« Le repas mafioso est une liturgie (…) il revêt dans l’histoire de la Mafia, toute révérence gardée, une importance similaire à celle qu’il a dans les Évangiles : la multiplication des pains, les noces de Cana, la Cène » Pour Jacques Kermoal et Martine Bartolomei co-auteurs d’un petit livre de cuisine original « La Mafia se met à table » chez Babel 7,50€ raconte quelques-uns de ces repas « où se sont décidés le sort de quelques-uns, mais aussi des moments d’histoire. C’est ainsi que les noms de Garibaldi, de Cavour, de Mussolini, de Roosevelt, du maréchal Juin, de Vychinski, de Churchill, d’Enrico Mattei, du général Dalla Chiesa, surgissent entre deux coups de fourchette pour se mêler à ceux de Don Vito, Don Calogero Vizzini, Don Genco Russo, Vito Genovese, Lucky Luciano… »
« Les chefs de familles savent également être d’excellents chefs de fourneaux (…) Il s’agit là aussi d’une tradition sicilienne, car dans cette île il est d’usage d’honorer ceux que l’on reçoit à sa table en leur disant : « Et vous savez, c’est moi qui ferai la cuisine. » Les restaurants jouent un rôle important dans la geste mafiosa. C’est dans un restaurant italien que Capone met au point les derniers préparatifs du massacre de la Saint Valentin. C’est au restaurant Scarpato, le meilleure table de Coney Island, que Luciano se débarrasse de Giuseppe Masseria, surnommé Joé le Boss, en le faisant descendre par ses tueurs le 15 avril 1931… »
Don Vito revient de suite 1909
Je vous propose le menu du déjeuner privé à Palerme chez le député Petrani en compagnie de Don Vito Cascio Ferro où entre la poire et le fromage, ce dernier, premier empereur mafioso « s’essuya les lèvres et, posant sa serviette devant lui, s’excusa auprès de son hôte, le député Petrani, en disant : « Continuez, je reviens sans tarder…»
Pourquoi ce choix ?
Pour Palerme en 1909 « année bénie » qui « était encore la cité décrite par Lampedusa. Une ville de velours et de plantes verts où les carrosses, tirés par des attelages sélectionnés dans les meilleurs haras d’Autriche, emmenaient vers les amours inavouables ou des fêtes de légende les nouveaux riches et les aristocratiques survivants du Gotha bourbonien de l’ancien royaume de l’ancien royaume de Naples et des Deux Siciles. À la tombée de la nuit, les grandes avenues bordées de platanes et de palmiers voyaient passer les équipages de la gente per bene palermitaine qui, par tradition, venait se donner en spectacle entre dix-huit et vingt heures, chaque jour que Dieu faisait, à l’heure de la passagiata ».
Pour le nouveau venu « un certain Don Vito Cascio Ferro, natif d’une bourgade de la Province, la petite ville de Bisacquino(…) Pour ses deux lipizani gris-blanc attelés au tilbury gris et or qui « faisaient pâlir de jalousie la noblesse locale et jaser toute la ville (…) Celui-ci, « la cinquantaine juvénile »« n’avait cure de l’ironie de ces aristocrates qui vivaient les dernières heures de leur gloire fanée » Lui, lorsqu’il se présenterait à la Birrerria Italia, « le café réservé à l’élite palermitaine où il avait sa table retenue à l’année » la foule se précipiterait pour lui baiser la main. Don Vito Cascio Ferro « se moquait bien de cette noblesse décatie et de ces princes qui venaient lui demander de l’argent pour conserver un train de vie auquel leur fortune ne suffisait plus à faire face. Il connaissait au centime près l’état de leurs finances, presque aussi bien que l’anatomie de certaines de leurs épouses qui venaient le retrouver, l’après-midi, dans ses appartements de l’hôtel Sole. » Mais « issu d’une humble famille de paysans »« Personne à vrai dire, ne pouvait imaginer que ce seigneur, grand, distingué, était en réalité un criminel endurci, doublé d’un analphabète. »
Pour aussi « son très cher ami le député Petrani, amiciu di l’amici, c’est-à-dire un de ces parlementaires qui servaient d’intermédiaires entre l’Honorable Société et le gouvernement de Rome. » Don Vito Cascio Ferro, « premier empereur véritable de la Mafia, patron incontesté des trois quarts de la Sicile, y taxait toutes les sources de revenus. » même les amoureux qui, lorsqu’ils se promenaient sous les fenêtres de leurs bien-aimées, devaient payer a cannila, c’est-à-dire le prix symbolique d’une chandelle qu’un membre de la Mafia, en tant que chaperon appointé et éclairé, était censé tenir pour eux. »
Pour l’histoire bien sûr, que je ne vais pas vous raconter. Rien qu’une petite interruption de déjeuner « entre le fromage de chèvre de Caltanissetta et la cassate sicilienne » qu’il s’absenta pour une vingtaine de minute pour « un geste magnifique » de l’uminu di pansu l’homme de courage, qui régla son compte à l’intrus américain du FBI et qui, à treize heures quarante « plongeait sa cuiller à entremets dans la cassate napolitaine. »Bien sûr du député Petrani, en passant par son cocher et tout le personnel de la maison : majordome, valets de pied, soubrettes et gens de cuisine » « jurèrent leur grand dieux que jamais, Don Vito Cascio Ferro n’avait quitté le palais de son hôte. »
Jusqu’à son incarcération n 1923, il ne manqua en tout cas jamais d’aller chaque mercredi, quand il était à Palerme, déjeuner chez son bon ami le député Petrani(…)Naturellement, on y servait des rougets aux graines de fenouil, un agnelet nouveau-né en sauce et aux herbes des pentes volcaniques, des fromages de chèvre de Caltanissetta et cette merveilleuse cassate napolitaine, devenue palermitaine depuis le débarquement des Mille. Le tout arrosé parles merveilleux Velutirano dont les pentes de l’Etna ne produisaient que cent-vint barriques par an, et dont, bien entendu, Don Vito, qui en était propriétaire, se réservait l’entière production. Car comme l’affirmait un vieux dicton sicilien : « Déguster une goutte de vin de l’Etna est aussi agréable au cœur de l’honnête homme qu’une goutte de sang qui coule dans les veines de son ennemi. »
Pour les histoires et les recettes il vous suffit d’acheter le livre de cuisine de Jacques Kermoal et Martine Bartolomei original « La Mafia se met à table » chez Babel 7,50€.