans subir de concours, qui ne doivent qu’au piston les pouvoirs qu’ils s’accordent, qui accaparent l’Etat au profit des clans. Ce sont des milliers de prébendiers, des mangeurs de crédits, des rongeurs de budget, des croqueurs de fonds secrets, des dévoreurs de bénéfices qui régentent, exploitent, tètent, sucent et épuise la France par la seule volonté de la camarilla qui règle nos affaires… »

En bon corse, Ange-Raymond, jouait les Casamayor – pseudonyme d’un haut magistrat adepte des tribunes libres dans le Monde de Beuve-Méry –  version lyrique, en durcissant le trait mais, sans contestation, il plaçait le doigt sur un bubon gorgé de pus. À juste titre il avait raison de souligner, et ce n’est pas moi qui allais le démentir, que « la police publique est devenue peu à peu une police privée. À quoi servirait la suppression des polices parallèles si, par des missions obliques, les services officiels exercent leurs mandats occultes parallèlement au droit et à la justice ? » Cette soirée se plaçait dans la semaine qui suivit la soirée d’anniversaire d’Yvette la sœur de mon vieux copain Raymond. Encore un enchaînement du hasard qui me permis de rompre avec mon statut de flambeur désordonné. La réception d’Yvette, très BCBG, très Marie-Chantal, fut à la hauteur des prévisions de Raymond. « Donne-lui l’occasion de rompre la digue en lui donnant le sentiment qu’elle est une vraie dame, de celles que l’on invite aux soirées mondaines, et tu ne seras pas déçu du voyage mon grand… » Mon quasi baisemain initial fut la première banderille, ensuite je l’entourais d’une attention discrète qui, je le sentais lui échauffait les sens. De suite j’avais décelé chez elle le même tempérament volcanique que chez Marie-Jo, la pulpeuse et tendre épouse de mon ami le commissaire Bourrassaud qui, au temps de mon séjour au Blanc-Mesnil, m’avait fait connaître les joies de fornications débridées en des lieux incertains. À table, placé à sa droite, je pus tout à loisir, sans jamais me départir de ma réserve, lui faire gravir un à un les degrés de l’excitation.

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14 juin 2009 7 14 /06 /juin /2009 00:03

 Pour ranger mes tonnes de livres j’avais fait l’acquisition, aux Puces de Saint Ouen, d’un superbe et authentique meuble-bibliothèque Louis XVI, à la patine blanc de gris bleuté, rien que pour ses portes grillagées. C’était mon seul luxe ; un luxe qui d’ailleurs n’en n'était pas un puisque je n’avais fait là que réaliser un rêve d’enfant : je ne sais pourquoi j’ai toujours voué aux portes grillagées des bibliothèques une vénération absolue. Garde-manger de la pensée, je voulais préserver mes livres sans pour autant les enfermer, les couper de la vie. Mes explications embrouillées firent beaucoup rire Jasmine qui s’émerveillait déjà de la proximité de tous ces livres pour son petit. Le reste du mobilier était quasi-monacal. Sur les murs, pour la première fois de leur existence les tableaux, que j'avais achetés au gré de mes errances, trouvaient enfin place. La soixantaine venue, moi aussi, pour la première fois, je m’installais. Mon statut tout neuf de futur père, sans épouse, m’allait comme un gant. Le dénouement au point haut de mon portefeuille boursier, en dépit de la ponction opérée par l’achat de la maison, me mettait à la tête de liquidités que je décidai de gérer moi-même. Le temps des folies, pour ça aussi, était terminé, je voulais engager tout ce fric dans des activités, certes moins juteuses, mais qui donneraient un peu de sens à ma vie chaotique. Après les valeurs volatiles des brokers déjantés j’aspirais aux valeurs pérennes et, dans mon imaginaire, la vigne incarnait le mieux ce ré-ancrage à la réalité.

 































Jasmine, profitant de mon anniversaire, me dotait de ce qui se faisait de mieux en matière d’ordinateur ultra-portable et de joujoux de communication. « Tu as l’âme d’un nomade, alors lorsque tu iras planter ta tente loin de moi tu garderas ainsi le lien avec notre petit Louis… » Plongé dans l’édition du Monde électronique je lui fis remarquer avec une légère pointe d’ironie que ce prénom était aussi celui du petit de Cécilia et de notre Président. Face à l’outrage elle se regimbait en agitant son écumoire – Jasmine fourmi se consacrait à la confection de confitures et toute la maison embaumait des odeurs sucrées des fruits de saison – « mais qu’est-ce que tu me chantes-là beau légionnaire – Jasmine, après lecture de mon manuscrit, avait repris à son compte l’appellation chère à Chloé – moi je ne barbote pas dans Voici ou dans Closer et je ne vais pas chercher le prénom de notre fils dans la rubrique mondaine des peoples. Moi je suis une fille toute simple : vu ton allergie « native », comme tu l’as écrit,  je ne pouvais prénommer notre enfant Benoît, comme toi, alors j’ai choisi Louis, comme ton grand-père, car j’ai oublié le prénom de ton père, comme ça c’est comme si le petit reprenait la tête de ta lignée… » En l’écoutant, pour la première fois depuis notre fameux pacte, je prenais pleine conscience que j’allais laisser derrière moi un petit qui porterait mon nom. L’idée même de cette transmission ne m’avait jamais effleuré.

 

Pour écrire j’aime la nuit, son silence, sa tiédeur, son flouté, sa capacité à donner au territoire de mon imaginaire une profondeur, du champ ; elle m’enveloppe, me borde, pèse sur mes épaules, j’y suis chez moi et j’y suis bien. Reprendre le fil de mon récit, interrompu par notre départ précipité de Corse, me semblait vain. Rien que de la poussière, et encore oubliée, aspirée puis dispersée par la fuite du temps. Le tintamarre du présent déversé à jet continu, en direct, avec une frénésie inquiétante, par des canaux irrigants la terre entière, ne laissait plus le temps de la réflexion. Les écrans plats, tels des gargouilles modernes, affichaient de sinistres comptabilités, des attentats, des pandémies, des tueries, avec une linéarité qui les rendaient froides, aseptisées, sans épaisseur humaine. Mon retrait du court de la vie, ce long isolement, cure de désintoxication, rendait le choc encore plus rude. Pour autant, je ne me réfugiais pas dans mon attitude favorite, l’évitement. J’affrontais. J’assurais. Je lisais. Ma boulimie de lecture se révélait être le meilleur antidote à mon aquoibonisme congénital. J’opérais des razzias dans mes librairies favorites et, environné de piles branlantes, je m’imprégnais de vraie vie, puisais dans l’imaginaire des autres des raisons de continuer. Parfois, pour lire, j’allais m’allonger aux côtés de Jasmine. Ses hanches s’ouvraient. Elle s’arrondissait. Elle resplendissait. Quand elle s’endormait, que sa respiration régulière faisait onduler le drap, je me laissais aller de nouveau à explorer mes souvenirs et l’envie d’écrire me revenait.   

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