Mes élucubrations de la semaine passée sur la Teurgoule normande ou le Kouign Anam breton ont agi, tels des révélateurs, sur ma mémoire d'enfant. Même si c'est un peu tôt, mais comme notre climat est un peu déboussolé et qu'il fait plutôt chaud, le souvenir des caillebottes, que la tante Valentine nous concoctait aux beaux jours, me donne envie de vous en transmettre la magie.
Comme leur nom l'indique, les caillebottes sont du lait caillé, mais comme souvent dans les recettes qui viennent de la nuit des temps, tout est dans le savoir-faire, le tour de main, il faut savoir prendre le temps. En effet, pour les puristes, 15 heures sont nécessaires pour la préparation. Je vois déjà la tête des ménagères de moins de 35 ans : on veut nous renvoyer à nos fourneaux, c'est la double peine : le boulot et le fricot. Rassurez-vous, chères femmes modernes, le temps ici prend tout son sens : il n'est là que pour laisser à la préparation justement, le temps, d'être, de naître, d'exister dans les conditions idéales. Et puis, de toute façon, vous n'avez qu'à épouser - pour celles qui épousent bien sûr - des mecs qui savent faire aussi la cuisine !
D'abord, il faut commencer par préparer la chardonnette, 12 à 15 g de fleur d'artichaut que l'on laisse macérer 5 heures. Olalalala mais où j'vais trouver de la fleur d'artichaut me direz-vous ? Faites pousser un artichaut sur votre balcon, c'est très tendance, ou dans votre jardin pour les non urbains. Bon, comme je suis gentil, vous pouvez acheter de la présure chez votre pharmacien, mais ça ne sera pas tout à fait les caillebottes de la tante Valentine.
Bref, vous mettez votre préparation ou la présure dans un litre de lait cru entier. Pour que ce soit dans les règles de la tante V : un grand tarasson de terre cuite émaillée. Vous placez le tout dans un lieu où la température est de 18°, chez nous c'était la souillarde. Quand le lait est caillé vous tracez sur la surface du caillé, à l'aide d'un couteau, une sorte de grille qui délimite des blocs carrés ou rectangulaires. C'est alors qu'intervient l'art du tour de main, c'est la cuisson à feu doux, le mieux c'est un bain-marie - la terre cuite du tarasson est idéale - pour que les blocs de caillé se détachent. Flottent dans le petit lait. Quand l'opération est terminée on place le tarasson soit dans un lieu très frais ou dans un réfrigérateur. Attention, ne glacez pas les caillebottes !
Pour les manger, plusieurs manières : soit tels quels, soit on peut remplacer le petit lait par du lait : la tante Valentine y mettait du lait à qui on avait ôté la peau (ceux qui ne comprennent pas n'ont qu'a faire bouillir du lait cru entier et y verront ce qu'est la peau du lait) c'est plus léger.
Reste une dernière option : sucrer ou non vos caillebottes, ça c'est à votre goût. Comme vous l'avez compris c'est un dessert et, désolé pour mes amis les adorateurs du nectar divin, dans mon souvenir en culotte courte, avec les caillebottes on ne buvait rien, sauf un coup d'eau fraîche qui venait tout droit du puits (à ce propos, je vous signale, que pour rafraîchir les caillebottes on pouvait les descendre dans un seau au fond du puits).
Le concours est donc ouvert aux spécialistes, forts nombreux sur les blogs de vin, qui s'échinent sur les accords mets-vin : que conseillez-vous sur les caillebottes ? A vos souris maîtres des chais, tirez-nous de ce mauvais pas. Pour toutes les ménagères de moins et de plus de 35 ans, soyez caillebottes, je vous assure ça fera très tendance auprès de vos copines et de vos copains dans un pti dîner entre amis.
Bon appétit !