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7 mai 2018 1 07 /05 /mai /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H un bureau en pin brut venu de chez Sears Roebuck et sur lequel trônait une machine à écrire Underwood Standard modèle 1934, non huilée, aussi grosse qu’un piano de concert et aussi bruyante que des sabots dansant des claquettes sur un parquet nu. » (86)

Des années plus tard, dans les années 80, Benoît en lisant les toutes premières pages de « La solitude est un cercueil de verre » de Ray Bradbury « à l’intérieur m’attendaient : un studio vide de six sur six contenant un divan élimé, une étagère comprenant quatorze livres et beaucoup d’espace disponible, un fauteuil rembourré acheté au rabais aux Good Will Industries, un bureau en pin brut venu de chez Sears Roebuck et sur lequel trônait une machine à écrire Underwood Standard modèle 1934, non huilée, aussi grosse qu’un piano de concert et aussi bruyante que des sabots dansant des claquettes sur un parquet nu. », se remémorerait ce temps d’apprentissage sous la douce férule d’Esther la remplaçante. L’IBM 196 C à boule débrida son écriture, balourde, telles les limousines américaines, elle cachait bien son jeu, la pataude en avait sous le capot : une petite merveille de mécanique, entraînée par un seul moteur électrique mettant en branle une chaîne de mouvements quasi-horlogers d’une rare complexité. Elle lui sembla magique, les allers et venues virevoltants de la boule vers le haut, vers la droite ou la gauche, pour soudain se bloquer sur le caractère choisi par la touche, loin de la danse des claquettes en sabots de l’Underwood de Bradbury, s’apparentaient aux entrechats d’une danseuse étoile. Fluide, rapide, précise, elle jaillissait, déposait le signe, rebondissait, enchaînait mots et phrases au rythme des doigts sur son clavier. Benoît fit des gammes des nuits entières, main droite, main gauche, cette dernière peinait, traînait, se décourageait, il  luttait, le bout de ses doigts s’échauffait, fondait, se liait à la machine. Esther lui massait le cou. Ses rêves se peuplaient du ballet dément de cette fichue boule, il se sentait besogneux alors qu’il aspirait à la perfection. Son salut vint de la belle Esther qui, face à son vain acharnement, lui susurra « vous pensez trop… laissez-vous aller comme si vous dansiez le tango… » et lui de répondre : « mais je ne sais pas danser le tango… »

 

La thérapie d’Esther fut radicale, dès le lendemain, tôt le matin, elle pointait son joli minois dans la geôle de Benoît qui mettait la dernière main au discours d’inauguration par le Ministre d’un ensemble HLM à Sarcelles. Il s’était laisser-aller au lyrisme sur le thème de la salle d’eau enfin accessible aux classes populaires et aspirait à la douche et aux draps frais. « D’accord pour la douche cher monsieur – elle persistait en dépit de mes protestations à lui donner du monsieur – mais ensuite tango, tango… » Elle exhibait sous son nez la mallette écossaise d’un électrophone Teppaz. Benoît exhala un cri du cœur « Ici ! » Elle pouffait « Pas ici, dans la salle de réception, le parquet y est plus lisse que de la glace… » Benoît l’enveloppa d’un regard implorant. « Je vous ai aussi apporté des croissants ». Il rendit les armes sans protester. La suite releva de l’extraordinaire, Benoît convoqua le chef des huissiers qui l’écouta sans broncher, sans faire le moindre commentaire ou la plus petite objection, avant de lâcher laconiquement : « Je donne toutes instructions pour que vous ne soyez pas dérangés. »

 

Esther, mignonne comme un cœur, jambes nues, portait une jupe blanche à pois rouges tenue à la taille par une large ceinture du même rouge, un corsage de mousseline blanche avec des manches ballons et des ballerines d’un lumineux blanc nacré. Benoît, dans son costume froissé, avait l’air d’un clochard, dans un dernier effort pour se soustraire il en fit la remarque à la belle, « L’important pour le tango c’est d’être bien chaussé… » lui avait-elle rétorqué. Benoît avait alors contemplé ses pieds, comme il ne portait que des mocassins à semelles cousues Goodyear il ne put qu'abdiquer, se laisser faire. Esther déposait la galette vinyle sur le plateau, au bord des premiers sillons le saphir fit cracher au minuscule haut-parleur une bordée de grésillements. Les premiers accords du bandonéon lui donnaient des frissons.

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5 mai 2018 6 05 /05 /mai /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H L’écriture de ses premiers discours fut un réel et douloureux chemin de croix, Benoît ne supportait pas les ratures, il rédigeait avec un crayon de papier en faisant un usage constant de sa gomme, le plateau de son bureau se constellait de fines épluchures blanches. (85)

Le petit bureau demi-circulaire de Benoît, au rez-de-chaussée, donnait de plain-pied sur le parc du très bel hôtel de Roquelaure implanté au 246 Bd Saint-Germain. Il s’y trouva de suite à l’aise car il aimait les cocons qui enserraient son irrépressible besoin de fuir, le contraignaient à affronter la réalité. Celle-ci, en ces temps où la rue et le verbe délirant tenaient lieu, pour beaucoup d’intellectuels, de pensée politique, lui apparaissait un terreau fécond sur lequel il allait pouvoir semer ses petites graines subversives. Bien évidemment il n’avait jamais écrit de discours, ses travaux littéraires se résumaient à quelques notes ou réflexions écrites sur des petits carnets et, il se demandait, s’il ne s’était pas engagé, bien à la légère, dans un champ de mines. Benoît avait toujours besoin de défis, d’adrénaline pour se motiver, là, il se retrouvait face au vide de la page blanche sur laquelle il ne s’agissait pas de broder une histoire mais de mettre en forme audible des trucs imbittables écrits par des hauts-fonctionnaires ou des petits chefs de bureaux. L’aridité des notes des services lui plut. En les lisant il entrait dans un monde étrange, plein de codes, de sigles, de références, qui lui donnaient le sentiment que l’univers bureaucratique tissait une toile dans laquelle les politiques s’empêtraient. Le vrai pouvoir se situait là. Très vite il comprit qu’il lui fallait imaginer une méthode pour se mettre en état de pondre ces foutus discours ; elle vint empiriquement sans même qu’il la formalise. Lire, dormir, écrire : son bureau se transforma en un vaste souk où s’empilaient des livres, des rapports, des notes, des JO et autres publications maison et nul n’était autorisé à toucher à son désordre. Sitôt le déjeuner il allait faire la sieste dans une petite chambre sous les combles, il n’écrivait que la nuit en fumant des cigarettes qu’il roulait dans une petite machine Riz-La-Croix.

 

L’écriture de ses premiers discours fut un réel et douloureux chemin de croix, Benoît ne supportait pas les ratures, il rédigeait avec un crayon de papier en faisant un usage constant de sa gomme, le plateau de son bureau se constellait de fines épluchures blanches. La lenteur de son crayon s’accommodait mal avec le jaillissement de ses phrases, très souvent il perdait en chemin des formules qui, une fois tombées à la trappe, lui semblaient percutantes. Il  fouillait sa mémoire pour les retrouver, il bloquait, s’engueulait, transformait en boules de papier des heures d’efforts, se gorgeait de café, grillait des clopes. Son salut vint d’IBM, le secrétariat particulier du Ministre était régenté par une vieille harpie à moustaches régnant sur une armée de petites mains terrorisées et lorsqu’il venait déposer des œuvres, encore fumantes, entre les mains du dragon pileux son œil exercé de chasseur n’avait jamais repéré un gibier de choix,  madame la secrétaire-particulière veillait à ce que son cheptel ne fusse un objet de tentation pour notre Ministre bien connu pour son goût prononcé pour les jupons légers. Un matin, épuisé par la ponte d’un discours pour l’inauguration de je ne sais quel machin dans je ne sais quel patelin, hirsute et pas rasé depuis 3 jours, Benoît déboulait dans le SP à une heure où normalement la petite troupe n’était pas encore à pied d’œuvre ; et surprise, tout au fond du bureau il aperçut, au-dessus d’une machine à écrire, le haut d’un corsage blanc entrouvert d’où émergeait un cou gracile surmonté du visage enfantin d’une blonde des blés. À sa vue elle se levait : « Je suis la remplaçante de Simone… » balbutiait-elle alors que les yeux de Benoît restaient scotchés au vallon profond de sa poitrine.

