La voiture, une Aston Martin DB 4 GT couleur bronze, qui roulait à plus de 150 kilomètre à l'heure, a fait une embardée inexpliquée. Elle a décollé du sol, fauché plusieurs bornes et terminé sa course contre la pile d'un pont. Le véhicule a été pulvérisé. Transportés à l'hôpital de Garches, les deux passagers, un homme, le premier à mourir, et une femme n'ont survécu que quelques heures à leurs blessures.
C'était le vendredi 28 septembre 1962, peu avant minuit, sur l'autoroute de l'Ouest, à six kilomètres du tunnel de Saint-Cloud. Dans son linceul de ferraille, Roger Nimier allongeait la liste des "morts irrégulières", typiques de la fin des années cinquante et du début des années soixante - James Dean, Boris Vian, Gérard Philippe, Fausto Coppi - qu'il avait lui-même dressée deux ans auparavant dans une nécrologie d'Albert Camus. " On pensera, écrivait-il de façon prémonitoire, que l'après-guerre n'a pas été solide. On conseillera aux voitures, aux coeurs, d'aller moins vite."
Extrait de Le soufre et le moisi La droite littéraire après 1945 Chardonne, Morand et les hussards éditions Perrin François Dufay

Je ne suis pas un grand admirateur des hussards (expression de Bernard Franck), ces jeunes gens pressés, Nimier, Laurent, Déon et consorts, héritiers de la droite collabo un peu rance, qui comme l'écrira François Nourissier " entre 1950 et 1952 - guerre de Corée et ministère Pinay -, la France n'était pas gaie. Les peureux entassaient des jerricans d'essence au cas où les blindés soviétiques déferleraient. Seuls les provinciaux descendaient encore danser au Tabou. Nos nouveaux venus[...] comprirent que le public en avait assez des bons sentiments, des démocrates-chrétiens, des profs, des philosophes et de la prose pâteuse. Ils s'attaquèrent joyeusement aux gourous en place depuis 1944 : Sartre, Camus, Merleau-Ponty, les Simone (Weil et de Beauvoir) "...
Mais j'aime ce texte et j'ose l'écrire : j'aime cette mort irrégulière car, comme l'écrira Chardonne le Charentais à propos de Roger Nimier, " C'est sa mort qui le sauvera. Il est mort jeune, comme il le devait. Dans le passé, combien d'écrivains doivent tout à leur mort " (extrait d'une lettre à François Nourissier 5 octobre 1962). A notre époque il est politiquement incorrect de se tuer en voiture à 150 km/h à quelques kilomètres du tunnel de St Cloud. La fureur de vivre ou le mal de vivre ou comme l'écrivait dans son " Bloc-notes " du 11 novembre 1962 François Mauriac "Le désespoir d'exister", ce raccourci de Morand désigne un poison que la jeunesse depuis cent cinquante ans se passe de main en main, de livre en livre - un poison dont nous détenons l'antidote, nous, les chrétiens... Mais quelle idée en aurons-nous donnée à Nimier quand il nous a rencontrés sur sa route ? ".
Nous sommes sous le règne de la psychologie de bazar, des reality show de Delarue et consorts, les médecins de l'âme et les protecteurs de notre santé mentale et physique agitent leurs interdits, terrorisent le bon peuple. De l'air bordel ! Lâchez-nous les baskets ! Laissez-nous vivre et mourir comme bon nous semble ! La civilité se dégrade à tous les niveaux et l'expérience faite sous les auspices de l'UE, dans je ne sais quel pays, de supprimer toute forme de signalisation sur la voie publique, loin d'aboutir à l'anarchie permet au citoyen conducteur ou piéton de se réapproprier les règles, de les vivre, d'être partie prenante du bien vivre ensemble. En ces temps où la moindre association exige des candidats de se plier à ses exigences, redevenons citoyens, exigeons le retour de l'intérêt général qui n'est forcément l'addition de nos intérêts personnels. Si je meurs sur mon vélo écrasé par un chauffeur qui téléphone, klaxonne, pense que la priorité c'est pour lui, le feu rouge pour les autres, organisez une petite fête pour dire que j'ai eu une belle mort...