Le 12 juillet, pour ceux d’entre vous qui me suivent depuis les origines, est le jour anniversaire de ma naissance, au Bourg-Pailler, ancien relais de poste à l’entrée du bourg de la Mothe-Achard sis au bord de ce qui était alors la Nationale reliant la Roche-sur-Yon – qui fut Bourbon Vendée puis Napoléon Vendée – aux Sables d’Olonne célèbre pour son remblai et sa plage de sable fin. Enfant je comptais et identifiais les marques et les numéros minéralogiques des voitures des vacanciers qui filaient au bord de la mer. En ce temps là les congés n’avaient pas mauvaise presse même si chez moi on ignorait ce qu’étaient les vacances.
Quand on atteint, comme moi aujourd’hui, les 60 ans, fêter son anniversaire a une saveur toute particulière car on pénètre sur la plage de sa vie où l’heure de la retraite va sonner. Étrange mot que celui-ci : sa première acception fut pour moi religieuse, pour les diverses communions et la confirmation on nous assemblait en retraite pour nous bourrer le crâne ; ensuite, grâce à Napoléon, je découvris son sens militaire au travers de la retraite de Russie ; enfin, à Lourdes, je participais à une retraite aux flambeaux très kitch. Au fond, l’idée sous tendue est toujours la même : se retirer mais, dans nos sociétés, qui magnifient la valeur travail, trop souvent la mise à la retraite constitue, pour beaucoup de salariés, une mise au rencart. On ne sert plus à rien. Inutiles, en voie, avec l’allongement de la durée de vie, de devenir à charge. Une personne dépendante. Bien sûr, la condition générale des retraités s’est considérablement améliorée mais ce dont je parle, même si l’argent aplani bien des difficultés, c’est dans la tête que ça se passe.
Depuis que l’on m’a rangé soigneusement au placard j’ai compris qu’il ne tient qu’à soi de n’être pas au rencart. Ce temps m’a beaucoup appris. La patience et un réel détachement. Je carbure à plein régime. Je suis ma petite entreprise à moi seul et je n’ai nullement l’intention de partir à la retraite. Bien sûr, comme tout le monde, je ferai valoir mes droits à la retraite le moment venu mais, tant que j’aurai la santé et toute ma tête, je ne marquerai aucune rupture avec ma vie d’avant. Alors ce matin plutôt que de fredonner avec Jane Birkin « ex-fan des sixteen » je vais, pour fêter mes soixante-ans, vous parler de ces soixante années écoulés au travers de la vie, plus exactement de la passion, de celle qui m’a porté et enfanté : ma couturière de mère, Berthe Gravouil de la Chapelle-Achard : la mode. Celle que l’on qualifie de vintage – rien à voir avec le Porto – tous ces vêtements, accessoires de mode, bijoux qui vont des années 50 aux années 80 dont on recherche aujourd’hui les pièces restantes.
C’est un vrai défi que de parler chiffons à un public majoritairement masculin mais je le relève car la mode, et celle des années 60-80 tout particulièrement, hume l’air du temps, initie les tendances, et en se démocratisant elle est vraiment dans la vie des gens comme le vin qui, tout en gardant ses valeurs, s’éloigne de plus en plus du pur cercle des initiés.
Je fus conçu en 1947. Maman, elle, était née, à l’aube des années 20. Les femmes se libèraient du corset, les tailles s’abaissaient, les robes s’élèvaient au-dessus du genou. C'étaient les années folles. C’était aussi le temps des garçonnes. Les seins sont plaqués aux corps afin de dissimuler les formes et l’allure est jeune et asexuée. Les cheveux sont courts. Les femmes font du sport, lisent les premiers magazines féminins. Jean Patou et Gabrielle « Coco » Chanel imaginent le premier style féminin. Quand elle fait son apprentissage, maman, au travers des gens des châteaux et des femmes de notables, sent déjà la mode de Paris en tirant l’aiguille. Les années 30, en rupture avec l’androgynie, vont mettre en valeur les formes féminines d’une façon provocatrice. Les premières robes dos nu dévoilent les épaules et les coupes en biais épousent les formes. C’est le temps des stars d’Hollywood. Après le krach de 1929 on revient à plus de retenue et l’élégance est incarnée par des vedettes comme Katherine Hepburn. Les années 40, en grande partie dévorées par le 2d conflit mondial, vont propulser les femmes – aux USA surtout – dans le monde du travail. Les usines de confection sont mobilisées pour l’effort de guerre. Les tissus synthétiques triomphent : le bas de soie est détrôné par le bas nylon. C’est la naissance du prêt-à-porter américain, fonctionnel, coloré, confortable, utilisant des tissus tels que vichy, coton et denim.
