Vincent Pousson est un merveilleux allumeur de mèches et, comme je suis de mèche avec lui, même le dimanche je me laisse entraîner sur ses sentiers non balisés ou sur les chemins vicinaux chers à notre ami commun François des Ligneris. Bref, j’avais lu l’édito de Vitisphère « des blogueurs et des journalistes » link, non signé, mais qui portait la trace évidente de Michel Remondat. Mon sentiment a fort bien été traduit par Ophélie Neiman, la célèbre Miss Glou-Glou, sur le mur Face de Bouc de l’ex SBF Vincent Pousson : « Bon sang qu'est-ce que moche de pondre un édito aussi mauvais dans un journal! C’est bien la preuve qu'un « journaliste » peut rédiger (et publier!) des chroniques plus lamentables que ne le ferait un blogueur: zéro source, zéro info fiable, zéro objectivité, zéro... « Déontologie », pour reprendre un terme lu plus haut. Un texte écrit en 5 min sur un coin de nappe après un repas... et qui en plus pontifie et donne des leçons : pitoyable. L'édito nous parle d'un « drame » (!) probable et à éviter. Mais drame pour qui? Le lecteur? Le consommateur? Le vigneron? ... ou drame pour le pré carré de l'auteur ? »
Donc pas la peine de chroniquer me suis-je dit ! Mais c’était sans compter sur notre Ryan O’Connell, qui tire plus vite que son ombre. Dans sa langue maternelle il répondait, point par point, de façon très professionnelle, à l’édito de Michel Remondat.link Sans être mauvaise langue je me suis dit qu’une majorité des habitants de notre beau pays souffrait d’une grave et rédhibitoire allergie à la langue anglaise, tout comme d’ailleurs beaucoup de pratiquants de l’anglais ne savent pas aligner deux mots de français. Donc j’ai demandé à Ryan une version française de son texte. Ensuite je vous livre toute chaude la réponse de Michel Remondat publiée sur le mur du Sieur Pousson l’arpenteur de vin
Les simples consommateurs de vins sont-ils qualifiés pour partager leur opinions?
C'était avec un petit choc que j'ai lu l'édito dans le dernier Vitisphère qui termine avec cette petite conclusion:
« Enfin, il faudra accepter une certification des acteurs de la critique, de la notation, par une Autorité, sinon les technologies du numérique pourraient imposer la dictature d’une démocratie virtuelle.
La Dictature d'une Démocratie ? »
Mon premier réflexe est de dire que l'édito est un peu ridicule. Finalement, les consommateurs savent ce qu'ils aiment et ils sont spécialement qualifiés pour être prescripteurs et de décider quoi acheter. Mais donnons l'édito sa chance pour convaincre. Quelles sont les pires qualités d'un monde sous la « dictature d'une démocratie virtuelle? »
Je suppose qu'il y a un risque de se trouver dans un monde où les vignerons essaient de faire des vins oubliables et inoffensifs que personne ne déteste (mais que personne n'adore non plus). Comme je l'ai déjà mentionné sur un autre article du blog de mon Domaine, je ne souhaite pas voir cela! Et il ne faut pas dire c'est de la paranoïa car des grand volumes de vins sont déjà produits de cette manière.
Et la musique à la radio est sélectionnée d'une manière assez proche ou le monoplage n'est presque jamais la meilleure chanson de l'album. C'est juste celui qui déplaît le moins tout en étant un peu entraînant (mais pas trop entraînant!) Cela rappelle des histoires ou les grandes boites de distribution font jouer l'album pour un groupe test et choisissent après le single avec le score le plus moyen au lieu de la chanson que certains adorent et d'autres détestent.
Citons le vote du « Design a Sam Adams Beer » qui démontre que certaines boissons recherchent d'être littéralement sous une dictature de la démocratie. Et c'est vrai que c'est un peu n'importe quoi.
Par contre cet édito a une sorte de nostalgie pour une période passée où toutes les poches étaient pleines de francs et tous les verres remplis de bon vin. Mais honnêtement, il y a toujours eu des vrais vignerons et des producteurs qui cherchent à faire des vins de grandes surface (mais pas de grands plaisirs). Il y a même un moment où j'ai l'impression que l'édito suggère que la baisse en consommation est faute d'un manque de voix d'autorité dans le journalisme du vin:
« Et au 3ème et dernier acte, disparition de l’art de la critique du vin… Perdu par la multiplicité des références, des origines, des prix, le consommateur perd confiance et se protège en réduisant ses achats de vins ! »
Cela me semble un peu fou. Les gens boivent moins en France à cause d'un manque de confiance dans leur habilité à choisir la bonne bouteille? J'ai mes doutes. La consommation diminue parce qu’on a peur de souffler dans le ballon. Ou parce que les cocktails gagnent en popularité. Ou même parce qu'il y a plus de choix autre que le vin (on ne buvait pas de Red Bull il y a 20 ans). Il y a maintes raisons à une baisse de la consommation de vin. Il n'y a pas de raison de croire que cette baisse de la consommation est liée à un manque de confiance du consommateur. Un manque de confiance qui existe d’ailleurs aussi dans les pays ou la consommation augmente.
De plus, je ne suis pas convaincu que la croissance des blogs ou la perte de voix de l'Autorité sur le vin, peuvent faire baisser la confiance du consommateur. Au contraire, j'imagine que la notion que n'importe qui peut publier une opinion sur l'Internet rendrait plus de confiance aux consommateurs qui pourraient être intimidés dans un monde où il existe des voix certifiées dont ils ne trouvent pas toujours le temps de découvrir. Je crois que le consommateur aurait plus de confiance dans un monde où la seule chose qui compte est son opinion personnelle et celles des personnes avec qui il partage sa bouteille.
