Quand j’aime je ne compte pas mais je conte ! Alors pour Vouvray, le Vouvray, les Vouvray et les vignerons qui les font rassurez-vous je ne vais pas vous chanter une chanson mais ce matin troquer ma plume pour celle d’un autre et faire comme si, à bicyclette, avec une nuée de copines emmitouflées « Pour aller à Vouvray, nous quitterions Tours par ce chemin ravissant qui emprunte la rive droite de la Loire, en suivant l’étroite laisse d’alluvions sur laquelle se dresse, toute droite, une colline percée de grottes en parties habitées ; revêtues de vignes et de parcs, elle est soulignée d’imposantes ruines : celles de l’abbaye de Marmoutiers, ou celle du château de Rochecorbon, d’où la tour de guet surveillait la Loire. Des villages s’ouvrent dans la falaise, des sources y ont creusé des ravins. À l’issue d’un de ces ravins, c’est Vouvray. »
Dans notre petite bande d’adeptes de la petite reine nous avions une Reine, dont je tairais le nom pour ne pas la compromettre, qui nous a dit : « Ici, le vignoble est établi sur un sol particulièrement propre à la vigne, qui est plus généralement argilo-calcaire et presqu’uniquement planté en gros pinot chenin greffé. Il donne ces vins dont on fait grand estime pour la délicatesse de leurs bouquets fruités. Ils son un don de la nature, mais la science du vigneron et sa conscience y ajoutent ce qui est peut-être l’essentiel de leurs mérites. »
Mais notre Reine a aussi, accroché à ses basques, une douairière, une duègne comme on en trouve dans nos belles dégustations parisiennes, des mesdames qui savent tout. Celle-ci, rajustant vaillamment sa mise en plis mise à mal par le vent, nous harangua « Les vignerons travaillent leurs vignes, préparent et soignent leurs vins avec une intention jalouse, et plus en artistes qu’en producteurs avides de profits. C’est à qui aura les ceps les plus verts et les plus vigoureux, avec les plus beaux fruits. C’est à qui pourra présenter le vin le plus fin et le plus distingué. Une réelle émulation les pousse à toujours mieux faire ; elle se transforme parfois en une véritable rivalité de propriétaire à propriétaire et même de commune à commune. Cette rivalité s’est révélée particulièrement ardente lorsqu’il s’est agi de délimiter l’aire géographique du Vouvray. »
Les filles pouffent. La duègne prend un air pincé. Alors pour détendre l’atmosphère, une petite boulotte, toute tachetée de son, se hisse sur un petit surplomb « Le village de Vouvray dont le nom est devenu si populaire, n’est que viticole ; situé au bas de son coteau, il n’a d’autres annales que celles de son vignoble ; elles suffisent à son ambition. Ses maisons sont groupées avec agrément autour de son clocher trois fois centenaire. Là encore les caves sont pittoresquement taillées dans le tuffeau et réputées pour leur aménagement et leur grandeur. Sous l’une d’elles, située dans le bourg même de Vouvray, des voitures peuvent aisément circuler. Ces dispositions troglodytes, qui ouvrent des horizons sur la vie de nos ancêtres des époques préhistoriques, s’associent si docilement avec le confortable des exigences modernes que c’est à peine si l’on y est frappé du contraste. »
Trêve de bavardage « nous entrons à Vouvray, dans un de ces domaines où un peintre de théâtre n’aurait qu’à copier ce qu’il aurait sous les yeux pour planter un décor pittoresque à souhait. La porte d’entrée, à claire-voie, ouvrant de la rue sur la cour intérieure et fleurie, a des façons de cottage. C’est, d’un côté, la maison d’habitation d’une rusticité élégante, et dont la terrasse donne sur le moutonnement des ramures et la verdure des vignes ; de l’autre côté de la cour c’est la falaise crayeuse à pic ; les bureaux s’ouvrent dans le rocher, et leurs parois sont des pierres frustes. Des escaliers intérieurs taillés dans le roc conduisent, d’étage en étage, au sommet. On sort des entrailles de la terre pour se retrouver en belle lumière, dans un vignoble d’un vert vigoureux, étalé d’un seul tenant. En redescendant par quelque trappe, on retombe dans des caves hautes et profondes, à l’abri des variations de la température et de l’humidité ; elles ne sont pas sans rappeler celles de la Champagne, et l’analogie est surtout frappante là où le Vouvray, qui incline, par première intention, à pétiller, est rendu mousseux à la façon que le cellerier enseigna aux vignerons champenois. »
J’arrête là de vous mener en bateau sur mon beau vélo. Partis emmitouflés nous sommes passés sans barguigner à l’été car tout bêtement le taulier a surfé sur le texte de Georges Montorgueuil écrit en 1927 pour la maison Nicolas. Bien sûr il ne s’agit là que d’une belle entrée, en matière, car dès que mes vaches me laisseront un peu le temps de souffler, je vous conterai sans compter mon morceau d’histoire avec les vignerons de Vouvray, chez moi, à Paname, du côté de la Butte où le Lapin est agile, le Moulin de la Galette et où le dialogue entre le Nord et le Sud s’établit grâce au talent conjugué d’Antoine Heerah qui sait si bien conjuguer les vins de taffetas avec les saveurs lointaines. Normal nous sommes au Chamarré… À bientôt donc sur mes lignes pour un périple aux parfums de la Compagnie des Indes.