Dans mes souvenirs germanopratins, au temps où je bouquinais au petit matin en buvant mon café à la paille et en picorant un pain au chocolat sur la terrasse du Flore, les vendanges de Robert.V.Camuto dans les vignes de Jean-Bernard Siebert, à Wolxheim, tenait une place toute particulière. L’entame de son chapitre 2 « la colère des raisins » m’avait frappé « Je n’avais pas commencé depuis longtemps ma carrière de vendangeur en Alsace – depuis vingt minutes exactement – que je m’interrogeais sur mes chances de survie.. » Diantre m’étais-je dit, qu’un gaillard comme lui, sportif, qui s’estimait mieux conservé que la plupart des hommes de 46 ans, puisse faire un tel constat c’était que vendanger ne relevait pas d’un séjour au club Méditerranée. Notre homme qui souhaitait rompre avec la modernité « le temps d’une incursion dans le vrai monde du vin et de la France profonde » et qui, en allant chez un petit vigneron, « n’aurait pas à redouter les pièges de Bordeaux ou de Napa Valley : pas de dîner dans un trois étoiles, pas de thermalisme, pas de sortie à bicyclette pour une balade de dingue dans les vignes flamboyantes couleurs d’automne, pas de séminaires de dégustation. Juste huit heures par jour d’un boulot éreintant, dans une ambiance de vendange et de camaraderie. » Oui des bribes remontaient dans ma mémoire « Attention, ici ce n’est pas le Midi ! » « Ici, quand on travaille, on travaille, et quand on s’arrête, on arrête. » Et dans la série des attention : « Attention aux feuilles ! » (dans le seau de Camuto il y en avait assez pour réaliser un poster « feuillage d’automne »), « Attention aux doigts ! On a déjà eu deux blessés cette semaine. »
Pourquoi évoquer ces souvenirs de lecture me direz-vous ? Tout bêtement parce que j’avais très envie de faire comme Camuto : me plonger dans l’ambiance des vendanges, loin de Bordeaux, chez mon poteau Olivier de Moor. Avant de prendre ma décision définitive, et pour calmer l’ire de mon Paul qui m’avait concocté un programme digne d’un Ministre avec des gens que je n’avais pas envie de voir – vous ne pouvez pas savoir le nombre de petites lucioles excitées et de vieux bourdons poussifs qui gravitent dans le milieu du vin – j’ai relu en grande largeur le chapitre concerné « D’un Américain dans les vignes ». Si j’ai un conseil à vous donner, surtout aux Paganini de la chronique bloggeuse et vendangeuse, c’est de faire comme moi. Les premiers instants du néo-vendangeur, comme l’a écrit Camuto, sont déterminants pour la suite de sa carrière car si, « au premier gémissement » qui ne sera le point de départ d’une série, il se dit je « vais laisser tomber, rentrer à l’hôtel à pied et profiter des vins d’Alsace (où d’ailleurs, c’est selon le point de chute) » c’est déjà presque foutu. Mais, par bonheur, si je puis dire, si à ce moment-là, le vigneron l’interpelle d’un « ça va ? » où se glisse une pointe d’inquiétude et qu’il répond, en mentant, « Oui » il ne lui reste plus qu’à persévérer et à souffrir en silence. Pour en finir avec Camuto je vous livre l’emplissage de son premier seau juste après qu’on lui ait mis dans les mains un sécateur et indiqué la rangée où il devait œuvrer « en général, deux coupeurs faisaient en même temps la même rangée, un de chaque côté, tandis qu’un autre tandem partait de l’autre bout. La grande affaire était de récolter des grappes grosses comme le poing sans couper sans couper ses propres doigts ni ceux du coupeur en face. Les grappes allaient dans le seau, et quand celui-ci était plein, on le traînait sous les vignes jusqu’à l’allée centrale, desservie par le tracteur. Lorsque sa remorque était pleine, le tracteur déversait le chargement dans une autre remorque, garée au bord de la route. »
Donc j’ai décidé d’aller vendanger chez Olivier à Courgis du côté de Chablis. Mais, comme j’ai très mauvais esprit je ne puis m’empêcher de vous livrer un morceau de dialogue de Camuto avec Siebert le vigneron « je mentionnai le nom d’un producteur du Haut-Rhin qui avait obtenu des consécrations internationales et dont les vins atteignaient des prix correspondant à des grands crus classés de Bordeaux. Il me lança un regard vide, puis leva les yeux au ciel. J’insistai : cela ne l’intéressait donc pas de vendre ses vins plus chers ? « Vous savez quoi ? répondit-il. Un jour, ils me mettront dans un trou de deux mètres de profondeur. On viendra verser deux ou trois larmes. A quoi me servira l’argent à ce moment-là » A méditer, non ! Même si l’envol des GCC a laissé les Crus Alsaciens loin derrière. Bon, sans vouloir jouer à la donneuse de leçons, je trouve que certains et certaines devraient tourner plusieurs fois leur plume dans l’encrier – façon de parler – avant de se la jouer grave et de nous faire accroire qu’ils sont drôles. D’ailleurs, qu’allaient-ils faire, non pas dans cette galère, mais dans ces vignes des nouveaux seigneurs de la guerre. Si j’étais méchante j’aurais écrit : saigneurs mais l’outrance n’est pas bonne conseillère. En revanche, je conseille aux agences de communication de prévoir des voyages de presse pendant la taille de la vigne car, sans contestation aucune, ça vaut la vendange ! Je suis sûre que mon amie Catherine Bernard, qui a écrit de belles pages sur cet exercice dans son livre « Dans les vignes », se ferait un plaisir de les accueillir. Elle connaît le boulot de journaliste car elle en a été une, mais elle c'était une vraie. De même je suis certain que Léon serait charmé de les recevoir aussi. En bonus, il leur ferait des exposés très argumentés sur la lutte des classes. Bref, comme je suis une fieffée bavarde je vais m’en tenir à quelques photos que j’ai prises chez Olivier de Moor. Merci à lui, et pour ceux qui ne comprendraient pas les raisons de mes réflexions sur la vendange ils peuvent s’adresser au taulier. Il se fera un plaisir de vous renseigner. Pour la photo des tomates : Noire de Crimée, rose de berne, pâtissons, patidou etc... Olivier en a plantés le long de son chai.