Dans le monde des grands du vin, du moins ceux qui s’estiment tels ça chauffe, s’ils avaient encore des fourches – maintenant qu’à Bordeaux ils ont à nouveau des chevaux et des bœufs ça va être de l’ordre du possible – les gens des châteaux et des clos, tout comme mes lointains ancêtres Vendéens, pourraient embrocher les félons de la Commission de cette Europe honnie qui, dans le cadre des négociations OMC avec les Etats-Unis, est en passe de changer les règles. Elle pourrait donner aux Américains la possibilité d’utiliser la mention pour vendre leurs vins en Europe. Même punition pour les clos, joyaux bourguignons, et le CAVB déclare la patrie bourguignonne en danger car cette décision [...] porterait grandement atteinte à la notoriété et la spécificité du paysage viticole bourguignon ». Une identité bourguignonne est en danger.
Le pire dans cette affaire pour les seigneurs bordelais et les hobereaux bourguignons c’est qu’il s’agit d’un échange dans le cadre des négociations de l’Organisation mondiale du commerce. L’UE autoriserait les Américains à utiliser le nom « château » et « clos » en échange du droit de vendre du vin de table, sans appellation, ni indication géographique, aux Etats-Unis sous la dénomination de pays Vin de France. Ventre saint gris tout ça pour les gueux du grand sud, ces éternels emmerdeurs chez qui on allait quérir y’ a pas si longtemps de la couleur et décréter que ce n’est pas l’intérêt de la France d’aller sur ce marché où elle n’est absolument pas compétitive face aux Chiliens ou aux Argentins. » Marché de dupes ? Pas si sûr dans la mesure où ces vins de France peuvent être mieux vendus que des Bordeaux du bas de la cuve.
Combat d’arrière-garde ou défense du droit, dans la blogosphère l’ironie coule à plein tuyau, c’est si beau et si facile de se gausser de la manie des bouffeurs de grenouilles de s’engager dans des batailles d’irréductibles gaulois. Il est sûr que les arguments du type de ceux de Laurent Gapenne, le président de la Fédération des grands vins de Bordeaux : «Les Américains veulent pouvoir utiliser le nom "château" comme une marque commerciale, alors qu’ils n’ont pas du tout la même conception de la production de vin que nous. Ils peuvent acheter du raisin n’importe où pour fabriquer leur vin. La notion de terroir n’existe pas chez eux. Faire du vin, ce n’est pas acheter du raisin avec un peu de sucre et y mettre des copeaux. Il faut tenir compte de la nature.» sont outrés et ne font qu’en appeler à des images éculées. Plus modéré, Bernard Farges président de la Confédération nationale des AOC estime qu’il y a «une volonté de détourner une notoriété acquise depuis longtemps. Pour les consommateurs, la mention « château » est synonyme de qualité. Si tout le monde peut s’appeler [ainsi], cela va créer de la confusion.»
« Pour pouvoir utiliser le terme « clos », les raisins doivent provenir exclusivement de parcelles de vignes effectivement délimitées par une clôture formée de murs ou de haies vives ; ou dont l’appellation ou la parcelle comporte ce terme » explique la Confédération des Appellations et des Vignerons de Bourgogne (CAVB). La Confédération Paysanne, elle, sous la plume de Claire Laval, Château Gombaude-Guillot à Pomerol, s’insurge :
«CHATEAU» : Stop à la captation d’héritage ! »
En 2005, les négociateurs européens ont accepté que les mots Chablis, Bourgogne, Sauternes, Champagne, Chianti etc.… (Dix-sept appellations en tout…) soient considérés comme des termes « semi génériques ». Ceci s’est fait sous la houlette de Philippe Casteja, membre éminent du CIVB et alors président de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux.
Aujourd’hui, la Commission de Bruxelles veut autoriser l'emploi de la mention « Château » pour les vins américains sur le marché européen. Paris se retrouve isolé dans son refus de céder la mention « château » aux vins américains, ces vins élaborés en « wineries » à partir d’achats de vendanges sans aucune notion d’origine et qui gagneraient ainsi un faux air d’AOC.
Jusqu’à maintenant, le droit communautaire réservait la mention « château » à des « exploitations viticoles exactement identifiées », produisant des vins d’AOC et disposant d’un lieu de vinification (chai, cuvier…), permettant de traiter d’une façon distincte la vendange issue des parcelles de l’exploitation. A Bordeaux, le terme « Château » est une signature d’authenticité du vigneron et une garantie d’origine pour le consommateur. Est-ce pure stupidité ou fruit de transactions opaques au service d’intérêts obscurs ?
La Commission Européenne continue d’organiser méthodiquement l’usurpation par des vins industriels d’une image construite par des générations de vignerons. Refusons la concurrence déloyale ! Défendons et valorisons l’origine de nos vins ! »
Comme je suis un peu juriste sur les bords, que j’ai dans un temps où l’OMC se dénommait le GATT fréquenté les négociateurs américains, il me semble qu’il faut essentiellement aborder ce sujet, non pas sur la base de communiqués ou de petits billets d'humeur, mais d’un double point de vue :
- Celui du rapport des forces et de nos intérêts bien compris (j’entends ceux de l’ensemble de la viticulture française) à moyen terme. Nos collègues américains ne connaissent que le droit des marques et il nous faut cesser de nous réfugier dans des arguments strictement politiques. Notre force nous la tirerons non en érigeant des lignes Maginot mais en faisant en sorte que nos châteaux soient vraiment des symboles de haute expression et non des cache-misères ou des leurres. Trop de châteaux tuent le château à 3 euros ! Pour les Clos c’est différent puisque la Bourgogne s’est constituée sur l’infiniment petit. Bref, balayons devant notre porte et les châteaux industriels ne tromperont personne.
