Cette semaine le cocker triste, après un discret passage au milieu des vaches du Salon de l’Agriculture porte de Versailles, est sorti du bois, dans une relative indifférence, à la Mutualité. J’y étais. Le choix de la date et de l’heure pouvait surprendre, un mardi, à 18h30, juste avant les vacances d’hiver des parigots. Et bien c’était plein, les deux mille sièges occupés et les retardataires durent rester debout. Y’avait du beau linge de l’UMP : Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Gérard Larcher, Christian Poncelet, Bernard Accoyer, Hervé Gaymard, François Baroin, Jérôme Chartier, Éric Ciotti, Christian Estrosi, Gérard Longuet, Jean Tiberi, Pierre Lellouche, Jean Leonetti, Éric Woerth, Patrick Devedjian, Bernard Debré…et bien sûr la « guest star » Nathalie Kosciusko-Morizet qui, par sa présence, a apporté son soutien à François Fillon tandis que ce dernier, réciproquement, a apporté le sien à la candidature de l’ancienne ministre à la mairie de Paris. Tout ça a dû le libérer car, paraphrasant André Malraux à propos du gaullisme, François Fillon a même remarqué, pique contre le petit roquet de Meaux : « L’UMP est loin d’être la maison des Français qui se pressent dans le RER de 18 heures. » Le François il s’est taillé un costar de chef d’Etat « J’ai vécu dans l’intensité des responsabilités gouvernementales, au point de me sentir parfois dépossédé d’une part de moi-même. (…) L’épopée du Général De Gaulle, c’est elle qui avait fait de moi un militant… Trente-cinq ans plus tard, vous êtes à Matignon, dans votre bureau, face à votre époque. Les marges de manœuvre sont réduites à néant par la crise. (…) Le pays tape à votre porte pour qu’on l’aide et le protège. Vous l’aidez, vous le protégez du mieux possible, mais vient le moment où vous dites « non ». (…) Mais ce « non » fait de vous un homme qui fait passer ses responsabilités avant ses intérêts. Ce « non » vous transforme. ». Notre Fillon, droit dans ses bottes, à la Juppé, a assumé tout le quinquennat précédent : « Nous avons évité à notre pays le drame que vivent les Grecs, les Espagnols, les Irlandais. ». Mais surtout, péché mortel, il a osé ramener, j’oserais même écrire rabaissé, Nicolas premier, à son niveau de simple collaborateur de l’ancien imprécateur. Quand on perd les élections, on revient tous au même niveau, moi le premier (...) Les lauriers sont à terre, il faut nous réinventer, nous désaccoutumer du passé pour repartir sur de nouvelles bases », nous a-t-il confié.
À la sortie du meeting, faciles à repérer dans la foule des bien permanentées et des messieurs guindés, j’ai de suite repéré mes chers collègues de la grande maison venus laisser traîner leurs grandes oreilles à la Mutualité, des jeunes sauf un, le grand Dufumier, qui lui m’a de suite reconnu et s’est mis à faire des moulinets au-dessus de sa tête déplumée. Comme je ne pouvais ni battre en retraite, ni emprunter une autre issue, j’ai pris les devants en fonçant vers lui pour l’apostropher. « Pas encore au rencart le Jean-Paul… Je suppose que tu n’as pas envie de te coltiner ta Monique pendant toute la journée…
- Toujours le mot pour rire. Monique elle s’est tirée…
- Désolé Jean-Paul, ça fait si longtemps que je ne t’avais vu…
- T’as jamais été un tendre mais je t’aime bien car tu ne m’as jamais laissé tomber quand j’ai été dans la merde.
- Et si on allait prendre un verre mon Jean-Paul.
- Pas de refus, ça me changera de ces branleurs en jeans et baskets qui ne boivent que du coca.
