J’en ai conscience, mais peu m’importe, qu’un type comme moi, bien installé, sans souci d’argent, occupant des fonctions confortables, viennent, tel un témoin de Jéhovah sonnant à votre porte, vous interpeler sur la vie que vivent les paysans d’aujourd’hui, en l’occurrence ici celle d’un producteur de lait du Lot : Sébastien Itar. Je l’ai rencontré dans mon bureau avec ses collègues le matin de la première du documentaire d’Edouard Bergeon, « Les fils de la terre », au Gaumont-Opéra. C’est l’un des 29 producteurs de lait de Cantaveylot (contraction de Cantal, Aveyron, Lot) petit groupe d'éleveurs laitiers qui se sont pris en main et avec qui je travaille dans le cadre de ma mission de médiateur dans le grand Sud-Ouest. Ces 29 producteurs, lorsque le GIE Sud-Lait qui collectait leur lait a dû mettre la clé sous la porte car son principal client Leche-Pascual (entreprise espagnole) n’était plus preneur n'ont pas baissé les bras. Bref, ce petit collectif, qui se bat, qui fait, je vous invite à découvrir son site pour commencer à comprendre que votre lait quotidien, cette brique, ce pack, n’est pas un produit anonyme, mais le fruit d’un labeur quotidien de femmes et d’hommes accrochés à leur
terre. link
J’étais donc à la première du documentaire le jeudi 2 février sur les Grands Boulevards. La salle était pleine. Jean Puech, ancien Ministre de l’Agriculture, aveyronnais, était présent. Je me suis isolé mais le hasard a voulu que Sébastien Itar vienne se placer devant moi juste avant le début de la projection. Comme il se doit Edouard Bergeon, le réalisateur, flanqué de ses producteurs, s’est présenté à nous et nous a entretenus de la genèse de son documentaire. Du sujet traité je ne savais rien en arrivant dans la salle. Dès ses premiers mots Edouard Bergeon a capté mon attention, ce garçon aime les gens, ça se voit et ça se sent. Il dit simplement, avec pudeur mais sincérité, que c’est un bout de sa vie, de sa jeune vie, qu’il va nous proposer. Le 29 mars 1999, à 4 heures du matin, Christian son père, agriculteur à Jazeneuil dans la Vienne, qui a ingéré des pesticides pour en finir avec un long calvaire, agonise dans ses bras. Edouard n’a que 16 ans. « Je lui ai mis sa tête sur mon épaule. Il m'a dit qu'il ne voulait pas mourir mais c'était trop tard. » Son père, 45 ans, va mourir. Pour Edouard, sa mère et sa sœur c’est une blessure largement ouverte car son père jusqu'au bout s'est battu dans l'indifférence générale. Y compris contre son propre père, un patriarche intransigeant qui lui prédisait l'échec. Cette descente aux enfers, l’accumulation des dettes, le lâchage des banques, le sentiment de ne pas pouvoir assumer l’héritage d’une longue lignée d’agriculteurs, vont précipiter cet homme joyeux, sociable, dans un enfermement mortifère.
« Mon père est toujours en moi » déclare Edouard, la douleur encore présente, mais ce documentaire, qui pour moi est un film, un vrai, où il va mettre sa caméra dans les pas de Sébastien Itar, nous conter ses deux histoires parallèles mais qui par la cruauté de l’histoire vont se rapprocher, se rejoindre, se croiser, mais sans jamais se mêler dans une forme de lourde démonstration. Tout est pudeur dans ce film. Edouard ne pèse pas, n’insiste pas, ne prend pas parti, il accueille, ne juge pas. Et pourtant le père de Sébastien est dur, intransigeant, il me rappelle mon grand-père, seul le travail compte. Tout le reste est assimilé à de la fainéantise. « Un bon à rien ! » Toute la sensibilité, qui n’est pas de la sensiblerie, du réalisateur va nous permettre de suivre pendant un an et demi un homme jeune, angoissé, écartelé, de nous conter son histoire, sa déchéance, son rebond, ses espoirs. Le monde paysan, encore aujourd’hui, est dur, d’apparence sans pitié, ce père fier, borné, acharné au travail, loin des clichés des naturistes qui repeignent la campagne en couleur pastel. Tout n’est pas noir, sous le désespoir, la violence des mots, se nichent aussi une énergie vitale. Il y a aussi la mère de Sébastien, toujours présente, aimante, havre de bienveillance, elle aussi indéracinable mais mère courage, cet héroïsme du quotidien des gens de peu.
