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5 août 2017 6 05 /08 /août /2017 06:00
L’agromafia en Italie : le trésor de la came rouge

Le procureur de Rome Giuseppe Pignatone, dans la préface d’un livre, estimait :

 

« Désormais, les organisations mafieuses cherchent à éviter les actes violents et éclatants, conscientes que ceux-ci alarment l’opinion publique et attirent l’attention de la police et de la magistrature. Mieux vaut recourir à la corruption, qui n’est pas en elle-même révélatrice d’une présence mafieuse mais qui, cependant, favorise le mélange entre le monde mafieux et ‘l’autre’ monde” »

 

Démonstration comme l’écrit le POINT :

 

Le marché de la sauce tomate et du concentré de tomates représente-t-il un nouvel eldorado pour les mafias du monde entier ?

 

« Dans son livre L'Empire de l'or rouge : enquête mondiale sur la tomate d'industrie, aux éditions Fayard, le journaliste du Parisien Jean-Baptiste Malet lève un coin du voile sur ce juteux commerce. Au terme d'une enquête de deux ans et demie tout autour du monde, le constat de l'auteur est clair : « La tomate d'industrie est un produit de marchandise de prédilection des mafias. »

 

Jean-Baptiste Malet, après avoir enquêté sur les pratiques d'Amazon, a notamment exploré l'Italie, grand fournisseur de tomates, mais aussi de sauces, concentrés ou tomates pelées. Dans son livre, il révèle qu'une grande partie des tomates qui sont utilisées dans ces sauces « fabriquées en Italie » proviennent d'autres pays. C'est l'assemblage seul qui est réalisé dans la péninsule et suffit à revendiquer une fabrication locale. Les tomates utilisées sont notamment originaires de Chine, 2e producteur mondial de tomates d'industrie. Des « hybrides, [qui] poussent sous la terre et ont la peau plus épaisse » et sont souvent ramassées par des enfants et des adolescents.

 

« Tomato business »

 

Mais même les tomates italiennes ne sont pas toutes blanches puisque Jean-Baptiste Malet relève que la « quasi-totalité des Africains, Bulgares et Roumains qui travaillent dans les récoltes, notamment dans la province de Foggia (Pouilles), ne sont pas déclarés ». Le « tomato business » et ses faux étiquetages bien moins sévèrement punis par la loi que le trafic de drogue permettent aux mafias de prospérer et de blanchir de l'argent, relève l'auteur. Il estime que leur chiffre d'affaires dans ce secteur est de « 15,4 milliards d'euros en 2014 ». « Il n'a jamais été aussi facile pour les entreprises criminelles de faire fructifier des capitaux sales. » Pour lui, « la criminalité dans l'agroalimentaire a pris une telle ampleur en Italie que les institutions la désignent sous le terme d'agromafia ».

 

 

 

Un livre à lire absolument pour comprendre la mondialisation et mesurer l’extrême difficulté pour la détricoter. Il confirme aussi le rôle pervers, des prix plus bas que bas de la Grande distribution, dans la paupérisation des producteurs agricoles.

 

Lire « Enquête mondiale sur la tomate d’industrie », révélations sur un produit phare

 

ICI 

 

Lire Comment la tomate d'industrie est devenue le symbole des dérives de la mondialisation

Par Eugénie Bastié

 

ICI 

 

 

« En Italie, la criminalité dans le secteur agro-alimentaire a pris une telle ampleur que les institutions de la Péninsule la désigne d’un néologisme : agromafia. Avec la saturation des activités « traditionnelles » des mafias et sous l’effet du ralentissement économique engendré par la crise de 2008, les affaires d’agromafia n’ont cessé de se multiplier depuis une dizaine d’années. La Direction nationale antimafia a estimé le chiffre d’affaires des activités mafieuses dabs l’agriculture italienne à 12,5 milliards d’euros pour l’année 2011, soit 5,6% du produit annuel de la criminalité en Italie. Un chiffre passé à 15,4 milliards d’euros en 2014. La même année, à titre de comparaison, le groupe Danone réalisait un chiffre d’affaires de 21,14 milliards d’euros.