J’ai tiré le grand Dufumier par la manche pour l’emmener tout près, rue Saint-Victor, dans le bistro chic de Yannick Alleno « Le terroir parisien » où je suis très pote avec la sommelière. Le grand Dufumier, en se dodelinant sur ses échasses maigres, m’a fait un compliment à sa manière « Putain, ce n’est pas le bar-PMU de la dalle d’Argenteuil mon gars, toi t’as toujours pété dans la soie et enfilé les plus belles gonzesses… » En le regardant de plus près, mal fagoté, mal rasé, avec des écrases-merdes avachis, je l’ai pris en pitié le Dufumier et je l’ai invité à bouffer. Le pauvre j’ai cru qu’il allait se mettre à pleurer. Pour se donner une contenance il s’est mouché d’une façon sonore qui a fait sursauter le personnel en train de dresser les tables. J’ai de suite commandé un grand cru Alsace, au nom un imprononçable, de Jean-Michel Deiss. Le Dufumier n’en finissait pas de mater tout ce qui portait une jupe. L’arrivée de la belle boutanche l’a fait soupirer « Toi t’as toujours eu une mémoire d’éléphant. Même si ça fait si longtemps qu’on ne s’est vu tu te souviens que l’Alsace c’est mon jaja préféré… » J’ai fait le service et nous avons trinqué. Dufumier, face à son verre, n’était plus le même, c’était comme si il était en train d’accomplir un rituel. Ses gestes se faisaient précis. Je me suis tu pour le laisser déguster. Ça a duré. Enfin, après avoir redéposé son verre, il a dodeliné de la tête et murmuré « C’est grand mon camarade… vraiment… je suis touché que tu me traites avec autant de considération. C’est si rare de nos jours… » Je l’ai resservi en lui demandant sur quel dossier il marnait. Sa réponse m’a surpris : Tapie.
Dufumier, avec son air bête et sa vue baisse, n’en n’étais pas moins un des meilleurs connaisseurs des arcanes d’un parti dont tout le monde ignore aujourd’hui, ou presque, qu’il a été un grand parti sous la IIIe république : le Parti radical. Maintenant ce n’est plus qu’un champ de ruines avec les Radicaux de Gauche, petite annexe du PS, où le Nanard a adhéré et la vieille maison le Parti Radical dit valoisien où le Borloo tout naturellement s’est enkysté. Le Jean-Paul lui il sait bien que Bernard Tapie a rencontré, dans les années 60, Jean-Louis Borloo, jeune avocat spécialisé dans le droit des faillites et que pendant dix ans, le duo va écumer les tribunaux de commerce. Premier coup médiatique Manufrance à Saint-Etienne, en venant à la rescousse de la vieille société de VPC en dépôt de bilan. Après un épisode rocambolesque, il obtiendra l’exploitation de la marque puis proposera selon son habitude un plan de relance. En définitive le groupe centenaire sera liquidé début 1986. Dufumier égrène : 1981 : La Vie claire et ses magasins bios en difficulté, 1982 : Terraillon fabricant de pèse-personne en dépôt de bilan, 1983 : Look fabricant moribond de fixations de skis de Nevers, 1984 : Wonder avec 30 millions de francs prêtés par sa banque, Tapie s’offre le fabricant de piles en déclin. Il licencie 600 salariés, puis acquiert, avec Francis Bouygues, Saft-Mazda. Le tout est revendu en 1988 à l’américain Ralston, qui ferme les usines françaises. Gain pour Tapie : 470 millions de francs. Alors que nous entamons le fameux hot-dog parisien à la tête de veau de Yannick Alleno, Dufumier me place sa carte maîtresse « C’est Borloo, éphémère ministre des Finances en 2007, qui est à l’origine de l’arbitrage avec l’Etat dans le dossier Adidas qui a rapporté 390 millions d’euros à son vieux copain. Le Dufumier me tend une clé USB en me disant « si tu as envie de te poiler deux minutes regarde le duo Tapie-Borloo qui, en 1983, vient donner des conseils décoiffants aux étudiants, comme ici en 1983 à l’ISA de Paris.ICI link