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5 juin 2011 7 05 /06 /juin /2011 02:00

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Au milieu du livre une coupure de journal était pliée en quatre. Je la déployais. C’était la couverture de Charlie-Hebdo « Bal Tragique à Colombey : 1 mort ». La mort du Général, le 9 novembre 1970, à Colombey, peu avant le dîner, je l’avais complètement occultée. Et pourtant, le Grand nous l’avions brocardé, même ébranlé au long de ce mois de mai où il n’avait rien compris au film. Là, au milieu d’une réussite, il s’effondre sur sa table de jeu. Foudroyante rupture d’anévrisme, Charles de Gaulle rend le dernier soupir à 19h30. De Gaulle et le gaullisme partait les pieds devant et le premier cercle faisait sentir à Pompidou qu’il n’était pas du clan. Tante Yvonne claquait au nez du Président de la République le cercueil du Grand Homme, elle faisait sceller la bière juste avant sa venue. Seuls Michel Debré, Massu et quelques rares intimes ont pu voir une dernière fois le visage du Général. Mais quoiqu’ils en pensent, la page est définitivement tournée, Georges Pompidou avec la disparition du père va se métamorphoser, lors de sa quatrième conférence de presse, Jacques Fauvet du Monde note qu’il paraît plus brillant que jamais « comme si une ombre silencieuse mais pesante avait disparue. » Pompidou reprend l’UDR en mains : Pierre Juillet est à la manœuvre pour remplacer le brillant Robert Poujade au Secrétariat Général par René Tomasini, dit Toto. Lui ne fait pas dans la litote mais le coup de poing sur la table, pas d’états d’âme mais des excès verbaux et surtout une opposition virulente à la Nouvelle Société de Chaban. Il va appliquer les directives du Château avec énergie, raideur et brutalité. Ses premières victimes sont les magistrats dont il dénonce la lâcheté. Bien sûr Pleven, le Garde des Sceaux s’offusque mais comme le note Raymond Barrillon dans le Monde il est patent que « Pompidou n’a pas vilipendé Tomasini »

 

La bonne pestilence des coups tordus du marigot UDR titillait mes neurones engourdis, le retour à la niche allait me faire le plus grand bien. Marie-Amélie avait fait expédier mes bagages par avion et je pus donc me présenter au dîner dans une tenue digne de mon hôtesse toute vêtue de blanc. Clarisse avait fait Sciences-Po puis les Langues O avant de travailler dans le trading chez Louis Dreyfus. Brillante, excellente analyste des rapports de force en présence, notre dîner en tête à tête, afin d’éviter des éventuelles indiscrétions préjudiciables à ma sécurité, se résuma à un échange sur la politique étrangère de la France où je fis preuve de mes béantes insuffisances. La belle Clarisse pensait que Pompidou libérée de la stature du Père se voyait dans la peau du Cavour du Vieux Continent, il voulait affirmer l’ambition européenne d’une France en passe de redevenir une puissance économique de première importance. Pour faire avancer la construction européenne il souhaitait ouvrir les portes de la CEE à l’Angleterre. Des contacts se nouaient entre Michel Jobert, secrétaire-général de l’Elysée et Christopher Soames, gendre de Churchill, ambassadeur britannique à Paris européen convaincu. Rien d’officiel, que de l’informel, des discussions, notait ma fine analyste en découpant un train de côtes impressionnant. Sa conversation me faisait grand bien car je ne sentais chez elle aucune envie de me voir occuper sa couche pour ma seule nuit argentine. La viande était excellente et le vin très acceptable. Au dessert nous passâmes sur la terrasse où on nous servi des sorbets à la liqueur puis un café très fort. Clarisse m’entraînait ensuite dans les vignes en passant son bras sous le mien. L’air était tendre je me sentais revivre.

 

« Marie-Amélie m’a tout dit de votre vie aventureuse...

- N’exagérons rien...

- Ne faites pas l’enfant, vos amis américains ne vont pas goûter la nouvelle orientation que vous donnez à votre vie et le paquet d’argent que vous ont confié les généreux donateurs qui ne rêvent qu’au golpe va aussi aggraver votre cas... Dans ce pays ils ont de bons relais et votre passage à la frontière a laissé des traces qui viendront vite à leur connaissance. Si vous voulez les semer il vous faut quitter ce pays sans qu’ils le sachent...

- Difficile de quitter ce pays sans montrer patte blanche. Il faut que je prenne le risque...

- Vous êtes en Amérique du Sud, cher Monsieur, les gens de ma condition y ont leurs aises, leurs privilèges. L’Argentine est un pays de grands espaces et pour nous déplacer rien de mieux que de beaux bimoteurs. Nous volons...

- Vous volez ?

- Oui je suis un excellent pilote et les frontières à tire d’ailes ça se saute sans problème...

- Pourquoi prendriez-vous des risques pour moi ?

- Parce que ça mettra un peu de piment dans une vie bien monotone...

- Et si je refuse !

- Vous ne refuserez pas parce que vous avez une folle envie de retrouver notre beau pays. Je me trompe ?

- Non...

- Alors nous partons demain à l’aube. J’ai déposé un plan de vol mais nous nous permettrons quelques fantaisies... Vous avez envie de dormir ?

- Non !

- Alors suivez-moi !

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29 mai 2011 7 29 /05 /mai /2011 02:06

Au petit matin Marie-Amélie me déposait au centre de Mendoza dans un le hall d’un bel hôtel où m’attendait l’une de ses amies françaises : Clarisse de Rabutin-Chantal mariée à un riche propriétaire argentin. Nous prîmes un petit déjeuner copieux puis la comtesse pris congé avec une dignité un peu raide. Elle m’avait prévenu : « surtout pas d’effusions sinon je craque et vous m’aurez sur les bras ce qui ne serait pas pour vous un cadeau ». Je ne pus m’empêcher de me lever pour lui dire merci en l’embrassant sur les deux joues. Elle s’empourprait et ses yeux s’embuaient. Je la prenais par le bras pour la conduire au dehors. Devant la moto elle fondait en larmes et  murmurait en reniflant « Je me donne en spectacle. Je suis ridicule mais ventrebleu ça fait du bien. Pensez à moi et vivez mieux petit con...» En la regardant s’éloigner je repensais à ce que m’avait dit Chloé à mon retour de RDA « Nous partons ensemble pour le Chili mon beau car le camarade Allende cause du souci à nos amis américains... Calme-toi mon grand nous n’avons pas le choix. Nous sommes cernés par des ordures bien propres qui passent leur temps à foutre le bordel là où la situation leur échappe. Monsieur Dole nous tient alors va pour un petit voyage pour Santiago mais nous lui garderons un chien de notre chienne a cet empaffé. » Ma parenthèse chilienne se refermait mais il me fallait maintenant retrouver le sol français de Guyane sans que les truffes de la CIA maraudant en Argentine me repèrent. Ma liberté était à ce prix.