 

Les boss sont désormais présents dans toutes les branches de l’agrobusiness italien. De la mozzarelle à la charcuterie, aucun produit typiquement italien n’échappe à l’influence des clans. La fluidité de la circulation des marchandises propre à la mondialisation, le prestige dont jouissent les produits « Made in Italy », les mutations structurelles propres à l’agrobusiness ont largement contribué à l’essor de l’agromafia. De la Commission parlementaire antimafia aux syndicats italiens, tous soulignent et s’inquiètent de l’influence croissante de la criminalité organisée dans l’industrie agro-alimentaire.

 

La logique est simple. Les capitaux accumulés résultant des activités criminelles sur des territoires contrôlés par la Camorra (Campanie), Cosa Nostra (Sicile), la ’Ndrangheta (Calabre) ou la sacra Corona Unita (Pouilles) ont besoin de débouchés dans l’économie « blanche », afin de circuler, d’atteindre de nouveaux territoires, de générer de nouveaux profits. Quoi de plus banal, pour recycler de l’argent sale, que de belles bouteilles d’huile d’olive ou de jolies boîtes de conserve de tomates « Made in Italy » ? Ces deux produits emblématiques sont devenus des marchandises de prédilection des mafias. Une fois les investissements réalisés et l’entreprise agro-mafieuse opérationnelle, la firme se connecte à l’économie « légale » : l’entreprise devient alors un acteur (presque) comme un autre du marché. Ses marchandises empruntent les canaux de l’économie mondialisée. L’entreprise agro-mafieuse se développe, elle investit comme toute entreprise, parfois elle rachète des marques prestigieuses. Elle s’allie à d’autres sociétés, ou peut compter sur des acteurs économiques connivents. Par exemple des pizzerias à l’apparence banale pour leurs clients, mais qui sont en réalité d’autres sociétés détenues par la même organisation criminelle ou liées à elle, et qui quel que soit le prix pratiqué, se fournissent en sauce tomate, en huile, en farine ou en mozzarelle auprès de l’industrie agro-mafieuse. In fine, de la pizzeria à la sandwicherie, des rayonnages de la grande distribution aux étals des marchés africains, les produits agro-mafieux parviennent jusqu’aux assiettes des consommateurs du monde entier. Selon un rapport réalisé par le principal syndicat de producteurs italiens, la Coldiretti, en collaboration avec le think tank Eurispes, cinq mille restaurants italiens seraient liés à des groupes mafieux.

 

Il fait bien longtemps que les mafias ne se contentent plus du simple trafic de drogue, du racket ou de l’usure. L’entrepreneuriat criminel italien maîtrise aujourd’hui les circuits de l’agro-alimentaire globalisé, produit des marchandises et approvisionne le marché global. Les risques courus par les criminels sévissant dans le secteur agro-alimentaire sont bien moins élevés que dans d’autres types de trafics, comme celui de la drogue par exemple. Pour la criminalité organisée, un faux étiquetage de conserves de tomates ou de bouteilles d’huile d’olive peut rapporter autant qu’un trafic de cocaïne. Mais, si le réseau tombe, les peines seront beaucoup moins lourdes. 

 

Le résultat ?

 

Lorsque les juges italiens antimafias confisquent des biens aux clans, 23 % sont des terres agricoles. Sur un total de 12 181 biens immobiliers confisqués aux mafias en 2013, la Coldiretti a souligné que 2 919 étaient des terres agricoles.

 

Dans un contexte économique où les produits alimentaire vendus cher dans les supermarchés ne profitent plus aux producteurs qui gagnent toujours moins d’argent sur leurs récoltes et où les intermédiaires gagnent toujours plus, il suffit aux membres des mafias italiennes de contrôler des secteurs clés d’une filière, comme ceux de la transformation et du conditionnement, pour pouvoir blanchir des capitaux considérables, à une cadence industrielle.

 

La grande distribution cherche des prix bas ?