 

Vu son état de déliquescence jouer les jolis cœurs aurait relevé de la faute de goût, gentiment Benoît lui conseillait de mettre sous protection ce que des mains avides, y compris les siennes, auraient très envie de désincarcérer. En reboutonnant jusqu’à l’encolure son corsage la mâtine se contentait de rosir. Benoît, repoussait dans les ténèbres extérieures sa folle envie de la culbuter sur le tas de dossiers posés à côté de sa machine à écrire en faisant diversion, tout en gardant serré sur sa poitrine, telle une ceinture de chasteté, son œuvre de la nuit, il fit celui qui s’intéresse à son outil de travail, la toute nouvelle IBM à boule que le SP venait de toucher. « Donnez-moi votre travail, je vais vous montrer comment elle fonctionne ! » Benoît s’exécutait. « Vous écrivez bien… » Son petit sourire mutin désarmait plus encore Benoît, elle posait la première page sur un chevalet puis, ses doigts fins aux ongles peints se lançaient dans une sarabande qui le stupéfiait. La nouvelle machine émettait des sons feutrés, à cent lieues du cliquetis des vieilles draisines mécaniques. La petite effleurait son clavier, le buste bombé et le regard droit. Benoît était subjugué. Quand elle eut essoré sa première page Benoît, d’une voix aussi serrée que celle d’un jouvenceau déclarant sa flamme, lui demanda « Vous voulez bien m’apprendre ? ». « Ce sera un grand plaisir pour moi… » lui répondit-elle en plantant ses yeux verts dans les siens.

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4 mai 2018 5 04 /05 /mai /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H L’énarque généraliste, s’attribuant le droit de tout faire tout en ne sachant rien faire de très précis, allait s’engouffrer dans tous les plis du pays, tout contrôler, tenir l’Etat avec une froide détermination et un esprit de corps indéfectible (84)

Ange-Raymond Antonini, l’homme, qui venait de commettre chez Fayard un brulot : « Le temps des policiers » sous le pseudonyme de Jacques Lantier, haut fonctionnaire de l'Intérieur, ancien agent secret, cité à l'Ordre de la Nation pour faits de Résistance, jouissait d’une réelle notoriété dans la Police vérolée de la IVe République, avait confié à Benoît lors d’un dîner : De Gaulle « avait du militaire à la fois la grandeur et les faiblesses. Tout comme Pétain, on le savait obnubilé par des histoires de 2e Bureau, de police, d’espionnage, de barbouzes, de dames Bonacieux… » et que « l’un et l’autre couvrirent la France et le reste de réseaux jacassiers où l’on retrouvait parfois des moines ferrailleurs, comme on allait autrefois des mousquetaires de la reine aux mousquetaires du roi… » Nos Excellences ne se salissent pas les mains, elles délèguent l’intendance à leur cabinet. Je trouve l’appellation fort adéquate car ces cabinets sont bourrés de personnages aux qualifications douteuses qui coiffent les administrations sans subir de concours, qui ne doivent qu’au piston les pouvoirs qu’ils s’accordent, qui accaparent l’Etat au profit des clans. Ce sont des milliers de prébendiers, des mangeurs de crédits, des rongeurs de budget, des croqueurs de fonds secrets, des dévoreurs de bénéfices qui régentent, exploitent, tètent, sucent et épuise la France par la seule volonté de la camarilla qui règle nos affaires… »

 

La IVe, avec ses gouvernements éphémères, souvent nés d’improbables combinaisons parlementaires, laissait, car le temps était à la reconstruction, les mains libres aux hauts fonctionnaires des grands corps d’Ingénieurs de l’Etat, ces grands planificateurs détenaient, bien plus que les industriels du CNPF, les manettes du pouvoir économique. L’avènement du gaullisme, avec ses désirs de grandeur, d’indépendance nationale allait, avec la création de l’ENA par Michel Debré, amplifier cette mainmise et surtout ouvrir grandes les portes du politique à des palanquées de hauts fonctionnaires issus des cabinets ministériels. L’accélération des carrières, le pantouflage dans les entreprises nationales, les parachutages dans de bonnes circonscriptions parlementaires, conférait à l’école de la rue des Saints Pères une aura sans précédent. L’énarque généraliste, s’attribuant le droit de tout faire tout en ne sachant rien faire de très précis, allait s’engouffrer dans tous les plis du pays, tout contrôler, tenir l’Etat avec une froide détermination et un esprit de corps indéfectible. Aux réseaux de l’après-guerre, nés de la Résistance, des conflits coloniaux, où se mêlaient baroudeurs, condottieres, têtes brulées, fils de famille en rupture de ban, aventuriers de haut vol ou de petit calibre se substituaient ceux de nos grandes écoles méritocrates, monstres froids, calculateurs, sans expérience de la vraie vie, qui allaient mailler le monde des affaires et de la politique et le verrouiller.

 

Et pourtant, lorsque sous le président Pompe, dans le gouvernement Chaban, Benoît se retrouva bombardé conseiller technique au cabinet du Ministre de l’Equipement et du Logement, par l’entremise de la mère de Chloé, la vieille garde des barons du gaullisme, avec ses portes-flingues, semblait tout contrôler alors qu’ils réchauffaient en leur sein de jeunes aspics déjà venimeux. Les circonstances de son recrutement, jugées à l’aune du temps présent, relevaient du grand n’importe quoi, d’une forme de j’m’en foutisme à nul autre pareil. La mère de Chloé l’invita à déjeuner chez Lipp où le Tout-Paris de la politique se bousculait. Ils déjeunèrent à l’étage, là où seul le gratin avait accès, et en bonne place non loin de François Mitterrand, de ses amis Patrice Pelat et de Georges Dayan. Avant de m’y rendre il avait réussi à joindre Chloé à Milan par le réseau protégé du Ministère de l’Intérieur. Chloé évoluait dans un essaim de frelons hautement dangereux où se mêlaient, sans vraiment se distinguer, les fous de l’extrême-gauche des futures Brigades Rouges et les implacables néo-fascistes de la Loge P2, les multiples cercles de la Démocratie Chrétienne, les groupes maffieux et les communistes. Au bout du fil elle lui apparut lasse, tendue, il s’inquiétait. Chloé le rassurait, ce n’était que la conséquence d’une nuit de palabres avec la branche la plus extrémiste des Milanais, dissidente d’un groupuscule lui-même partisan de la lutte armée radicale et qu’une bonne nuit la remettrait d’aplomb. Benoît en accepta l’augure sans trop y croire, il lui fit part du nouveau tournant que prenait ma vie. Sa réponse fut sans ambigüité « Fonce mon grand ! Tu vas te retrouver au cœur du pouvoir et c’est le meilleur endroit pour le véroler. Dès que tu peux, viens me voir… »

 

Foncer ! Chez Lipp, signe du destin, la seule femme présente à l’étage était Catherine Nay qui faisait face à un jeune loup UDR. Tout le monde savait que, sauf Benoît, le personnel la gratifia d’une courbette pleine de déférence. Carnassière elle les ignorait tout en déshabillant Benoît d’un regard prédateur. Il lui souriait bêtement. Le nouveau marigot où il  se risquait pullulait de prédateurs bien plus redoutables que ses petits frelons de la GP mais il pressentait déjà leur point faible : le cul ! Sa connexion avec les RG, très friands de tout ce qui touchait aux parties fines ou aux déviances sexuelles, lui donnait un avantage certain sur ses futurs collègues de cabinet. Comment pouvait-on lui proposer un poste dans le cabinet d’un des barons du gaullisme sans se soucier de savoir qui il était, d’où il venait, rien que de la mère de Chloé ? La conversation tourna autour de futilités, au dessert, un baba au rhum chantilly, la mère de Chloé se contenta de lui dire avec un petit sourire gourmand « Ils cherchent une plume je suis persuadé que vous ferez l’affaire… »