1947 donc, une nouvelle silhouette va être dévoilée par un jeune et timide créateur français : Christian Dior et son spectaculaire « new-look » qui sait parfaitement capturer l’humeur du temps. En ces lendemains de restrictions, d’ersatz, de chaussures à semelles compensées, les femmes aspirent à plus de féminité. Le nouvel idéal féminin, mis en valeur par des étoffes luxueuses, affiche une ligne d’épaules arrondie, un buste audacieusement souligné et une taille très resserrée. Comme le disait maman à ses clientes : donner de l’ampleur. La ligne corolle révolutionne la silhouette des femmes qui ondulent perchées sur leurs escarpins à hauts talons dans le crissement de bas nylon sans couture. La prospérité vient des USA alors la haute-couture parisienne va se tourner vers ses riches clientes dotées de billets verts. À Paris on mâche du chewing-gum, on fume des Craven A et on écoute du jazz dans les caveaux de St Germain-des-Prés. Et je suis né le 12 juillet 1948 à l’aube des années 50.
Les années 60, les « swinging sixties » avec l’explosion des folies londoniennes : Carnaby Street et King’s Road, la mode plonge ses racines dans la rue, dans les sons des Stones et des Beatles, ouvre l’ère des « jeunes », de la simplicité, de la mini-jupe de Twiggy photographiée par David Bailey, de l’excentricité. En 1960, Yves Saint Laurent, âgé de 24 ans, présente pour la maison Dior une collection d’ensembles de cuir noir, bousculant une haute-couture française cherchant son second souffle. La fin des années 60, avec le mouvement hippie, le déboulé de la pop musique, les mouvements contestataires, va voir naître un mouvement antimode avec l’attrait du vêtement de seconde mains où le port de pièces d’origine étrangère : caftans indiens, salopettes américaines, vestes chinoises à col Mao et manteaux afghans. Et moi pendant ce temps-là, au milieu des coupons de tissus, des patrons, des fils à faufiler et des magasines de modes je grandissais en âge et en sagesse pour fêter mes 20 ans au débouché des évènements de mai 68.
Les années 70 seront des années de transition. La société de consommation pointe son gros nez et la mondialisation se dessine avec les visionnaires japonais : Kansai Yamamoto, Issey Miyake, Kenzo qui mettent de la couleur, de l’excentricité et du ludique dans la mode. Les gros pulls associés aux mini-jupes, les lainages à rayures, les imprimés floraux, les tissus matelassés, c’est le triomphe du douillet chic. À l’opposé, inventée par les britanniques Malcom Mac Laren et Vivienne Westwood, avec l’ouverture du magasin SEX sur King’s Road c'est la mode punk. Ils associent les accessoires classiques du bondage – cuir, caoutchouc, lanières, boucles métalliques – avec les pièces basiques. Jean ultraserrés, pantalons militaires, blouson de cuir symbole de la rébellion est rouge et lorsqu’il est en plastique il se teinte de rose. On choque. On agresse. Les épingles à nourrices. Le piercing… Plus au Sud les créateurs italiens s’éveillent : Versace, Armani… À Paris le cuir triomphe : Thierry Mugler, Claude Montana et Karl Lagerfeld le placent au premier plan de la mode internationale.
Enfin les années 80, les années Mitterrand, c’est le temps des astucieux créateurs qui vont participer au triomphe des griffes, des marques, machines à cracher du cash en produits dérivés : les parfums tout particulièrement. Tout le prisme est représenté avec un Jean-Paul Gaultier génial provocateur jusqu’à Christian Lacroix qui revisite les splendeurs du grand sud. La mode est vraiment dans la rue, avec le hip hop les vêtements de sport pénètrent la mode : Nike, Adidas, Reebok. Le jeans s’impose en même temps que le style affaires des working women. Tout explose. Implose. La mode devient de plus en plus le vecteur de grandes multinationales dont le plus bel exemple est en France LVMH. Le temps des Galliano et des Alexander Mac Queen est venu et moi aujourd’hui je fête mes 60 ans.
Si vous avez eu la patience et le courage d’aller au terme de cette libre échappée de vie, ce dont je doute un peu, sachez que ce j’aime avec les anniversaires ce ne sont pas les cadeaux mais les petits mots sous toutes leurs formes, maintenant électroniques, sms, e-mail,commentaires ou, pourquoi pas, causés ou même, pour les plus courageux, écrits sur papier et postés. Alors si ça vous dit c’est
Un dernier mot à propos de ces 60 ans, mon père m’a transmis le goût du bien public, ce qu’on appelait autrefois la Politique et maman le goût des belles choses, des pièces uniques, du cousu main (les modèles illustrant cette chronique sont les musts de maman, sauf bien sûr la grande bringue qui montre ses cuisses), alors ne vous étonnez pas que je puisse avec la même ardeur, la même passion, la même mauvaise foi parfois, soutenir à la fois la viticulture du grand nombre et celle des vignerons….