Le Monde titrait en bas de première page de son numéro du 31 janvier « en Algérie, la prohibition assèche les bars » et toute la page 3 était consacrée, sous la plume d’Isabelle Mandraud à deux articles très intéressants link et link
Quelques extraits :
« Plus aucun bar n'existe à Constantine. Ni à Chlef, Tlemcen, Batna ou Boumerdès. A Sétif, il n'en reste plus que deux. A Alger, réputée autrefois pour ses nombreux bistrots, une quinzaine seulement subsiste. Le 23 janvier, deux des plus vieux estaminets bien connus dans la capitale algérienne, la Butte et la Toison d'or, ont baissé leur rideau. Les uns après les autres, les bars vendant de l'alcool ferment, les points de vente se raréfient. L'Algérie glisse vers la prohibition. »
« Les débits de boisson étant souvent contraints de fermer dès 20 heures, ces réseaux prennent le relais à bord de véhicules-bars ambulants, ou, plus rarement, à domicile. La vente est furtive, les boissons sont dissimulées dans des sacs opaques, mais les rassemblements sont bien visibles et font mauvais genre. Dans la région de Sétif, un vendeur à la sauvette fait ainsi le tour des clients avec sa fourgonnette et son téléphone portable. Car la consommation, elle, ne baisse pas : elle reste stable, voire progresse même un peu.
En moyenne, selon l'APAB, les Algériens consomment 1,1 million d'hectolitres de bière par an, 500 000 hectolitres de vin, et 80 000 à 100 000 hectolitres de spiritueux. " Ces chiffres nous placent loin derrière le Maroc et représentent la moitié de ce que consomment les Tunisiens ", relativise M. Hamani. La fermeture des bars a généré de nouvelles habitudes. Dès le milieu de l'après-midi, le long des routes, des voitures s'arrêtent et leurs occupants boivent leur bière à même le capot. Sur les bas-côtés, des milliers de canettes en aluminium, non récupérées, sont ainsi laissées à l'abandon. " Si ça continue, cela va devenir un problème de santé publique ", soupire un distributeur. " Les gens ont appris à boire comme ça, à la sauvette. Ils ne cherchent même plus à aller dans les bars ", affirme M. Delabeche. »
« Les quelques débits de boisson qui exercent encore n'ouvrent plus leurs portes qu'à une clientèle d'habitués, triés par un gardien à la porte. Les pétitions de voisins contre la présence de bars ou de points de vente d'alcool dans les quartiers se sont multipliées. En septembre 2011, tout près du magnifique jardin d'Essai, au coeur d'Alger, un point de vente a été contraint de fermer ses portes sous la pression de la foule qui s'était rassemblée devant. Un autre a été saccagé et pillé à Belouizdad après une semaine de manifestations. Dans la commune touristique d'Aïn Bénian, de violents incidents entre jeunes ont été imputés à l'alcool.
Les fabricants locaux de bière ont toutes les peines du monde à recruter et des chauffeurs routiers ont refusé de transporter leurs marchandises. « Certains salariés demandent à ce que l'on change l'en-tête de leur bulletin de paie, pour une autre marque de boisson gazeuse dans le groupe par exemple », indique Ali Hamani, président de l'Association des producteurs algériens de boissons. « C'est un monde d'hypocrisie », lâche-t-il. Propriétaires, grossistes, distributeurs réclament l'anonymat pour s'exprimer, non par crainte de représailles, mais « pour que les enfants ne soient pas embêtés à l'école ". Samir, représentant en marques de bière conseille à ses clients de ne pas jeter les emballages vides à côté des poubelles : " Les éboueurs ne les prennent pas. »
J’ai vécu deux ans à Constantine sous le régime de fer de Boumediene, toutes les tentatives
de prohibition pure et dure : bière et vin ce sont soldées par des horreurs pour la santé publique. Et comme le rappelle Isabelle Mandraud « Ben Bella, le premier président algérien après l'indépendance, avait signé en 1963 un décret interdisant à tout Algérien de confession musulmane de boire de l'alcool. En vain. »