 

Clarisse, au fond de la limousine qui nous menait dans l’une des bodegas de son époux, avec le petit air surpris que savent prendre les femmes à propos de leurs amies me déclarait « Vous me l’avez transformé ma Marie-Amélie. Méconnaissable ! Vous êtes le diable cher Monsieur... Je l’envie... » Mon état de crasse et de fatigue était tel que je me contentai de répondre, fataliste « Sachez madame que ce sont toujours les femmes qui décident. Les hommes ne sont que stupides vaniteux... » Elle éclatait de rire. C’était une petite blonde classique, sans aspérités ni maquillage, un peu ronde et rose, bien proportionnée, avec de belles mains aux ongles fins, pas du tout mon style sauf s’il me prenait un accès de libido NAP. Tel n’était pas le cas j’avais envie d’une douche et d’un bon lit pour dormir. Mon hôtesse me confia à une armada de domestiques qui me récurèrent avant que je ne me glisse dans des draps bien frais. Ce ne fut pas une nuit car je dormis comme une souche tout le long de la journée. À mon réveil je fis le tour de ma vaste chambre dont tout un mur était occupé par une belle bibliothèque grillagée. Muni d’un escabeau j’entreprenais d’en faire un rapide inventaire. Première constatation c’était une vraie bibliothèque, pas un mur de livres pour épater la galerie. Les livres m’ont toujours fasciné. J’aime les toucher, les ouvrir, les feuilleter. Et puis ça faisait si longtemps que j’avais abandonné leur fréquentation que je me sentais submergé par l’émotion. Celle-ci fut si forte que dans un premier temps je ne m’apercevais même pas qu’elle était exclusivement francophone. Ce n’est que lorsque je mis la main sur le Tome 2 des Mémoires de l’Espoir l’Effort de Charles de Gaulle pour en prendre conscience.

417133630_ML.jpgAssis en tailleur sur le lit j’entreprenais, non pas une lecture rapide dont je suis adepte mais la recherche d’un je ne sais quoi qui me reconnecte à la réalité française que j’avais délaissé lors de mon séjour chilien. À la page 112 sur le portrait de Pompidou. Je me plongeais dans sa lecture « Georges Pompidou m’a paru capable et digne de mener l’affaire à mes côtés. Ayant éprouvé depuis longtemps sa valeur et son attachement, j’entends maintenant qu’il traite, comme Premier ministre, les questions multiples et complexes que la période qui s’ouvre va nécessairement poser. En effet, bien que son intelligence et sa culture le mettent à la hauteur de toutes les idées, il est porté par la nature à considérer surtout le côté pratique des choses.

Tout en révérant l’éclat dans l’action, le risque dans l’entreprise, l’audace dans l’autorité, il incline vers les attitudes prudentes et les démarches réservées, excellant d’ailleurs dans chaque cas à embrasser les données et à, dégager une issue. Voilà donc que ce néophyte du forum, inconnu de l’opinion jusque dans la cinquantaine, se voit soudain, de mon fait et sans l’avoir cherché, investi d’une charge illimitée, jetée au centre de la vie publique, criblé par les projecteurs concentrés de l’information. Mais, pour sa chance, il trouve au sommet de l’Etat un appui cordial et vigoureux, au gouvernement des ministres qui, dévoués à la même cause que lui, ne lui ménagent pas leur concours, au Parlement, après la courte épreuve du référendum et des élections, une majorité compacte, dans le pays une grande masse de gens disposés à approuver de Gaulle. Ainsi couvert par le haut et étayé par le bas, mais en outre confiant en lui-même à travers sa circonspection, il se saisit des problèmes, en usant, suivant l’occasion, de la faculté de comprendre et de la tendance à douter, du talent d’exposer et du goût de se taire, du désir de résoudre et de l’art de temporiser, qui sont les ressources variées de sa personnalité. Tel que je suis et tel qu’il est, j’ai mis Pompidou en fonctions afin qu’il m’assiste au cours d’une phase déterminée. Les circonstances pèseront assez lourds pour que je le maintienne plus longtemps qu’aucun chef de gouvernement ne l’est resté depuis un siècle. » Beau comme un rapport de forces, Pompidou ne doit son exceptionnel destin qu’à la faveur quasi-surnaturelle du prince.

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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 02:00

150px-Alfredo_di_stefano1947-2.jpg

L’Amérique du Sud est une terre de football où, avec le Brésil et l’Uruguay,  l’Albiceleste : l’équipe d’Argentine, avec son emblématique maillot ciel et blanc en rayures verticales, tient une place de choix. Toute ma culture footballistique je l’ai acquise dans la police, au commissariat du Blanc-Mesnil, où le ballon rond constituait l’essentiel de nos sujets de conversation. Dans la bande de traîne-lattes que nous formions un de mes collègues, Lluis Ferrer, tranchait par ses connaissances encyclopédiques. Fils d’un catalan du POUM réfugié en France, il nous gavait mais tous reconnaissaient qu’il était incollable. Sa douleur, car c’en était une, c’était de ne pouvoir se rendre physiquement au Nou Camp pour voir jouer les Blaugranas. Il m’arrivait, les soirs d’ennuis, de m’attabler face à lui dans un café pour l’écouter, en buvant des litres de bière et en grillant des Boyards maïs, me parler de la haine qu’il vouait au Réal Madrid le club du Caudillo. L’écouter m’aidait à vivre. Je ne disais rien mais sans le savoir ni le vouloir j’emmagasinais tout sur le FC Barcelone. C’est ainsi qu’un soir, alors que pour le titiller je venais de lui avouer qu’en dehors d’Alfredo Di Stephano qui avait joué avec Raymond Kopa au Réal je ne savais rien sur le foot en Espagne, Lluis me raconta l’histoire du transfert d’Alfredo en Espagne en 1953.

 

Elle ressortait fraîche, sans une ride de mes souvenirs, et je la servais à mes interlocuteurs argentins qui ne pipaient mots. Les yeux de Lluis, en me la racontant, brûlaient vraiment d’un feu meurtrier. Barcelone fut le premier à se renseigner sur le joueur et à négocier son transfert avec River Plate. Celui-ci se conclut pour 4 millions de pesetas à compter du 1er janvier 1955. Le 23 mai 1953, di Stefano arrivait en Catalogne pour signer son contrat et disputait trois matchs amicaux avec le club. Mais la négociation avec le club de Los Millonarios de Bogota, propriétaire du joueur jusqu'au 1er janvier 1955, pour le libérer par anticipation achoppaient sur les exigences du président du club colombien qui exigeait 27 000 dollars (1,350 million pesetas), montant jugé trop élevé par le président de Barcelone. C’est alors que le tout puissant président du Réal de Madrid, Santiago Bernabéu, chargeait le trésorier du club, Raimundo Saporta, de négocier le transfert. Celui-ci se rendait à Buenos Aires pour rencontrer les dirigeants de River Plate mais ceux-ci l'informaient de l'accord passé avec Barcelone. Il contactait alors Los Millonarios et acceptait de payer le montant demandé par son président. Les deux clubs possèdaient donc un droit sur le joueur. S’ensuivait un pataquès énorme entre les deux clubs et la FIFA se voyait obligée de désigner un médiateur pour dénouer le conflit. La décision de celui-ci, ancien président de la Fédération espagnole de football, fut étonnante : « di Stefano jouerait pour le Real Madrid lors des saisons 1953-1954 et 1955-1956, et pour le Barça en 1954-1955 et 1956-1957. À l'issue de ces quatre saisons, les deux équipes devraient se mettre d'accord sur l'avenir du joueur en Espagne. L'accord était approuvé par le gouvernement espagnol et les deux clubs. Tollé à Barcelone, crise entre les socios et la direction du club, le président était acculé à la démission le 22 septembre 1953. Et pourtant, à la surprise générale, Barcelone revendait ses droits sur le joueur au Real et di Stefano signait enfin dans le club merengue pour environ 5,5 millions de pesetas. Pour Lluis il ne faisait aucun doute que derrière ce revirement, cet affront, il y avait la grosse paluche de Franco.

