Je n'ai aucun goût pour les bûchers, en général, et plus encore pour ceux où l'on brûle les gourous que l'on a adoré, encencé, suivi les yeux fermés hier, surtout si celui ou, en l'occurence, celle qui gratte l'allumette servait en ces temps-là le maître. Si je vous propose ce matin de lire l'interview d'une ancienne collaboratrice de Robert Parker c'est pour une double raison : la première c'est que tout système qui proclame laver plus blanc que blanc, un jour ou l'autre, sous la pression des impératifs économiques, parfois de la facilité peut lui aussi patauger en eaux troubles et, la seconde, c'est que la relation de cause à effet entre une simple notation et la fixation d'un prix, d'une cote, est par nature malsain, car elle produit des bulles spéculatives qui dénaturent le bon fonctionnement d'un marché. Face à ce procès, je me sens très à l'aise car, ayant horreur des notations, je n'ai jamais fait partie de la secte Parker, pour autant je ne l'ai jamais considéré comme un diable corrupteur de nos belles appellations. Alors, même si ce coup de pied de l'âne va peut-être faire quelques vaguelettes dans le marigot bordelais, entre nous, je trouve ça bien dérisoire et bien dans la ligne de notre époque où les valeurs sont plus boursières que morales...
DEGUSTATION DE VIN. -- L'ancienne collaboratice du fameux critique américain estime, dans son livre, qu'il y a un fossé entre son discours et ses pratiques
« Parker vacille sur son piédestal »
: Propos recueillis par Dominique Richard |
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Robert Parker. « Il faudra sans doute un peu de temps pour que les consommateurs s'affranchissent des oracles du gourou » PHOTO REUTERS |
« Sud Ouest ».
Pourquoi dites-vous que Robert Parker est le plus grand dégustateur de tous les temps ?
Hanna Agostini.
Personne n'est capable de décortiquer un vin comme il le fait. Il peut déguster de 60 à 100 vins par jour, parfois davantage. Et le plus extraordinaire, c'est qu'il peut à la fin d'une telle journée, lors d'un dîner, identifier la quasi-totalité des vins qu'on lui présente à l'aveugle sans se tromper sur le domaine ni sur le millésime. Derrière le mythe Parker, il y a un palais et un odorat exceptionnels.
Comment est-il devenu le critique le plus puissant de la planète ?
Robert Parker s'est imposé par son talent et sa capacité de travail, mais il a aussi bénéficié d'un contexte particulièrement favorable. Son talent s'est révélé avec le millésime 1982, qu'il a porté aux nues dès les premières dégustations et ce contre un bouclier d'avis autorisés.
Tous ceux qui ont suivi ses conseils ont gagné beaucoup d'argent ?
A la faveur du millésime 1982, une frénésie acheteuse sans précédent s'est emparée des Américains. Comprenant que les commentaires et surtout les notes de Parker forgeaient la demande aux USA, les Bordelais ont commencé à pratiquer une politique de rétention des vins visant à faire monter les cours. Par exemple, en 1985, la note parfaite attribuée au Mouton-Rothschild 1982 fait quadrupler le prix de la bouteille ! C'est à partir de ce moment-là que la place de Bordeaux est devenue la plus spéculative qui soit. Aujourd'hui, plus que jamais, le négoce et la filière attendent ses notes pour se positionner. Jamais personne n'a eu une telle influence sur le marché.
Robert Parker s'impose au moment où beaucoup de choses basculent.
On constate dès le début des années 1980 une profonde métamorphose du monde du vin. Robert Parker accompagne et amplifie l'évolution commencée par l'oenologue Emile Peynaud vers des rouges fruités, mûrs, boisés, aux tannins souples. Mais la révolution n'est pas seulement d'ordre technique. Une mode se dessine. Le vin devient un facteur de promotion sociale. Il est de bon ton d'en boire, mais aussi d'en parler. Le vin prend encore une dimension financière à laquelle Robert Parker n'est pas étranger. Les bordeaux, qui demeurent la référence mondiale, lui ont permis d'asseoir sa notoriété. Mais ils lui doivent aussi d'avoir tenu leur rang dans la compétition mondiale. Il suffit qu'un cru soit évoqué par Robert Parker pour que son prix s'enflamme. Même s'il n'a pas voulu la spéculation qu'il alimente, il est aujourd'hui prisonnier de son système.
