Dans la présentation des 5 du Vin l’ami Lalau m’a gratifié du titre de « grand commis de l’État » ce qui, hormis le qualificatif trop souvent utilisé en notre vieux pays pour tout et n’importe quoi, me convient parfaitement. Il eut pu me qualifier de « serviteur » car, en effet, sans être ni haut, ni fonctionnaire, j’ai servi l’État et j’en suis fier. Alors pourquoi diable certains, accolent-ils du mépris à serviteur : larbin, domestique, valet, loufiat... ? Est-ce que le garçon qui nous sert le vin au resto ou au bistro, l’hôtesse de l’air qui nous propose un nescafé sur AF, le grand noir qui passe l’aspiro dans mon bureau, la gironde baby-sitter qui vient garder les gniards le soir, le gus du centre d’appel basé à Tombouctou... ne nous rendent pas un service tout aussi appréciable et estimable que le consultant d’Ernst&Young, le conseiller financier de la banque, l’assistante ménagère d’un petit vieux ? Que je sache, on nous le serine assez, nous vivons dans une Société de Services et je ne vois pas au nom de quoi, hormis la qualité, le coût, la valeur du service, l’éboueur devrait être moins considéré qu’un chroniqueur sur le Web.
Si je fais cette remarque c’est que j’ai subit l’ire d’un chroniqueur très BCBG parce que j’évoquais, dans un échange aigre-doux à propos de Zemmour, la ressortie au Champo à Paris de « The Servant » le grand film réalisé en 1963 par Joseph Losey avec un machiavélique Barrett incarné par Dirk Bogarde que l’on aime tant détester. Ce cher homme s’est senti offensé. Pourquoi diable, sauf à vivre de ses rentes, nous sommes tous tributaires, quelque soit notre statut, tributaires de ceux qui assurent notre ordinaire. Comme le faisait remarquer un avocat pénaliste : « mes clients sont des truands et alors, même le pire criminel de guerre à le droit à un défenseur... » et comme tout travail mérite salaire alors. Le lien de subordination n’implique pas forcément un vil à-plat-ventrisme, le cirage de pompes systématique, le lèche botisme obséquieux, la courtisanerie... Moi je suis en ce moment au service du Ministre de l’Agriculture, je ne porte pas sa serviette, j’assure les missions qui me sont confiées et lorsque je chronique je le fais en respectant le devoir de réserve mais en assumant pleinement mon statut. Je n’ai pas besoin de faux-nez !
Bref, il n’est pas plus vulgaire de se laisser-aller à écrire des mots-crus dans ses chroniques que de laisser accroire que l’on n’est qu’un gentleman de la Toile sans attache, forme de pur esprit d’essence aristocratique. De plus le glissement sémantique de mon interlocuteur de The Servant à larbin était assez cocasse lorsque l’on sait que le dominé à l’origine : Barrett le valet devient le dominant en réduisant son maître à la déchéance : voir la critique ci-dessous d’Eric Barbot le 23/04/2007.
« La mise en scène et le cadrage de Losey sont très précis, et traduisent l'inégalité (puis la violence) dans la distance entre les personnes, et dans l'utilisation de l'espace de la maison : au début, le maître domine le valet, puis au fur et à mesure, à la faveur de la négligence de Tony, Barrett maîtrise de mieux en mieux l'espace de la maison (en occupant les pièces communes, tout en préservant le jardin secret de sa chambre de bonne). Escaliers, canapés, portes, miroirs... tous les éléments du décor deviennent des armes contre le maître, afin de lui faire perdre pied, puis le rabaisser jusqu'à l'annihiler. Parce qu'elle vient de l'extérieur, qu'elle ne connaît pas cet espace conquis par le valet, seule la fiancée du maître peut manifester sa lucidité et sa révolte, en giflant Barrett
Ici, le nihilisme et le naturalisme l'emportent sur le message politique : ce qui intéresse Losey, ce n'est pas la lutte des classes, mais les pulsions remontant des profondeurs et créant une tension dans le monde apparent, jusqu'à le faire sombrer dans le monde originel, une certaine barbarie. Ce n'est pas un hasard si Buñuel, autre grand auteur naturaliste, a souvent mis en scène des valets ou des femmes de chambre : la violence et la menace de la déchéance font partie intégrante de ces rapports maîtres-valets. »
Sans vouloir m’adonner à la sociologie de café de commerce c’est dans doute ce que révèle parfois la violence qui règne sur la Toile : la survivance des rapports maîtres-valets... Déchoir vous avez écrit déchoir...