De toute façon, je commence à perdre le fil de cet édito.
Mon expérience dans la communication égalitaire
Une des meilleures choses qui s’est passé pour mes vins c'est l'interface client de mon importateur au Royaume Uni, Naked Wines. Les clients qui achètent mes vins peuvent laisser un commentaire sur le site. C'est aussi simple que ça. La majorité ne se considère pas comme blogueurs, gourous, ou experts. Ils font simplement une petite revue pour les amis. La plupart mettent un simple oui ou non à la question « rachèterez-vous ce vin? », et d'autres écrivent des petits commentaires.
Au début de ma jeune carrière comme vigneron je me disais qu'aucun critique ne pouvait influencer ma philosophie de vigneron ou le style de mes vins. Mais une fois que les clients sont devenus critiques... j'ai un peu changé d'avis. Quand des milliers de gens goûtent mon vin et des centaines d'entre eux me laissent une note honnête et détachée de publicité et sans inquiétudes sur la circulation ou les impressions de leurs écrits, ça fait du bien. J'aime alors entendre ce qu'ils ont à dire. Bien sûr, il faut toujours faire du vin qu'on aime boire. Mais je veux bien prendre en compte le fait que des centaines de personnes préfèrent le Trah Lah Lah 2009, un peu moins tannique que le 2008. Cela me donne confiance pour faire dans le futur un assemblage plus raffiné si ça me dit de le faire.
Et bien entendu il faut éviter de fabriquer des vins inoffensifs qui passent pour tout le monde sans vraiment faire plaisir à personne. Mais en même temps, est-il si terrible de prendre en compte l'opinion de mes clients (qui eux boivent un peu plus de mes vins que la majorité des journalistes)? Et je suis donc heureux qu'ils peuvent partager leur opinons sur le net, indépendamment de ce que les autorités certifiés veulent dire.
Qui donne l’autorité aux autorités?
Et la dernière chose que je ne comprends vraiment pas : qui pourrait donner l’Autorité aux critiques? L'édito suggère:
« Pour éviter le drame, journalistes et éditeurs, du papier ou du numérique, devraient se réunir pour redonner un sens au journalisme du vin, redéfinir l’art de la critique. »
Si tous les journalistes et éditeurs du papier et du numérique se rassemblent pour décider comment on peut écrire sur le vin, cela inclura tous les blogueurs et réseaux sociaux qui font tant trembler dans le reste de l'édito !
Et pourquoi avons-nous cet impératif pour définir l'art de la critique? Est-ce que c'est véritablement pour donner plus de plaisir aux consommateurs ? Ou pour donner plus de confiance au consommateur qui doit choisir une bouteille au restaurant? Honnêtement, l’idée est terrifiante qu'il y a des spécialistes certifiés qui ont des opinions plus valides que celle de chacun de nous a la table. Je ne veux pas me sentir coupable pour n'avoir pas lu toutes les opinions expertes qui ont été publiées avant d'acheter une bouteille recommandée par un ami.
Non, je suis bien à l'aise dans la dictature de la démocratie. Finalement, on est peut-être bien dans le meilleur des mondes. »
Michel Remondat
Bonjour Vincent
Merci de m’avoir invité hier soir. Je suis rentré tard. Il n’y a pas que le vin et le Web dans la vie ! Difficile de répondre à tous ces mots et à toutes ces phrases. Ceci n’est pas une réponse, car je respecte trop les opinions de chacun. Juste quelques explications :
- Je m’intéresse depuis longtemps au vin, plutôt aux vins, mais ce que j’apprécie le plus ce sont les gens du vin.
- Un édito en 10 ou 15 lignes est forcément réducteur. Je regrette d’avoir offensé tes amis. Chaque semaine, Vitisphère essaie d’attirer l’attention des professionnels du vin sur un point, qui pèse ou pourrait peser, changer l’évolution de l’économie du vin. Je défends l’idée que les éditos ne soient pas signés car je préfère le nous au je.
- Le vin est aussi et surtout une activité économique, créatrice de valeurs. C’est précieux. Vitisphère a démarré il y a plus de 10 ans. Nous avons créé 12 emplois, sans subventions, grâce seulement aux efforts de l’équipe. Nous sommes très attentifs à ces notions d’économie, d’indépendance.
- A propos de « journalistes et bloggeurs ». Je ne suis pas journaliste, mais comme tout le monde, je constate les difficultés de la presse du vin. Il serait dommage que ce métier disparaisse. Vitisphère est du côté du numérique, et nous savons très bien qu’il y a du talent, de l’avenir et même de la modestie chez les bloggeurs.
Le vin n’est pas une œuvre d’art (même si certains défendent cette idée) dont la valeur serait corrélée à la force de la critique. C’est un produit qui permet aux vignerons, aux négociants de « gagner leur vie ». C’est un produit commercial avec des contraintes techniques, œnologiques, de marketing et il faut de la formation, de l’apprentissage, de l’expérience pour l’évaluer.
Pour ceux qui croient à l’avis des consommateurs donné sur Internet. C’est vrai ça fonctionne pour l’hôtellerie, pas sûr que ça fonctionne pour le vin !
- Enfin, si j’ai parlé de « certifier les certificateurs », c’est parce que j’ai pensé aux agences de notation et leur AAA. C’était un peu osé et ironique !
- Pour finir : Depuis deux ou trois ans, les attachés de presse des salons de vins se flattent d’organiser un « autobus de bloggeurs ». Autobus et bloggeurs, vous ne trouvez pas ça choquant. C’était le point de départ de l’édito !
Michel REMONDAT