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8 décembre 2008 1 08 /12 /décembre /2008 00:08

C’était la fin de journée, je lui avais donné rendez-vous au Sélect qui affiche toujours : bar américain en souvenir des riches heures de Montparnasse  (Le Select ouvre ses portes en 1924.Il ne ferme pas la nuit, d’où son succès auprès des écrivains américains. « Un soir des années 1930, Desnos, Hemingway et quelques autres démarrent ici une discussion sur la guerre d’Espagne, qui se poursuit jusqu’à l’aube chez Desnos et Youki, 19 rue Mazarine ».) Le début de novembre nous offre un peu de douceur alors je réenfourche mon cher vélo pour m’y rendre. C’est à 5 mn de chez moi. De l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis vont élire Barak Obama. « I have a dream » 28 août 1963. J’avais 15 ans et j’étais en classe de seconde. Le rêve américain, John Kennedy entré à la Maison Blanche en janvier 1961, sera assassiné le 22 novembre 1963, Martin Luther King le 4 avril 1968. À l’époque, sur les premiers écrans de télévision, à 5 Colonnes à la Une, je suivais avec passion la vie de ce pays qui me fascinait.  Comme l’écrit Le Monde « ça donne un coup de vieux à la politique française. » En terrasse, Jaime Araujo m’attends. Sourire franc, poignée de main énergique, pas besoin de rompre la glace, je peux aller droit au but : « dites-moi Jaime Araujo pourquoi une jeune américaine vient s’installer à Paris pour travailler dans le monde du vin ? »

Elle est, me dit-elle sans façon, ¼ espagnole, ¼ italienne, ¼ irlandaise et ¼ galloise, ce qui nous donne une américaine pur sucre pratiquant un français impeccable ponctué de grand rire. Normal elle a fait des études de langue. Pour le vin, c’est familial, ses parents ont acheté une propriété de 30 ha dans la Nappa en 1988-89. Et pourtant, lorsqu’elle traverse l’Atlantique c’est pour s’installer en Angleterre, le Conservatoire de Birmingham, et elle sera 7 ans comédienne à Londres. Mais, le virus du vin ne la lâche pas comme ça, elle pense puis elle revient à son amour de jeunesse. Jaime Araujo a fait aussi des études d’œnologie en France (DUAD), en Angleterre (WSET) et aux USA (UC. Davis). Son employeur est Moët-Hennessy Europe. Elle est mutée à Paris en 2002, reprend ses études à l’INSEAD de Fontainebleau et décroche un MBA. En 2005, elle créé Terravina, une société de marketing spécialisée dans le vin. www.terravina.fr. À la simple relecture de ce que je viens d’écrire j’entends déjà monter du fond de notre orgueil national un cri du cœur outragé : « Mais où allons-nous, oser donner des conseils aux français ! De surcroît sur le vin, exception culturelle française par excellence… Quelle outrecuidance pour une américaine de 37 ans ! » Moi, je trouve ça formidable. Nous vendons bien de l’eau minérale en bouteille à nos amis américains : beau marketing, alors pourquoi diable ne prendrions-nous pas de la graine d’une jeune américaine pour redonner des couleurs à certains de nos vins en mal de marketing. Au passage, je signale que ce n’est pas un gros mot le marketing (les 5 P de Matthew Dickinson : Product, Price, Packaging, Promotion, Place cf. page 45 du rapport B.), mais c’est une façon de penser qui part du consommateur, s’étend à chaque service de l’entreprise et finalement sa rentabilité tout en offrant une valeur ajoutée au consommateur. Ces fichus clients et, comme le note Jaime Araujo « il est essentiel de dire la bonne chose, à la bonne personne au bon moment ».

Dans la grande majorité des entreprises vinicoles françaises, pas seulement les petites ou les moyennes, comme monsieur Jourdain pratiquait la prose sans le savoir, beaucoup font du marketing sans le savoir, mais comme le fait remarquer Jaime Araujo, ils ont bien du mal à cerner et à formuler leur offre. Avoir tout dans la tête c’est bien mais le traduire en plan d’actions c’est mieux. Son travail c’est de les aider à créer leur propre univers de marque, à prendre conscience de leurs atouts majeurs, à cibler le ou les segments de marché qui sont les leurs, à choisir les marchés les plus efficients pour leurs produits. Dit comme ça semble relever de l’énoncé d’évidences alors que dans le concret, beaucoup de chefs d’entreprise sont au four et au moulin, le nez dans le guidon, et comme ils ne disposent pas de structure ad hoc, ils ont bien du mal à créer un plan marketing, à cibler leurs efforts et surtout à assurer le suivi de leurs décisions. La petite équipe de Terravina, 4 personnes, s’est donc glissée dans cet espace inoccupé ou mal occupé, une niche comme on dit. Rien de très original me direz-vous, des conseilleurs ou des conseilleuses on en trouve à la pelle, y’a qu’à les payer. J’en conviens mais, sans me lancer dans un hit-parade des spécialistes français du marketing du vin, ce qui serait aussi saugrenu que le classement des 100 personnalités qui font le vin en France de la RVF (très people), le profil de Jaime Araujo, son parcours, son réel professionnalisme, alliés à une connaissance et une expertise toute aussi réelle des grands marchés en développement, lui confère une originalité certaine par rapport à la concurrence.

En écrivant cela je ne tombe ni dans l’hagiographie ni dans un féminisme militant mais, pour avoir été l’un des premiers à pointer nos déficiences dans le domaine du marketing, je crois pouvoir me permettre de souligner que trop souvent beaucoup d’entreprises se font « refiler » des solutions toutes faites, cousines-germaines de celles vendues aux voisines, du réchauffé comme dans les restaurants pratiquant le micro-ondes. Une bonne recette ne fait pas forcément un bon plat et, au-delà des panels, des études de marché, l’un des éléments déterminant du choix c’est la connaissance de la réalité du terrain, c’est savoir assurer le lien avec les importateurs-distributeurs, c’est être capable de dire et, de se faire entendre par son client, que fidéliser un client est aussi important que le recrutement. Jaime Araujo me semble, avec une franchise décapante, sa manière très américaine de bousculer les tabous, mais aussi, un réel intérêt pour notre beau pays, pour le vin, apporter un professionnalisme, une rigueur, un suivi, dans une démarche complexe appliquée à un univers hyperconcurrentiel. Entre le dire et le faire, nos amis américains choisissent toujours l’action, ça nous énerve un peu nous français « grands donneurs de leçons » à la terre entière mais ça nous fait aussi du bien, ça nous fait avancer et, pour dire la vérité, notre fierté nationale est plutôt flattée de voir qu’une Jaime Arraujo ait choisi notre beau pays pour y exercer ses talents.

Lire à la rubrique PAGES en haut à droite du blog cliuquez sur Le N°35
 : "Brève rencontre avec... Jean-François Moueix Bordeaux : la déprime des primeurs" Jean-Jacques Chiquelin
Le Nouvel Observateur

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7 décembre 2008 7 07 /12 /décembre /2008 00:06

La mécanique des « sociétés civiles de placement immobilier », les fameuses SCPI, pompes à fric puisant dans le bas de laine des petits épargnants avides de gains à deux chiffres, transformait la pierre en papier. En effet, pour le législateur il fallait offrir au secteur immobilier en plein boom de nouvelles sources de financement et les petits génies du Ministère des Finances, nichés dans les soupentes du Louvre, rue de Rivoli, jamais en reste de formules pompeuses écrivaient dans leurs Notes bleues  « la mise en place des SCPI vise de surcroît à favoriser une démocratisation de la propriété tout en offrant au grand public une « forme moderne de mobilisation de l’épargne ». Deux mots magiques : démocratisation et moderne qui mettaient tous les prédateurs en chasse de gogos. Comme toujours dans notre beau pays toutes les sécurités sont officiellement en place pour rassurer le petit épargnant : les SCPI ne peuvent se livrer directement à des actes de commerce, acheter et revendre des biens par exemple, elles doivent donc confier leur fond à des sociétés de gérance d’où l’utilité absolue des « hommes de paille ». La formule qui allie, selon les encarts publicitaires, disponibilité : céder ses parts est plus facile que de vendre un immeuble ; rentabilité : les plus « performantes » proposent des taux d’intérêts annuels supérieurs à 10 %, ce qui, en période d’inflation, attire bien plus que le Livret A de la Caisse d’Epargne, et son petit 5%, les rentiers de Romorantin ; sécurité traditionnellement liée à l’investissement pierre ; fait fureur. Et puis, cerise sur le gâteau, une petite niche fiscale : l’exonération de l’impôt sur les Sociétés, qui est en 1969 de 50%, pour les SCPI. Tout le monde est content, la fraîche afflue, circule, fait des petits et, bien sûr, alimente le lubrifiant des affaires immobilières : les pots de vin aux hommes de pouvoir.