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3 mai 2018 4 03 /05 /mai /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Les temps étaient interlopes et le président Pompe allait, avec l’affaire Markovic, en faire la très cruelle expérience (83)

Nous prenions des petits noirs au bar d’un bistro proche de la grande crèmerie de la rue des Saussaies où l’on était à peu près sûr de retrouver quelques vieux chevaux de retour carburant au petit blanc. Cet après-midi-là Benoît t tombais nez à nez avec le traitant de la vieille roulure de Gustave. Gustave Porcheron. Gustave la balance, électricien au service d’entretien chez Wendel, que ces petits cons de la GP considéraient comme un vrai révolutionnaire, alors que les RG le tenaient pour une poignée de biftons, et un peu de cul dans une boîte des Champs. Pour l’amadouer  Benoît le détournait de son blanc ordinaire en lui offrant une ligne de Muscadet Sèvre et Maine sur lie. L’effet ne fut pas immédiat car le vieux se méfiait. Bien évidemment, ils bavassaient de tout autre chose, Benoît lui laissant entendre qu’il dans les petits papiers de l’étoile montante des RG, l’ambitieux Bertrand. Le tarin bourgeonnant de son collègue captait les doux effluves d’un avancement qui mettrait un peu de beurre dans ses épinards, il se déballonnait sans aucune réticence. Le Gustave se prenait pour un quasi dieu vivant de la GP. Il devenait incontrôlable depuis qu’il se tapait des filles de grands bourgeois qui cherchaient l’extase sous sa bedaine prolétarienne. Depuis quelques temps il vivait quasiment à temps plein, avec l’une d’elle, dans un duplex donnant sur les Invalides. Benoît griffonnait l’adresse sur le ticket de caisse. Leur après-midi, à Armand et lui, allait être très sportif. Benoît en salivait d’avance en saluant mon collègue d’un généreux « Je n’oublierai pas ton coup de main. J’ai le bras long… »

 

Notre intrusion dans le lupanar laissa de marbre une grande sauterelle, pieds-nus, aux cheveux longs et gras, clope au bec, en salopette bleue constellée d’encre, qui tirait des tracts sur une vieille ronéo hoquetante. À ses côtés un jeune boutonneux, gras et bas du cul, boudiné dans un jeans, ne prit même pas la peine de se retourner pour nous lancer « Si c’est pour Gustave vous feriez mieux d’attendre ici il n’aime pas qu’on le dérange quand il fait sa sieste… » Face à une telle décadence Armand bramait « Et il l’a fait où sa sieste ce gros con ! » Un tel qualificatif, inusité en ce lieu entièrement dédié au bien-être de l’unique représentant des couches exploitées par la bourgeoisie, fit sortir de ses gonds le morveux. Ses petits crocs, tout jaunis par la nicotine, dehors, il aboyait. « Vous êtes qui vous ? » Du tac au tac Benoît le contrait avec la réponse-type « Des ouvriers de chez Citroën camarade… ». L’avorton se calmait et, tout en s’essuyant les mains avec un chiffon sale, il les examinait avec suspicion. « Dans cette tenue… »Armand, piqué au vif, le retoquait « Qu’est-ce qu’elle a notre tenue ? Faudrait peut-être qu’on soit crade petite tête pour coller à tes petites images du prolo. Désolé de te décevoir nous, quand on sort, on se nippe mon gars. Ce n’est pas parce que tu singes l’ouvrier avec tes paluches dans le cambouis que tu dois nous manquer de respect… » La tirade produisait son effet, l’apprenti révolutionnaire rendait les armes tout en maugréant « Gustave n’attendait pas de la visite… » Benoît le séchait durement « Normal nous venons lui apprendre une très mauvaise nouvelle… » Le jeune couillon n’eut même pas l’audace de me demander de quoi il s’agissait.

 

Gustave effectivement dormait. Il dormait sur le ventre, nu comme un ver. Armand le réveilla sans ménagement. Il se débattit, poussa des grognements, avant que sa face, boursouflée et molle, ne s’anime de soubresauts visqueux et que, dans un ultime sursaut, il ne se redresse sur son céans en jetant sur eux des regards effarés. Enfin, reprenant un peu ses esprits, il grommelait en regardant Benoît : « Mais qu’est-ce que tu fous ici ? »

 

  • Je viens prendre de tes nouvelles. Tu te fais rare mon Gustave. La grande maison s’inquiète tu sais... » Il se regimbait « Et toi ça fait un bail qu’on ne t’a pas vu. Moi je fais mon boulot, honnêtement… »

 

Comme l’heure n’étais pas aux explications Benoît envoyait Gustave balader en lui intimant l’ordre de se rhabiller. Il résistait « Je n’ai pas d’ordres à recevoir de toi… » Armand intervenait brutalement « Tu rempoches vite fait ta viande gros lard sinon je te passe les burnes au chalumeau… » Gustave braillait « C’est qui se nazi ? » En lui tapotant la couenne Benoît le rassurait « Un pote de Bigeard gros fion ! » Armand le vannait en l’attaquant sur sa fierté de mâle « Dis-donc la balance tu ne serais pas aussi un peu vantard sur les bords ? Elle est où la belle Sonia ? Celle que tu es censé calcer à l’heure qu’il est ? » Piqué au vif le Gustave reprenait du poil de la bête « C’te morue elle a p’tète un beau cul et des gros nichons pépère mais c’est une gouine. Moi j’n’aime pas les lécheuses de chatte… » Benoît coupait court sèchement « Ferme ta grande gueule et habille-toi, la récréation est terminée mon gros. Maintenant tu vas bosser pour moi et je n’aime pas les ramenards ». En enfilant son slip il le toisait d’un regard mauvais : « Bosser pour toi mais t’es louf… » Benoît opinait  en ajoutant « T’as tout juste Auguste, mais t’as pas le choix. La belle vie c’est fini. Tu montes en première ligne et avec nous c’est ta peau que tu vas jouer… »

 

Ils laissèrent le Gustave s’enfiler une mousse en lui laissant croire qu’il allait s’en tirer à un si bon compte. Un coup de sonnette intempestif le ramenait brutalement à la réalité. Gustave rotait puis éructait dans son dialecte chuintant « Qu’est-ce qu’elle vient encore me faire chier celle-là !  Moi j’en ai marre qu’elle me pisse dessus en écoutant de la musique de nègres… » Armand méprisant lui claquait le bec « Elle ne te pisse pas dessus tas de saindoux. C’est une femme fontaine. Tu devrais lui lécher la chatte au lieu de brailler comme un goret… » Le Gustave se rengorgeait « Mais qu’est-ce que tu nous chantes pauvre fiotte, quand je dis qu’elle me pisse dessus c’est qu’elle me pisse dessus la salope… » Armand haussait les épaules « Je vais ouvrir. Te donnes pas la peine de lui expliquer, c’est du lard rance qu’il a dans le ciboulot. Tu ferais mieux de le cuisiner car on a mieux à faire… » Gustave blêmissait « Me cuisiner c’est quoi  s’t’engeance ! » Benoît lui retournait en guise de réponse deux mandales appuyées.

