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4 mai 2009 1 04 /05 /mai /2009 00:07

Dans sa préface au livre de Maurice Constantin-Weyer : « L’âme du vin » - écrit en 1932 - Jean-Paul Kauffmann se devait de poser cette question et, bien sûr, d’y répondre avec la pertinence et le talent qu’on lui connaît.

 

 

Mon premier mouvement, après avoir lu ce beau texte, fut de vous en livrer l’intégrale car, en soit, il est « une création » qui n’a ni à subir l’exercice scolaire du résumé, que je n’ai jamais goûté au temps de mes études, ni à supporter celui du découpage en extraits par un élagueur de mon espèce.

 

 

Pourtant, après réflexion, je me suis dit que si je me contentais de publier un simple copié-collé ce serait céder à la facilité, pour moi comme pour vous.

 

 

Alors que faire ?

 

 

Me glisser dans ce texte, le visiter, me l’approprier…

 

 

 

Mission impossible que j’ai décidé d’entamer sans trop savoir si, comme souvent chez moi, j’allais la mener à bon port.

 

 

Avant même de me lancer dans cette aventure le fait que l’opus de MCW fut dédié à Charles Maurras « qui mieux que tout autre porte en son clair génie l’âme des vins » aurait du me rebuter et sa dénonciation de « l’ère du socialisme fatale au vin » me dissuader définitivement.

 

 

Et bien non, avec mon côté ex-enfant de chœur qui a mal tourné, j’ai jugé qu’à tout pécheur amateur de vin miséricorde et j’ai passé outre car c’eut été, pratiquer la double peine à l’égard de ce Goncourt 1928, pour Un homme se penche sur son passé, aujourd’hui totalement tombé dans l’oubli, que de l’ignorer.

 

 

Convenez aussi que cet homme, né en Haute-Marne, tout grand amateur qu’il fut, qui regrettait la quasi-disparition du vin de son pays, le Coiffy, ne saurait endosser pour l’éternité les oripeaux du banni.( Le vin de pays des Coteaux de Coiffy raconté aux cancres

 

 

Et puis, comme le souligne Jean-Paul Kauffmann, « il eut une vie si peu française », en effet les débuts de sa vie furent aventureux : après ses études à la Sorbonne il émigre au Canada en s’établissant comme fermier au Manitoba. C’est un fiasco, il fait faillite et survit « en devenant tour à tour cow-boy, bûcheron, trappeur, marchand de chevaux et de fourrures, arpenteur » Convenez que ça a plus de gueule que d’être un jeune trader à la Société Générale se gavant de bonus et que cette vie « n’est pas sans ressembler à l’existence d’écrivains anglo-saxons comme RL Stevenson, Jack London ou Joseph Conrad qui ont fait l’expérience de ce qu’ils ont écrit, engageant leur vie par jeu et non par goût de la réussite. »

 

 

Enfin absolution extrême, l’aveu : « […] Sans son séjour au Manitoba, où pendant onze ans il ne boira que de l’eau, Constantin-Weyer reconnaît qu’il n’aurait jamais écrit L’Âme du Vin (1932), témoignage très précieux sur la façon dont une époque envisage le vin comme produit d’une civilisation […]

 

 

Alors, sans aucune réticence, sauvons donc cet oublié du monde des lettres car son Âme du vin « n’est pas une ode rétrograde à la gloire du vin français […] Constantin-Weyer n’appartient pas à la catégorie de ces aimables auteurs d’écrits chics sur le vin. Il connaît bien son sujet. »

 

 

Qu’il nous gratifiât de quelques lieux communs par-ci par-là, bien ampoulés, « élixir divin ou divin nectar » ou qu’il avançât quelques allégations vénielles telles que le Sauternes « ne gagne pas à une longue vieillesse » ou doit être servi à quatre degrés n’a guère d’importance car, comme le note JPK « chaque génération a ses tics. La nôtre en possède beaucoup, faisant exploser le vocabulaire œnologique dans tous les sens sans que pour autant celui-ci y gagne en précision. » et « les générations qui viendront après la nôtre pourront se payer notre tête à la vue de nos âneries car le vin, produit issu de la terre mais métamorphosé par l’homme, garde par essence la marque de notre imperfection. Depuis des siècles, cette faiblesse originelle donne libre cours à bien des bévues et des pratiques douteuses. Dans ce domaine, il n’y a pas de vérités absolues et éternelles»

 

 

Le petit chroniqueur que je suis, sans être flagorneur, tout empli d’orgueil qu’il fut, affirme qu’il partage cette forme d’humilité salutaire.  