Mon cabinet, ouvert avenue de Lowendal, dans le huppé et discret 7ième arrondissement, affichait sur sa plaque : Conseil. En ces temps post-soixante-huitard la fonction gardait tout son mystère face aux besogneux conseillers juridiques ou fiscaux considérés par les avocats et les notaires comme des usurpateurs ou, pis encore comme des « corruptibles », et elle me permettait d’échapper à l’opprobre des professions officielles chapeautées par des Conseils de l’Ordre. De plus, n’ayant nul besoin de générer du chiffre d’affaires pour vivre, je ne m’aventurais pas sur les pâtures favorites de mes concurrents. Je me contentais de conseiller, en clair de manipuler les uns et les autres en duo avec Chloé. En termes de renseignement mon cabinet constituait une superbe couverture. Dans un premier temps, tout en conservant mes connections nocturnes au sein des mouvances gauchistes, la GP tout particulièrement, je me contentais de faire ma pelote. De tisser ma toile. De régaler. D’arroser. De mettre des femmes dans leurs lits. D’assurer les fins de mois de certains. De recueillir des confidences. De diffuser des rumeurs, ce qui m’était facile eu égard à ma double position d’agent dormant de la cellule MR du déjà fouteur de merde de Bertrand Guide petite main de Marcellin au sein des RG. La propension des hommes à se précipiter dans des sacs de nœuds pour du fric et des femmes est fantastique. Dans mon buiseness, le bouche à oreilles fonctionnait à plein régime et, comme j’exigeais une discrétion absolue, ma réputation s’établissait sans que pour autant le Tout Paris des affaires interlopes mettent un nom sur mon visage ou l'inverse. Le téléphone était mon principal outil de travail et je ne menais aucune vie mondaine, mes soirées je les passais soit dans les réunions des « enculeurs de mouche » de la GP, soit dans le lit de femmes dont l’intérêt majeur était de garder le secret.

Très vite je jetai mon dévolu sur la SCPI la plus juteuse en termes de rendement politique : la Garantie Foncière. Créée par Robert Frenkel, un self made man de 35 ans rondouillard à grosse moustache, qui s’était lancé dans l’immobilier à l’âge de 25 ans, la Garantie Foncière se situait au carrefour fangeux du monde des affaires et du monde politique. Nicole Frenkel, son épouse et complice, gèrait la COFRAGIM, la société de gestion des immeubles financés par le blé récolté par la Garantie Foncière en se plaquant sous un homme de paille : André Rives de Lavaysse, plus connu sous le nom de Rives-Henry.  Paravent idéal, c’est un militant gaulliste qui à la Libération représente de Gaulle dans le sud-ouest. Chargé de mission de Chaban-Delmas, président de l’Assemblée Nationale, de 1960 à 62. En 1963, il est l’adjoint de Jacques Baumel secrétaire-général de l’UNR. Élu député du 19ième arrondissement en novembre 62, battu en 67 mais réélu avec le raz-de-marée gaulliste de juin 68. Chaban étant le 1ier Ministre du Président Pompe c'était du lourd donc; du lourd qui arrondissait ses fins de mois dans une myriade de sociétés. Les Frenkel menaient grand train. Ils avaient un goût effréné du luxe et de l’argent. Le Tout Paris bon chic se gaussait des pyjamas en lamé d’or de Robert Frenkel. C’était un bourreau de travail, séducteur et qui savait inspirer la confiance à ses clients. Pour me faire admettre dans le cercle je profitai  d’une « croisière-séminaire » organisée par les dirigeants de la Garantie Foncière sur le luxueux paquebot Mermoz. Quoi de plus favorable que le huis-clos d’un paquebot pour nouer les fils d’une intrigue. Chloé, bien sûr, était de la fête.

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6 décembre 2008 6 06 /12 /décembre /2008 00:06

Limoux, ça sonne toujours pour moi comme rugby à 13, Lézignan-Corbières, Quillan, Espéraza, et autres cadors de ce rugby un peu maudit qui, dans ma jeunesse, sur Sports&Musique, par la voix de ses reporters à l’accent rocailleux, qui sous la houlette de … (zut j’ai oublié son nom) m’amenait de l’exotisme dans ma Vendée bocagère. Alors, titrer : Alain Gayda 100% Limoux c’est un pléonasme car avec les Vignerons de Sieur D’Arques, où il a effectué tout son parcours professionnel, il fait bien plus que s’identifier à ce beau terroir, il en est l’une des chevilles ouvrières. Avec l’ami Pierre, vignerons tous les deux, Limoux s’est donné de nouvelles lettres de noblesse : des bulles de la fameuse Blanquette jusqu’aux magnifiques cuvées de Chardonnay de Toques&Clochers, en passant par le Crémant et maintenant un Limoux rouge de belle extraction. Pour moi c’est l’amour du pays, de ce pays porte de la Haute-Vallée de l’Aude, qui motive Alain. Le titre d’œnologue qu’il porte c’est bien plus qu’un diplôme c’est un titre hautement gagné sur ceux qui portaient un regard condescendant sur les nouveaux venus du Languedoc. La présidence de l’Union Nationale des Œnologues d’Alain Gayda représentait à merveille le renouveau d’une région, d’un département et du Limoux cher à son cœur. Reste encore à mener le combat de la notoriété pour que, par-delà le « conservatisme » de ceux qui la font, les efforts de ses vignerons de Limoux soient rémunérés à leur juste valeur. Un beau challenge que l’équipe de Limoux va relever.


Question N°1 : Supposons que je sois un jeune bachelier passionné par le vin. Je cherche ma voie Sur le site du CIDJ je lis « L’œnologue, grâce à ses connaissances scientifiques et techniques, accompagne et supervise l’élaboration des vins et des produits dérivés du raisin. Sa principale activité concerne la vinification. Il conseille les viticulteurs dans le choix des cépages et la plantation des vignes. Il surveille les fermentations en cave, le traitement des vins et leur conditionnement. Il effectue des analyses et procède à des recherches technologiques visant à l’amélioration des cépages. L’œnologue peut également être chargé de la distillation ou fabrication des alcools à partir des marcs de raisins. Enfin, connaisseur et expert en dégustation, il participe à la commercialisation des vins en France et à l’étranger. En raison de la concurrence rencontrée désormais par la production française de vin sur le marché mondial, l’œnologue remplit une fonction stratégique pour le maintien ou l’amélioration de la qualité des produits de la viticulture française. »

Présenteriez-vous ainsi votre métier à une jeune pousse Alain Gayda?

Réponse d’Alain Gayda : Je suis tout à fait d’accord avec la définition que vous donnez de l’œnologue qui peut paraître très complexe mais qui résume toutes les facettes du métier d’œnologue.

Il est important de noter tout de même que ce métier commence à la vigne et se poursuit jusqu’à la dégustation avec le consommateur en passant par la commercialisation tant en France qu’à l’étranger.

Lors de ma présidence de l’Union des Œnologues, nous avons mis en place une accroche qui nous paraissait bien résumer notre métier « Toute la vie du vin ». Je dis métier mais j’opterai pour passion car il n’existe pas de bon œnologue sans passion !

Le jeune bachelier doit savoir que chaque millésime est une nouvelle vie qui commence qu’on ne vinifie jamais un millésime de la même façon et la Passion est un élément primordial pour réussir en œnologie.