 

Qu’à cela ne tienne ! Les clans, dissimulés derrière les façades d’entreprises parfaitement insérées dans le secteur, ayant les codes des industriels, peuvent lui en faire, et ils seront imbattables ! Il suffit à la criminalité organisée de sous-évaluer légèrement le prix de revient d’un produit pour blanchir (très) avantageusement de l’argent sale ; et tous les moyens lui sont permis pour atteindre ce prix idéal, qui permet de céder des volumes importants à un acheteur : exploiter une main-d’œuvre dans l’illégalité ou contrefaire le produit. Les marchés seront raflés et l’acteur mafieux pourra faire tourner ses usines pour générer de l’activité économique. En contrôlant les maillons clés de la production, en vendant des marchandises à des prix extrêmement bas, en trichant sur le droit du travail, la fiscalité, les étiquetages ou les appellations, les clans parviennent à brasser des millions d’euros… et certaines enseignes de la grande distribution finissent par proposer à leurs clients des prix fracassants. »

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31 juillet 2017 1 31 /07 /juillet /2017 06:00
« L’existence même de Fauchon est un scandale ! » lançait Sartre au micro de RTL, en mai 1970.

Mais que font les insoumis du Jean-Luc ?

 

Ils se font chier sous les ors du Palais Bourbon pendant que Garrido bosse pour l’oligarque breton, Bolloré.

 

Allons, allons, camarade Ruffin après Merci Patron refais-nous le coup de Fauchon !

 

C’était en mai 70, deux ans après…

 

C’était après que le grand Charles nous eut quitté pour retourner à Colombey.

 

C’était un temps que les jeunes ne peuvent pas connaître, la nuit des temps !

 

C’était après l’attaque de Fauchon par un commando d’une cinquantaine de gus, armés de barre de fer, dirigé par un responsable de la Gauche Prolétarienne répondant au pseudo suggestif de Tarzan. Du pur Sartre, ce cher Jean-Paul, toujours aussi faux-cul, adorait les bons restaurants bourgeois et déjeunait tous les jours à la Coupole. Pierre Overney, qui sera assassiné par le gros bras du service de sécurité de la Régie Renault Tramoni aux portes de l’île Seguin, y participait.

 

Antoine de Gaudemar, futur complice de Serge July à Libération faisait le guet. Le 8 mai 1970 le commando va rafler champagne, caviar, truffes, saumon, marrons glacés tenant le personnel en respect sous la menace de leurs barres de fer puis tous s’enfuir par le métro, sauf Frédérique Delange, fille de haut-fonctionnaire, qui se fit rattraper par « un cuistot à toque et tablier blanc qui, armé d’une broche à gigot, les avait pris en chasse ».

 

Le 19 mai, la 24e cour correctionnelle de Paris la condamnait à 13 mois de prison ferme. En ce temps-là la justice était rapide et l’on ne badinait pas avec l’atteinte au « symbole de l’arrogance du fric ». Les « vivres » seront distribués dans les quartiers populaires par les militants de la GP.

 

La presse « bourgeoise de gauche », Le Nouvel Observateur et L’Express (celui de JJSS et de Françoise Giroud) prit fait et cause pour ces nouveaux « Robin des Bois ». À Jacques Foccart, l’homme du SAC, qui s’inquiète auprès de lui « l’opinion publique semble considérer avec indulgence l’histoire Fauchon. » le président Pompidou répond : « Pour Fauchon, c’est vrai, mais qui puis-je ? Même mon fils, ma belle-fille et une cousine avec qui j’en ai parlé trouvent ça sympathique et j’ai dû les rabrouer pour leur faire sentir que cette affaire était ridicule ».

 

Dans la Cause du Peuple les normaliens, un peu fâchés avec les tables de multiplication, s’en donnent à cœur joie « Nous ne sommes pas des voleurs, nous sommes des maoïstes. Salaire moyen d’un OS : 3,50 francs de l’heure. Un kilo de foie gras : 200 francs soit soixante heures de travail. Un kilo de cake : 18,50 francs, soit 6 heures de travail. Un kilo de marrons glacés : 49 francs, soit 8 heures de travail. Alors, qui sont les voleurs ? »

 

Par bonheur, notre champagne fut épargné mais notre bel Olivier de la Poste, que presque tout le monde a oublié, pourrait, en ces temps où le libéralisme pur et dur renaît dit-on sous Macron, s’y essayer car c’est tout à fait dans ses cordes.