Pourtant, il a toujours fait de la défense du consommateur son cheval de bataille.
Robert Parker a surtout marqué les esprits en se posant comme un chevalier blanc, comme le plus intransigeant défenseur du consommateur. Il a fait de l'indépendance de la critique par rapport aux professionnels du monde du vin un principe absolu. L'ennui, c'est qu'aujourd'hui, il semble s'être affranchi de l'éthique qui a fondé sa démarche. Jusqu'en 2007, l'un de ses plus proches collaborateurs écrivait dans son bimestriel tout en ayant une activité de négociant.
Dans votre ouvrage, vous décrivez une véritable organisation bordelaise autour de Parker.
En évoquant ses relations avec l'oenologue Michel Rolland, les négociants Archibald Johnston, Jeffrey Davies, Bill Blatch et Dominique Renard, ses amitiés avec Jean-Bernard Delmas, l'ancien administrateur du grand cru Haut-Brion et la famille Moueix, je ne relate que des choses connues de tous. Loin de moi l'idée de qualifier ces liens. Je veux seulement démontrer qu'il y a un fossé entre son discours et ses pratiques. Comment expliquer qu'il qualifie d'« amis », voire d'« experts en amitié », certains éminents acteurs du monde du vin, tout en martelant par ailleurs qu'il n'a pas d'amis dans ce milieu et rappelant inlassablement l'impérieuse nécessité pour un critique de garder ses distances avec le négoce, sous peine de compromettre la fiabilité de ses avis ? Comment expliquer qu'il soit le parrain de l'enfant d'un vigneron bien noté dans ses guides, tout en se défendant d'être un ami intime dudit vigneron ?
Robert Parker s'est-il rendu coupable d'injustices flagrantes ?
Quand il juge un vin, il ne fait qu'exprimer son goût personnel. Si injustice il y a, elle tient surtout au fait que certains producteurs consciencieux ne peuvent pas percer simplement parce qu'ils n'ont pas accès à lui et ne peuvent donc lui faire goûter leurs vins. Il ne juge que les vins présentés par les organisateurs de ses dégustations. Les gens sont de plus en plus nombreux à avoir substitué son goût au leur.
Le plus troublant, sans doute, dans votre ouvrage, c'est cette longue liste d'erreurs et d'inexactitudes dans la prose de Parker.
Depuis une dizaine d'années règne le copier-coller. Robert Parker recycle dans ses multiples publications des notes et commentaires anciens. Beaucoup d'informations ne sont pas réactualisées. Depuis dix ans, il jette en pâture à un auditoire captif, sous le couvert de livres toujours plus épais et toujours plus chers, une littérature poussiéreuse, à peine ravalée d'une édition à l'autre. Il lui arrive même de jauger des vins qu'il avoue ensuite ne pas connaître. Ces défaillances sont incompréhensibles, à l'image de certains de ses derniers commentaires. Que cela signifie-t-il de dire d'un vin qu'il est « beurré » ou d'évoquer « des minéraux séveux plongés dans du daim liquide » ?
La période Parker touche-t-elle à sa fin ?
Il a encore un large auditoire. Il faudra sans doute un peu de temps pour que les consommateurs s'affranchissent des oracles du gourou. Cela étant, les sources d'information sur le vin n'ont jamais été aussi nombreuses et les nouvelles générations sont mieux à même de se forger leur propre opinion. Par ailleurs, Robert Parker délègue de plus en plus : il ne s'occupe plus personnellement que du Bordelais, de la vallée du Rhône et de la Californie. Si la statue du commandeur semble solide, son piédestal vacille.
« Une littérature poussiéreuse, à peine ravalée d'une édition à l'autre »
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