Je consomme beaucoup italien, y compris des nourritures de l’esprit. En effet, comme l’écrit Corrado Augias dans son petit opus « L’Italie expliquée aux français » café Voltaire chez Flammarion j’aime « ce pays d’excellence pour la mode, le design, l’architecture, la musique, certains sports, la cuisine, le vin, et une qualité de vie qui reste bonne, malgré tout. » Bien sûr reste le pourquoi de la longévité de Berlusconi mais ça c’est le sujet du livre d’Augias.
Dans son dernier chapitre, Corrado Augias évoque la transformation de la façon de faire de la politique qui se fait maintenant à l’échelle planétaire. « les formes typiques de la démocratie de masse du XXe siècle sont révolues et il existe aujourd’hui un despotisme plus insidieux que celui des grandes idéologies totalitaires du siècle dernier. Il s’agit de formes nouvelles, qu’Alexis de Tocqueville avait déjà repérées, dans De la démocratie en Amérique, les qualifiant de « despotisme doux »
Ne fuyez pas jeunes pousses de la blogosphère, lire Tocqueville ne relève pas de la ringardise mais de la calcification de votre colonne vertébrale. L’actualité de son propos est proprement stupéfiante et même si vous n’en tirez pas la substantifique moelle pour être des citoyens plus conscients j’espère qu’il vous fera un peu prendre conscience que le fun ne peut pas tenir lieu de seul principe de vie.
« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrables d’hommes semblables et égaux qui tourner et sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant se ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche mais ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. »
Tocqueville, de la Démocratie en Amérique (vol. II, 4e partie, ch.VI), Folio, 1993, p.434.
« Pour s’imposer, ce despotisme n’a besoin ni d’un coup d’État ni d’une police secrète qui frappe à la porte à 4 heures du matin. Le despotisme doux est composé à la fois de bienveillance, de complaisance, de séduction, de la diffusion d’informations fausses ou tronquées, de charisme de la part de celui qui veut l’imposer et d’une « passivité » substantielle des citoyens. Dans la société contemporaine fondée sur la force des médias et des images, ce despotisme se présente comme une mixture meurtrière où tout se mélange : « Publicité, produit, marketing, crédit facilité à la petite consommation, désir de fun et d’évasion, espoir de rester jeunes longtemps et de profiter longtemps de la vie sexuelle, une vague aspiration à une vie abondante et désinvolte, un voile de spiritualité religieuse et de pathos… »
Ces lignes sont tirées du livre Il Mostro mite (Le Monstre doux), de Raffaele Simone, un vaillant linguiste qui s’est également occupé de problèmes sociaux. »
Oui comme Corrado Augias je pense que la nouvelle élite mondialisée « est dominée par ce modèle » qui cache sa violence sous une fausse légèreté, une cosmétique chatoyante, une décontraction hautaine avec pour solde de tout compte des engagements soft dans le biseness de la charité ou les leurres des ONG. Même le mouvement des « indignés » participent à ce recul de la citoyenneté. Tout ça nous amène loin du vin m’objecteront certains ? Moi je n’en suis pas si sûr car sur l’espace où je chronique j’ai très souvent le sentiment de côtoyer parfois des gentils petits avides courtisés par des hommes-liges qui, comme l’écrivait Tocqueville, tournent sans repos sur eux-mêmes, étrangers à la destinée de tous les autres.