Question N°2 : « Monsieur Seignelet, qui avait assis Bertrand face à lui, donnait à mi voix des leçons d’œnologie, récitait des châteaux, des climats, des millésimes, émettait des jugements, prononçait du vocabulaire : puis il voulut enseigner à son fils aîné le rite grave de la dégustation. » Tony Duvert « L’île Atlantique » éditions de Minuit 2005. Dans le fameux manga « Les Gouttes de Dieu » «  Le héros est présenté comme œnologue alors que manifestement c’est plutôt un œnophile doué et cultivé.

Quel est votre sentiment sur ce glissement sémantique Alain Gayda?

Réponse d’Alain Gayda : Je m’insurge contre ce glissement sémantique, on ne doit pas confondre oenologue et œnophile, c’est aux œnologues de mettre leur formation en avant, il faut clamer haut et fort ; Oenologue, c’est un métier !

Il n’est pas normal que dans un document aussi lu que le manga « Les gouttes de Dieu », l’œnophile soit présenté comme un œnologue, ceci nous prouve le travail restant à faire pour la défense de notre métier.

Combien de journalistes confondent encore Œnologue, Œnophile et Sommelier.

Mais la faute à qui ? A nous Œnologues qui ne parlent pas suffisamment du vin avec poésie et enchantement ?

Les termes que nous utilisons pour parler du vin sont trop techniques et rébarbatifs.

Le simple consommateur à une image romantique de l’oenologue, en opposition avec son langage. Inconsciemment le commun des mortels va confondre l’oenologue avec l’œnophile qui utilise un vocabulaire d’hédoniste, et le sommelier qui saura le faire rêver en suscitant l’envie et le plaisir par une superbe alliance mets et vins par exemple.

La connaissance de l’œnologue auprès du grand public passera par une meilleure communication, et quoi de mieux pour communiquer  que de le faire un verre à la main.

 

Question N°3 : Moi qui ne suis qu’un pur amateur aussi bien pour le vin, que pour la musique ou la peinture je place ma confiance non dans les critiques mais plutôt dans ma perception au travers de l’œuvre du génie du compositeur ou du peintre. Pour le vin l’affaire est plus complexe entre l’origine, le terroir, le vigneron, le vinificateur, le concepteur du vin, l’exécution est à plusieurs mains. La mise en avant de l’œnologue, une certaine starification, correspondant par ailleurs avec l’esprit du temps, à une forme de marketing du vin, ne risque-t-elle pas de nous priver d’une forme de référence objective, celle de l’homme de l’art, nous aidant à mieux comprendre l’esprit d’un vin ?

 

Réponse d’Alain Gayda : Pour moi, l’œnologue devrait être plus lié à son vin dans la compréhension qu’en a le consommateur.

Le terroir est au vin ce que la pierre est à la sculpture ou la lumière à la peinture. La nature sans l’homme n’est que chaos et l’art consiste à la magnifier,  quelque soit l’esprit du temps.

Le vin sans l’intervention de l’homme ne serait que vinaigre.  L’oenologue est l’homme de l’art, le mieux placé pour parler de son vin, de sa technique de vinification et de l’esprit du vin.

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5 décembre 2008 5 05 /12 /décembre /2008 00:02

 

Dans la cour de récréation de l’école Sainte-Marie à la Mothe-Achard, lorsque nous jouions au jeu du drapeau, les grands, certains jours, décrétaient le « chacun pour sa peau » ce qui signifiait que nul ne pourrait se planquer dans le cocon du collectif, c’était le un contre un ou pire le tous contre un lorsque soudain l’esprit de meute prévalait. Les plus faibles, les moins astucieux, les j’en foutre, étaient éliminés les premiers. Ensuite venait un temps de flottement, d’observation, où ceux qui s’estimaient les plus aptes à gagner s’observaient, se jaugeaient, certains lançaient des fausses pistes, des contrats se passaient d’un simple regard : tu sacrifies ta peau en échange d’une poignée de marbres (billes d’argile vernissée), petit à petit la meute fondait comme neige au soleil. Lorsqu’elle atteignait le chiffre 5, en basket on dit un 3 contre 2, avec mon copain Dominique le fils du boulanger, qui jouait arrière au foot, un teigneux, lorsque nous avions décidé de les laisser se bouffer entre eux et que nous étions encore dans le lot, nous activions notre plan d’une grande simplicité. Nous filions au petit trot chacun dans l’un des 2 coins. Les 3 restants hésitaient sur la conduite à tenir : le 1 contre 1 mais alors le troisième économisait ses forces ou le 2 contre 1 pour l’un et le 1 contre 1 pour l’autre. À tout coup ils choisissaient la seconde solution car comme c’était chacun pour sa peau à leurs yeux aucune coalition ne s’avérait possible. Je ne dis pas que Dominique et moi nous gagnions à tout coup, ce serait mentir, mais comme j’étais un assez bon basketteur, dans le dernier un contre un, alors que Dominique se sacrifiait, je mettais souvent, avec mon jeu de jambes, mon adversaire plus lourd et moins mobile dans le vent. Ce qui m’a toujours stupéfait c’est que, notre stratégie étant connue, jamais ces abrutis n’ont pensé à élaborer entre eux un pacte pour nous contrer. À deux unis on peut gagner contre trois qui pensent qu’ils vont gagner tout seul.

 

Le collectif a mauvaise presse. L’action collective est moquée. Le chacun pour sa peau prévaut. Et pourtant, depuis ses origines notre système d’appellation d’origine est une forme d’organisation collective, un bien commun géré en commun. Certains vont me trouver fort paradoxal puisque très souvent je mets en avant des vignerons qui s’écartent du sentier commun. J’en conviens. Aujourd’hui, ayant suffisamment donné pour le collectif, c’est à certains d’entre eux que je m’adresse. L’original, certes, est souvent solitaire mais, hormis le besoin que certains éprouvent de se retrouver à quelques-uns, très vite l’action collective se résume à un esprit de tribu. La tribu a ses codes. La tribu est assez fermée ou du moins pas très ouverte. La tribu se positionne souvent en opposition à d’autres tribus jugées soit trop molles, soit pas assez fermes sur les principes, ce qui vous me direz revient au même mais qui dans ces mouvances peut avoir force d’excommunication. Je force volontairement le trait bien sûr mais lorsqu’on souhaite faire progresser ses idées j’ai la faiblesse de croire qu’il faut savoir s’entendre sur l’essentiel pour tenter de convaincre le plus grand nombre. Se draper dans sa vérité est bien plus commode, plus confortable que de se colleter à l’action collective. C’est aussi plus payant, à titre individuel, dans nos sociétés où la communication prime : les médias adorent les postures individuelles. Le collectif c’est ringard, sauf quand ça fait pleurer les foules ou quand ça permet aux individus de se dédouaner par le don à une œuvre caritative qui s’occupe de tout.  Lisez-moi bien, ce n’est de ma part que le constat d’un simple observateur. Ni producteur, ni vendeur, je ne suis qu’un consommateur de vin parmi d’autres dans la grande ville. Je ne jette donc d’anathème sur qui que ce soit. Toute cette diversité, cette inventivité, ce retour aux sources me plaît mais force est de constater que tant d’énergie, d’intelligence sont gaspillées sur les autels de petites chapelles qui font le miel de l’élite, où de la prétendue telle, mais laisse la base dans sa mouise. Ce chacun pour sa peau, cet entre-soi douillet, m’attriste seulement, ça me navre et je l’écris.

 Que voulez-vous je suis de ceux qui préfèrent le contrat négocié à la loi imposée. La règle générale lorsqu’elle se pique de s’intéresser au détail est carcan alors que le contrat met en forme les avancées des parties, qui bien sûr ne sont jamais en stricte position d’égalité, ajoute ou retranche une pierre à l’édifice commun, tâtonne, s’adapte, c’est la méthode que souhaitait René Renou avec la réécriture des décrets. Certains m’objecteront que c’est se soumettre au diktat d’une majorité pas toujours éclairée. La réponse est souvent oui si la minorité, dite agissante, se situe au-dehors ou si elle refuse toute forme de compromis. Le vilain mot est lâché compromis traduit en langage tribal par compromission. J’adore ! Comme si la vie que l’on vit n’était pas une longue suite de compromis. L’intransigeance c’est la guerre, froide ou ouverte. Le divorce érigé en mode de résolution des conflits. Le mieux est souvent l’ennemi du bien. Alors tout en restant ferme sur ses principes, ceux qu’on s’applique librement à soi-même, je ne vois pas pourquoi il serait « inadmissible » d’admettre que la règle commune soit fondée sur un compromis entre les parties en présence. Dans la sphère publique, tant décriée, ça s’appelle se mettre en position de pouvoir gouverner la collectivité et, comme le disait mon maître, lui aussi vilipendé par les purs et durs, Pierre Mendès-France : gouverner c’est choisir.

