Dans son éditorial du numéro de mars de la RVF Denis Saverot emporté par son élan de défenseur du vin français – je n’ose écrire de tous les vins français – établi un lien de causalité entre la chute de la consommation du vin en France et l’explosion de la vente des tranquillisants dans notre pays.
Sa charge contre les autorités sanitaires est lourde : après la mise en avant de l’affaire du Médiator il balance sa bombe à fragmentation « ce petit monde y trouve son compte. Les labos s’enrichissent tandis que nos gouvernants s’offrent la paix sociale en plaçant les citoyens sous tutelle chimique subventionnée. Les antidépresseurs, Ben Ali et Moubarak auraient du y songer pour leurs administrés. » Manque bien sûr le plus fou de la bande : Kadhafi mais bon libre à Denis Saverot de verser dans l’air du temps.
Mon combat sur ce terrain étant fort ancien pour preuve une lettre ouverte au directeur de l’ANPAA du 6 juillet 2006 « Des Mots plutôt que des Maux » link et une « Lettre ouverte à ceux qui nous terrorisent » link du 21 mars 2009 (voir biblio de mes chroniques sur ce sujet en bas de page), je me sens donc très à l’aise pour affirmer que cette virulence extrême et ce type d’allusion au combat de peuples qui ont versé leur sang pour la liberté nuit à notre cause.
Mais comme Denis Saverot avec son gros marteau veut vraiment river le clou aux Diafoirus modernes il établit un lien de cause à effet entre la lutte contre l’alcoolisme, la chute de la consommation de vin et l’explosion de celle des tranquillisants. Je le cite :
« Officiellement, il s’agit de lutte contre l’alcoolisme. Le résultat, c’est l’explosion des ventes d’anxiolytiques et d’antidépresseurs, dont notre pays est devenu le premier client européen. »
« Depuis 1960, la consommation de vin a été divisée par plus de deux dans notre pays. Or, au cours de la même période, les ventes de tranquillisants ont bondi de zéro à plus de 60 millions de boîtes par an. C’est un fait, la France officielle a tourné le dos à son vin, le plus subtil, le plus civilisé des anxiolytiques, celui que le monde entier nous envie, pour gorger son peuple d’antidépresseurs. Avec quel succès ! Plus, ils en ingurgitent, plus nos concitoyens sombrent dans la morosité et le pessimisme, comme l’a souligné un récent sondage international. »
Mais de quel vin parlez-vous Denis Saverot ?
Celui de Roland Barthes dans Mythologies (1957) cette boisson totem qui se chiffrait en millions d’hl ou les vôtres, ceux qu’à juste titre vous défendez, qui se comptent en bouteilles ?
Ce passage du singulier au pluriel est capital car cette consommation dont vous regrettez la chute vertigineuse cachait d’énormes disparités : de très gros buveurs de Vin de Consommation Courante, des ouvriers, des marins-pêcheurs, des mineurs, des travailleurs de force qui gonflaient le chiffre de la consommation moyenne per capita et les buveurs réguliers ou occasionnels dont la dose journalière restait modeste. L’alcoolisme se nichait là Denis Saverot et le combat d’un Mendès-France député de Louviers en Normandie, raillé (Mendès lolo : distribution de lait dans les écoles), était légitime. Je suis natif de la Vendée, classée à l’époque de ma jeunesse second département alcoolisé de France après le Calvados et je puis témoigner du nombre impressionnant de mes compatriotes qui allaient régulièrement se faire désintoxiquer à la Grimaudière (aux fous disait-on en ce temps où le langage ne prenait guère de précaution).
Bien sûr tout ça est fort loin Denis Saverot mais le slogan de la RVF et de beaucoup « boire moins mais boire mieux », auquel je souscris bien évidemment, est tout autant responsable de cette chute vertigineuse que la loi Evin qui n’est intervenue qu’à la fin des années 80. De plus ayant mis en bouteille des millions de cols de Vin de Table à la SVF (voir photo en bas de la chronique), sous des marques dont vous vous moquiez, je sais d’expérience que tout a été fait pour que ces vins, pas tous exécrables, soient décrédibilisés, dépourvus de tout et qu’il a fallu attendre l’irruption des vins de cépages (accolés aux vins de pays) pour qu’ils retrouvent des couleurs et des clients. Que je sache la conversion de la RVF à ces vins roturiers qui soutiennent la consommation volumique est fort récente et votre capacité à mettre en avant les vins de coopératives s’apparente au ralliement des ouvriers de la vingt-cinquième heure. Entendez-moi bien, Denis Saverot, je ne vous reproche pas de défendre et de promouvoir l’excellence, mais simplement d’appeler en renfort de votre démonstration le gros des vins roturiers qui soutiennent la consommation nationale. Je ne vais pas vous mettre sous le nez les statistiques du prix moyen en GD des vins pour amener beaucoup plus d'eau à mon moulin.
