J'aime ce texte d'Olivier Rolin extrait de son roman Tigre en papier au Seuil ex de la Gauche Prolétarienne " Olivier Rolin garde - vestige de l'expédition de Flins - le bras en écharpe, mais cela ne l'empêche nullement de commander la manoeuvre ni d'agir lui-même..." in H.Hamon et P.Rotman Génération tome 2 les années de poudre au Seuil.
" Et l'homme qui a été le héros de ta jeunesse (et qui demeure celui de ta vieuserie) Jean Cavaillès. Philosophe, logicien, saboteur, arrêté, écrivant en prison un livre d'épistémologie, libéré, de nouveau la dynamite, de nouveau arrêté, torturé, fusillé en 1944. Enterré dans la citadelle d'Arras sous la mention : "Inconnu numéro cinq". Figure savante et tranquillement héroïque qui nous empêchait de croire absolument ce que j'ai dit tout à l'heure, dis-tu à la fille de Treize : qu'il n'y avait pas d'intellectuels courageux. Et donc qui nous retenait de devenir vraiment barbares. Ce type, tu comprends, il ne fondait pas comme Sartre un groupe de discussion à Saint-Germain-des-Prés, non, ce n'était pas un malin, il faisait sauter des ponts, il s'introduisait, vêtu d'un bleu, dans la base de la Kriegsmarine à Lorient. Philosophe, logicien, saboteur. Un héros, oui, ce mot ne m'écorche pas du tout la gueule, au contraire. Il vient du fin fond de l'histoire humaine, du moment où l'homme s'affranchit des dieux. Une des choses dégradantes, une des choses désespérantes de ce temps, c'est son rejet de l'héroïsme. Ca veut dire qu'on ne croit plus dans l'humanité, ça. Un héros, ce n'est pas autre chose qu'un homme pleinement humain, le contraire de l'homme-marchandise. Et le contraire aussi de la créature humiliée devant Dieu. Une humanité sans héroïsme est bonne pour Dieu ou pour le marché, certains petits cyniques contemporains n'ont pas l'air de voir ça.