 

Allez les amis de mes amis, un petit effort pour faire entendre ensemble votre petite musique en dehors de cénacles choisis…

 

* Au XVIIIe siècle, teinture de tournesol qu’on ajoutait aux vins peu colorés. Le goût de drapeau était fréquent dans les vins de cabaret.

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4 décembre 2008 4 04 /12 /décembre /2008 00:00

 

C’est un peu l’histoire de l’arroseur arrosé. Il y a quelques mois, autour d’un verre de vin, vous m’avez demandé de vous mettre sur le gril des « trois questions à », comme vous le faites avec les invités de votre blog. J’ai accepté avec enthousiasme, puis j’ai reculé, car finalement, la tâche n’est pas si facile. Quand je vous ai rencontré, j’étais journaliste, correspondante des quotidiens Libération et La Tribune en Languedoc-Roussillon, vous étiez commis de l’Etat, assigné aux tâches de pompier du vignoble. J’ai brossé votre portrait – ce qui m’a permis de mieux vous connaître et de nous découvrir des valeurs partagées – quand vous avez rédigé un rapport sur les exportations de vin français, mieux connu sous le nom de rapport Berthomeau. Ce rapport vous a valu les honneurs des medias –c’est la formule consacrée-, des amitiés et des inimitiés solides dans le petit monde du vin et, au bout du compte, une mise au placard.

Néanmoins, depuis ce placard, sans doute parce que grandi dans la culture du travail qui fait se lever le matin avec quelque chose de productif à faire de la sainte journée, vous faites entendre votre voix à travers un blog. Depuis le 23 mai 2005, le rendez-vous est quotidien, fidèle, libre, tonitruant, exploratif (je trouve cet épithète non répertorié plus adapté à ce que vous faites qu’explorateur), touffu, alternant coups de gueule contre ceux que du temps où j’étais journaliste et vous commis de l’Etat appeliez les « grands mamamouchis » (je traduis : les institutionnels) et coups de cœurs, pour des vins, des hommes et des femmes. Comme on le dit familièrement, vous ne mâchez pas vos mots et on sent que vous y prenez un réel plaisir, c’est-à-dire égoïste à son origine et souvent partagé à l’arrivée.

Jacques Berthomeau et Antoine Aréna by Catherine Bernard au Paul Bert

Question n°1 : Comment expliquez-vous que votre employeur, Vinifhlor, c’est-à-dire l’Etat, vous tolère à vitupérer comme vous le faites ? Je pense en particulier à toutes ces gentillesses adressées à l’Inao, du genre, je vous cite : « M, comme médiocratie », « Objet juridique non identifié : o comme inao ».

 

Réponse de JB: Mon employeur n’a rien à tolérer, le blog est un espace privé. Philippe Bilger, avocat-général près de la Cour d’appel de Paris, donc fonctionnaire et magistrat du siège, donc soumis à ce qu’on appelle le devoir de réserve, tient un blog www.philippebilger.com et je trouve que sa plume est bien plus acérée, plus vacharde que la mienne. Pour en revenir à moi, qui ne suis même pas soumis à ce fameux devoir n’étant pas fonctionnaire, j’applique l’adage « qui aime bien, châtie bien… » Pour revenir à votre exemple de l’INAO, des AOC en général, j’ai beaucoup mouillé le maillot pour les défendre au temps où j’étais le bras droit du Ministre – comme on disait dans le Languedoc – alors j’estime légitime de mettre le doigt là où ça fait mal, de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Ce verbe clair, parfois un peu virulent, me vaut certes de solides inimitiés, mais Yves Bénard, le président du Comité Vins et Eaux-de-vie de l’INAO a été l’un des premiers à répondre à mes 3 questions, comme récemment Olivier Nasles, vice-président du CAC, que j’avais un peu rudoyé à propos de la typicité et, preuve que mon espace de liberté est un endroit fréquentable, Michel Barnier, le Ministre de l’Agriculture, s’est soumis lui aussi à l’exercice. Vous savez Catherine, je m’en prends rarement aux personnes, j’ironise parfois, j’ai des têtes de turc comme le « bougon des cépages », mais je préfère m’attaquer aux citadelles. C’est plus excitant !

 

Question n°2 : Vous lisant, j’ai le sentiment que vous avez paradoxalement rencontré le vin, le goût de le boire, de l’apprécier dans sa diversité, d’écouter ce qu’il dit dans le verre, depuis que vous n’êtes plus justement dans l’exercice obligé de la fonction et que cette rencontre a humanisé votre analyse. Est-ce que je me trompe ?

 

Réponse  de JB : Vous avez tout à fait raison Catherine cependant, ceux qui me connaissent depuis longtemps savent que j’ai toujours eu le goût de la conversation, de l’écoute, mais c’était ma sphère privée que je préservais des ingérences de ceux qui gravitent ou sévissent dans la sphère du politique. Lorsqu’on occupe des fonctions d’autorité politique le blindage, la distance, une certaine forme d’arrogance aussi, permettent de survivre, d’avaler des couleuvres, de prendre des décisions qui ne vous font pas forcément plaisir. Vous savez il faut bien comprendre que dans ce type de fonctions on ne choisit pas ses partenaires, ses interlocuteurs, alors on se compose un personnage pour s’éviter de se laisser-aller à livrer le fond de sa pensée. Ce qui m’a le plus humanisé ce sont, bien sûr, mes missions de « pompier » sur le terrain. Là, j’ai vraiment appris l’humilité. J’ai aussi pris conscience des pesanteurs administratives, de l’indigence de certains élus, de l’inertie et du conservatisme de ceux qui se disent représenter la base. Moi qui n’aime rien tant que de convaincre je me suis ramassé de belles gamelles qui font du bien à l’égo. Mais vous vous doutez bien, que ce qui m’a encore plus libéré de mon vernis un peu glacé c’est le traitement que l’on m’a fait subir à la suite de mon rapport et de l’expérience du Groupe Stratégique. Je pourrais rédiger un annuaire des faux-culs et des hypocrites mais je ne le ferai pas car dans cette affaire j’ai gagné de vrais amis, fidèles et c’est l’essentiel. Après ce type de thérapie « à la française » tout me semble possible et, de plus, comme les faits m’ont plutôt donné raison, je ne vis pas cela comme une revanche mais l’accession à la sérénité. Plus je vais et plus je sais dire aux gens que j’aime que je les aime. Quant aux autres, je les ignore.

 

Question n°3 : Je sais l’exercice réducteur, donc un peu bête, mais comme le questionnaire de Proust, il en ressort toujours quelque chose, au moins en creux. Donc je vous propose de vous y livrer. Si votre employeur vous donnait carte blanche, comment, où et quel pompier seriez-vous aujourd’hui ?