 

Gustave pissait le sang sur la moquette immaculée. Aux côtés d’Armand, une belle bourgeoise trentenaire, en tailleur Chanel court et quincaillerie ad hoc, contemplait la scène avec gourmandise en serrant son petit sac à main sur sa poitrine. Benoît bourrait de coups de pieds les flancs de Gustave qui chouinait « Mais pourquoi vous me faites ça moi j’chui prêt à tout pour vous… »  Benoît ricanait « C’est bien ça qui nous défrise roulure tu es prêt à tout pour tout le monde. T’es le VRP multicartes de la balance Gustave. Nous on veut l’exclusivité de tes services alors on te fait bénéficier d’une petite avance sur recette pour que tu saisisses bien ce que nous attendons de toi. Si t’es réglo pas de problème tu pourras continuer de bénéficier des grandes eaux de ta putain. Sinon, du côté eau ce sera plutôt la politique de l’entonnoir. Pigé ! Qu’en pensez-vous chère madame ? » Adeline ôtait ses gants, tendait une main aux ongles parfaitement manucurés « Vous avez l’âme d’un chef… je baiserais bien avec vous mais voyez-vous jeune homme, je raffole de ce qui est sale, de ce qui pue. Et le bout de viande, dont ce gros porc est fier, empeste comme le Maroilles dont il se goinfre. Quand je l’enfourche, même s’il bande un peu mou, j’ai vraiment la sensation de m’enfiler un ver blanc… et ça me mets dans des états pas pareil… » Ils laissèrent Gustave entre les mains d’Adeline Les temps étaient interlopes et le président Pompe allait, avec l’affaire Markovic, en faire la très cruelle expérience. Comme le disait justement Armand « nous avons fait sauter la bonde du tonneau, la séquence « on baise à tout va » s’ouvrait. Elle se butterait, une décennie plus tard, sur le VIH.

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2 mai 2018 3 02 /05 /mai /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H« Grenades lacrymogènes, barricades, incendies, une centaine de blessés tant dans les manifestants que parmi les forces de l'ordre : le mois de mai 1970 aura eu sa journée chaude mercredi au quartier Latin. » (82)

Benoît notait tout sur son petit carnet.

 

Le 10 janvier 1970, des militants de l’organisation maoïste Vive la révolution accompagnés d’intellectuels – Marguerite Duras, Jean-Paul Sartre, Jean Genêt, Pierre Vidal-Naquet et Maurice Clavel – occupent le siège du CNPF, rue Pierre 1er de Serbie (Confédération nationale du patronat français) à Paris pour protester contre la mort de cinq travailleurs africains, asphyxiés dans un foyer d’hébergement d’Aubervilliers. L’action se déroule le jour de leurs obsèques. Près de trois cents personnes sont présentes. Depuis le balcon de l’organisation patronale, Roland Castro harangua la foule. Il fut arrêté, tenta de s’échapper du car de police et échangea quelques coups avec les policiers. Le 23 février, Jean-Paul Sartre, Maurice Clavel, Michel Leiris et Jean Genet témoignèrent en sa faveur. Il ne fut condamné qu’à un mois de prison avec sursis. C’était la première fois qu’une organisation d’extrême gauche faisait cautionner une action d’éclat par des personnalités. Cette méthode fut reprise peu après par les maoïstes de la Gauche prolétarienne.

 

Le 22 mars 1970, à Paris, le directeur de La Cause du peuple, organe depuis l’automne 1968 (n°1, le premier novembre 1968) de la Gauche Prolétarienne, Jean-Pierre Le Dantec est arrêté alors qu’il faisait son marché. Ingénieur diplômé de l’École Centrale de Paris, enseignant de mathématiques aux Beaux-Arts, il avait été en 1967 l’un des responsables de l’Union des jeunesses communistes, marxistes-léninistes (UJCm-l). Le journal était poursuivi pour injures et diffamations envers la police, provocation au meurtre, au pillage, à l’incendie et crimes contre la sûreté de l’État. Le n°19 du 14 avril de La Cause du peuple publie un encart :

 

« Notre camarade Jean-Pierre Le Dantec a été arrêté voici trois semaines, emprisonné à La Santé. La loi qui emprisonne la vérité n’avait pas été appliquée depuis l’occupation. Ce procès est un procès vichyste. Comme l’a dit la défense de Nicoud : il se fait dans ce pays comme un bruit de bottes, et c’est insupportable. Là où il y a lutte, il y a sacrifice. Comme tout révolutionnaire prolétarien, Jean-Pierre y était prêt et il savait qu’il risquait la prison aujourd’hui, demain peut-être d’autres épreuves et la mort. Comme il l’a écrit : “L’inculpation et la saisie prouvent on ne peut plus clairement combien notre orientation est juste et combien elle devient de plus en plus concrète, au point de les remplir de panique devant la vérité couchée sur le papier. En définitive, ce qui est dur, c’est l’inaction”. La vérité vaincra »

 

L’organe des maoïstes était alors dirigé par Michel le Bris. Il apportait son soutien aux luttes des petits commerçants, ce qui explique la référence au nom du leader du CID-UNATI. Dans ce numéro, le journal mettait en valeur une forme de lutte inédite : l’usage gratuit du métro pour les travailleurs de Citroën et de Renault. Un commando maoïste avait subtilisé des tickets à la station Passy et les distribuait aux ouvriers. Les slogans étaient explicites : « On a raison de voler les voleurs », « Au métro, c’est Pompidou qui doit payer ». Il était également fait référence à la saisie du n°18 de La Cause du peuple. Les éditoriaux qui appelaient à une nouvelle résistance continuaient de vanter des formes de lutte radicales : « […] Et aujourd’hui, on peut à bon droit dire que c’est le temps de la guérilla qui commence. Une guérilla bien particulière, qui ne vise pas à anéantir l’ennemi, mais à détruire radicalement toute son autorité, tout son prestige. Occupation, séquestrations des despotes et des patrons, sabotages de représailles, expropriation et récupération des biens volés par les profiteurs, barrages de routes, poteaux télégraphiques sciés, attaque des perceptions, grève des loyers ou des impôts, résistance violente aux forces de police, voilà ce qui vient chaque jour contester davantage la “représentativité” des syndicats […]. Et ce qui naît et grandit, c’est la lutte populaire de partisans, qui unira le peuple et l’amènera aux premières salves de la lutte armée. » Les numéros de La Cause du peuple furent systématiquement saisis à leur sortie d’imprimerie dès avril 1970, au prétexte que ce journal faisait l’apologie du meurtre, du pillage, de l’incendie et provoquait à ces crimes. Le 20 avril 1970. Michel Le Bris, qui avait succédé à Jean-Pierre Le Dantec à la direction de La Cause du peuple, fut lui aussi arrêté. Le 27 avril 1970, Jean-Paul Sartre devint directeur de La Cause du peuple.

 

Le 27 mai 1970 fut la date fixée pour le procès des deux directeurs de La Cause du peuple. L’un et l’autre étaient incarcérés. Le procès fut précédé par un meeting au Palais de la Mutualité, le 25 mai. Il était présidé par Jean-Paul Sartre, nouveau directeur de La Cause du peuple. Toutes les organisations d’extrême gauche étaient présentes, ce qui n’était pas arrivé depuis deux années, pour réclamer la libération des deux directeurs. À l’extérieur des maoïstes vendaient à la criée le dernier numéro de La Cause du peuple qui avait été encore une fois saisie par le ministre de l’Intérieur. Selon Le Monde, l’atmosphère était surchauffée. Alain Geismar, porte-parole de la Gauche Prolétarienne, appela à manifester le jour du procès. Il ne faisait que reprendre le mot d’ordre du journal de son organisation, le n°23 daté du 23 mai : « Libérons les résistants, dans la rue le 27 ! »

 