 

Les douaniers m’offraient des bières. Marie-Amélie me couvait de regards énamourés. J’étais vidé. Le chef de poste après avoir déposé force tampons sur mon passeport se levait, me le tendait, m’enserrait dans une accolade interminable. Ma vessie se trouvait au bord de l’implosion mais je ne voulais pas rester une minute de plus dans cette baraque. La moto feulait, et lorsque le préposé levait la barrière j’étais au bord de l’évanouissement. La comtesse, toujours aussi attentive, stoppait son engin quelques centaines de mètres plus loin. J’étais tétanisé. Avec précaution elle me déboutonnait puis elle extrayait ma verge tendue, incandescente. Pendant un long moment elle me la tenait sans que je puisse uriner. L’irruption du premier jet fut bref et douloureux puis, après quelques poussées improductives, ce fut une mixtion qui durait plus de deux minutes. Marie-Amélie secouait doucement ma verge amollie avant d’essuyer la fente de mon gland avec un fin mouchoir. Elle me reboutonnait. Nous nous assîmes sur le bas-côté. La comtesse me tendait un sucre qu’elle venait d’imbiber d’alcool de menthe. Je le laissais fondre doucement dans bouche redevenue soudain sèche. Marie-Amélie, d’une voix tendre soupirait « Dieu que la vie va être fade sans vous... »

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15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 02:09

 

Nous nous séchâmes étendus nus au soleil. Repus je m’endormis sur le dos. Dans mon rêve l’Anse des Soux au petit matin, le sable fin et Marie qui s’éloignait en tirant des brasses fluides. « Reviens ! » mais de mes lèvres glacées aucun son ne sortait. Je m’en voulais. Et elle n’était plus qu’un tout petit point dans l’océan. « Reviens ! » mes mains voulaient prendre appui sur le sable mais tout en moi se dérobait. Je pleurais. Le sel de mes larmes laissait autour de mes lèvres une auréole sèche. Marie-Amélie tendrement me caressait les cheveux. Dans mon demi-sommeil je sentais ses longs doigts apaisants, maternels, aller et venir, et me détendait. Les images s’effaçaient. Je me relevais sur mon céans. Avec un petit mouchoir blanc humide la comtesse débarbouillait l’alentour de mes lèvres. Nous étions seuls au monde au milieu de cette nature majestueuse. Je m’efforçais de sourire. Marie-Amélie me tendait le petit carré de coton brodé à ses initiales « Gardez-le ! Vous m’avez redonné l’envie de la vie. Merci... » Je l’embrassais avec tout ce qu’il me restait de tendresse. Nous reprîmes la route. Les virages, à flanc de montagne, s’enchaînaient : comme un sentiment de s’approcher au plus près du ciel. À la cote de 3200 mètres, nous nous arrêtâmes sur un terre-plein face l’Aconcagua. En buvant ce qu’il nous restait de café, nous trouvions ses 6959 mètres officiels assez « humains »  Marie-Amélie sortait de son sac un superbe LEICAFLEX SL. « La lumière est encore bonne » me dit-elle et, après avoir activé le retardateur, elle déposait le boîtier sur une borne et me prenait par le bras pour que nous prenions la pose avec l’Aconcagua en toile de fond. Elle triplait la photo puis me confiait avec un faux petit air marri « Vous ne m’en voudrez pas j’espère j’ai pris quelques clichés de vous pendant votre sommeil... »

 

La comtesse enchaînait « Au début du siècle le trajet Santiago-Mendoza se faisait en train. » elle pointait son doigt ganté « Regarde – elle me tutoyait pour la première fois – tu peux apercevoir les restes des rails qui passent tout près du ravin. Ce devait être très excitant que d’entrer dans la montagne, de voisiner des précipices vertigineux. Imagine-nous dans un sleeping !  J'arrive toujours trop tard... » Nous remontâmes sur notre engin pour nous attaquer à la dernière étape de notre périple : le passage de la frontière entre le Chili et l’Argentine qui passe au milieu du tunnel du Christ rédempteur long de 3 kilomètres. Cette appellation provient de l’érection d’une statue le Cristo Redentor de los Andes, inaugurée le 13 mars 1904 pour célébrer la résolution pacifique du conflit frontalier mettant aux prises le Chili et l’Argentine. Elle est plantée sur le chemin de La Cumbre, point culminant de la vieille route entre Mendoza et Santiago du Chili. Ce chemin est le Paso de la Iglesia du côté chilien et le Chemin Bermejo côté argentin. Par notre route nous n’avons pas vu la statue située à 9 km au bout d’une petite route fort pentue : avec un dénivelé de plus de 1000 mètres. Nous avions mieux à faire avec une catégorie de fonctionnaires qui, quel que soit le pays, se caractérise par sa forte propension soit à emmerder le monde, soit à laisser filer, le tout sans motif apparent ou avouable. Point commun aux deux postes : le laisser-aller vestimentaire et les plaisanteries grivoises à propos de la comtesse. Du côté chilien nous eûmes droit à un traitement que je qualifierais de mixte : chiant pour être chiant mais sans volonté réelle de nous emmerder. Je crois que le chef de poste faisait durer le plaisir rien que pour mater Marie-Amélie. Elle eut même droit, en dépit des usages habituels, à une fouille au corps par lui dans un petit réduit mal éclairé. Elle le subit avec dignité sans opposer la plus petite parcelle de résistance aux mains qui s’attardaient. Moi je n’eus droit qu’à une batterie de questions vaseuses sur mon séjour au Chili. Les tampons claquèrent. La barrière se leva et nous franchîmes le no man’s land jusqu’au poste argentin.

280px-Cristo_Redentor_de_los_Andes.jpg 

Là, inversion des rôles, ces messieurs ne s’intéressèrent qu’à mon cas. Manifestement le français en provenance du Chili constituait pour eux un mets de choix. Leur amour pour le bon Docteur Allende, ce porc communiste, justifiait mon traitement de faveur. Ce qui ne leur plaisait pas c’est ma sortie via leur pays. Pourquoi ne regagnais-je pas directement la France comme toute la bande de gauchistes qui venaient se goberger dans l’UP d’Allende ? Ma réponse un peu alambiquée et embrouillée sur mon simple transit par l’Argentine pour gagner ensuite le Brésil puis me rendre à Cayenne en Guyane française ne fit qu’augmenter leur suspicion. Pendant ce temps-là Marie-Amélie se voyait offrir du thé par un jeune douanier mal rasé mais fort beau. Le chef et deux de ses acolytes ne lâchaient pas. Je gardais mon calme sans afficher une quelconque impatience. Les questions, toujours les mêmes, revenaient en boucle. Manifestement ces messieurs voulaient s’offrir une vraie récréation qui pouvait très bien mal se terminer pour ma pomme. Que pouvais-je faire ? Les soudoyer ? Trop risqué dans ma position. Trouver une diversion ! Oui mais laquelle ? Je demandai à me rendre aux toilettes. Assis sur le trône, la tête entre les mains, je m’efforçai de rassembler mes idées. Rien ! Le vide ! En passant devant Marie-Amélie je quêtais auprès d’elle une cigarette. L’incrédulité de son regard – elle ne fumait pas – eut pour effet de me faire prononcer une phrase dont je ne sais d’où elle pouvait bien provenir. « Quand je pense que lorsque j’étais gamin je collectionnais les images d’Alfredo Di Stephano... et qu’aujourd’hui... ». Le contenu du reste de ma phrase n’a que peu d’importance, comme le dit l’adage populaire « les mouches avaient changé d’ânes... »