 

 « Si vous voulez manger en hiver des fraises du Japon(sic), allez chez Fauchon ; si vous voulez douze prunes pour 80 francs, allez chez Fauchon ; si vous habitez l’Elysée et que vous voulez remplir votre Rolls Royce de victuailles, allez encore chez Fauchon ; si vous vous appelez Kossyguine et que vous voulez commander quarante bouteilles millésimées à l’année de votre naissance, allez toujours chez Fauchon… »

 

Bien sûr faudrait traduire tout ça en euros, remplacer Kossyguine par Poutine, tout comme les 40 bouteilles millésimées par le seul GCC béni de Dieu : le dig, ding, dong d’Hubert (avec un H !), mettre la Rolls au garage car elle devenue  trop cheap avec tous les nouveaux riches, pour ce qui est des fraises en hiver c’est d’une telle banalité qu’il vaudrait mieux plus en parler, quant aux prunes je laisse à Lio le soin de les chanter…

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30 juillet 2017 7 30 /07 /juillet /2017 06:00
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (12) Dans les pas de Roger Dion

L’approche qui convient à l’étude des genres bourguignons, est donc la chronologie qui permet de faire le partage entre les différentes « preuves » de leur qualité. Elle synthétise à chaque époque de l’histoire les éléments complexes d’une œnologie stable dans ses principes et perpétuellement mouvante dans son application. Elle cherche dans toute la mesure du possible à éviter l’anachronisme qui, de l’étude géologique à la notion de progrès, en passant par la collecte, soi-disant exhaustive, des « facteurs de qualité », ramène toute enquête rétrospective à l’œnologie contemporaine d’une région célèbre, considérée comme un aboutissement programmé d’avance, sans tenir compte de ce qu’elle fut autrefois et des procédés utilisés alors pour produire le « bon vin ».

 

Une étude attentive fondée sur les archives et complétée par les observations in situ faites au vignoble permet heureusement de faire le distinguo entre les données stables du milieu naturel et les apports historiques d’une œnologie, qui est avant tout un savoir-faire artisanal, c’est-à-dire lié à des décisions humaines, comme Roger Dion l’a démontré de manière éclatante.

 

La tension vers l’excellence, propre à toutes les viticultures fines, a trouvé en Bourgogne une de ses expressions les plus achevées. Il n’existe pas d’autre vignoble au monde dont le parcours ait été à ce point rectiligne pendant une période aussi longue. La place exceptionnelle du vignoble de la côte bourguignonne dans le monde du vin, n’est pas due à une prédisposition naturelle qu’aucune référence scientifique n’a réussi à mettre en valeur de manière convaincante, mais à l’œnologie qui y fut pratiquée. Elle est la traduction en termes techniques d’un effort collectif immense et constamment renouvelé en dépit de difficultés de tous ordres. Certes, les dispositions du sol, de la pente et du climat sont ici favorables, mais l’œnologie est l’œuvre du vigneron, et c’est lui seul qui fut le créateur de cet espace viticole hors du commun dont il a maintenu intacte, aujourd’hui encore, la capacité à produire de bons vins. Nous le verrons à l’œuvre, au cours de la « longue durée » historique, maîtrisant les techniques complexes mises à sa disposition, inventant les nouveaux genres nécessaires à sa survie commerciale, face à la concurrence d’autres provenances, relevant les ruines du vignoble après les tempêtes, les pestes végétales et les désordres de l’histoire, saisissant aussi toutes les occasions de vanter les mérites des vins de son terroir, tout en cherchant à gagner l’appui des puissants qui en étaient les consommateurs enthousiastes, et donc des protecteurs naturels en même temps que les principaux propriétaires. Cette œnologie, gérée avec succès pendant des siècles, fut, comme on dirait aujourd’hui « réactive ». Elle ne fut jamais immobilisée dans l’inaccessible et coûteuse perfection des méthodes archaïques figées, et trop coûteuses. Elle fut modifiée et l’est encore aujourd’hui par de multiples influences, souvent extérieurs au monde du vin, qui l’ont contrainte à de constantes remises en question. La Côte bourguignonne fut le lieu où certaines des « révolutions œnologiques » majeures ont tissé l’histoire du grand vin et l’ont orienté vers des voies nouvelles par la diversification des genres offerts à la consommation. C’est au XIIe siècle, par exemple, que fut créé le vin vermeil, et au XIXe siècle que fut élaboré définitivement le grand cru issu du chardonnay, aujourd’hui référence absolue des meilleurs vins blancs du monde.