 

 

Et puis, j’ose l’écrire, il y a du MCW en moi car il « possède une vertu que nous avons perdue : une forme de gratuité qui le porte à s’enthousiasmer sur les vignobles qu’il arpente. C’est un flâneur ingénu. Il s’engoue facilement. Dans son texte, il y a peu de jugements personnels sur la dégustation. Il ne sait pas trop qualifier les vins. Son vocabulaire est assez limité »

 

 

Rappel aussi d’un temps heureux […] « Comme cette époque nous paraît lointaine, presque exotique. Heureux temps où l’on pouvait boire dans n’importe  quelle brasserie une bouteille de cos-d’estournel ou de léoville-lascazes au prix d’un muscadet ou d’un beaujolais […]

 

 

Temps béni « où le plaisir de boire était naïf. Le vin n’était pas saturé de sens comme aujourd’hui. Les œnologues n’existaient pas. Il n’y avait ni expert, ni consultant, ni journaliste du vin. L’on ne se demandait pas alors s’il fallait faire passer aussi les pédants par la phase de pressurage ou les refroidir par tubulure. Il n’y avait que des amateurs […] »

 

 

Pour autant, je ne verse pas dans la glorification du passé car « même si le vin est devenu prétexte à une fuite en avant dans la recherche de la prouesse, d’où ces produits trop riches, confiturés, écœurants et finalement sans relief. Ne regrettons pas toutefois l’époque de MCW, la plupart des vins y étaient maigres et l’on comptait à peu près deux bons millésimes par décennie – à part le 1937, les années 30 furent particulièrement médiocres. »

 

 

Suis-je alors une espèce en voie de disparition parce que je me conforme à mon propre plaisir, à ma propre intuition ? Parce que j’aime tout simplement sans révérer l’opinion admise, ni me conformer au politiquement correct. Péché d’orgueil d’un ex-technocrate qui ne veut pas qu’on lui confisque son incompétence.

 

 

Oui toujours en revenir « au premier plaisir du vin qui n’est pas d’en parler mais de le boire. »

 

 

Oui « trop de sens, tue le sens »

 

 

Oui « cette hypersymbolisation a fini par lui faire perdre son caractère sacré et une bonne partie de sa puissance secrète. »

 

 

Pour autant, en perdant son halo spirituel, le vin a-t-il perdu son âme ?

 

 

Assurément non, et moi le Vendéen à la jeunesse confite dans la religion je ne puis regretter la sécularisation du vin. Certes, l’irruption de l’économique, la folie spéculative, pourraient m’ébranler, me faire pencher du côté des « regrettants », dénier les « vertus » d’un temps où « l’on ne rate très peu de millésimes » où « la plupart des appellations ont accompli leur aggiornamento » où « la médiocrité se fait de plus en plus rare » où « une génération de jeunes viticulteurs remet en question l’ « œnoscientisme » de ses parents… »

 

 

Comme Jean-Paul Kauffmann  je ne regrette pas le « bon vieux temps » de Maurice Constantin-Weyer.

 

 

Reste, qu’en devenant profane, le vin est en passe de se banaliser, d’être un produit comme les autres qui, pour se distinguer, se voit, soit  happé par un storytelling de pacotille, œuvre de communicants qui plaquent sur lui des mots formatés, gonflés, survitaminés, clonés, soit porté au pinacle par des faiseurs de mode qui le place dans l’univers de l’art.

 

 

JPK apporte, sur ce dernier point, une réponse sur laquelle certains feraient bien de méditer. « Une œuvre d’art est un idéal esthétique dont l’expression défie. Il n’est pas certain que l’émotion que nous procurent les beaux crus entre dans une telle catégorie. Le terroir n’est pas un absolu, pas plus que le vinificateur, censé interpréter et serrer au plus près la singularité de ce terroir, n’est un thaumaturge ou un créateur. Aussi bien ce qu’il élabore ou traduit est détruit par son accomplissement, l’acte de dégustation. Il ne reste plus rien d’un grand vin qu’on a bu, que son souvenir et sa force d’imprégnation. Ce n’est pas rien. Plutôt qu’une œuvre d’art, disons que le vin est un art de vivre, c'est-à-dire une mémoire et une transmission. »

 

Toutes les citations « entre guillemets » sont extraites de la préface de Jean-Paul Kauffmann que vous pouvez lire dans son intégralité, ce que je vous recommande fortement – je la publie avec l’autorisation de l’auteur – à la rubrique PAGES N°51. Je vous rappelle que « L’âme du vin » de Maurice Constantin-Weill est publié à la Table Ronde collection la petite vermillon.
 


 

 

 

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commentaires

M
Si le vin n'est pas oeuvre d'art, alors on se demande pourquoi il est acheté, adulé, exposé, spéculé à l'image de quelques grands noms de Bordelais, d'Italie, d'Espagne ou même d'Australie ? Mais je suis d'accord sur l'essentiel : le bon vin, celui que l'on aime, a véritablement une âme. qelque soit son prix et sa notoriété.
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A
Da la transmission, oui, c'est sans doute là que le terreau est encore actualisable. Art de vivre très antique que cette passion du vin; Nietzsche nous exortait au dépassement dyonisiaque, à la danse avec Zarathoustra et donc à vivre notre vie comme une oeuvre d'art...en actualisant nos possibles. Combinaison de rapport favorable dirait Spinoza qui augmente mon conatue et donc m'apporte de la joie.Aimer le vin est donc une façon d'être au monde toute particulière qui se déploie dans l'éros et qui qui rend heureux.
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T
j'aime beaucoup cette prase "Plutôt qu’une œuvre d’art, disons que le vin est un art de vivre, c'est-à-dire une mémoire et une transmission. » "très résumante" 
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P
Il faut lire aussi l'interview de Jean-Paul Kaufmann dans la revue du vin de France de mai, qui confirment avec beaucoup d'intelligence, de sensibilité et, parfois, de vacherie bien enveloppée ce qu'il dit dans la préface de L'âme du vin.
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