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8 mai 2011 7 08 /05 /mai /2011 02:00

Le lendemain matin nous nous fîmes monter une « bassine » de café pour tenter d’effacer les stigmates de notre biture carabinée. Mon dernier souvenir conscient de la soirée, les autres ne correspondaient plus à aucune chronologie pour ne former qu’un tas de gravillons aigus qui me striaient la tête, me voyait plonger les bras, tel un demi de mêlée, dans un ramassis de corps au milieu duquel je tentais d’identifier celui de Marie-Amélie. En effet, après son toast équestre, la comtesse, d’un pas qu’elle voulait assuré mais qui lui faisait exagérément osciller la croupe, suivie d’une grappe de mâles eux aussi très éméchés, avait trouvé refuge sur une balancelle au bord de la piscine. Je dois avouer que, dans un premier temps, je ne trouvais que des avantages  à cette situation : ma tigresse allait pouvoir trouver un débouché à ses ardeurs avec tout autre que moi. Mon lâche soulagement ne me faisait tout de même pas perdre de vue que je ne pouvais laisser, mon chauffeur, aller au-delà des limites du raisonnable. J’avais besoin d’elle pour passer la frontière en toute quiétude alors j’allais me poster dans un transat face à ce qui devint très vite une entreprise d’abattage. Debout, l’un des types préparait son matériel pendant que deux de ses acolytes s’occupaient à effeuiller la comtesse pour son sacrifice. Celle-ci, qui chevauchait un gros dont la chemise ouverte laissait dégouliner une bedaine poilue, buvait du champagne au goulot sans se douter de ce qui l’attendait. Sans réfléchir je fonçais. Le premier candidat, pantalon sur les chaussettes, valdinguait dans la piscine. Les deux préparateurs, dont l’un agitait comme un drapeau le débardeur de Marie-Amélie, n’opposèrent aucune résistance. Une fois extraite je tirais donc derrière moi la comtesse, torse nu, la jupe relevée, jusqu’à l’ascenseur. Nul souvenir du personnel mais je suppose que notre cortège dut faire son effet.

 

À mon éveil je découvrais l’étendue du désastre : Marie-Amélie échevelée, couchée en chien de fusil, le cul à l’air, dormait d’un sommeil agité en lâchant de temps à autre des petits cris accompagnés de ressauts violents. Bon samaritain, avec précaution, je tentai de remettre de l’ordre dans sa mise en entreprenant de lui recouvrir les fesses de son bout de jupe. Bien évidemment, alors que j’étais à la manœuvre, la comtesse en profitait pour ouvrir l’œil et trouvait sitôt le moyen, d’une voix rauque, cassée, de me dire « Mon cul aimante vos mains. Allez-y j’ai envie de dur... » Mon rire grinçant l’éveillait tout à fait et elle se relevait sur son céans. « C’est mon drame, j’ai un beau cul mais je suis plate comme une limande. Par bonheur je suis entière et avec une bonne douche, un ravalement de façade et un broc de café je serai d’attaque pour vous faire passer les Andes... » Une bonne heure après nous enfourchions la R 75 qui elle ne s’offrait pas une gueule de bois et feulait doucement sous le poignet ferme de Marie-Amélie. Elle me bluffait. La route 765 traversait des prairies verdoyantes où paissaient des vaches qui ressemblaient aux vaches normandes de mon grand-père. La comtesse ménageait notre monture dans la perspective des rampes rudes et les lacets que nous allions devoir affronter à El Juncal. Son plan de vol, si je puis dire, elle me l’avait délivré avant notre départ : nous roulerions jusqu’aux environs de midi pour atteindre le pied de la Cordillères puis, afin de ne pas affronter les pentes sous le soleil car le refroidissement de notre monture n’était pas son fort, nous ferions une halte afin d’attendre le déclin du soleil. Prévoyante elle avait fait préparer un panier de pique-nique au service d’étage. Cette femme m’étonnait vraiment et, alors que dans la tenue d’Ève elle venait de passer commande elle trouvait le moyen de me balancer « Je suis sûre que vous allez me regretter »

 

En quittant Los Andes nous passâmes sous les bras d’une statue de la Vierge juchée sur une rocaille et, comme nous n’avions pas mis nos casques, je hurlai dans les oreilles de Marie-Amélie « Avec ce qu’elle a vu hier au soir, nous sommes bons pour l’Enfer ! » Relâchant un peu les gaz elle se tournait vers moi pour me répondre « Vous ne perdez rien pour attendre. La maison ne fait pas crédit. L’air des cimes vous redonnera de la vigueur... » À Rio Colorado nous passions à côté d’une Centrale électrique et le paysage devenait de plus en plus lunaire. Nous nous arrêtâmes au confluent des rios Juncal et Bianco. Marie-Amélie se défaisait de sa combinaison de cuir, enfilait un pull de laine et pieds nus dans ses croquenots étendait un plaid sur un petit promontoire herbeux. Nous déjeunâmes de poulet froid et de fruits accompagnés d’un Carmenere d’assez bonne composition. Les eaux tumultueuses et pures chantaient. Le café lui aussi se révélait à la hauteur. « C’est le mien ! » me fit remarquer la comtesse en constatant mon ravissement. J’en restais pantois et je n’eus pas le temps de me remettre que Marie-Amélie ôtait son pull et sa lingerie fine « Si ça vous dit moi je me baigne. L’eau glacée va me purifier des miasmes de cette nuit. » Mon air horrifié lui tirait un rire chevalin. « Rassurez-vous, vos cojones ne risquent rien ! Venez, je vous les réchaufferai en sortant ! » Je pris le parti d’y aller tête baissée sans réfléchir. Passé la brutalité de la morsure première le plaisir fut au rendez-vous après des jeux de mains qui n’avaient rien d’enfantins. La comtesse me comblait. La comtesse m’épuisait. La comtesse m’émouvait. La comtesse me murmurait des mots de gamine. La comtesse adorait l’écho de ses égarements.     