L’éditorial débutait ainsi : « Le Dantec, Le Bris. Des dizaines d’ouvriers, petits commerçants et artisans, d’étudiants, de maoïstes sont à l’heure actuelle en prison. En France le terrorisme et l’arbitraire s’installent. Pourquoi tous ces emprisonnements ? Pour des faits qui relèvent du droit commun, se plaisent à dire ceux qui mènent la barque du gouvernement. […] » La conclusion appelait au combat : « Nous sommes prêts à donner notre sang dans la lutte ; plus la répression sera dure plus nous serons durs. Que vous le vouliez ou non, nous vous obligerons à reconnaître que ce que nous faisons c’est de la politique et pas autre chose. Quand nous disons : libérons les prisonniers, ce n’est pas à ceux du gouvernement que nous le demandons. Mais aux masses. Au peuple. LIBERONS LES RESISISTANTS ! CAMARADES, DEBOUT ! DECIDONS DE NOTRE SORT ! POUR LA LIBERTE, VIVE LA REVOLUTION DU PEUPLE ! »

 

Michel Le Bris fut condamné à huit mois de prison ferme, Jean-Pierre Le Dantec à un an par les juges de dix-septième chambre correctionnelle. Le préfet de police avait pris des précautions : la station de métro Cité avait été fermée, les pancartes latérales des autobus enlevées pour ne pas offrir de matériaux à d’éventuels manifestants violents, de nombreux cars de police stationnaient le long du Quai des Orfèvres, boulevard Saint-Michel. Plusieurs personnalités avaient témoigné en faveur des accusés : le Père Michel Blaize, franciscain, rédacteur de la revue Frères du monde, le Père Jean Cardonnel, dominicain et Jean- Paul Sartre. Le matin même, au conseil des ministres, sur proposition du ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin, fut décidé la dissolution de la Gauche Prolétarienne. Dans la même journée du 27 mai 1970, le ministre de l’Intérieur ordonna de saisir tous les exemplaires des numéros 15, 16, 17, 18 et 19 de La Cause du Peuple qui pourraient être trouvés.

 

Pour protester contre cette comparution et à la suite des appels lancés lors du meeting à la Mutualité, des manifestations violentes eurent lieu à Paris au Quartier Latin. Le Monde du 29 mai titra : « Violents accrochages entre forces de l’ordre et maoïstes ». Les reporters écrivaient : « Grenades lacrymogènes, barricades, incendies, une centaine de blessés tant dans les manifestants que parmi les forces de l'ordre : le mois de mai 1970 aura eu sa journée chaude mercredi au quartier Latin. » Lors de son procès devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, le 20 octobre, Alain Geismar évoqua cette journée, sur le mode grandiloquent et héroïque en usage dans les cercles dirigeants de l’ex-Gauche Prolétarienne :

 

« Le 27 mai la bourgeoisie a par deux fois provoqué les masses populaires, elle a prétendu juger les directeurs de La Cause du peuple, elle a prononcé la dissolution de la Gauche Prolétarienne. Face à cette double provocation la riposte a été violente et de masse. Pendant deux jours, des milliers de jeunes ont affronté les hordes policières en plein cœur du dispositif de bouclage. C’est la première fois depuis mai 1968 qu’un affrontement d’une telle ampleur s’est produit (…) »

 

Le 25 juin 1970, Alain Geismar, est arrêté dans un appartement de la rue de Londres. Il fut inculpé le 28 juillet de reconstitution de ligue dissoute, de provocation directe, suivie d'effet, à des violences à agents.

 

La liste des militants incarcérés ne cessait de s’allonger. Le Monde du 11 juillet 1970 publia des extraits d’une interview de Raymond Marcellin à Combat. Il faisait le décompte des auteurs « gauchistes » d’actes de violence : 90 écroués, 153 personnes en liberté́ provisoire, 150 peines de prison avec sursis, 202 peines d’amende. Ce bilan provisoire risquait de s’accroître, car les maoïstes avaient lancé une campagne « l’été chaud », promettant d’investir des plages privées, de s’en prendre aux vacances des riches. Ce fut un échec, même si un yacht fut couvert de fumier, un golf maculé, quelques slogans bombés ici et là.

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1 mai 2018 2 01 /05 /mai /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H le cardinal Daniélou qui mourra chez une prostituée « dans l'épectase de l'Apôtre qu'il était » (81)

Dans son discours d’investiture du 26 juin 1969, tout juste un an après le déferlement de la peur dans les urnes, le nouveau Premier Ministre du Président Pompe, le sémillant maire de Bordeaux, Jacques Chaban-Delmas, descendant de son perchoir de l’Hôtel de Lassay, avec son concept de « nouvelle société » tentait de tirer les leçons de mai 68 en desserrant l’étreinte : « Cette nouvelle société, quant à moi, je la vois comme une société prospère, jeune, généreuse et libérée [...] Une société libérée, celle dont nous rêvons, est une société qui, au lieu de brider les imaginations, leur offre des possibilités concrètes de s’exercer et de se déployer. » Derrière lui, une éminence sociale, Jacques Delors venant de la bouillonnante CFDT, pour pacifier les relations du travail toujours dominées par une CGT courroie de transmission du PC et un CNPF ossifié et rétrograde. À la Télévision d’Etat, la trop fameuse et jugulée ORTF, où les purges post-soixante-huit ont écarté les meilleurs, il nomme Pierre Desgraupes sur la 2e chaîne pour donner le sentiment d’une libéralisation de l’information. Il n’y a plus de Ministre de l’Information dans le gouvernement mais les barons, en rangs serrés, veillent sur la maison gaulliste rebaptisée Union pour la Défense de la République, tout un programme. L’amer Michel, Ministre d’Etat, ministre de la Défense est au premier rang. Un grand absent : Alain Peyrefitte et un petit nouveau, qui a fait ses preuves auprès de Pompidou lors des accords de Grenelle : Jacques Chirac chargé de marquer à la culotte le pas encore déplumé de Chamalières qui règne sur le Ministère de l’Economie et Finances : Valéry Giscard d’Estaing. Pauvre Chaban s’il savait ! Auprès du madré de Montboudif la Marie-France Garaud, avec son chignon et ses tailleurs Chanel, et le Pierre Juillet avec ses allures de hobereau du Limousin, lui feront la peau par deux fois.

 

L’aboyeur à chaîne et queue de pie les annonçait. Dans la salle des fêtes de l’Elysée qui bruissait des conversations l’irruption de Chloé en robe fourreau de satin blanc de lait, épaules nues, les mains gainées de gants longs immaculés, imposait le silence aux premiers rangs qui s’écartaient tout naturellement pour nous laisser passer. Que des vieux bedonnants et des grosses mémères permanentées, quelques ternes généraux en kaki, le cardinal Daniélou qui mourra chez une prostituée « dans l'épectase de l'Apôtre qu'il était »,  le très droitier Louis Pauwels, un rien dédaigneux, flanqué du sémillant Jean d’Ormesson, l’œil bleu et le sourire gourmant, qui lui s’inclinait légèrement lorsque Chloé le contournait sur son flanc droit, conversant avec l’inusable René Pleven, Garde des Sceaux, mal à l’aise dans son habit défraîchi et lustré, le Ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin. Un instant Benoît balança d’aller lui présenter Chloé mais le bel Albin Chalandon, grand ami de madame mère, se fendait d’un baisemain sous l’œil vigilant de la grande Catherine. Cet intermède permettait à Benoît de s’esbigner pour se diriger vers le buffet qui, dans ce genre de pinces-fesses, bénéficiait d’une position idéale pour les fouilles-merdes dans son genre car on y capte les conversations de types qui ne pensent qu’à y accéder. Les éminences ne s’en approchent pas, les serveurs les abordent avec leurs plateaux, mais les deuxièmes couteaux, très ramenards s’y pressent, et la récolte se révèle souvent de qualité. Les chuchotis d’alcôves, les faiblesses d’untel pour les petites filles, l’adresse de l’appartement où une excellence prend du bon temps pendant les séances de nuit de l’Assemblée, le fétichisme d’un haut magistrat de la Cour de Cassation surpris en talons aiguilles et perruque blonde dans un club privé très sélect… Benoît enregistrait. Ce soir-là, son attention fut attirée par l’étrange manège du Ministre des Finances autour de l’héroïne du dernier film de René Clément, Le Passager de la Pluie. Avec sa bouille marrante pleine de son elle semblait l’aimanter.

