Lorsque nous partîmes en Corse sur un ferry de la SNCM, le Pascal Paoli je crois, notre nouveau président, en guise de retraite postélectorale, voguait sur les mêmes eaux sur le yacht d’un de ses amis. L’équipage raillait sur la séquence : sauterie au Fouquet’s, nuit dans un palace des Champs, croisière au soleil, en concentrant ses lazzis sur les atermoiements de l’épouse. Celle qui avait volé la place de la fille du pharmacien de Vico en quittant le lit de Jacques Martin en prenait pour son grade dans le plus pur style macho méditerranéen. Son plus grand crime, hormis la répudiation de l’enfant du pays, était d’avoir snobé le « peuple corse ». La solidarité masculine jouait à plein, l’escapade newyorkaise, la photo de Paris-Match, le retour triomphant, l’abstention au deuxième tour, conférait au nouveau locataire de l’Elysée une auréole de martyr victime de la traîtrise des femmes modernes. La mère, pivot inamovible, roc indestructible, noyau dur de la cellule familiale, ne pouvait se comporter comme un mec, s’afficher, afficher sa liberté, prendre son homme en otage, l’humilier, le mener par le bout du nez. Insupportable outrage que, tôt ou tard, elle allait payer cash. Au bar, où je m’enfilais des bières, ma gueule d’ancien flic dévoyé devait leur inspirer confiance car très vite ils m’associèrent à leur entreprise de démolition. Bien évidemment, je ne privais pas du plaisir d’apporter de l’eau à leur moulin en leur distillant des infos de première main. Mes bons vieux réseaux chez les fouilles-merde, même pendant ma période de réclusion pour cause d’écriture, via les nouveaux tuyaux de l’Internet, m’alimentaient en rumeurs plus vérolées les unes que les autres. Mon auditoire, scotché, se délectait de mes révélations faisandées.
Cette courte traversée prenait vraiment l’allure d’une césure, d’un sas de décompression. Les 12 années du palefrenier gominé de la Corrèze, ultime rejeton dévoyé de la maison aux variations en R, cette République révérée par les piliers du SAC, les porteurs du toast fameux : « à nos femmes, à nos chevaux et à ceux qui les montent… » m’avaient dégoûté de la politique. Il faut dire que la fin des années Mitterrand, putrides, préfiguraient l’embourbement de notre vieux pays. L’irruption sur le devant de la scène de deux vraies bêtes de scènes relookées en chevau-légers, paradoxalement, me réinsufflait l’envie. Ils semblaient vivants. Je n’étais pas dupe mais je voulais y croire. Les arcanes de la rue de Solferino ne recélaient pour moi aucun secret. Ancien « Transcourant », sans être homme d’appareil, je décryptais sans peine la nébuleuse du Premier Secrétaire. Sa compagne, toute en angles, si peu amène, coincée, qui avait entamée sa mue lors de son irruption dans Paris-Match pour exhiber son accouchement, m’intriguait. La nouveauté c’est qu’elle faisait fantasmer les mecs. En dépit de sa démarche de dinde, de sa voie de crécelle, sa nouvelle allure de vierge effarouchée la propulsait au zénith des sondages. Méfiant, la sachant avide de reconnaissance, je m’étais replongé dans la marmite socialiste. Le plus chaud lapin des éléphants, l’inconnu de Yasmina Reza, inquiet de l’envolée de la gazelle, un jour de grande déprime, autour d’un verre, me confiait : « le cul est son point faible, elle n’a jamais connu les feux de l’amour et les désordres de l’extase. Elle va faire le hold-up parfait en jouant les madones et nous conduire au trou lorsque, poussé dans ses derniers retranchements, elle montrera son vrai visage… »
L’ambiance délétère me plaisait assez mais ce qui me fit lâcher prise fut une rencontre inopinée, chez Thoumieux, un soir, de la fine fleur de la garde rapprochée de la candidate. Je retrouvais de vieux amis. Nous devisions gaiement en picolant sans aucune espèce de modération lorsque déboula, flanqué de jeunes porte-flingues, une vieille raclure de socalio-sectaire, une caricature du molletisme, homme de tous les râteliers. Parmi nous, au milieu de nous devrais-je écrire, un sémillant homme de pouvoir attirait son regard. Il fondait sur lui tel un taon sur la rondelle humide d’une jument, en piqué, nous ignorant comme si nous n’étions que des étrons desséchés. Confus, pitoyable, excité, il déversa sa bouillie pour chat comme du vomi, émaillant ses propos d’étranges considérations sur ce qu’il qualifiait de désordre créatif, forme d’interactivité régénératrice de la démocratie directe, énumérant, pour convaincre son interlocuteur, la liste des experts qui travaillaient avec lui. Dans le lot, deux noms me plongèrent dans l’affliction. Pas eux, pas ce bouffi d’orgueil, champion du monde des rubans à la boutonnière, gras et rougissant, pétochard et lécheur de cul ; pas elle, une adepte de la méchanceté gratuite, moche et sèche, pointue, vipérine, version française des punaises grises de la Stasi. J’exagère un peu, mon taux d’alcoolémie aidant, las d’entendre le déluge d’insanités de celui qui se voyait déjà rouler carrosse de Ministre, à haute voix, je le frappais au-dessous de la ceinture. Quelques mots sur la charmante et nouvelle compagne du premier secrétaire stoppaient net sa diarrhée verbale. S’il avait pu m’étrangler de ses blanches mains de technocrate, sans hésitation il l’aurait fait. Amicalement je lui rivais le clou en ajoutant « si ça te chante camarade je peux te faire une copie de la note blanche qui circule… »