La blogosphère, comme souvent, s’enfle de bruits et de rumeurs sur untel ou unetelle qui serait complaisant ou même stipendié à… Comme j’adore mettre les pieds dans le plat, plutôt que d’en rester à ce vent détestable, alors pourquoi ne pas écrire que la pente naturelle de certains journalistes, et maintenant de certains blogueurs, est de passer des plats concoctés par d’autres : agences de communication, amis, relations d’affaires, puissants… Le phénomène n’est pas nouveau, il a toujours existé, ne disait-on pas que certains journalistes servaient la soupe aux hommes politiques ayant leurs faveurs ou que certaines plumes de la presse financière se vendaient aux puissances de l’argent.
Ne vous attendez pas à ce que j’instruise ici un quelconque procès car je n’ai jamais eu d’inclinaison pour la fonction de procureur. Mon seul souci c’est que ceux qui font du Web l’abomination de la désolation, qui affirment que le pire y noie le meilleur, que la gratuité est le gage de médiocrité, ne nous mettent pas tous dans le même sac. Là encore je n’écris pas que je souhaite séparer le bon grain de l’ivraie. Une telle césure relèverait de la suffisance et d’une posture que bien peu peuvent tenir.
Pour revenir un instant à la saillie de François Morel : le passe-plat, qui n’est qu’un simple guichet, remplit une fonction précise : permettre à des mets de transiter de la cuisine où ils ont été préparés à la salle où ils vont être consommés. Fonction passive mais utile qui, identifiée comme telle, n’a aucune influence sur la qualité du plat qui transite par lui. Ce qui signifie que la presse écrite, audiovisuelle et la Toile peuvent se contenter de cette passivité aux seules fins de faire transiter des informations, des opinions, des points de vue…
Tout le problème provient de la confusion des genres, de l’ambiguïté qui plane sur le statut de certains papiers, de la trop grande proximité économique entre l’émetteur et le transmetteur, des conflits d’intérêts. Il en va de la crédibilité, de la confiance que peuvent nous accorder nos lecteurs. Si le soupçon s’immisce entre eux et nous, je ne donne pas cher de la pérennité du phénomène blog. Nos lecteurs ont le droit de savoir ce que nous sommes, comment nous travaillons, quelles sont nos sources. En clair, leur dire que oui nous participons à des déjeuners de presse, parfois même à des voyages de presse (ce n’est pas mon cas, à une exception près : mon voyage sur l’Aubrac où je répondais à l’invitation de Christian Valette dans le cadre de mon travail sur la viande bovine). Ce qui serait grave, à mon sens, c’est de s’afficher comme « indépendant » de tout lien alors que les contraintes économiques s’appliquent aussi aux blogueurs.
Ne voyez pas dans cette exigence un quelconque plaidoyer « pro domo » mon statut privilégié de serviteur de la République me mettant à l’abri de ces contraintes je n’ai aucun mérite et aucune gloire à tirer de ma relative indépendance. Pour autant, j’ai des amis, des faiblesses avouées, des fidélités indéfectibles, des partis-pris injustifiables, mais je les revendique et les assume au grand jour. La seule chose qui m’irrite dans ce débat sur les « passe-plats » ce sont celles et ceux, qui voudrait nous faire accroire, sur la foi de leur bonne mine, que tout ce qu’ils écrivent n’a rien à voir avec cette affreuse société de mercantis. Sachons raison garder, comme je l’ai écrit dans une autre chronique, nous ne vivons pas au pays de Candy et la naïveté ne se porte pas comme un gri-gri en bandoulière.
Sur le Net, dans la blogosphère, comme toujours, le temps fera son œuvre, et le risque est grand, comme sur la bande FM libérée en 1981 que l’espace de liberté se transforme en une zone contrôlée par quelques grands prédateurs qui auront prospéré en absorbant les plus indépendants du troupeau. L’ordre régnera à nouveau. La soupe aura partout le même goût. Elle sera servie par de vrais passeurs de plats qui se tamponneront la coquillette de leur saveur, de leur odeur : l’argent n’en a pas dit-on ! Pessimiste me direz-vous ? Oui, je le suis car lorsque les temps se durcissent, lorsque les élites se vautrent dans le mépris de la loi, la pente naturelle est bien plus encore au chacun pour soi. Gravité hors de saison sur notre belle planète du vin m’objecteront certains. En sont-ils si sûrs ?
Reste tout de même un beau rayon d’espoir à l’horizon : vous les lecteurs de nos petits confettis sur la Toile. En effet, les grands déverseurs d’inepties télévisuelles qui vivent des encarts publicitaires, ne seraient pas ce qu’ils sont s’il n’y avait chaque soir des gros bataillons de gens scotchés à leur écran. Alors, à notre minuscule niveau, efforçons-nous de proposer des contenus de qualité, sans pour autant être des bonnets de nuit, des déverseurs d’eau tiède, de consensus mou. Soyons nous-même, assumons notre place dans une société où le pouvoir de l’argent règne en maître. Instillons dans le long fleuve tranquille des convenus nos petites musiques sans pour autant nous draper dans une pureté, une intégrité de pure façade. La seule condition de notre survie : revenons-en à ce que fait la main : faisons nous-même notre marché, épluchons nos légumes, concoctons nous-même nos plats et servons-les comme on le faisait sur les tables familiales : simplement !