 

La modification de ces genres successifs peut être suivie à travers le temps et l’espace, grâce à une documentation fiable qui atteste la présence des vins de la Côte dans toute l’Europe. Quant à l’étude proprement œnologique des vins du passé, elle est rendue possible, par la constance des grands principes qui la gouvernent, et servent de fondement à un jugement sur la qualité, rétrospectif certes, mais dûment motivé. La Bataille des vins par exemple mentionne en termes élogieux les vins blancs de Beaune, présents à la cour de Philippe Auguste. Presque au même moment, Guillaume Le Breton signale les débuts d’un vin rouge originaire lui aussi de Beaune, et lui aussi très apprécié. Les « cuveries » qui furent édifiées à Chenôve et à Vougeot pour élaborer le vin vermeil, furent donc conçues pour produire un genre qui n’existait pas auparavant. Dans quelles circonstances ? À quelle date exacte ? Et selon quelles méthodes a pu s’édifier cette œnologie nouvelle ? Est-elle conforme à l’idéal de qualité défendu en Bourgogne depuis l’époque romaine ? Etc. Un fil conducteur relie donc entre elles des informations en apparence déconnectées les unes des autres. Elles doivent être jugées à l’aune d’une orthodoxie œnologique dont on sait qu’elle s’est imposée à toutes les époques de l’histoire du vignoble.

 

L’étude des liens de causalité et d’imitation qui les relient, font partie du champ d’investigation de l’œnologie historique car le « trésor des bons usages » est commun à tous les vignobles fins du monde entier. Il remonte à l’Orient ancien et fut adopté ensuite par la Grèce, puis transmis à tous les territoires conquis par Rome. Le tout nouveau vignoble gaulois n’était évidemment pas capable de mettre sur pied, en quelques décennies, l’édifice prodigieusement complexe de la qualité œnologique. Il a bien fallu qu’il emprunte à Rome des principes généraux qui, correctement appliqués, ont conduit au bon vin. Cette démarche signifie l’invention de genres nouveaux, adaptés à un climat plus froid, issu des cépages fins trouvés sur place te vinifiés selon des méthodes originales, mais qui devaient aussi se conformer à un corps de doctrine qui remontait aux premières civilisations du Proche-Orient.

 

L’histoire des vignobles fins démontre que l’impulsion initiale en faveur de la qualité est la condition sine qua non de la réussite. Les paramètres qui sont nécessaires à son apparition doivent être mis en place dès le point de départ par le vigneron. Sa responsabilité première est de les maintenir durablement en bon état de marche s’il veut produire un bon vin et recueillir ainsi les fruits de cette prestigieuse et difficile tentative. La qualité, fondée sur le « trésor des bons usages », puis obstinément défendue et adaptée à des circonstances changeantes, dépend de l’adaptation réussie d’une œnologie réfléchie et volontariste aux conditions locales. Elle fut le meilleur viatique pour résister aux ferments d la décadence qui, au cours d’une longue histoire, ont menacé le vignoble bourguignon. La « continuité œnologique » observée depuis les commencements, est donc une hypothèse solide qui permet de suivre sans trop de risques d’erreur une chronologie qui met en exergue l’exceptionnelle obstination des vignerons de la côte bourguignonne à persévérer sur les chemins de la qualité.