 

Alors qu’il sirotait du Laurent-Perrier Grand Siècle aux abords d’un petit cercle regroupant le Directeur du Trésor, le Gouverneur de la Banque de France, le Secrétaire-Général du Gouvernement et Ambroise Roux, le tout puissant PDG de la Compagnie Générale d’Electricité, en faisant semblant d’écouter un député à qu’il avait eu la stupidité de dire qu’il était l’imprésario de Marlène Jobert et qui le pressait de la lui présenter, une main se posait sur son épaule. « Alors mon grand on prend goût aux mondanités… » Le père de Marie, le seul dans cette assemblée à pouvoir se permettre de porter une chemise au col largement ouvert sur une sorte de blouse de maquignon bleue marine, le prenait dans ses bras comme s’il accueillait le fils prodigue. Avec un art consommé de la provocation il clamait, en faisant semblant de ne s’adresser qu’à Benoît « Ce pauvre Chaban n’est qu’un réformateur d’opérette, il n’a pas la dimension d’un Kennedy, ce n’est qu’une pâle copie qui zézaye et pense que porter beau suffit pour incarner le renouveau. Comment a-t-il pu mettre Malraux au rencart ? J’aime bien ce pauvre  Michelet, c’est un honnête et un saint homme mais on ne succède pas à la Culture à un Malraux vivant… » Tout en continuant de parler haut et fort il tirait Benoît par la manche jusqu’au groupe qui s’agglutinait autour de Chloé. Sans ménagement il se frayait un passage jusqu’à elle et lui ouvrait les bras. Elle s’y jetait. « Viens ma grande je vais te présenter au seul véritable homme d’Etat de cette pauvre Italie… » et ils faisaient mouvement vers là où se tenaient les officiels italiens. Au milieu d’eux, Olivier Guichard, qui affichait son habituelle tronche de cocker ennuyé, conversait avec un type à la mine austère. Après avoir donné l’accolade au père de Marie, c’est lui qui fit les présentations : « mon ami Aldo Moro… »

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30 avril 2018 1 30 /04 /avril /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H « nous avions un faible pour les actions symboliques. L’action symbolique était une action de commando, qui essayait d’être son propre mass media. Nous avions le sens de la publicité ! » Gérard Miller. (80)

Armand suite, à un séjour hallucinant dans une planque de la GP pleine d’odeurs mêlées, le rance des corps non lavés, le fade des chaussettes et l’âcre du tabac froid, où, sous la poigne inflexible de Victor, les frelons avaient dû, les uns après les autres, faire leur autocritique, se portait candidat pour changer de bord. Les ordures du SAC pesaient bien plus lourd que tous ces brillants intellectuels, où supposés tels, qui se complaisaient dans l’autoflagellation, en redemandaient, ânonnaient une langue de bois digne du Petit Livre Rouge de Mao mais en plus terne. Dans la bande, le seul qui se marrait, c’était l’enfoiré de Gustave qui en rajoutait dans le sadisme. Lui qui, avec Armand, représentait les vrais prolos dans le premier cercle, tout en s’empiffrant comme un chancre et en engloutissant des litres de Valstar au goulot, jouait au gardien de l’orthodoxie de la ligne de la GP. Dans ce cénacle de petits bureaucrates asservis, où tout procédait de la parole d’un seul individu, la vieille fiotte de Gustave pouvait tout se permettre, même de pisser sur la tête d’un type, dont je tairai le nom, depuis il s’est rangé dans l’édition, qui avait osé avouer, en s’excusant platement, que la ligne politique du dernier tract distribué porte Zola à Renault Billancourt, lui semblait en contradiction avec ce que Victor avait déclaré la semaine précédente. Gustave avait bramé. S’était relevé péniblement tout en se débraguettant. Son gros vis mollasson serré entre ses doigts gluants de l’huile des frites qu’il avait acheté au bistrot d’en face, il était venu se placer à l’à pic du pauvre bougre assis en tailleur à même le plancher. « Toi mon petit con faut que je te baptise pour que t’arrêtes de dire des conneries sur le Chef… »  Personne n’avait moufté, sauf Armand qui s’était contenté, lors d’une défécation de Gustave, de le menacer de lui faire bouffer ses étrons s’il lui revenait à l’idée de recommencer.

 

La mémoire de cette époque n’a retenu que quelques images : Jean-Paul Sartre et quelques intellectuels embarqués dans un panier salade à l’occasion de la vente d’exemplaires de La Cause du peuple, saisie par le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, des photographies de « guérilla urbaine » au Quartier Latin le 27 mai 1970, le jour du procès de deux directeurs de La Cause du peuple, Jean-Pierre Le Dantec et Michel Le Bris, le philosophe juché sur un bidon à Boulogne-Billancourt pour haranguer les ouvriers de chez Renault à l’occasion du procès d’Alain Geismar. Cette sélection mémorielle oriente vers une interprétation de ces épisodes de manifestations et de contestations en termes de délits de presse, de répression de la liberté d’expression. Ce serait une lecture fort réductrice puisqu’elle occulterait la nature de l’affrontement entre le pouvoir en place et une fraction de l’extrême gauche, principalement maoïste et incarnée dans deux organisations de cette obédience, la Gauche Prolétarienne et Vive la Révolution.

 

Le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin imaginait qu’il y avait un complot international extrémiste pour déstabiliser le régime et il s’efforçait de réprimer les actions et la propagande des plus radicaux. La Gauche Prolétarienne multipliait les actions violentes et les proclamations incendiaires. Le livre d’Alain Geismar, Serge July et Erlyn Morane, Vers la guerre civile, publié en 1969, s’efforçait de théoriser cet affrontement entre les « nouveaux partisans » et l’Etat, la « nouvelle résistance populaire » face à la bourgeoisie. La thèse de Jean-Paul Étienne, La Gauche prolétarienne (1968-1973) : illégalisme révolutionnaire et justice populaire, soutenue en 2003, aborde clairement la nature de l’affrontement qui caractérisa ces années-là. Gérard Miller dans Minoritaire (Stock, 2001) revint sur le sens des actions menées par les maoïstes de la Gauche Prolétarienne : « […] nous avions un faible pour les actions symboliques. Pour les actions qui tentaient d’imposer leur propre grille de lecture et dont nos adversaires pouvaient plus difficilement dénaturer l’intention louable qui les avait inspirées. […] L’action symbolique était une action de commando, qui essayait d’être son propre mass media. Nous avions le sens de la publicité ! »

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29 avril 2018 7 29 /04 /avril /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Quand Sartre, sur RTL, affirmait que « l’existence même de Fauchon est un scandale » ça plaisait à la Rive Gauche, aux grands bourgeois qui adorent se dédouaner en applaudissant les Robin des Bois, ça énervait la CGT de Billancourt (79)

Passer des sandwiches pourris arrosés de café jus de chaussettes au caviar à la louche sur pain toasté dégusté entre deux verres de vodka frappée bus cul sec faisait partie de leur ordinaire. Ils l’assumaient, sans état d’âme car le temps qu’ils vivaient essorait les derniers relents d’une France moisie et, chacun sur leurs territoires, leurs « camarades » de la GP en rupture temporaire de classe, et les « coquins » de la sphère politico-immobilière escaladant l’échelle sociale à grandes enjambées – un peu à la Chaban gravissant les escaliers – participaient à l’extraction du jus du bubon. Le marxisme-léninisme et son dernier avatar le maoïsme, victime de la surpâture collectiviste qui transforme les individus en « protégés » de l’Etat incapables de se prendre en charge, entrait en une longue phase terminale alors que la société de consommation, elle, vivait une adolescence chaotique.