 

Réponse de JB : Je vais être très prétentieux Catherine : je lui demanderais sans aucune hésitation et avec mon incommensurable orgueil de me confier, pendant un CDD de 3 ans, le pilotage économique de la part du vignoble capable de relever le défi que nous avions explicité avec mes collègues de Cap 2010. Le plan de vol étant connu alors nul besoin de se perdre dans des discussions pour les bassins et les bassines, les interprofessions d’ici ou de là, uniques ou multiples, les chefs et les seconds couteaux, l’important serait d’aider à créer les conditions pour que nos rares entreprises de taille nationale et celles des entreprises régionales de mise en marché qui tiennent notre vignoble, le redynamise pour élaborer une source vin adaptée, lui fasse gagner de l’argent pour qu’il puisse le réinvestir dans de vraies politiques commerciales et des réseaux de distribution. Á l’heure où la régulation revient sur le devant de la scène, la Vigne France, celle des vins sans IG et d’une partie des vins IGP, a besoin qu’on la pilote. Il ne s’agit pas d’ingérence, de création d’un zinzin national budgétivore mais de faire ce que seule une autorité extérieure peut faire : arbitrer entre les penchants féodaux de certains, décider avec les entreprises d’une stratégie et la mettre en oeuvre. Je suis disponible. La méthode existe. Le terrain est déjà déblayé. Bien des hommes qui sont aux manettes d’entreprises sont demandeurs de ce pilotage. Reste à choisir de changer d’époque, de bien vouloir dépasser les clivages et les oppositions anciennes, à décider de passer du verbe à l’action. Honnêtement, Catherine, je peux tenir, sans prendre beaucoup de risques, le pari que je vais continuer à me contenter de faire progresser ma petite entreprise Vin&Cie et je ne m’en porterai pas plus mal.

Si ça vous intéresse vous pouvez soit cliquer sur ce lien   Pesticides ? Même pas peur !, soit vous rendre sur la rubrique PAGES (en haut à droite du blog) et cliquer sur le N°34 : Pesticides ? Même pas peur ! 20 pages de lecture en provenance de la Mission d'animation des Agrobiosciences cofinancée par la Région Midi-Pyrénées et le Ministère de l'Agriculture.

 

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3 décembre 2008 3 03 /12 /décembre /2008 00:01

Mademoiselledont je tairais le nom,

Longtemps je me suis levé de bonne heure pour aller me pencher au chevet de patients – étrange appellation que celle-ci mais pourtant si parlante : personne qui subit – fragiles, mal en point, perclus de maux, sous perfusion, souvent victimes d’une forme d’acharnement économique, inadaptés aux duretés du temps, proches de la sortie, des laissés pour compte de ce que l’on qualifiait de crise alors qu’il s’agissait d’une profonde mutation. Puis, mes commanditaires, soucieux d’un avenir qui ne semblait pas aussi souriant que certains augures le laissaient entendre, m’ont demandé d’ausculter le Patient France du vin. Pendant une année j’ai observé les symptômes pour les analyser, poser un diagnostic et, comme le disent les praticiens, je me suis efforcé de proposer un protocole efficace pour le traitement, seul d’abord, puis avec des confrères.  Sans « revendiquer » l’appellation non contrôlée de « spécialiste » permettez-moi tout de même de mettre mon grain de sel dans une histoire dont raffolent les normalisateurs papivores dont vous êtes  un beau spécimen.

Le Beaujolais n’a jamais fait appel à mes « services » et pourtant comme le disait très crument Jean-Pierre Labruyère en septembre 2007 à la RVF : « la situation est catastrophique. Nous avons la menace d’une crise sociale grave. Près de 45 % du millésime est vendu chaque année sous forme de  Beaujolais Nouveau, en un mois. Il n’y a pas d’équivalent dans le monde. Malheureusement, le Beaujolais est porté par un discours marketing et n’a plus d’image de qualité. Pire, il occulte désormais le marché des crus. Il y a vingt ans, le prix des Moulin-à-Vent était le même que celui des Châteauneuf-du-Pape ou des Mercurey. Aujourd’hui, c’est moins de la moitié. L’interprofession porte une lourde responsabilité dans ce bilan désastreux : elle n’a pas su limiter ses rendements ni contrôler la qualité de ses vins. » Rappelons-nous comme l’écrivait à l’époque Vitisphère : « des prix en chute de 12 à 25%, et des stocks de vin invendu, frappés de plein fouet par la crise. Pour en sortir, l’Union interprofessionnelle des vins du Beaujolais (UIVB) avait présenté un plan d’urgence, avec en aval la distillation de 110 000 hectolitres pour assainir les stocks, et en amont un renforcement des conditions d’agrément, reconnaissant implicitement que 7% à 10% des 1,2 millions d’hectolitres produits ne méritaient pas l’appellation ». Alors, permettez-moi de vous poser une question simple, mademoiselle… dont je tairais le nom, « qui donc avait agréé ces 7 à 10% de vins indignes de l’appellation ? » Merci de me faire parvenir la réponse par retour du courrier.

Aujourd’hui ce qui m’amène à fourrer mon nez, dont je regrette qu’il ne soit pas aussi prestigieux que celui de mon ami Jacques Dupont Merveilleux du Vignoble, dans un dossier où, mademoiselle…dont je tairais le nom « On servit, pour l'embarrasser, En un vase à long col et d'étroite embouchure. Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ; Mais le museau du sire était d'autre mesure. »*, c’est que, sans doute, pour faire oublier les errements du passé, voici qu’en compagnie des mêmes dégustateurs, type passoire à gros trous non modifiée, vous avez fait plié un original, appelons-le par commodité Mister Blond, vous l'avez obligé à passer sous les fourches caudines de votre prétendue « typicité », pour lui montrer que le nouveau Q de la vieille dame qui vous emploie s’assied sur le jugement des seuls qui vaillent en définitive : les clients de Mister Blond, dont horreur et abomination certains sont d’ « affreux » étasuniens, qui plébiscitent son vin dont la seule destination, d’après-vous, à la suite de votre décision souveraine, sera la même chaudière où les 7 à 10% agréés par vos soins auraient du être jeté sans autre forme de procès. Moi qui ne suis, selon certains beaux esprits de vos amis, qu’un stipendié des « vins industriels », c’est avec un plaisir non dissimulé, un esprit de dégagement hors norme, que je prends le parti de la cause de tous les Mister Blond.  Je ne vais pas m’appesantir sur le fond de l’affaire car, je l’espère, vous en maîtrisez parfaitement les tenants et les aboutissants. Cependant, je vous recommande, miss de dont je tais le nom…, la lecture de la chronique « A Beaujolais Maker’s Pain »  du 24 mai 2008 publiée sur le blog d’Eric Asimov du New York Times « The Pour ».
http://thepour.blogs.nytimes.com/2008/05/20/a-beaujolais-makers-pain/
ainsi vous pourrez constater que vous participez, avec un brio inégalé, à donner de notre patrie l’image d’un vieux pays perclus de bureaucrates obtus. Ça me déplaît profondément car je fais parti de ceux qui pensent que tout système à besoins de règles de régulation et, bien sûr, d’une autorité indépendante pour les faire respecter. Mais que diable avant d’aller chercher des poux dans la tête de Mister Blond faites-moi la grâce de consacrer tous vos efforts à virer les vins de ceux qui rallongent la sauce.

L’acharnement dont vous avez fait preuve, signe d’une certaine forme de désarroi, car je suis sûr de votre intégrité, est d’autant plus étrange qu’il se situe dans le cadre d’un système décrié, condamné, réformé et qui n’a plus court. Croyez-vous vraiment, personne ne vous demande de battre votre coulpe ou d’aller à Canossa, que l’agrément des 300 hl de Beaujolais de Mister Blond ajouterait au « discrédit » jeté par certains sur cette belle appellation que j’ai toujours défendue ?

 

La réponse est clairement non !


Bien au contraire, vous auriez donné un signe, non de bonne volonté ou de laxisme, mais d’intelligence aux amoureux du Beaujolais.

 

Que les vins de Mister Blond soient différents, atypiques, fruit de l’esprit d’un vigneron curieux et inventif, ne constitue pas une tare, un boulet supplémentaire pour le Beaujolais, mais un plus pour capitaliser de la notoriété.  

 

 Dans ma vie antérieure, lorsque je tenais les manettes, que j’exerçais sur vos prédécesseurs la tutelle, que n’ai-je entendu plaider pour que nous tolérions les « agréments sociaux ». Dans le cas présent ce que je plaide, moi, c’est un « agrément économique et commercial ». Le juge de paix, que vous le vouliez ou non, ce n’est pas vous et votre quarteron d’agréeurs anonymes, mais ceux ou  celles qui, après avoir apprécié les vins de Mister Blond,  en redemandent. La toute puissance de la médiocratie nous plombe. De grâce, accordez à ceux qui précèdent le gros du peloton les exceptions qui confirmeront la sacro-sainte règle pour laquelle vous avez dédiée votre vie administrative. Ne prenez pas la vivacité de mon propos pour de l’ironie facile mais comme l’expression de mon exaspération face à une situation qui perdure depuis des années.