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1 mai 2011 7 01 /05 /mai /2011 00:09

Marie-Amélie passait un long moment à se pomponner dans la salle de bains, temps que je mis à profit pour élaborer un plan me permettant d’échapper à la nuit de stupre et de fornication qu’elle nous promettait. Afin de ne pas succomber à la tentation, la fougue de la comtesse n’aurait aucune peine à me faire glisser au long de ma plus grande pente, je décidais de me prendre une mufflée d’enfer. Je sonnais le garçon d’étage pour qu’il me portât un double gin tonic. Dans la perspective d’un lendemain pas trop comateux j’optais pour une biture à l’alcool blanc qui laisse moins de trace que des liquides plus complexes. J’en étais à mon troisième double lorsque la comtesse se décidait à sortir. Avouer que j’eus le souffle coupé en la voyant relève d’une réalité physique. Elle arborait un petit débardeur blanc d’ivoire qui découvrait son nombril et une mini-jupe noire en stretch gaufré qui laissait filer ses longues cuisses jusqu’à des sandales à lanières nouées à mi-mollet. Maquillée sans excès mais avec une touche de provocation : des lèvres rouge sang et un essaimage de paillettes d’argent sur ses joues rosées et sa gorge enserrée dans un quintuple rang de perles de culture, la comtesse me rejoignait et se posait sur l’accoudoir de mon fauteuil. La chaleur de l’alcool, son parfum de jasmin poivré, sa main qui se glissait dans l’espace de mon col de chemise ouvert, me portait à l’incandescence. J’allais succomber lorsque le téléphone sonnait. Marie-Amélie en ondulant de son petit cul allait décrocher. C’était l’ambassadeur. Elle l’expédiait avec un langage de palefrenier. J’en profitais pour me lever et me diriger vers la porte. Elle me rejoignait et passait son bras sous mon bras, je ne me souviens plus lequel d’ailleurs. « Que voulez-vous jeune homme, j’ai sans doute l’air d’une vieille grue qui s’offre un gigolo mais ce pays qui part en couilles me libère de mon mépris de moi-même ! J’ai envie de baiser, de roter et de pisser debout... »

 

Marie-Amélie ne croyait pas si bien dire, la fin de notre soirée atteignit des sommets avant de nous précipiter dans une de ces nuits où l’on s’endort tout habillé sur le lit et où l’on ronfle la bouche ouverte. On nous servit sous la charmille, il faisait frais. L’établissement regorgeait de yankees volubiles. Nous carburions au Krug millésimé. La comtesse en avait fait porter une caisse. Elle me racontait sa vie sans aucune retenue et je la trouvais émouvante. Deux de nos voisins les plus proches, caricatures de militaires en costume civil, reluquaient les cuisses de Marie-Amélie avec une insistance qui la fit se propulser face à eux en grimpant sur une chaise libre. Dans cette position élevée je découvrais avec stupeur qu’elle ne portait pas de slip, du moins je le crus sur le moment car le lendemain matin je découvris la ficelle qui ne cachait rien du postérieur de Marie-Amélie qui m’expliqua que c’était un slip brésilien qu’elle avait acheté à Paris en faisant du shopping avec Francesca. « C’est extraordinaire ça ne fait pas de trace sous les jeans... » me répondit-elle en s’étonnant de ma pudibonderie. Les natifs du Texas frôlaient l’apoplexie et je les sentais prêt à dégainer leurs dollars pour les glisser dans le soutif de la comtesse. Celle-ci, sa coupe de champagne à la main, entonnait d’une voix forte et juste, ce qu’elle présenta comme l’hymne de son pays natal.

 

La digue du cul, en revenant de Nantes

En revenant de Nantes

De Nantes à Montaigu, la digue, la digue,

De Nantes à Montaigu, la digue du cul.

 

La digue du cul, je band' mon arbalète

Je band' mon arbalète

Et la lui fout dans l' cul...

La digue du cul, je rencontre une belle

Je rencontre une belle

Qui dormait le cul nu...

 

La digue du cul, la belle se réveille

La belle se réveille

Et dit: "J'ai l' diable au cul... 

 

La digue du cul, non, ce n'est pas le diable

Ce n'est pas le diable

Mais un gros dard velu...

 

La digue du cul, qui bande et qui décharge

Qui bande et qui décharge

Et qui t'en fout plein l' cul...

 

La digue du cul, il y est qu'il y reste

Il y est qu'il y reste

Et qu'il n'en sorte plus...

 

La digue du cul, il fallut bien qu'il sorte

Il fallut bien qu'il sorte

Il est entré bien raide, la digue, la digue,

Il en sortit menu, la digue du cul.

 

Le mot cul est un sésame universel. Il sonne bref et juste dans toutes les oreilles du monde. Tel un chef d’orchestre face à ses choristes, Marie-Amélie se fit un devoir de fourrer dans les cranes étasuniens le refrain de sa chanson paillarde. Elle y parvint après moult tentatives. Épuisée elle se laissa ensuite choir dans des bras accueillants qui s’empressèrent de lui servir à boire et de la peloter. La comtesse dans ce méli-mélo gardait une forme de dignité aristocratique, morigénant les trop entreprenant, frappant à coup de fourchette les mains qui s’aventuraient trop avant. Et puis, sans doute lasse de ces entreprises douteuses, elle se dégageait des emprises, se relevait, se versait une nouvelle coupe, la levait et proclamait « à vos femmes, à vos chevaux et à ceux qui les montent... » et s’auto-traduisait en américain ce qui faisait pousser des hennissements aux étalons en rut.

 

 

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24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 02:00

Les femmes possèdent une faculté unique de passer d’un état extrême à un autre tout aussi extrême mais en totale opposition sans aucune espèce de transition. La comtesse m’en fit la démonstration en s’émerveillant comme une gamine devant le spectacle de l’équipement de bickers que nous proposait le garagiste. Elle frappait des mains, s’extasiait, sautait telle un cabri, me prenait à témoin « Mon rêve ! Prendre la route... » Moi je tirais la gueule car je la voyais venir avec ses fripes de motards : je déteste viscéralement l’accoutrement grotesque de cette secte de gastro-couillards ! Tout est gros et lourd, gras, chez eux, sauf le QI. La perspective de me parer de cuir, de chausser ces lourdes écrase-merde ne me plaisait guère mais je savais pertinemment que les fantasmes de Marie-Amélie balaieraient mes préventions. Mon peu d’enthousiasme n’avait pas échappé à la mâtine qui s’empressait de me rassurer en me tendant un casque d’une légèreté incroyable et laissant les oreilles dégagées : « Avec celui-ci vous aurez l’air de James Dean... » Nous nous harnachâmes pendant que le garagiste effectuait quelques réglages sur la moto, une BMW R-75. Cette moto conçue pour recevoir un side-car fut également largement utilisée sans side et fut l'une des deux roues de base des bataillons motocyclistes des divisions blindées et motorisées de la Wehrmacht et des Waffen-SS. La comtesse, tout en ajustant ses lunettes de route, me racontait qu’en 1938, dans le cadre du Pacte germano-soviétique, les nazis, soucieux de leur approvisionnement en matières premières, fournirent en échange à l’armée de Staline les plans de la R-75 et la massive M72 des soviets en fut la copie conforme. D’abord construite à Charkow avant que les ateliers ne soient transférés à Gorkij dans l’Oural lorsque la Wehrmacht envahit l’Ukraine... » Devant mon air ébahi, elle ajoutait en me tapant sur l’épaule « Je suis raide dingue de moto et je vais enfin pouvoir m’éclater sur ce monstre que ce sale petit couillard a sûrement gonflé... »