Je vous invite donc fortement à visionner « Les fils de la terre » qui sera diffusé sur France 2 le 28 février 22h51. C’est un beau film, plein de pudeur et de retenue, qui donne à réfléchir sans tomber dans les habituels clichés d’émotions larmoyantes aussi vite exprimées qu’oubliées.
Le public a applaudi. Devant moi Sébastien a craqué, il a pleuré. Avant la projection il n’avait pas revu les images, il les a découvertes avec nous, les a revécues, difficile épreuve que cette mise-a-nue publique. J’aurais aimé lui dire je ne sais quoi d’ailleurs mais les mots ici n’avaient pas droit de cité. Mon silence respectait ses larmes et surtout, plus encore qu’avant la projection, je sentais sur mes petites épaules le poids de cette mission qui m’avait été confiée. J’étais un peu colère, une colère contre moi-même mais aussi contre la bonne conscience très abonné à Télérama de ces gens à qui Edouard venait de proclamer pour alléger l’ambiance « Allez, on va boire un coup» qui sonnait comme la voix de son père que nous venions de voir sur l’écran le jour où il avait rassemblé ses voisins chez lui pour les régaler. Bien sûr que nous sommes allés boire un coup, comme l’a dit ou écrit quelqu’un « pour tordre le cou » au désarroi, vaille que vaille… » Pour sûr que j’avais envie de fendre la bonne conscience, monter sur la barrique pour dire à l’assistance : « Que faites-vous au quotidien pour qu’un Sébastien Itar, dans le fin fond de sa vallée du Lot, avec ses vaches, sa solitude, mais aussi se collègues de Cantaveylot, vive, fasse des projets, se projette dans l’avenir. Lors de mes dernières rencontres avec de ses collègues, producteurs de lait dans le Lot&Garonne et la Dordogne, ce besoin de visibilité, de compréhension active, m’a été martelée.
Se suffire du « je comprends » m’irrite ! Seul le faire du geste, de l’acte d’achat, du choix d’un produit identifié, qui ne coûte pas beaucoup plus cher que le produit anonyme, premier prix, venu du diable vauvert, est une main tendue Pas de la charité mais tout bêtement ce lien que je vous serine à longueur de chroniques. C’est trop facile de larmoyer, de s’apitoyer sur les malheurs du monde, si loin, et ne pas faire le geste qui permet à son voisin, Sébastien est notre voisin, comme les éleveurs du Forez abandonnés à leur sort, de vivre tout simplement. Cette indifférence est mortifère. Même si certains beaux esprits me raillent, ce dont je me fous comme de ma première paire de pompes, j’écris qu’il ne suffit pas d’en appeler qu’à nos décideurs, se décharger sur eux, mais se mettre en position de peser, à notre petite place, sur le devenir de ces « fils de la terre » comme on peut aussi bien sûr le faire pour tout ce qui touche à cette foutue consommation qui est le moteur de notre croissance. Tout le monde se justifie, se défend, mais en poussant son caddie rien n’interdit d’être citoyen, de faire des choix qui n’entameront pas le pouvoir d’achat même des consommateurs modestes.
Donc deux consignesimpératives à respecter :
1- Voir le film d’Edouard Bergeon « Les fils de la terre » qui sera diffusé sur France 2 le 28 février 22h51
2- Allez sur le site de Cantaveylot link pour repérer leur litre de lait de la vallée du Lot tout plein d’oméga 3 et si vous êtes en position de le trouver (la liste des magasins est sur le site) achetez-le !