 

Le plus extraordinaire au cours de cette période où se mêlaient le plomb des enragés et l’or pétant des parvenus sur le fond mou d’une classe moyenne désintégrant de l’intérieur ce que les hiérarques néostaliniens du PC, assujettis à la nomenklatura soviétique, et leurs permanents de la CGT, continuaient de qualifier de classe ouvrière, fut le délitement de l’influence de église catholique de France à la fois sur les élites et surtout sur le petit peuple. Les séminaires se vidèrent. Toute une génération de prêtres défroquait. L’irruption du sexe-roi et de l’amour libéré par la pilule autorisée par la loi Neuwirth du 27 décembre 1967 mettaient à mal la chape de sujétion pesant sur les femmes depuis des millénaires. Elles bossaient, revendiquaient le droit de faire des enfants à leur guise, de disposer de leurs corps, de divorcer, de ne plus assurer seule l’élevage des enfants et les tâches ménagères, sapant ainsi les derniers supports de la cellule familiale. Le pompidolisme, avec son enrichissez-vous débridé, ouvrait la voie du déclin des grandes citadelles du contrôle social du peuple : l’Église et le PC. Et pourtant, pour ce dernier, le score mirobolant du pâtissier stalinien Jacques Duclos à l’élection présidentielle de 1969,  4 808 285 voix, 21,27% des exprimés, faisait illusion. Le fiasco du couple improbable Deferre-Mendès-France y était certes pour beaucoup mais les masses amorçaient lentement le grand virage qui allait mener une partie d’entre-elles dans les bras de Jean-Marie Le Pen. Mitterrand achèverait le travail du côté gauche, Giscard lui, avec son libéralisme avancé, le ferait à droite du côté des bien-pensants quelque peu médusés.

 

Le dernier exploit en date de l’avant-garde éclairée et agissante du prolétariat fut un raid des maoïstes de la gauche prolétarienne, l’attaque spectaculaire de l’épicerie Fauchon, place de la Madeleine le 8 mai 1970. Après avoir immobilisé les vendeurs, ils entassèrent dans de grands sacs des blocs de foie gras truffé, des alcools fins, des pâtés en croûte, des marrons glacés qu’ils distribuèrent le lendemain dans des bidonvilles et foyers de travailleurs de Saint-Denis, de Nanterre et d’Ivry-sur-Seine. Leurs slogans : « Récupérons sur les patrons le fruit de notre travail », « on a raison de voler les voleurs ». Une étudiante, membre du groupe de « partisans », Frédérique Delange fut coincée dans le magasin et arrêtée. Incarcérée dans la prison de la Petite-Roquette, Elle fut jugée le 19 mai 1970 et condamnée à plusieurs mois de prison. La Cause du peuple du 23 mai rendit hommage à la jeune condamnée Frédérique Delange : « Et depuis le procès scandaleux, l’action chez Fauchon est un exemple à un autre titre : notre camarade Frédérique a manifesté un courage très simple. Elle a donné une image claire du jeune partisan. » Quand Sartre, sur RTL, affirmait que « l’existence même de Fauchon est un scandale » ça plaisait à la Rive Gauche et aux grands bourgeois qui adorent se dédouaner en applaudissant les Robin des Bois, ça énervait la CGT de Billancourt, et surtout ça inquiétait la France des rentiers. La stratégie de Marcellin, le nouveau Fouché du régime, par l'entremise de ses supplétifs encartés de la cellule MR, dont nous étions, et de ses barbouzes du SAC, qu’Armand fréquentait, consistait à jouer de la peur en agitant les marionnettes de la GP, dont j’étais aussi. Assez bizarrement, l’opinion publique, jugeait avec indulgence le raid de la GP chez Fauchon, sans doute parce que, pour une fois, en distribuant du foie gras dans les bidonvilles, les intellos touchaient le côté abbé Pierre des français que Coluche et le Téléthon viendront amplifier lorsque viendra le temps des nouveaux pauvres.

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28 avril 2018 6 28 /04 /avril /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Le groin du Prince Poniatowski fouissait déjà la fange, où se vautraient quelques compagnons des gaullistes, pour le compte de son mentor Giscard (78)

La croisière sur le Mermoz organisée par les fondateurs de la Garantie Foncière : Robert et Nicole Frenkel pour séduire les rentiers de la France profonde, celle qui avait tant aimé Vichy et le Maréchal, de façon caricaturale offrait un échantillon représentatif de cette France éternelle qui osait de nouveau affirmer son attachement aux valeurs du bon monsieur Guizot. Ces petits bourgeois, boutiquiers ou notaires, maquignons ou petits patrons, ralliés bon gré mal gré au grand escogriffe de Colombey, qui après tout, en dépit de son reniement algérien et de ses fantaisies d’indépendance nationale, avait ramené la stabilité et l’ordre, trouvaient en Pompidou un bon syndic de succession. Après la grande peur de mai l’heure était de nouveau au recyclage des bas de laine et des lessiveuses dans la pierre pour les accédants à la propriété.  En embarquant sur le Mermoz Benoît ne pouvait s’empêcher de penser à ses compagnons de mai, les ouvriers des chantiers de Penhoët, à Saint-Nazaire, où le navire fut construit pour l’armement Fabre-Fraisinet et lancé le 17 Novembre 1956 sous le nom du célèbre aviateur Jean Mermoz et, comme avant de passer aux croisières Paquet, en 1965, il fut réquisitionné pour rapatrier les troupes françaises d’Algérie suite aux accords d’Évian. Il fit remarquer à Chloé, sa sœur pour les besoins de la cause, qu’il voyait là un symbole de la France du président Pompe : toute une flopée d’anciens partisans de l’Algérie française allait se goberger sur un rafiot, symbole de la dernière retraite de notre armée d’Afrique, et reformaté par la classe laborieuse en paquebot de croisières d’hiver. En plus, ce pauvre Mermoz en avait perdu au passage son prénom.

 

Le Mermoz cadrait bien avec le public de la croisière, son luxe copié, parfois avec bonheur comme pour tout ce qui touchait la table, sur les transatlantiques mythiques se complaisait dans le toc petit bourgeois. Les Frenkel avaient mis les petits plats dans les grands pour séduire les rentiers. Ces cons pensaient sans doute que le couple les régalait sur sa cassette personnelle alors que, bien sûr, ils le faisaient sur leur propre bas de laine. Benoît avait toujours été fasciné par l’acharnement des à grippe-sous à grappiller, à vivre sur les autres, à accumuler, à compter, besogneux, méfiants et âpres, paraissant insusceptibles de se laisser aller à céder à la séduction d’aventuriers vendeurs de pacotille. Et pourtant, la perspective d’un taux à deux chiffres, dans le confort et la « solidité » d’un statut juridique chanté par les  gnomes de la rue de Rivoli, leur faisait abandonner la plus élémentaire prudence. Les fourmis devenaient lucioles autour des feux de l’or. Les rombières éblouies exhibaient même leur quincaillerie sur leurs poitrines molles et autour de leurs doigts boudinés. Leurs vieux coqs, semblables à des chapons enserrés dans des costumes trois pièces qui sentaient la naphtaline, profitaient de l’aubaine pour mater sans vergogne les quelques dames tarifées embauchées pour l’occasion par le couple infernal. La volaille dodue s’offrait sans résistance, le croupion frétillant et la crête enflammée, aux mains agiles des aigrefins pour se faire plumer en dansant sur des valses de Strauss.