Mon combat constant contre les prohibitionnistes de toute obédience me permet aussi de contester le lien que vous faites entre la chute de la consommation de vin et l’explosion de l’absorption de tranquillisants. Que ça vous plaise ou non, Denis Saverot, les causes de cette surconsommation sont de même nature que celles qui poussent nos compatriotes à boire avec excès, y compris du vin. Je ne vais pas avoir l’outrecuidance de vous rappeler que ces causes sont multiples : médicales, économiques, sociales, sociétales : stress, solitude, monoparentalité, modèles de consommation radicaux... etc. Que les prescripteurs de médicaments aient failli à leur mission je suis le premier à le reconnaître mais n’écartez pas d’un revers de main la forte demande des patients qui s’exercent sur eux : le Médiator a été prescrit comme coupe-faim car l’obsession de la ligne est aussi un fait de société. Que la consommation de vin soit un facteur de sociabilité ce n’est pas à celui qui a tenté, dans l’indifférence de la RVF, d’initier l’Amicale du Bien Vivre, que vous allez faire un dessin.
A trop vouloir prouver Denis Saverot le risque est grand de prendre un beau râteau dans la tronche, d’alimenter le camp d’en face qui s’appuie, comme le disait avec morgue le Pr Got sur une majorité de nos concitoyens. Certes ça fait plaisir à une partie de vos lecteurs, ça les confortent, eux qui ne boivent, que dis-je, ne dégustent, que des hauts nectars, dans leurs idées reçues. Ce type d’affrontement est vain et inutile car c’est celui des extrêmes qui ne débouche que sur de l’incompréhension et de l’immobilisme. Au risque d’être taxé de provocation j’affirme que ces dernières années le vin, les gens du vin, ont marqué des points dans l’opinion publique et qu’il suffirait pour transformer l’essai - les politiques sont des élus et ils sont fort sensibles au poids des bulletins de vote - de laisser au camp d’en face des arguments éculés du même type que ceux qu'ils utilisent pour nous discréditer.
Ne rien céder sur l’essentiel, se mettre en capacité de peser efficacement dans les temps électifs, utiliser une argumentation précise et sereine, montrer ce que nous sommes vraiment, expliquer à nos concitoyens consommateurs la contribution essentielle des hommes et des femmes du vin (de tous, plébéiens ou aristocrates) à la vie de nos territoires ruraux, cesser de manier des chiffres globaux qui ne leurs parlent pas, ne pas mélanger le buiseness et la défense du bien commun, voilà ce que nous devons faire ensemble pour que les clichés maniés par les communicateurs d’en face laissent la place à des messages s’inscrivant dans la réalité de la consommation des boissons alcoolisées dans notre pays. Les postures ne mènent à rien sauf à se faire plaisir entre convaincus.
J’ai bien conscience, Denis Saverot, qu’en commettant ce billet je ne contribue guère à relever ma cote, je n’ose écrire ma note, auprès la RVF mais, vous qui citez Goethe en chute de votre édito, permettez-moi à mon tour de m’adossez à Beaumarchais « Sans la liberté de blâmer, il n'est pas d'éloge flatteur. »
En espérant qu’au nom de ce vin qui « réjouit le cœur de l’homme » vous accueillerez mes remarques impertinentes avec toute la légèreté qui sied au grand amateur que vous êtes et je vous prie d’agréer les salutations d’un contributeur constant et assidu à l'extension du domaine du vin
Jacques Berthomeau
Bibliographie : la Croix d’or, le père fondateur Sully Ledermann, ANPAA, Pr GOT et Sandrine Blanchard du Monde
- La Croix d’or le 26 novembre 2005 link
- Sully Ledermann le 11 octobre 2006 link
- L’ANPAA harcèle les veuves 11 janvier 2008 link
- Dérèglements de Comptes 14 janvier 2008 link
- Une petite bordée de questions à nos amis de l’ANPAA 21 novembre 2008 link
- L’édito de l’ANPAA : à quel jeu joue-t-on ? 2 avril 2009, link
- Les dirigeants de l’ANPAA vus de profil 11 juin 2009 link
- Matricule 17044 au rapport : l’argent de l’ANPAA est aussi le vôtre 30 octobre 2009 link
- La Cour d’Appel de Paris passe une dégelée à l’ANPAA 6000 euros dans le buffet et des attendus meurtriers 3 mai 2010 link
- La stratégie du go du Dr Got 31 mars 2008 link
- 3 questions à Claude Got 9 juillet 2008 link
- La complaisante Sandrine Blanchard du MONDE, « Le vin est un alcool, donc cancérigène», est-elle le double féminin de Gérard Blanchard ? 16 avril 2009 link
- Crédibilité zéro Sandrine Blanchard échotière de la vie moderne taille des costars au duo Coffe-Pitte le 16 mars 2010 link
- Fac à vin Sandrine Blanchard du Monde doit vraiment boire l’eau des nouilles le 16 avril 2010 link
- Sandrine Blanchard du Monde organise une vente privée de vins et de champagnes du 6 au 12 décembre 2010 le 7 décembre 2010 link
- Le dernier verre du Dr Olivier Ameisen un témoignage qui dérange 3 novembre 2008 link