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Marie-Amélie avait vu juste, la lourde moto, entre ses cuisses gainées de cuir, feulait, son monocylindre répondait parfaitement aux gaz et elle montait les vitesses avec facilité. La position de passager d’une moto, surtout un engin militaire, est à la fois peu confortable et d’un érotisme absolu lorsque l’on se retrouve dans l’obligation d’enserrer la taille de la conductrice. Nous empruntions la route 68 encombrée de camions dans les deux sens. Notre équipage n’attirait l’attention ni de la police, ni de qui que ce soit d’ailleurs, on devait nous prendre pour des excentriques s’offrant une balade dans le Chili de l’Union Populaire. Nous fîmes de l’essence à Curacavi. J’avais, vu le confort allemand de notre R72, le cul en compote et une soif d’enfer qui elle tenait à la sécheresse ambiante. Le pompiste tenait une sorte de cafétéria épicerie où je m’enfilai trois bocks d’une bière pisse d’âne. La comtesse, avant de me rejoindre, s’en était allée se refaire une beauté aux toilettes. À son retour je la félicitais pour ses talents de conduite. Elle avait descendu la fermeture-éclair de son blouson et la peau blanc de lait de sa gorge piquetée de grains de son attirait mon regard. Elle se  posait face à moi, les coudes sur la table « Est-ce que je vous fais bander ? » Ma réponse positive lui tirait un sourire carnassier. « Alors, profitons de vos bonnes dispositions jeune homme ! J’ai toujours rêvé de me faire prendre dans les chiottes ! » Abattu en plein vol j’osai une réponse indigne « Avec le litre de bière que je viens de m’enfiler ça risque d’être la Bérézina... » Un blanc s’installait avant que la comtesse très bravache me lance « vous ne perdez rien pour attendre... »  

 

À la nuit tombée nous nous arrêtâmes dans un hôtel de charme à Los Andes. Architecture coloniale, gazon impeccable, piscine désuète mais bien entretenue, patio empli de plantes vertes, hall douillet où voisinaient des fauteuils profonds, des tables basses et des lampadaires aux abat-jours en peau de porc. Le réceptionniste, dès notre arrivée, sans même nous demander ni nos passeports, ni quoi que ce soit, nous tendait la clé d’une chambre, qu’il qualifia de suite, située au dernier étage. Je m’en étonnais auprès de Marie-Amélie qui, tout en me passant la main dans les cheveux, me répondait avec une ingénuité gourmande « Vous êtes entre les mains de la République mon cher. Faites comme les oiseaux du ciel qui ne sèment, ni ne moissonnent, abandonnez-vous à moi... » J’étais fourbu. La Suite était bien une Suite de dimension, certes modeste, mais meublée avec goût et, luxe suprême la chambre donnait sur une vaste terrasse qui surplombait un panorama extraordinaire : la grandeur et la splendeur de la Cordillères des Andes. Seule ombre à ce tableau idyllique, encore qu’à bien y réfléchir sa présence m’épargnerait sans doute les assauts de la comtesse, Ramulaud, tout de blanc vêtu, se tenait debout, accoudé à la rambarde, en tirant sur sa bouffarde. Il esquissait un baisemain pour Marie-Amélie et grommelait à mon endroit un vague bonjour. « Vous avez tout ce que je vous ai demandé ! » le ton était impérieux. Ramulaud se cabrait face à ce qu’il prenait à juste raison comme un affront : se faire traiter comme un domestique devant un petit connard qui, outrage supplémentaire, devait bénéficier des charmes de madame alors que lui en restait aux promesses. La comtesse en rajoutait une couche « Fort bien, alors vous pouvez disposer ! » Ramulaud manquait d’air il balbutiait « Madame, monsieur l’ambassadeur s’inquiète de vous... » La répartie de Marie-Amélie « Il n’a pas tort, je me donne le putain de plaisir que ce con n’a jamais su me procurer... » l’empourprait et il battait en retraite en me lançant des regards mauvais.  

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17 avril 2011 7 17 /04 /avril /2011 02:00

C’est à regret que je me défis de ma soutane pour revêtir une ample et chaude parka pourvue d’une capuche. Marie-Amélie, elle, du se contenter d’un manteau de fourrure en lapin aux poils fatigués et jaunis par le temps. Notre exfiltration se déroula sans incident sauf que le temps non parut interminable. Blottis l’un contre l’autre derrière une muraille de demi-carcasses de bœufs nous restâmes silencieux tout au long du trajet. Très vite Marie-Amélie frissonnait alors je la serrais fort en lui frictionnant le dos à intervalles réguliers. Moi c’est l’odeur suiffeuse de la viande morte qui m’indisposait, j’avais le sentiment que, comme elle, je mûrissais mal. Je faisandais. Étrange idée que de se pencher avec commisération sur sa vie dans une camionnette frigorifique qui se traînait dans les rues sinueuses de Valparaiso. Lorsque le chauffeur, un petit mapuche renfrogné, ouvrit la porte pour nous déposer, comme convenu, chez un garagiste de la périphérie, frère d’une des sœurs de la Congrégation, je fus à deux doigts de plonger dans un malaise vagal. Mon cœur s’envolait, comme une envie de lâcher prise, de me laisser réduire à un état gazeux, impalpable. La main ferme de Marie-Amélie serrant mon bras droit me raccrocha à la terre. Je lui souris. « Ça va vous ? » Une bouffée d’air chaud me happait et me rassérénait. Ma réponse « Vous êtes un peu barge mais je vous aime bien » lui rosissait les joues. Le chauffeur et le garagiste nous entraînèrent dans un hangar dans lequel un ramassis de vieilles bagnoles américaines poussiéreuses voisinait avec des moteurs suspendus à des palans, des piles de pneus lisses, des caisses de pièces détachées et de vieux bidons empilés. Avant de choisir un véhicule je sortis un nouveau rouleau de billets verts. À ma grande surprise, les deux hommes refusèrent mon bel argent américain. La comtesse s’extasia de cet altruisme avant de se rétracter « la mère supérieure a du leur graisser la patte » me fit-elle remarquer.

 

Mon choix se porta assez vite sur un pick-up Dodge qui me semblait plus vaillant que ses compagnons d’infortune et dont le prix se situait dans la limite du raisonnable. La comtesse, pendant que je faisais mes emplettes, furetait tout au fond du hangar. Je dois avouer qu’enserrée dans sa pelure de lapin défraîchie elle avait vraiment belle allure. Mon enthousiasme fut vite douché par sa voix haut perchée « Voilà très exactement ce qu’il me faut ! » Mes deux interlocuteurs, qui bien sûr n’entendaient pas un mot de français, ne prêtèrent aucune espèce d’attention à son interpellation et ils furent très étonnés de me voir les quitter pour aller la rejoindre. Je ne la voyais plus. Quand je la redécouvris elle se tenait à califourchon sur une grosse moto BMW de la Wehrmacht, toujours fraîche sous sa parure camouflée. Son regard décidé ne me laissait aucune illusion sur ma capacité à la faire changer d’avis. Je hélai le garagiste qui nous rejoignit d’un pas traînant. « Elle est en état de marche ? » Il opinait tout en se curant  les dents avec la pointe de son canif. « Combien ? » Dans ses petits yeux enchâssés un éclair de cupidité me fit penser que j’allais casquer. Refermant son canif, il grattait ses cheveux huileux puis, se plantant devant la comtesse, il empoignait ses cojones et les remontaient avec un air de défi dans les yeux. La comtesse ne se démontait pas, elle m’interrogeait quand même « Vous croyez que... » qui lui valait de ma part une confirmation sans appel « Le cul sur une pile de pneus si ça vous dit... » Elle soupirait « À la guerre comme à la guerre ! » Je me récriai « Vous êtes givré !

- Vous êtes jaloux

- Arrêtez votre cinéma...

- Il m’a l’air bien membré.

- Phantasme du camionneur madame la comtesse...

- Et alors, ce n’est pas demain la veille que l’occasion de représentera.

