Olivier Ameisen, l’auteur du livre « Le dernier verre » chez Denoël, est un médecin sensible et talentueux. Deuxième enfant d’une famille parisienne aisée, d’origine juive polonaise, son parcours scolaire est fascinant : en 2d à l’Ecole Alsacienne il sollicite une dérogation, qu’il obtient d’Edgard Faure lui-même, pour passer son bac et le réussit brillamment. « C’était la première fois dans les annales, m’a affirmé le Ministère, qu’un élève réussissait son bac en classe de seconde. » Il veut être pianiste. Il a hérité du don de son père capable de jouer tout ce qu’il voulait au piano, « d’oreille car il n’avait jamais appris à lire la musique ». À sept ans, il dit à son père « Regarde, papa j’ai composé quelque chose de très beau, regarde.
- C’est très bien, mais je crois que quelqu’un l’a composé avant toi, à dit son père.
- Impossible !
- - Bien sûr que si : c’est le Concert pour piano n°1 de Tchaïkovski. »
Bac en poche ses parents ne sont pas très disposés à le voir « passer tout son temps à travailler le piano ». Médecine alors, à l’exemple de l’ami de la famille le Pr Jean Bernard. Olivier décroche son premier job d’été comme pianiste à la Closerie des Lilas. Comme il fait plus vieux que son âge, les clients lui offraient des verres qu’il ne buvait pas. Un jour il décide sa mère à écrire à Arthur Rubinstein, »le pianiste des pianistes » pour qu’il le reçoive. Le maître accepte. Olivier joue, au 22 square de l’avenue Foch, sur le Steinway de son idole. Il confie à Rubinstein son intention de mener de front ses études de médecine et une carrière de concertiste et s’entend répondre « C’était possible du temps de Moritz Rosenthal, qui avait je crois un doctorat en philosophie, mais aujourd’hui c’est exclu. Il faut travailler comme un fou. Vous êtes un pianiste fabuleux, cher monsieur, vous êtes l’un des meilleurs. Vous me faites penser à moi-même, mais aussi à Samson François lorsqu’il a joué sur ce même piano. » Il choisit donc la cardiologie car « L’école française de « rythmologie » a une réputation mondiale, et ce sont les professeurs Slama et Coumel, mes maîtres à l’hôpital Lariboisière, qui ont guidé mes premiers pas. » Je dois avouer que ces références me touchent au cœur, au propre comme au figuré, car c’est à Lariboisière dans le service du Pr Slama que le Pr Coumel a soigné mon syndrome de Kent. Il est médecin-aspirant à Matignon au temps de Raymond Barre. New-York exerce sur Olivier « une singulière fascination » et, en octobre 1983, il choisit le service de cardiologie du prestigieux New York Presbyterian Hospital-Cornell University Medical Center. Quand l’alcool déboule dans sa vie il exerce aussi dans son propre cabinet de cardiologie à Manhattan.
Mais « Je suis hanté depuis toujours par un sentiment angoissant d’inadéquation, d’imposture. Alors que je dégage – selon ce qu’on me dit – une impression de force et d’assurance et même, pour beaucoup, de charisme, je me sens en totale inadéquation avec cette image. Pour moi, cette personne dont le CV épate tout le monde n’a rien à voir avec la personne que je suis réellement. Je vis dans la crainte d’être découvert. Un jour, forcément, quelqu’un comprendra que tout ce que j’entreprends, tous mes succès ne sont qu’une escroquerie, et le château de cartes s’écroulera en quelques secondes. » Là est la racine de sa maladie. Ce livre vous devez le lire. Je ne vais donc pas vous le résumer mais vous confier, dans l’ordre chronologique, des passages que j’ai soulignés lors de ma lecture.
« Mes parents n’ont jamais été buveurs ; à la maison, il n’y avait jamais de vin à table ; mes parents ont donc failli car ils ont omis de m’enseigner comment boire convenablement. Ils ont commis une faute importante car ils auraient dû prévoir que cela me handicaperait sur le plan social et professionnel » page 14
« la dépendance met les médecins mal à l’aise parce qu’ils n’ont aucun traitement efficace à proposer. Cela explique aussi la stigmatisation morale qui accompagne la dépendance. Chaque fois que la médecine ne parvient pas à guérir ou à contrôler une maladie, elle en rejette la faute sur le patient, en l’accusant de manquer de force de caractère, de volonté, etc. » page 17
« J’ai découvert que l’alcool calmait mes angoisses comme jamais les benzodiazépines ne l’avaient fait, et sans effet secondaires. L’alcool me donnait de l’assurance. Je me sentais serein, extraverti, lucide, complètement à l’aise. Je pouvais bavarder sans retenue avec un parfait inconnu. » page 58
« Le grand avantage de la cure, c’est que ce n’est pas la « vraie » vie. Mais c’est également son grand inconvénient, et c’est la raison pour laquelle ses résultats sont si fragiles. » page 111
« Les racines non biologiques de cette maladie qu’est la dépendance sont à rechercher dans le besoin de changement individuel, de grandir, et surtout de se comprendre soi-même et surtout de comprendre son rapport à autrui. Encore une fois, il est crucial de comprendre le terrain qui prédispose certaines personnes à l’addiction (…) En d’autres termes, tout le monde ne peut pas devenir alcoolique » page 137
« personne ne semblait comprendre que je n’avais aucune envie de me détruire. Même dans les moments les plus atroces, j’avis envie de vivre. »
« Ce que j’ai toujours pensé, ce que je continue de penser, c’est que l’alcool, s’il a failli me tuer à d’innombrables reprises, m’a permis d’aller mieux, de survivre. C’est l’alcool qui m’a permis de vivre et je pense que je serais mort, ou bien fou. » page 141
« Dans l’addiction, en revanche, les symptômes sont la maladie. Le principal symptôme de la dépendance c’est la dépendance, c’est-à-dire le craving, l’envie obsessionnelle de fumer, de boire, de prendre de l’héroïne et ainsi de suite. Si le patient refume, reboit, etc., c’est à cause de ce symptôme. Pour dire les choses autrement, si le patient est dépendant de la substance, la maladie, elle, est dépendante de ses symptômes. Supprimez les symptômes, et vous supprimez la maladie. » page 214
« Mais le baclofène était tombé dans le domaine public depuis des années. On pourrait penser que c’est une bonne chose, mais ce n’est pas le cas : n’importe quel laboratoire peut fabriquer et vendre un générique du baclofène, et donc aucun laboratoire n’investira le moindre centime dans une étude sur ses effets. Comme ce sont les laboratoires qui financent l’essentiel de la recherche sur le traitement de la dépendance… » page 237
« Les traitements contre la dépendance ont toujours pour but déclaré de ramener les patients à leur vie d’avant l’addiction, à leur état de « préaddiction ». Non seulement cette méthode ne marche pas, mais elle comporte en outre une faille importante. L’état qui précède la plongée dans la dépendance n’est rien d’autre qu’un état d’extrême vulnérabilité à l’addiction : ce n’est pas un « avant » vers lequel on peut vouloir retourner. C’est pour cela que lorsqu’on me disait : »C’st bon de se retrouver comme avant », je répondais invariablement : »Ce n’est pas du tout comme avant. Avant j’avais peut-être l’air normal, mais je me sentais extrêmement mal. Aujourd’hui, je ne me suis jamais senti aussi bien. » page 247
Allez sur le site d’Olivier Ameisen http://olivierameisen.e-monsite.com/ et bonne lecture avec des commentaires…