  Mon ire à votre endroit peut sembler bien inutile dans la mesure où ce que j'évoque est une affaire classée. Demain sera un autre jour m’objecterez-vous puisque le système d’agrément change. Fort bien, j’en prends acte. Cependant je doute que la liberté et les pratiques de certains vignerons atypiques puissent entrer dans votre moule étroit. Les interrogations et les craintes de Claire Naudin-Ferrand, en attestent. Allez-vous continuer de pourrir la vie de gens qui font bien leur métier, vendent bien leur vin, ne demandent rien à personne, au nom de l’application étroite de textes purement normalisateurs ? Je le crains. Si tel était le cas, la seule voie de sortie de beaucoup serait de quitter votre carcan, de refonder le système sur les principes qui ont été ceux des origines de l'AOC. Je rêve me direz-vous. Bien moins que vous ne le pensez... 


 Voilà, mademoiselle... dont je tairais le nom, j’en ai fini de mon ouvrage et vous prie d’agréer les salutations d’un simple praticien en semelles de crêpe, arpenteur des fins fonds de la France des vignes et du vin, qui appelle de ses vœux qu’en son beau pays l’essentiel prime enfin sur l’accessoire et que, comme au temps des pionniers de l’AOC, les vignerons gardent la main sur la règle qu’ils se sont librement donnée et qu’ils respectent leur patrimoine commun qu’est l’appellation. Bien à vous...

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2 décembre 2008 2 02 /12 /décembre /2008 00:02

 Le vin est un drôle de zèbre. Dans le même mois de novembre à Paris, notre belle capitale un peu encombrée et bruyante, il peut se payer le luxe de se la jouer chic au Carrousel du Louvre, avec le Grand Tasting de Bettane&Desseauve by Floch, et de faire dans le popu à la Porte de Versailles, avec le Salon des Vignerons Indépendants. Ça ratisse large ! Des vieux, des couples, des jeunes, filles et garçons, des bobos, des banlieusards avec caddies, des étrangers qui parlent anglais ou japonais, des acteurs de ciné comme Arditi, des cavistes, mon voisin et ma voisine, des députés et des sénateurs, j’en passe et des meilleurs. Imaginez la gueule que tirent les docteurs de la loi Ledermann face à ces arpenteurs d’allées, verre à la main, qui abomination de la désolation : dégustent du vin. Ça les énerve d’y voir tant de femmes, tant de jeunes gens épanouis et heureux. Va falloir qu’ils réactivent leur boîte à interdit pour que l’ordre et la paix règnent dans notre beau pays. Moi, même si je suis un buveur assis, ça me réjouit de voir tous ces « garçons et ses filles qui ne sont pas de mon âge » venir s’initier, déguster, discuter, prendre du plaisir, en rangs serrés en des lieux aussi divers et opposés.

 

N’attendez pas de moi que je joue de cette diversité et de ces oppositions, ce n’est pas ma tasse de thé. Je laisse cet exercice à ceux qui font profession de maîtres de chapelles. Mon job à moi, si tant est que c’en fusse un, c’est d’être un « humeur » de tendances, pas le genre « avion renifleur », mais plutôt dans le style nez flaireur de l’air du temps. Pour ce faire, la meilleure position, c’est à la fois les pieds sur terre, mais pas le nez dans le guidon, et la tête dans les étoiles sans pour autant se prendre pour une star. Ma première impression face à ces deux évènements c’est que le premier en âge, le salon des vignerons indépendants qui a 30 ans – j’ai inauguré, au temps où j’étais chez Rocard, ce qui était l’un des tout premier Salon des Caves Particulières, quai d’Austerlitz – devient une sorte de must tendance « j’ai mon vigneron près de chez moi… » alors que le tout jeune Grand Tasting lui, sans s’encanailler vraiment, sait se donner des allures décontractées et sympathiques qui tranchent avec le côté un peu coincé de certaines manifestations très Grands Crus ma chère. D’ailleurs, pour preuve que les deux manifestations sentent le « marché », ratissent là où il faut, certains domaines font stands aux deux manifestations. Bref, je me suis donc livré en ces deux « cathédrales » du vin à mon plaisir favori : rencontrer des amis, ceux qui font les vignerons et ceux qui font dans la dégustation.

 

Bavasser debout, un verre à la main moi je veux bien, c’est la loi du genre mais lorsqu’arrive l’heure de becqueter, surtout au Grand Tasting, car au Salon des Indépendants on est plus dans la tradition casse-croutière de la Porte de Versailles, là je suis horrifié. Passe encore pour les sandwiches de Paul et les plateaux sympas « beurre et fromages Bordier » sur pain Poujauran mais ce n’est même pas un pique-nique sympathique où l’on peut prolonger la conversation, boire un bon coup sans s’en jeter sur le plastron, c’est pour moi la désolation, tout le contraire de la convivialité. De grâce, pour l’an prochain, rien que pour ceux qui en ont envie, sans pour autant faire un espace VIP, donnez-nous un pré-carré où l’on pourrait pique-niquer à l’heure du déjeuner. Merci. Bien sûr, comme je n’ai pas le profil type ni de l’esthète du Grand Tasting, ni de l’adepte du salon des vignerons indépendants, je ne vais pas m’amuser à distribuer des bons ou des mauvais points. Ce qui m’intéresse, en tant qu’observateur depuis mon petit espace de liberté, c’est que, chacune dans leur domaine, ces deux manifestations sont au contact direct des consommateurs. Elles peuvent donc servir à mieux prendre en compte leurs préoccupations, leurs désirs. De ce fait, même si elles s’adressent à un public spécifique, qui se déplace pour, elles peuvent jouer un rôle important à la fois dans l’entretien du « stock » des consommateurs de vin et dans le recrutement de « nouveaux consommateurs ».

 

En effet le monde du vin est confronté à un double problème : celui de la transmission et celui de sa perception dans la société. Comment élargir le cercle sans pour autant subir les foudres des hygiénistes ? L’exemple du sujet du journal de France 2 de samedi 29 novembre sur le vin s’embourgeoise et se féminise (http://jt.france2.fr/20h/ cliquez sur samedi 29 puis si vous ne souhaitez pas vous taper tout le journal déplacer le curseur situé sous l'écran pour repérer la séquence qui se situe entre 15:37 et 19:15)  est très parlant. En effet, le reportage se termine sur cette constatation « plus rare, plus convivial qu’il y a 50 ans le vin s’est embourgeoisé mais pour 51% des français il est le deuxième produit à risque pour la santé derrière la charcuterie… » et Laurent Delahouse d’enchaîner « on apprendrait donc à déguster et non plus à se saouler… » en lançant l’interview du Dr Batel médecin alcoologue à l’hôpital Beaujon de Clichy. Tout est dit, le piège se referme, tout y passe : les lieux communs comme dans la bouche de la journaliste l’embourgeoisement, la nouvelle convivialité du vin… la bêtise de l’enchaînement du présentateur… et bien sûr la rhétorique tordue et habile de l’alcoologue : la célèbre loi de Ledermann appliquée au recrutement par le lobby du vin des jeunes et des femmes… Alors, comment faire pour qu’autour d’une approche décomplexée du vin nous puissions faire entendre notre voix sans pour autant être stigmatisé par les grands médias ? La question est posée et, bien plus que des discours, les gens du vin se doivent de réfléchir aux réponses les plus pertinentes à donner. Le long travail de sape des hygiénistes porte ses fruits avec le fameux 51% évoqué (chiffre Credoc), à nous d’entreprendre avec patience la remontée de la pente. Moi dans mon petit espace de liberté je m’y essaie tous les jours et je me tiens à disposition.

 

NB. Je suis abonné au Monde électronique et le jeudi 27 j’ai reçu une proposition : Publiez votre chronique sur le Monde.fr. Alors j’ai décidé de faire une expérience : copier-coller ma chronique de samedi « La surpâture, la goinfrerie et les plaisirs simples de la vie : chronique d’un jouisseur »  http://www.berthomeau.com/article-25231744.html pour voir quel sort la « modération » du Monde.fr lui ferait.