- Comme vous voulez, après tout c’est votre affaire.

- Oui mais très cher je ne le fais que si vous me tenez la main...

- Hors de question !

- C’est contraire à vos principes ?

- Non ça me dégoûte !

- Je rêve mais bon j’insiste : c’est à prendre ou à laisser.

 

L’irruption d’une matrone échevelée, trainant les pieds dans de vieilles savates mit fin à la séquence. Notre garagiste lubrique délaissa précipitamment ses cojones pour se consacrer à l’arrivante qui devait être son épouse. Elle agita sous son nez un papier graisseux rempli de tampons en éructant des injures où le porc occupait une place privilégiée. Face à des étrangers, son honneur de mâle étant en jeu, notre garagiste utilisait la manière forte : il balançait deux mandales en aller-retour à sa moitié qui s’en allait valdinguer sur son gros cul dans un bac d’huile de vidange. Avant qu’elle ne se relevât  il me marmonnait un prix que je m’empressais d’accepter. Je sentais bien que Marie-Amélie, face à ce spectacle qui la révulsait, se retenait. Pour faire diversion je m’enquérais auprès de la brute épaisse « Vous avez des casques ? » Derrière nous la matrone dégoulinante tentait une contre-attaque mais sa projection en avant se transformait, du fait de son oint d’huile, en une glissade sur le ventre qui se terminait par un heurt violent de sa tête dans une pile de pneus qui s’écroulait et la recouvrait. Le cri d’horreur de Marie-Amélie ne troublait pas notre homme qui nous faisait signe de le suivre. J’empoignais la comtesse par le gras du bras en lui intimant de ne pas s’interposer. Comme le livreur de bidoche entreprenait de libérer la bonne-femme de l’amas de pneus elle acceptait de me suivre en déclarant d’un ton pincé « j’adorerais lui frire ses cojones... » ce qui lui valait un passing-shot de revers de ma part qu’elle goûtait modérément « Comme c’est étrange à vous entendre vous sembliez préférer les consommer crues... »  

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10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 02:00

Face à l’offensive de la comtesse sur l’imminence de mon départ, de prime abord, deux stratégies s’offraient à moi : le déni ou l’aveu. Sans même réfléchir je m’engouffrais dans la seconde en adoptant le lance-flammes. Je saisissais avec brutalité le bras de Marie-Amélie pour l’entrainer dans ce qui révéla être la buanderie. Les baluchons de linge sale firent espérer à la comtesse que son désir allait devenir réalité. Au lieu de ce traitement de soudard je lui offrais un langage de charretier teinté d’une commisération ironique « Vous avez vraiment le feu au cul. Vous faire baiser par ce vieux satrape de Ramulaud qui pue le tabac froid et la pisse rance, vraiment vous me décevez Marie-Amélie... Et vous voudriez que je passe après lui. Je ne plonge pas la tête la première dans les trous à bite moi... » Marie-Amélie se regimbait « Ramulaud ne m’a pas touché...

- Mais vous lui avez promis vos faveurs !

- Oui !

- Rien que pour savoir ce que j’allais faire...

- Oui !

- Vous êtes jalouse de Francesca ?

- Non !

- Alors pourquoi ?

- Je m’ennuie et puis je souhaitais avoir prise sur vous...

- Manqué !

- Non, vous avez besoin de moi.

- Que vous dites...

- Vous faites comment sans moi ?

- Je fais avec vous car vous avez le sens de l’honneur et de la parole donnée...

- Un trou à bites n’a aucun sens de quoi que ce soit grossier personnage...

- Désolé...

- Vous ne l’êtes pas et puis, franchement, votre histoire de plonger la tête la première c’est totalement con !

- J’en conviens mais promettre à Ramulaud vos faveurs c’est kif-kif...

- Mes faveurs, c’est nouveau, dites plutôt une passe ça satisfera votre suffisance...

- Vous faites ça très bien !

- Salaud !

L’arrivée d’une cohorte de nonnes mettait fin à notre passe d’armes.

 

Revenus à l’air libre je ne laissais pas à Marie-Amélie le temps de respirer en plaçant ma botte secrète « Puisque vous vous ennuyez je vais vous donner l’occasion d’une vraie montée d’adrénaline : c’est vous qui allez me conduire en Argentine... » La comtesse me sautait au cou en prononçant une de ces phrases dont les femmes ont le secret « Je savais que je pouvais compter sur vous. » La suite des évènements allaient donner tout son suc à ma promesse. Lorsque nous nous rendîmes dans la petite salle à manger réservée aux hôtes de marque la première surprise vint que nous y fûmes accueillis par un couple d’officiers de la Marine. Un vieux, sans doute le contre-amiral, et un jeune dont je ne sus déterminer exactement le grade. Ils claquèrent des talons sans se présenter. Le jeune, sous le regard un peu perdu de son supérieur, attaqua sans sommation dans un français un peu hésitant. En substance le propos se révélait d’une grande clarté : l’état-major de la Marine chilienne ne portait pas particulièrement celui de Terre dans son cœur et détestait sans cordialité les Aviateurs et tout particulièrement l’Amiral Gustavo Leigh Guzmán leur chef. Paradoxalement Ernesto Pinochet le patron de l’armée de Terre ne leur semblait pas avoir un grand allant pour mettre à bas cette vieille fripouille marxisante d’Allende. Sans tourner autour du pot il m’annonçait que ce qui les intéressaient c’était Francesca, comme monnaie d’échanges avec leurs collègues de l’Etat-major de l’Armée de Terre, et plus particulièrement son cocu d’époux général Juan Manuel Guillermo Contreras Sepúlveda. Il prononça cocou ce qui lui valu un petit cours de phonétique de Marie-Amélie qu’il apprécia très modérément. Très poliment, statut diplomatique oblige, il lui signifiait que cette affaire ne la regardait pas. D’un signe de tête je tentais de faire comprendre à Marie-Amélie de se taire. Ce qu’elle comprit puisqu’elle allait s’asseoir à la table de la mère supérieure où je remarquai qu’il n’y avait que trois assiettes. Le vieux, cérémonieux, se posait en face d’elle alors que son aide de camp me signifiait que tant que Francesca ne serait pas de retour au bercail je ne pourrais sortir du Chili, quitte ajoutait-il à me placer en résidence surveillée pour menée subversive pour le compte d’une puissance étrangère. Les dollars que je distribuais généreusement au petit peuple en étaient la preuve. Il ajoutait, que restreindre la liberté d’un serviteur des USA, plairait beaucoup au gouvernement. Enfin, sans me laisser le temps de reprendre mon souffle, il ajoutait, très jugulaire-jugulaire, qu’ayant pu apprécier mes talents lors de ma prise en filature, il estimait que pour l’heure l’hospitalité de la Congrégation était le meilleur lieu pour me tenir à leur merci. Puis il tournait les talons, réajustait sa casquette, et sans nous saluer il sortait suivi péniblement par la vieille baderne qui lui nous octroyait un salut en pointant son index en direction de sa casquette trop grande pour son crane en pain de sucre.