 

Tout souriait à Robert Frenkel, qui se présentait comme le simple directeur financier de la Garantie Foncière, animait des tables rondes, où certains journalistes stipendiés de la presse financière lui servaient la soupe moyennant bakchich. Face aux hésitants, le petit homme rondouillard ne lésinait pas sur le calibre des arguments choc « Nous avons parmi nos actionnaires un lauréat du Nobel. Nous avons en portefeuille des décisions de juges des tutelles qui ont autorisé le placement de biens de mineurs à la Garantie Foncière… ». Frenkel ne doutait de rien, il se sentait protégé. Nous disposions enfin des explosifs nécessaires pour faire péter le système de l’intérieur. Le Figaro, qui en ce temps-là honorait sa devise, leva le lièvre dès septembre 1969 : « S’il l’on en croyait certaines publicités tapageuses, il existerait, pour reprendre l’expression d’un analyste-financier, des sociétés-miracles. Elles permettraient des rendements nets si élevés – plus de 10% pour certaines d’entre elles – qu’on voit mal comment ils pourraient être effectivement obtenus. On le voit d’autant moins que la gérance prélève le plus souvent une partie des fonds versés par le souscripteur et une partie également des loyers versés par elle. Pour donner du 10%, cela supposerait une rentabilité des capitaux investis de l’ordre de 14 à 15%, bien peu probable, surtout pour des locaux commerciaux d’acquisition trop récente pour qu’une indexation ait pu déjà jouer ; quant aux locaux d’habitation, cela apparaît à peu près impossible. »

 

Élémentaire mon cher Watson, lorsque les journalistes font leur boulot au lieu de jouer les haut-parleurs du discours dominant, la vie des « copains et des coquins » se révèle plus difficile. Le groin du Prince Poniatowski fouissait déjà la fange, où se vautraient quelques compagnons des gaullistes, pour le compte de son mentor Giscard tenu par la solidarité gouvernementale en tant que Ministre des Finances. En janvier, à la suite d’une lettre du jeune déplumé de Chamalières, le procureur général de Paris avait ouvert une information judiciaire contre X à l’encontre de la Garantie Foncière visant des délits d’ « abus de biens sociaux, abus de confiance et autres infractions à la législation ». Le grand public l’ignorait mais pas nous qui attendions notre heure pour précipiter le processus de décomposition et faire que l’explosion de la bulle éclabousse au maximum le régime. Quand Benoît écrivait ces lignes il ne pouvait s’empêcher de penser que l’adage populaire, selon lequel l’histoire est un éternel recommencement, s’appliquait toujours à merveille à celle des escrocs financiers. Plus c’est simple, plus c’est gros, plus ça passe comme une lettre à la poste. En rentrant à Paris après la croisière sur le Mermoz, excités comme des puces, Chloé et Benoît avaient décidé de se replonger la tête la première dans le marigot de l’ultragauche.

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27 avril 2018 5 27 /04 /avril /2018 07:00
Victor Rochenoir, avocat-conseil,@rue des archives/AGIP

Victor Rochenoir, avocat-conseil,@rue des archives/AGIP

Nicole Frenkel, l’épouse et complice de robert, gérait la COFRAGIM, la société de gestion des immeubles financés par le blé récolté par la Garantie Foncière en se plaquant sous un homme de paille : André Rives de Lavaysse, plus connu sous le nom de Rives-Henry.  Paravent idéal, c’est un militant gaulliste qui à la Libération représente de Gaulle dans le sud-ouest. Chargé de mission de Chaban-Delmas, président de l’Assemblée Nationale, de 1960 à 62. En 1963, il est l’adjoint de Jacques Baumel secrétaire-général de l’UNR. Élu député du 19e arrondissement en novembre 62, battu en 67 mais réélu avec le raz-de-marée gaulliste de juin 68. Chaban étant le 1e Ministre du Président Pompe c'était du lourd donc ; du lourd qui arrondissait ses fins de mois dans une myriade de sociétés. Les Frenkel menaient grand train. Ils avaient un goût effréné du luxe et de l’argent. Le Tout Paris bon chic se gaussait des pyjamas en lamé d’or de Robert Frenkel. C’était un bourreau de travail, séducteur et qui savait inspirer la confiance à ses clients. Pour se faire admettre dans le cercle ils profitèrent  d’une « croisière-séminaire » organisée par les dirigeants de la Garantie Foncière sur le luxueux paquebot Mermoz. Quoi de plus favorable que le huis-clos d’un paquebot pour nouer les fils d’une infiltration.

 

À la fin des années 1960, la machine se grippera. Le scandale éclatera, amplifié par les accointances politiques de Rives-Henrÿs, que Robert Frenkel a choisi comme PDG pour son pedigree impeccable et son caractère arrangeant. «Parmi les 17 inculpés du procès se trouvent un ex-député, un avocat ayant appartenu au Conseil économique et social, un ancien journaliste, deux anciens directeurs de banque et des personnages qui après avoir touché à bien des commerces ont fini par débiter de l’épargne comme on vend des cravates à la criée». Benoît évoquant l’aplomb des escrocs, se rappelait : «Quel extraordinaire spectacle dont le bouquet fut la croisière méditerranéenne du paquebot «Mermoz». Là, pendant près d’une semaine, MM Rives-Henrÿs et Frenkel ont expliqué la solidité de leur formule aux épargnants, tandis que le champagne coulait à flots et que le jerk reposait des exposés techniques.»

 

Robert Frenkel est en affaires aussi avec un ancien camarade de régiment, Victor Rochenoir. Avocat-conseil de la société, celui-ci a été à trois reprises candidat à la députation comme gaulliste de gauche. Une photo de lui fait jaser. Elle le montre en compagnie de Georges Pompidou, élu chef de l'Etat en 1969, et de Jacques Baumel, le secrétaire général de l'UDR, au cours d'une réunion politique comme il y en a tant. De là à penser qu'il a bénéficié de protections... Un jour Victor Rochenoir plaisante avec Robert Frenkel au téléphone : « N'oublie pas les 180 millions que tu as donnés pour la campagne électorale de Pompidou. » C'est faux, mais ils sont sur écoute et l'opposition en fait ses choux gras. Premier secrétaire du PS depuis peu, François Mitterrand a ce commentaire hardi : « Des scandales, des malhonnêtetés seraient possibles sous un autre régime. Mais une société socialiste n'offrirait pas le champ libre à la spéculation, ne livrerait pas les terrains à la jungle des intérêts. »

 

Pour son procès, qui s'ouvre en octobre 1973, Rives-Henrÿs, ci-devant compagnon gaulliste, a choisi comme avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour, une figure de l'extrême droite, dont le pouvoir redoute le pire. À son grand soulagement, les débats ne dégénèrent pas. Trois mois de procès, 36 audiences. En mars 1974, Rives-Henrÿs, Robert Frenkel et Victor Rochenoir sont condamnés à des peines d'emprisonnement ferme que la cour d'appel confirme quelques mois plus tard. Ce fut l'épilogue d'un joli scandale qu'Henri Salvador avait mis en chanson : « Ah, la Garantie foncière/Ça c'était la bonne affaire/Je m'voyais déjà propriétaire/Rien n'est plus sûr que la pierre. »

 

En 2000 Frenkel refait aujourd´hui parler de lui à Genève en s´appropriant l'héritage familial, au détriment de sa mère et de ses deux frères. Il est le fils d'Hermann Frenkel, l'importateur des jeans Levi's en France et en Allemagne. À sa mort en 1989, celui-ci laisse à sa famille 22 millions de francs suisses, gérés par une fondation au Liechtenstein. Robert Frenkel, qui s'est reconverti dans le commerce de l'or à Gibraltar, conseille à sa mère, Mélanie, de transférer l'argent à Genève. Il fait même signer à la vieille dame, qui ne parle pas anglais, de nombreux documents rédigés dans la langue de Shakespeare. Résultat, l'argent va peu à peu quitter la Cité de Calvin pour rejoindre une société lui appartenant à Gibraltar. « La plainte de sa mère a été classée pour cause de prescription en 1999. Mais ses deux frères Alfred et Jean-Claude ont fait recours », explique Bernard Bertossa, le procureur général de Genève. La plainte des frères Frenkel s'appuie sur de nouveaux documents produits par le gérant des fonds jusqu'à la mort du père. Ce « délit entre familiers » a-t-il plus de chances d'être reconnu? De son côté, Robert Frenkel rejette totalement les accusations de captation d'héritage. Il vient de changer de métier: il a abandonné l'or pour devenir « courtier off-shore en produits dérivés ». Tout un programme.

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