 

Refus. Normal j’y parlais du vin. Le sanitairement correct règne en maître…

 

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1 décembre 2008 1 01 /12 /décembre /2008 00:03

Le retard pris ne se rattrape jamais, ceux qui ont lu mes 2 chroniques précédentes sur "Mes Riches heures en Bourgogne" sur Alain Hasard et Claire Naudin  http://www.berthomeau.com/article-24744971.html  http://www.berthomeau.com/article-24770743.html le savent, nous étions en retard et, comme je déteste attendre je n’aime pas me faire attendre. L’exactitude est, dit-on, la politesse des rois, mais c’est surtout le respect du temps des autres. J’avais rendez-vous avec Pierre-Henry Gagey qui dirige la maison Louis Jadot, sise à Beaune. En poussant la petite porte, ornée d’une simple plaque : Louis Jadot, qui donne sur la cour pavée du siège social, je repensais à l’appellation tombée en désuétude de certaines maisons de commerce : maison de confiance, et je me disais que cela allait comme un gant à cette maison fondée par Louis Henry Denis Jadot en 1859. Négociant-éleveur. « Dans son dictionnaire du monde rural »: les mots du passé Marcel Larchiver à : éleveur écrit « celui qui élève les bestiaux, les chevaux/ Celui qui s’occupe d’amener les vins à leur parfaite maturité » vous noterez que pour le vin tout le soin – même si mon grand-père prenait un soin extrême de ses bœufs pomponnés comme des mannequins avant un défilé – une forme d’attention que je qualifierais de maternelle. Mais, si vous me permettez ce parallèle osé, les maisons de Bourgogne élèvent à la fois leurs propres enfants et ceux qu’ils ont adopté. Le morcellement de la propriété donne à l’assemblage toute son utilité et aussi sa noblesse.

 

La Bourgogne, dans ma vie antérieure, n’a jamais été une terre de mission alors c’est pour moi une terra incognita. J’apprends, j’écoute, c’est très agréable d’apprendre et d’écouter. Converser aussi, et Pierre-Henri Gagey fait parti de ces hommes avec qui il est très agréable de converser. L’homme est ouvert, avec lui on parle de tout, pas que du vin, et c’est agréable. Courtois, fin connaisseur des choses et des hommes du vin, attentif aux tendances des grands marchés tout en maintenant le cap de la tradition d’une maison offrant toute la palette des appellations de la grande Bourgogne, des grands crus aux appellations régionales. Les Gagey, d’abord le père de Pierre-Henry qui dirigeait la maison Louis Jadot depuis 1962 jusqu’au moment où il passera le relais, en 1962, à son fils, ont forgé l’état d’esprit de cette maison de confiance qui se veut et se vit comme l’expression d’une Bourgogne tournée vers le futur et fière de ses origines. En traduction moins lyrique c’est : une excellence jamais démentie, une seule marque, une seule étiquette, une volonté de croissance raisonnée et profitable. Pierre-Henry Gagey insiste sur cette équipe qu’il a formé, c’est sa patte car, comme il le dit, son objectif, lorsqu’il a succédé à son père était de « poursuivre et d’essayer d’améliorer le modèle qui avait été mis en place par trois générations. Ce modèle fonctionnait parfaitement. » Dans mon langage pas toujours policé c’est « tout pour l’entreprise » ce cercle vertueux de l’argent gagné réinvesti dans la maison. Et, pour ceux de nos amis qui voient dans nos grands voisins étasuniens que des grands méchants loups, la maison Louis Jadot reste une maison familiale tout en appartenant à une famille américaine : les Kopf. Plus précisément trois sœurs américaines amoureuses de la Bourgogne. En ces temps de désordres nés d’une forme dématérialisation, d’un excès de virtuel, d’une distance trop grande avec le sens de l’activité humaine, il est réconfortant de trouver des hommes et des femmes pour qui le temps, la confiance, la continuité sont fondateurs de création de vraie richesse www.louisjadot.com/  

 

L’heure de la dégustation approchait et toujours ce retard qui me plombait. Cécile Monthout me conduisait jusqu’au saint des Saints où nous retrouvions Jacques Lardière. Pas le temps c’est un péché mortel que même un acte de contrition et une absolution ne peuvent effacer. Il me fallait repartir vers ma ville capitale. Je reviendrai, bien sûr, avec du temps cette fois-ci. Cependant ça me turlupinait avant de commencer d’écrire cette chronique et puis, comme souvent chez moi le hasard a bien fait les choses, en l’occurrence un livre de Jean-Claude Ray au titre provocateur « Vignerons Rebelles » aux éditions Ellébore que je feuillette en marge d’une dégustation des vins de Savoie tout près de la Place des Victoires, chez « les Fines Gueules ». Je feuillette et je tombe sur, je vous le donne en mille, sur Jacques Lardière. J’achète et je vous livre, comme on dit dans la presse avec pignon sur rue, les bonnes feuilles.

 

« Comment décrire Jacques Lardière ? Face à lui, on a un peu la sensation d’être devant un sage dont on ne comprend pas toutes les paroles mais dont on a la certitude qu’il détient une vérité essentielle : celle de la transformation du raisin en un liquide chargé de mystère que l’on nomme vin.

Jacques Lardière est le maître de chai de la prestigieuse maison de négoce Jadot à Beaune, qui distribue les plus grands crus de la Bourgogne et du Beaujolais. Jacques n’est donc pas vigneron, il n’a que (!) la responsabilité de la vinification des raisins qui lui parviennent de toute la Bourgogne. Le résultat fait de Jacques Lardière le maître absolu de cette discipline.

Vendéen d’origine, il a été happé par le terroir bourguignon, possédé par lui, il est désormais à son service exclusif, il en a fait un absolu. Car ce terroir est unique en son genre. Pour Jacques Lardière, c’est la combinaison d’une géologie et de jets énergétiques provenant du sous-sol, jets dont la fréquence, qu’il nomme « orthofréquence », crée des conditions locales spécifiques donnant naissances à des appellations. Insistons bien sur le vocabulaire : il n’y a pas, en Bourgogne, des terroirs, mais un terroir, véritable matrice, qui rend possible la déminéralisation de la roche en faveur de la vigne et de son fruit. Surgissent alors, sur ce territoire singulier, des expressions, grâce à deux cépages privilégiés, le pinot noir pour les vins rouges et le chardonnay pour les vins blancs. »

 

La suite est à lire dans le livre bien sûr. Pour l'anecdote la RVF place Jacques Lardière à la 66 ième place de son Top 100.

Bon, que voulez-vous, je suis fait comme ça : un je n’aime pas être en retard, deux je déteste donner le sentiment d’être pressé et trois, surtout, je suis très mécontent contre moi-même lorsque je passe à côté des choses essentielles…

Dans le Top 100 du Wine Spectator’s 2007 $22 Louis Jadot Moulin-à-Vent Château des Jacques 2005 .

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30 novembre 2008 7 30 /11 /novembre /2008 00:04

Les écrevisses sauce Nantua mettaient Ange Poli en difficulté, sa cravate réceptionnait en pluie fine les éclaboussures provoquées par un décorticage maladroit. Contrucci, comme les radicaux de la grande époque, ceint de sa serviette de table dont il avait glissé un coin sous son col de chemise, continuait de s’empresser auprès de Chloé comme un sexagénaire en voie d’andropause cherchant désespérément à raviver sa libido. Le Pouilly-Vinzelles manquait de tenue. Franchey d’Espéruche digérait mal la claque d’Angéline mais, en bonne culotte de peau disciplinée, pour qui le chef à toujours raison, fusse-t-il une femme, s’efforçait de ne rien en laisser paraître en cherchant à nouer une conversation suivie avec moi. En dépit de mon aversion naturelle pour ce type de personnage je l’encourageais en acquiesçant poliment à ses propos à l’emporte-pièce. Pour lui, la République, restait toujours la gueuse, alors, sans préméditation, en faisant semblant de prendre Angéline à témoin, je lâchais : « les colonnes infernales de Louis-Marie Turreau, dans la Vendée militaire, ont perpétré un véritable génocide… » Bien sûr, je me gardais bien d'ajouter, car le d’Espéruche devait vomir le communisme plus encore que la gueuse, que le premier à l’avoir écrit, dans « Du système de dépopulation, ou la vie et les crimes de Carrier », c’était Gracchus Baboeuf, père du communisme. Face à la soudaineté et à la brutalité du choc de mes propos à contre-courant, l’ex-lieutenant colonel du 2ième régiment de spahis marocains avalait de travers et virait au cramoisis. Je lui tendais un verre d’eau. Petit à petit, avec dignité et raideur, il retrouvait sa mine blême et la force de me dire d’une voix sourde et éraillée « Vous me surprenez jeune homme, vraiment je suis très heureux de constater qu’il existe encore de vrais nationaux… »