 

Il nous faudra élucider le mieux possible les « faits de nature », tout comme les « faits de culture », qui ont permis cette transposition, réussie et durable, d’un idéal de qualité qui fut d’abord importé d’Italie, car la volonté de créer et de maintenir un vignoble din, est le fil d’Ariane de l’œnologie historique. Quand elle existe, ferme, décidée et efficace, de « bons vins » sont produits, fût-ce en faible quantité, pendant une longue période, estimés par un public de consommateurs avertis et toujours exportés au loin. C’est donc la « continuité œnologique » telle qu’elle apparaît au cours d’une étude historique aussi soigneuse que possible, qui a modelé le paysage viticole de la Côte, à la fois immuable et divers et surtout si étroit, qu’il peut être parcouru en quelques heures.

 

Le succès d’une synthèse convaincante des facteurs de la qualité est d’une extrême difficulté, tant les divers éléments qui la composent sont hétérogènes, parfois contradictoires et en tout cas impossibles à recenser tous, tant ils sont nombreux. Nous nous limiterons donc à l’étude de l’œnologie propre à la seule Côte bourguignonne, dont nous essaierons avec quelque témérité, d’embrasser la « longue durée » historique depuis l’époque romaine. Nous mettrons ainsi nos pas dans ceux de Roger Dion, qui a voulu, par une étude approfondie, écarter l’hypothèse « naturaliste » de la naissance de la qualité, provoquée par les seules dispositions du sol et du sous-sol. Nous essaierons aussi, grâce à la mie au jour de particularités œnologiques trop souvent dédaignées, de formuler un certain nombre d’hypothèses, qui expliquent la pérennité d’une pratique œnologique, située sans défaillance au plus haut niveau depuis vingt siècles.

 

Roger Dion a clairement indiqué en une formule frappante, où devrait se situer le point d’aboutissement des recherches, qui tiennent compte à la fois de l’œnologie, des conditions naturelles et du déroulement de l’histoire. C’est en conclusion d’une étude intitulée Querelle des anciens et des modernes sur les facteurs de la qualité du vin, qu’il remarque que beaucoup de spécialistes du passé, tel Olivier de Serres, ont sur ce sujet capital des vues beaucoup plus nuancées que les modernes, dont l’horizon se limite aux seules conditions préalables, appelées « naturelles ». Il conclut sa démonstration par un paragraphe que nous citons intégralement : « Les œuvres humaines qui tirent leur substance du sol même où elles sont implantées paraissent en être, à la longue, de naturelles excroissances. Il en est ainsi de nos vieux et nobles vignobles, si intimement et harmonieusement associés au terrain qui les porte qu’ils semblent s’y être formés d’eux-mêmes, comme par l’effet d’une génération spontanée. De là vient peut-être que les explications naturalistes, depuis un siècle, aient été si généralement acceptées. Le crédit qu’elles ont trouvé est l’un des signes de la parfaite et très ancienne réussite de la viticulture française. Le spectacle de la création d’un vignoble de qualité en terrain neuf est devenu chez nous, depuis longtemps déjà, chose si rare, que nos contemporains e se représentent plus ce qu’il faut de labeur et d’ingéniosité, en pareille entreprise, pour contraindre la nature à donner ce que jamais, d’elle-même, elle n’eût offert à l’homme. »

 

Un travail d’enquête approfondi pour rechercher les véritables causes de la qualité n’est-il pas nécessaire, soixante ans après l’article de Roger Dion qui date de 1952 ? Car nul ne peut nier aujourd’hui l’essor inouï de la production des vins fins dans le monde entier. Dès lors le « spectacle si rare » de la création d’un vignoble de qualité n’est plus enfermé dans un passé légendaire, mais devient une réalité palpable que des millions de visiteurs, bientôt devenus consommateurs, peuvent découvrir sur place. Les créateurs de cette forme renouvelée d’économie viticole fine, ont d’ores et déjà détruit le monopole des grandes régions viticoles françaises. N’est-il pas urgent, pour ceux qui les défendent, de retracer de manière convaincante les circonstances de leur ancienne suprématie, afin de la justifier par d’autres arguments que l’agencement minéral de quelques tas de cailloux, opportunément disposés au bon endroit ?