- Et c’est là que le droit intervient et celui-ci doit se fonder sur une réalité incontestable et Claire Laval a tout à fait raison le château et le clos doivent s’appuyer des « exploitations viticoles exactement identifiées », produisant des vins d’AOC et disposant d’un lieu de vinification (chai, cuvier…), permettant de traiter d’une façon distincte la vendange issue des parcelles de l’exploitation. Les noms de fantaisie illustrant les marques de l’agro-alimentaire n’ont rien à faire dans le vin. Sur ce point il ne s’agit pas d’un combat d’arrière-garde, bien au contraire, mais d’un combat pour préserver de la valeur et, dans la mondialisation, c’est un atout de taille. Nos amis bordelais serait bien inspirés de sortir de leur éternelle ambiguïté et cesser de nous faire accroire que sous le château : d’Yquem à celui du Taulier coulent des vins de haute expression. C’est faux et les « bibines américaines et autres » risquent fort de les surpasser en qualité et notoriété.
Pour en finir, du moins sur cet espace de liberté, j’en reviens à mon titre, qui n’est pas aussi loufoque que ça puisse paraître, lisez ce qui suit à propos du célèbre village aveyronnais de Laguiole. Édifiant, non ! Et ça se passe chez nous et l’affreux jojo habite le Val-de-Marne et pas Losse-en-Gelaisse.
« Laguiole » privatisée !
19 septembre 2012 sur SudOuest.fr avec AFP
« Insolite : le village de Laguiole abandonne symboliquement son nom; Un entrepreneur a déposé la marque dans les années 90, empêchant le bourg de Laguiole de contrôler son image. Le maire déposera la plaque de la commune mercredi.
Le village aveyronnais de Laguiole a résolu de se débaptiser symboliquement pour dénoncer un jugement qui l’empêche de se réapproprier son nom et permet à un entrepreneur de s’en servir pour vendre des couteaux ou des barbecues fabriqués partout, sauf à Laguiole.
Le maire démontera mercredi le panneau qui signale l’entrée de la petite localité de l’Aubrac, qui a donné son nom au couteau mondialement connu.
Un artisanat ancien
Né au 19e siècle, le couteau frappé d’une abeille a fait la renommée de Laguiole avant que la Première Guerre mondiale ne sonne le glas de l’activité. Après 1945, le Laguiole a été fabriqué à Thiers (Puy-de-Dôme), puis beaucoup plus loin, au Pakistan ou en Chine. Ce n’est que dans les années 1980 que la coutellerie est revenue à Laguiole sous l’impulsion d’élus du cru.
« Puisque le nom ne nous appartient plus, on l’enlève », explique Vincent Alazard. Il a, dit-il, le soutien des grands noms de la commune de 1.300 habitants, comme le chef étoilé Michel Bras, le coutelier La Forge de Laguiole et le fromager Coopérative Jeune Montagne.
Laguiole (prononcez: Layol) est sous le choc depuis qu’elle a appris la semaine passée avoir perdu une nouvelle bataille contre Gilbert Szajner pour récupérer l’usage de son nom.
Gilbert Szajner, un particulier du Val-de-Marne, a déposé en 1993 la marque Laguiole pour désigner non seulement de la coutellerie mais aussi du linge de maison, des vêtements, des briquets ou des barbecues. Contre redevance, il accorde des licences à des entreprises françaises et étrangères qui peuvent commercialiser sous le nom Laguiole des produits d’importation.
Les spécificités du dépôt de marque tolère quand même que d’autres (Laguiolais ou pas) utilisent le nom pour des couteaux.
La commune a demandé au tribunal de grande instance de Paris de prononcer la nullité des marques. Elle dénonce l’instrumentalisation du nom pour induire en erreur les consommateurs sur l’origine des produits. Privée de la possibilité d’utiliser son nom comme elle l’entend, elle accuse Gilbert Szajner de « parasitisme » économique.
Le tribunal a estimé lui que la notoriété du village n’est pas établie. S’il est connu, c’est plutôt par des couteaux dont le nom est devenu générique et qui ne sont pas fabriqués exclusivement sur son territoire. La commune n’est donc « pas fondée à invoquer une atteinte à son nom, à son image et à sa renommée ».
Le conseil municipal spécialement réuni s’est dit favorable à un appel du jugement.
Le maire a, lui, écrit au président François Hollande pour l’interpeller sur « une situation inique » où des « noms de villes ou villages peuvent devenir propriété de groupes industriels, de la grande distribution ou d’ailleurs, tant français qu’étrangers ».
La décision du tribunal confirme la « prédominance du droit des marques sur le droit au nom », s’insurge Me Carine Piccio, avocate de la commune. Elle constitue « un cas d’école pour toutes les communes de France: une personne peut détenir un monopole commercial sur le nom d’une collectivité à son détriment et celui de ses administrés ».
Les entrepreneurs locaux comme Thierry Moysset, gérant de la Forge de Laguiole, voudraient pouvoir se diversifier.
« On ne veut pas s’approprier le mot Laguiole, on veut juste qu’on ne nous interdise pas d’utiliser le nom de notre village », dit le patron du premier coutelier du village, qui fait travailler une centaine de salariés pour un chiffre d’affaires d’environ 8 millions d’euros. Il ne peut pas mettre le mot Laguiole sur le moulin à poivre qu’il veut fabriquer localement. « Sur ce moulin, je suis en contrefaçon. Je n’ai pas le droit d’écrire Forge de Laguiole ».
Le maire et conseiller général, qui se dit plutôt de droite, souligne que la décision constitue un coup dur pour le développement local. « Pendant ce temps, on se sert de notre nom, de notre région alors que la plupart des produits sont fabriqués en Chine ».