 

À l’instant du choix de notre pitance de luxe, Contrucci, tout en nous laissant consulter la carte, nous avait déclaré avec sa mine de prélat ascétique masquant à peine ses penchants lubriques « si vous voulez bien m’accorder cette confiance je vous propose de suivre mes suggestions… » L’approbation qu’il sollicitait n’était que de pure forme car il était évident que ce cher homme cultivait l’autoritarisme patelin. D’ailleurs, avant même que nous ne répondions, il ajoutait « ici c’est comme à la maison, j’aime que mes convives apprécient ce que j’aime… » avant d’ajouter onctueux « mais si notre belle italienne souhaite choisir elle-même je me rangerai à ses désirs… » Chloé, jamais prise de court, claquait un « mon cher Paul, nos pays – elle se référait à la Corse et à la république de Gênes bien sûr – ont des liens si anciens que ma confiance va bien au-delà de la pure courtoisie, c’est un point d’honneur… » Contrucci gobait avec délice le miellat hypocrite de ma rouée complice. Le badinage semblait être la méthode choisie par monsieur Paul pour nous faire mariner. Ça me convenait bien car, contrairement ce que pensait Contrucci, je n’étais pas demandeur. La vieille fouine du le comprendre car, alors que nous attaquions le lapin à l’Istrettu, arrosé – si j’ose m’exprimer ainsi pour un tel nectar - d’un Château Latour 1947, abandonnant ses assauts, il m’entreprenait sans prendre de gants « mettre Leblond dans notre orbite est vital pour nos affaires. Vous sentez-vous de taille à le mettre au pas ? »

 

Chloé se repoudrait le nez. Un ange passait. Je n’allais pas rendre les armes à monsieur Paul sans lui faire sentir que je détenais, moi aussi, des atouts majeurs dans ma donne « monsieur Contrucci…

-         Paul je vous prie…

-         Paul, sans vouloir vous offenser, un Latour 47 sur un lapin, fusse-t-il à l’Istrettu, n’est pas de bonne politique. Trop méprisant, trop hautain, pour ce petit roturier, sans une once de graisse, fleurant bon le maquis. Voyez-vous, un Côte Rôtie, bien vigneron, sang du terroir, aurait été un bien meilleur compagnon.

Mes deux voisins, je le sentais, n’en croyaient pas leurs oreilles, ce devait être la première fois qu’ils entendaient quelqu’un, un blanc-bec de surcroît, tenir tête à leur inflexible patron. Angélina, elle, appréciait. Contrucci, lui, sans être interloqué, me fixait avec un certain étonnement. « Voyez-vous, mon cher Paul, si vous souhaitez vraiment que nous entamions une longue et belle collaboration sous les meilleurs auspices, il vous faudra me laisser parfois le choix des armes. Si vous estimez que je ne suis pas de taille je n’en ferai pas une maladie, bien au contraire, tout en respectant vos méthodes, j’ai les miennes et je n’entends pas en changer. Je n’ai jamais porté la serviette de qui que ce soit. Paul, vous êtes un pro que je respecte mais sachez que nous ne pouvons travailler que dans la même cour, d’égal à égal. Pour Thomas Leblond, c’est du menu fretin, nous vous apporterons sa tête et sa signature sur un plateau… »

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29 novembre 2008 6 29 /11 /novembre /2008 00:01

Selon le psychiatre Boris Cyrulnik, spécialiste du comportement animal, la crise financière que nous vivons « trouverait son origine dans la surpâture, une hyperprédation qui a décimé de nombreux mammifères. « En 1916, écrit-il dans le Point, cinq cerfs Sika sont implantés sur l’Ile Saint James près de Vancouver. L’île se révèle un paradis car la nourriture est abondante et l’on n’y croise aucun prédateur. Si bien que, quarante ans plus tard, les cerfs sont au nombre de 500. Jusqu’au jour où brutalement, ils se mettent à mourir au point de presque disparaître. Sans même qu’ils aient été victimes d’une maladie ou d’une catastrophe écologique. C’est un endocrinologue français qui va percer le mystère en découvrant que les cerfs meurent par hémorragie surrénale, provoquée par un excès de stress. En fait, les cerfs se sont tellement bien adaptés qu’ils sont devenus trop nombreux. Le nombre de rencontres fortuites a grimpé en flèche et généré chaque fois du stress, les animaux n’ayant plus le temps d’effectuer les rites de salutation ou les brames indispensables à une coexistence pacifique. »

« Un phénomène analogue est l’origine de l’actuelle crise financière […] La recherche du toujours plus a entraîné la surpâture. L’extraordinaire vitalité de l’économie américaine s’est retournée contre elle en provoquant une fuite en avant financière : on emprunte -on construit -on s’endette ; on monte des entreprise - on se casse la figure - on recommence…A force de mettre du charbon dans la chaudière, on la fait exploser. »

La goinfrerie donc, alors que la séquence médiatique qui a immédiatement précédé l’éclatement de la bulle financière semblait découvrir, avec l’envolée du prix des matières premières d’origine agricole, la réalité de la crise alimentaire : les émeutes de la faim titrait-on. La récession aidant cette grande question est rangée dans les oubliettes de nos préoccupations de bien nourris.

La période qui s’ouvre, celle des fêtes de fin d’année, où la ligne de partage entre la convivialité des petits cadeaux dans les petits souliers et des réveillons entre parents ou amis et la pure goinfrerie d’une consommation purement ostentatoire n’est pas très facile à tracer.

Comme notre beau produit, aussi inutile que nécessaire, participe grandement aux festivités, nous ne pouvons faire l’économie d’une petite réflexion sur ce sujet difficile.

N’étant pas un ascète, ni un cul pincé, et encore moins un père la morale, mais plutôt un jouisseur, je crois pouvoir me permettre de donner, non pas une réponse, mais une manière d’être qui tente de concilier le vrai plaisir et la responsabilité.

Adepte pour les plaisirs de bouche des plaisirs simples : une pomme de terre nouvelle à l’eau avec une noix de beurre salé, un œuf mayo, une tartine de bon pain avec des sardines à l’huile, un plat de coquillettes au beurre, une tomate de saison avec un fil d’huile d’olive, de l’Ossau Irraty avec de la confiture de cerises noires, une Reine de Reinette cuite au four, du riz au lait de vache jersiaise, la liste n’a pas de limites… je revendique le droit, en certaines occasions, qui ne sont pas forcément des fêtes obligatoires, de gravir les échelons pour apprécier des produits d’exception, des produits à l’image de ceux qui les font, des produits où la main de l’homme, présente et précautionneuse, laisse encore sa trace. Je revendique aussi, dans ce monde gris, le droit à la fête. Alors, vous comprendrez, qu’entre les plaisirs simples et ceux que l’on qualifie de plus raffinés, un compagnon s’impose toujours, le vin. Lui aussi, comme la nourriture, n’a nul besoin, pour acquérir ses lettres de noblesse, d’être issu de la cuisse de Jupiter.

Vivre avec nos contradictions, les assumer, à la différence du monde animal pour qui la surpâture est souvent fatale, nous pouvons nous adapter, tirer parti de nos excès et comme l’écrit Boris Cyrulnik « je crois que la grande différence est que l’homme s’adapte au monde qu’il invente jusqu’à la surpâture, alors que l’animal s’adapte au monde qu’il subit et invente beaucoup moins. C’est pour cette raison que nous allons encore une fois nous en sortir. »

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