 

Comme le démontrent les succès de certains vignobles français et européens et des pays du nouveau monde, le perfectionnisme œnologique est la clé qui ouvre l’accès au bon vin. Il s’appuie sur d’anciennes traditions, aussi bien que sur les procédés inventés à notre époque, qui prolongent de manière scientifique l’ingéniosité des vignerons d’autrefois. Il n’existe heureusement aucune chance que ce foisonnement inouï d’initiatives si souvent remarquables, oblige le vignoble mondial à produire un type unique de « vin technologique » au goût standardisé. Nous plaidons énergiquement pour que ce fantasme, pur produit de l’imagination de commentateurs « passéistes », ne succède pas aujourd’hui aux thèses « naturalistes », si brillamment contestées par Roger Dion au siècle dernier.

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29 juillet 2017 6 29 /07 /juillet /2017 06:00
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (11) les illusions de « la cavalcade du grand vin »

Une certaine vision de l’histoire du vignoble a depuis longtemps pris racine en Bourgogne. Elle se singularise par un panégyrique répétitif à la gloire des grands vins de la Côte. Selon cette conception, l’analyse des causes de la qualité conduit automatiquement à l’accumulation de bonnes notes décernées rétrospectivement par l’historien au « terroir du grand vin, décliné en ses divers grands crus. Pour faire court, nous appellerons « cavalcade du grand vin » le récit coloré de sa destinée historique, telle qu’elle est perçue en Bourgogne par les divers protagonistes qui participent à sa promotion et lui manifestent, sans aucune réserve, une admiration indéfectible.

 

Les récits consacrés à la gloire des grands crus n’admettent en conséquence aucun faux pas dans un parcours de près de vingt siècles. Ils n’ont que faire de la recherche des paramètres œnologiques d’une qualité, présumée absolue et définitive. Selon eux, la supériorité de nos grands vins s’impose toujours et en tout lieu. Il est donc sacrilège de la soumettre au moindre questionnement. La Côte apparaît alors comme une sorte de mine d’or, dont a su à toute époque exploiter avec succès l’inépuisable filon. Le bruit de fond qui accompagne cette présentation simpliste est le cuivre des trompettes de la renommée, embouchées par tout ce que la Bourgogne compte de propagandistes convaincus et acharnés. Cette « réclame », comme on disait autrefois, ne s’embarrasse pas de nuances et inspire aujourd’hui encore nombre d’auteurs, dont l’unique ambition est d’entretenir une sorte d’exaltation collective. Cette appréciation sans doute excessive de la qualité des vins de la Côte, prête parfois à sourire, bien qu’elle soit fondée sur des informations historiques parfaitement exactes, soigneusement choisies et mises en valeur.

 

La critique qu’on peut adresser à cette conception exaltée d’une qualité « historique », ne porte pas sur l’insuffisance de preuves qui existent, bien réelles et parfaitement convergentes, mais sur l’affirmation naïve d’une supériorité de principe accordée à nos vins, par un providentiel décret de la nature. Cette présentation est contraire à toute réalité, car seule l’œnologie, c’est-à-dire la mise en valeur patiente et obstinée du terroir bourguignon par des vignerons compétents et expérimentés, explique la qualité et donc le succès des vins de la Côte. Leur suprématie fut toujours contestée par les prétentions concurrentes d’autres genres, qui lui ont de tout temps disputé le champ étroit de la notoriété suprême. Elle fut aussi menacée par les faiblesses d’une pratique œnologique qui n’a pu constamment se situer au plus haut niveau, car l’œnologie est œuvre humaine et ne peut manquer d’être entachée d’erreur, ce qui veut dire que certains vins ne furent pas à la hauteur de la réputation européenne des vins de Bourgogne.

 

La faveur accordée par de grands personnages aux crus d’un vignoble connu, était autrefois par définition le ressort qui permettait d’étendre leur notoriété et d’augmenter leur prix, comme plus tard pour le « vin de Nuys », remède miracle qui aurait permis la guérison de Louis XIV après l’opération de la fistule. L’usage du bourgogne en cette occasion exceptionnelle, imposait le respect et témoignait de la qualité hors du commun des vins consommés par ces personnages illustres, mais on ne peut résumer à ce seul trait l’activité viticole d’une province entière.