 

La comtesse rayonnait. D’un ton sans appel elle me déclarait « on va les baiser ces cons ! » L’arrivée de la mère supérieure ne me permettait pas de m’enquérir auprès d’elle sur ce qu’elle entendait par là mais je n’eus pas longtemps à attendre pour le savoir. Elle attaqua bille en tête la mère supérieure dont le teint de porcelaine craquelé virait sitôt au jaune flasque. La comtesse alignait les termes d’un donnant-donnant cru et clair : cette sainte femme dont la vie était toute entière consacrée à Dieu nous sortait de là en échange d’un silence sur ce que Marie-Amélie qualifia d’épectase féminine. Je dois avouer que le blitzkrieg de la comtesse me laissait pantois et un brin admiratif. Tout en tripotant son grand chapelet aux grains d’ivoire la mère supérieure reprenant quelque peu ses esprits, d’une voix glacée et assurée elle déclarait « Vous allez sortir en tout début d’après-midi en profitant de la livraison de viande de la semaine... » J’objectai que les militaires allaient faire fouiller la camionnette. « Absolument non je leur ai donné ma parole que vous ne sortiriez pas d’ici... » Mon rictus me valait une répartie très sèche « Sachez monsieur qu’ils me craignent. De plus, ils m’ont menti sur leurs intentions réelles à votre endroit alors je leur dois bien un juste retour... » Je la remerciai en pensant que les menaces de la comtesse se révélaient, après coup, hors de propos. Nous déjeunâmes comme si de rien n’était, la mère supérieure avait retrouvé toute sa superbe et Marie-Amélie frétillait déjà à l’idée de partager avec moi l’intimité glacée d’un camion frigorifique.     

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3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 02:00

Je sonnais, une petite sœur tourière, toute boulotte, m’ouvrait la petite porte nichée dans le vantail droit du haut portail de chêne, en affichant un large sourire sur sa face laiteuse piquetée de minuscules pointes de graisse jaunâtre. Elle me lançait un « Buenas tardes mi padre » sous lequel je sentais poindre de l’ironie. Nous suivîmes un long corridor vouté mal éclairé. La nonne me précédait et le cliquetis de son trousseau de clés, qui battait sur son flanc, résonnait en écho et me donnait l’impression que j’allais être incarcéré. En fait elle me menait vers le réfectoire où m’attendaient un bol de bouillon fumant, du pain, du fromage et une carafe de vin. En prenant place je la remerciais avec chaleur. Elle en rosissait puis s’éclipsait de son pas trotte-menu. Le silence et le dépouillement du lieu m’enveloppait. L’odeur du bouillon de légumes aiguisait mon appétit. Je l’engloutissais en quelques lampées. Alors que je me tranchais une large tartine la porte du fond s’ouvrait et, ce qui devait être la mère supérieure, s’y encadrait. Imposante, altière, tête raide, tout en s’avançant vers moi avec majesté son regard froid me décortiquait. Je me relevais et m’inclinait. D’un geste quelque peu impatienté elle m’intimait de me rassoir tout en allant se placer face à moi. Son français était impeccable. Comme je ne savais pas quelle version Marie-Amélie lui avait vendue je me contentais de l’écouter. J’eus droit tout d’abord à une profession de foi sans équivoque « Je n’aime ni les Américains, ni cette vieille canaille franc-maçonne d’Allende » puis à un petit couplet sympathique sur la France fille aînée de l’Église et grande pourvoyeuse de missionnaires évangélisateurs. S’interrompant, de son ton pète sec, elle me disait « Mangez ! » en pointant son doigt long et pointu vers le fromage. Mastiquer en sa présence ne me plaisait guère mais j’obéis. La suite de son propos concerna Marie-Amélie. Il me plongea dans la perplexité car soudain la voix de la mère supérieure c’était adoucie. Elle vibrait même. Sous la lourde soutane la femme s’éveillait et les charmes cachés de la comtesse ne devait pas y être étrangers.

 

La cellule où la mère supérieure m’avait conduit se situait dans un bâtiment annexe tout près du potager. Un lit en fer, une petite table et une chaise, un crucifix au mur et c’était tout. Fourbu, j’ôtais ma soutane puis je m’allongeai tout habillé et m’endormais comme une masse. Pour une fois je rêvais. Une onde tiède me léchait, allait et venait, me portait vers une ardeur de plus en plus prégnante, lancinante. Dans mon sommeil je gémissais. De la sueur se nichait entre mes cuisses. Je tentais de me retourner mais une main m’imposait l’immobilité. Les miennes rencontraient une toison. Des pointes de conscience clignotaient dans ma cervelle, telles les loupiotes d’une guirlande de Noël, rêve, réalité, sans que je puisse me résoudre à émerger. Je me laissais donc aller au plaisir sans aucune retenue. Ce fut fort, ce fut bon, ce ne fut qu’une parenthèse dans ma nuit profonde. Mon éveil à la naissance du jour fut franc et clair, une cruche d’eau placée dans une cuvette posée sur la petite table m’attendait. Comme je n’avais aucun linge de change, j’avais en effet déposé à mon arrivée en gare de Valparaiso mon sac à la consigne, je décidais d’aérer ma viande un peu confinée en me mettant à poils. Je versais au-dessus de ma tête d’un seul coup tout le contenu de la cruche, l’eau glacée me mordait, dégoulinait, s’épandait en flaque à mes pieds. Je m’ébrouais. Frissonnais. L’usage de la minuscule serviette, sèche et râpeuse, ne me procurait pas la sensation de félicité que j’éprouvais lorsque j’allais me baigner dans l’océan et que, sitôt sorti, je m’enveloppais dans un grand drap de bain. La porte s’ouvrait, Marie-Amélie entrait sans frapper. Mon geste brusque pour protéger ma virilité avec la serviette me valait « un ne vous donnez pas cette peine je connais » qui me laissait sans voix.

 

Lorsque je fus de nouveau présentable Marie-Amélie, qui s’était assise sur le bord de ma paillasse, m’annonçait qu’à midi nous déjeunerions en compagnie d’Eduardo Badilla Aquinta, le frère de la mère supérieure, contre-amiral de la marine chilienne de son état. Eu égard au glissement à mon égard vers le cru de son vocabulaire je n’hésitais pas à la qualifier de « folle furieuse ». Sa moue pleine de morgue m’annonçait une réplique à la hauteur « moi, ne vous en déplaise, je trouve ça extrêmement excitant ! ». Mes protestations se perdirent dans ses babillements mondains « Qui puis-je mon cher, la Commandanture en chef de la Marine Chilienne est basée à Valparaiso et je ne puis faire l’affront à notre hôtesse en lui opposant un refus. Je lui dois bien ça et vous, que risquez-vous ? Rien, puisque vous avez inventé toute cette histoire pour que je puisse vous rejoindre... » J’explosai ! « Vous êtes encore plus beau lorsque vous êtes en colère ! Je plaisantais bien sûr, mais sans jouer outrageusement les gourgandines il faut que vous sachiez que sous mes airs de potiche je cache une volonté de fer. »  J’en convins tout en soulignant qu’à partir de maintenant je reprenais la main. « Alors, prenez-moi debout en retroussant votre soutane ! » Par bonheur une sainte main frappait à la porte me libérant ainsi des pulsions de la comtesse qui, je le sentais à son air pincé, n’en resterait pas là. Nous sortîmes pour nous rendre dans le jardin du cloître. Marie-Amélie boudeuse me suivait à quelques pas. Comme le port du col dur, auquel je n’étais pas habitué, m’obligeait à relever le menton je crus que j’allais m’étrangler lorsqu’elle me susurra « Alors, très cher, vous quittez le pays à la cloche de bois... »

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