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5 mai 2018 6 05 /05 /mai /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H L’écriture de ses premiers discours fut un réel et douloureux chemin de croix, Benoît ne supportait pas les ratures, il rédigeait avec un crayon de papier en faisant un usage constant de sa gomme, le plateau de son bureau se constellait de fines épluchures blanches. (85)

Le petit bureau demi-circulaire de Benoît, au rez-de-chaussée, donnait de plain-pied sur le parc du très bel hôtel de Roquelaure implanté au 246 Bd Saint-Germain. Il s’y trouva de suite à l’aise car il aimait les cocons qui enserraient son irrépressible besoin de fuir, le contraignaient à affronter la réalité. Celle-ci, en ces temps où la rue et le verbe délirant tenaient lieu, pour beaucoup d’intellectuels, de pensée politique, lui apparaissait un terreau fécond sur lequel il allait pouvoir semer ses petites graines subversives. Bien évidemment il n’avait jamais écrit de discours, ses travaux littéraires se résumaient à quelques notes ou réflexions écrites sur des petits carnets et, il se demandait, s’il ne s’était pas engagé, bien à la légère, dans un champ de mines. Benoît avait toujours besoin de défis, d’adrénaline pour se motiver, là, il se retrouvait face au vide de la page blanche sur laquelle il ne s’agissait pas de broder une histoire mais de mettre en forme audible des trucs imbittables écrits par des hauts-fonctionnaires ou des petits chefs de bureaux. L’aridité des notes des services lui plut. En les lisant il entrait dans un monde étrange, plein de codes, de sigles, de références, qui lui donnaient le sentiment que l’univers bureaucratique tissait une toile dans laquelle les politiques s’empêtraient. Le vrai pouvoir se situait là. Très vite il comprit qu’il lui fallait imaginer une méthode pour se mettre en état de pondre ces foutus discours ; elle vint empiriquement sans même qu’il la formalise. Lire, dormir, écrire : son bureau se transforma en un vaste souk où s’empilaient des livres, des rapports, des notes, des JO et autres publications maison et nul n’était autorisé à toucher à son désordre. Sitôt le déjeuner il allait faire la sieste dans une petite chambre sous les combles, il n’écrivait que la nuit en fumant des cigarettes qu’il roulait dans une petite machine Riz-La-Croix.

 

L’écriture de ses premiers discours fut un réel et douloureux chemin de croix, Benoît ne supportait pas les ratures, il rédigeait avec un crayon de papier en faisant un usage constant de sa gomme, le plateau de son bureau se constellait de fines épluchures blanches. La lenteur de son crayon s’accommodait mal avec le jaillissement de ses phrases, très souvent il perdait en chemin des formules qui, une fois tombées à la trappe, lui semblaient percutantes. Il  fouillait sa mémoire pour les retrouver, il bloquait, s’engueulait, transformait en boules de papier des heures d’efforts, se gorgeait de café, grillait des clopes. Son salut vint d’IBM, le secrétariat particulier du Ministre était régenté par une vieille harpie à moustaches régnant sur une armée de petites mains terrorisées et lorsqu’il venait déposer des œuvres, encore fumantes, entre les mains du dragon pileux son œil exercé de chasseur n’avait jamais repéré un gibier de choix,  madame la secrétaire-particulière veillait à ce que son cheptel ne fusse un objet de tentation pour notre Ministre bien connu pour son goût prononcé pour les jupons légers. Un matin, épuisé par la ponte d’un discours pour l’inauguration de je ne sais quel machin dans je ne sais quel patelin, hirsute et pas rasé depuis 3 jours, Benoît déboulait dans le SP à une heure où normalement la petite troupe n’était pas encore à pied d’œuvre ; et surprise, tout au fond du bureau il aperçut, au-dessus d’une machine à écrire, le haut d’un corsage blanc entrouvert d’où émergeait un cou gracile surmonté du visage enfantin d’une blonde des blés. À sa vue elle se levait : « Je suis la remplaçante de Simone… » balbutiait-elle alors que les yeux de Benoît restaient scotchés au vallon profond de sa poitrine.

 

Vu son état de déliquescence jouer les jolis cœurs aurait relevé de la faute de goût, gentiment Benoît lui conseillait de mettre sous protection ce que des mains avides, y compris les siennes, auraient très envie de désincarcérer. En reboutonnant jusqu’à l’encolure son corsage la mâtine se contentait de rosir. Benoît, repoussait dans les ténèbres extérieures sa folle envie de la culbuter sur le tas de dossiers posés à côté de sa machine à écrire en faisant diversion, tout en gardant serré sur sa poitrine, telle une ceinture de chasteté, son œuvre de la nuit, il fit celui qui s’intéresse à son outil de travail, la toute nouvelle IBM à boule que le SP venait de toucher. « Donnez-moi votre travail, je vais vous montrer comment elle fonctionne ! » Benoît s’exécutait. « Vous écrivez bien… » Son petit sourire mutin désarmait plus encore Benoît, elle posait la première page sur un chevalet puis, ses doigts fins aux ongles peints se lançaient dans une sarabande qui le stupéfiait. La nouvelle machine émettait des sons feutrés, à cent lieues du cliquetis des vieilles draisines mécaniques. La petite effleurait son clavier, le buste bombé et le regard droit. Benoît était subjugué. Quand elle eut essoré sa première page Benoît, d’une voix aussi serrée que celle d’un jouvenceau déclarant sa flamme, lui demanda « Vous voulez bien m’apprendre ? ». « Ce sera un grand plaisir pour moi… » lui répondit-elle en plantant ses yeux verts dans les siens.

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