La langue de la rue claque, pète, se vautre, elle accroche, capte, détourne, met cul sur tête les choses de la vie avec ironie, dérision, gouaille. Ses mots ou ses expressions marqueuses du temps, d’abord confinés au sein de tribus en des zones dites « mal fréquentées », s’installent dans le langage courant, sont adoptées par monsieur et madame tout le monde avant parfois de faire leur entrée dans le Petit Larousse Illustré.
Tel est le cas de l’expression « faire genre » qui, traduite en langage « correct » signifie faire croire ou accroire quelque chose qui ne repose sur aucune réalité, faire comme si pour masquer ses insuffisances ou pour combler son absence de résultat. L’interjection « genre » qui ponctue une phrase marque, elle aussi, le côté je me donne une belle contenance en dépit de mon côté tocard, creux, parvenu ou minable. L’utilisation d’un synonyme : « style » ou « faire style » permet à certains, adeptes du « franglish » de se distinguer de la piétaille en prononçant « staile »
Ces précisions linguistiques étant faites, je me dois d’argumenter mon affirmation selon laquelle : « faire genre » constituerait la nouvelle attitude des concepteurs de vin. Précision : j’aurais du écrire de certains concepteurs de vin. Autre précision : par conception du vin j’entends bien sûr le vin lui-même, mais aussi son « packaging » et la communication qui va avec. Enfin, cette chronique ne constitue qu’une ébauche, elle n’épuise pas le sujet ce qui signifie que vous pouvez l’enrichir ou la démolir selon votre inclinaison.
Dans le genre « faire genre », je m’attacherai à 2 tendances lourdes : la tendance 4x4 en ville et la tendance over-rose. La première peut se résumer par « il fait des vins qui ont des tronches de GCC pour ceux qui veulent faire genre » ; la seconde, plus style, se décline ainsi « il fait des rosés éthérés fagotés comme des minettes évaporées pour des mecs et des gonzesses qui veulent faire style ». À dessein je n’ai utilisé que le pronom il afin de bien marquer la prédominance mâle encore très marquée sur la conception du vin (propriétaires emblématiques, vignerons médiatiques, œnologues-stars, critiques et notateurs divers...)
La tendance 4x4 en ville relève du détournement de fonction. En effet, à l’origine le 4x4 est un véhicule tous terrains bien utile pour les zones difficiles : le légendaire Land Rover roi du désert. Sa transplantation en ville traduit la quintessence du « faire genre » avec bien évidemment toute la palette du paraître : du grossier Hummer (victime de la déconfiture des grands constructeurs américains) à l’élégant Cayenne en passant par toute une flopée de japonais, d’allemands et bien évidemment de pâles français). Le même phénomène s’applique avec une belle homothétie aux vins « de statut » depuis que la crème des GCC s’envole vers des cimes inaccessibles au commun des « qui se la pètent grave ». Nous assistons donc à une course effrénée au captage de buveurs d’étiquettes. À toutes fins utiles je signale que je ne fais ici qu’un pur constat et que, comme pour les 4x4 en ville, les vendeurs de vin vont allécher la demande là où elle se trouve.
La tendance over-rose frise, elle, la caricature. C’est une déferlante, la danse du ventre, la ruée du rose fadasse sur la « génération soft drink » des gars et des filles qui boivent glacé avec une paille, qui se baladent en Repetto été comme hiver pour les bimbos, se fringuent comme un titulaire de RMI pour aller à user leurs fonds de jeans troué, à 200 euros l’unité, sur les bancs de Janson-de-Sailly, qui passent leur vie sur Facebook et sur Twitter, qui bouffent des séries américaines...
Entendez-moi bien, que ce segment de marché en plein boom suscite un regain d’intérêt de la part des concepteurs de vin est dans l’ordre des choses, ce qui suscite ma légère ironie c’est l’adoption quasi-unanime des mêmes codes. Comme si le rosé, qui n’est pas comme ses frères baptisé d’un nom de couleur, en rajoutait dans le rose. Ce n'est plus du vin mais de la layette.
Le plus étonnant dans cette affaire, alors que les Provençaux au nom du rosé authentique se sont portés au front, ont terrassé l’hydre européenne, ce produit se massifie, s’enfonce dans l’uniformité voire même la banalité. À force de vouloir « faire genre », style jupe Vichy, dans toutes les catégories de vins, plus personne n’y retrouve ses petits. Sans avancer le syndrome Beaujolais Nouveau, le nouveau de nos jours vieillit vite, pour consolider la vague rose un peu de créativité ne nuirait pas. Si ça vous dit lire ou relire la chronique http://www.berthomeau.com/article-over-rose-notre-rose-du-camping-des-flots-bleus-a-l-anti-strategie-de-l-ocean-bleu-51361072.html
Pour ne pas vous laisser sur l’impression que je passe mon temps à remonter les bretelles à tout le monde à propos de tout et de rien je vous signale que, moi aussi, je fais genre. En effet, comme je l’ai écrit dans mes chroniques je ne suis qu'« un dégustateur imposteur ». Je fais genre avec mes beaux costars et mes Richelieu bien cirées mais, ne vous y trompez pas, je donne le change... car je suis un bad boy !
Si ça vous dit encore à propos de l'affaire d'Etat du Nicolas lire http://www.les5duvin.com/article-mal-eleves-les-vins-les-gamins-et-les-soi-disant-responsables-en-peau-de-lapin-52639678.html