 

Attardons-nous un instant à l’épisode bien connu de la fourniture des vins de Bourgogne, à la cour papale d’Avignon au XIVe siècle. On ne s’est pas fait faute pendant des siècles, de réitérer les circonstances quasi légendaires d’envois successifs aux cardinaux de la Curie et au pape lui-même. Elles figurent en bonne place dans la « cavalcade du grand vin » à travers l’histoire et servent de preuve irréfutable pour établir la qualité des vins de la Côte. On pourrait croire que les preuves de cette exportation prestigieuse ont été exagérées au-delà de toute mesure. Il n’en est rien. L’historien Yves Renouard dans une étude très fouillée, a démonté le mécanisme de ces achats qui ont duré plusieurs décennies et justifient entièrement la prétention des vignerons bourguignons, d’avoir produit à l’époque « les meilleurs vins de la chrétienté ». Il est hors de doute qu’expédiés de Beaune par voie fluviale, ils étaient aptes à une bonne conservation, puisque, entreposés en Avignon, ils passaient de longs mois dans les caves pontificales avant d’être consommés. Cette réserve était gérée avec soin : cellériers attentifs, élimination des mauvais vins, achat des meilleurs crus choisis sur place par des émissaires compétents etc. Au moment où il fallut envisager le déménagement en direction de Rome, Pétrarque, sans doute par boutade, prétendit que les cardinaux de la curie voulaient retarder leur départ afin de préserver cet acquis œnologique. « C’est qu’en Italie il n’y a point de vin de Beaune et qu’ils ne croient pas pouvoir mener une vie heureuse sans cette liqueur ; ils regardent le vin comme un second climat et comme le nectar des dieux. »

 

Mais les conclusions d’Yves Renouard apportent des tempéraments à ce mythe d’une notoriété supérieure à toute autre. Dès leur retour en Italie la curie a cessé d’acheter des vins de Bourgogne et adopté à nouveau les vins liquoreux, qui faisaient à l’époque la gloire du vignoble italien. Le succès commercial des vins de la Côte dans les pays du Sud fut donc sans lendemain et aucun courant régulier d’exportation n’a confirmé plus tard cet exploit isolé du XIVe siècle. Car c’est le Nord, dans toutes ses composantes françaises et européennes qui fut toujours le marché principal des vins de Bourgogne. Fernand Braudel a défini par une observation de portée générale, une constante historique qui trouve ici sa parfaite illustration.

 

Qui plus est, l’orgueil bourguignon ne peut manquer d’être tempéré par la présence en Avignon du vin de Saint-Pourçain, qui eut, lui aussi, son heure de gloire au Moyen Âge avant d’être englouti par une décadence irrésistible, dans des circonstances mal élucidées. À l’égal des vins de Beaune et malgré un parcours par voie de terre immensément coûteux, le vin de Saint-Pourçain a participé, aux côtés de la Bourgogne, à l’approvisionnement des vins des caves pontificales. Son prix d’achat était égal à celui des vins de Beaune, ce qui signifie qu’à cette époque il surclassait lui aussi, les abondantes productions provençales dont le niveau de qualité n’était pas jugé suffisant, au goût des princes de l’Église. Ces remarques seraient évidemment sans porté aucune, si les vins de Beaune envoyés au pape, avaient été des tonneaux de vinaigre.

 

Une critique équilibrée des témoignages nous interdit donc de disqualifier le témoignage de Pétrarque, attesté par les documents comptables. Même si elle néglige certains faits, la rumeur propagée complaisamment par la « cavalcade » à propos de ces achats hors du commun n’est nullement contredite par la documentation. La thèse du « progrès » de l’œnologie qui les disqualifie se coupe donc de toute interprétation raisonnable du passé œnologique de la bonne Côte, en dédaignant ces témoignages qui, selon elle, ne prouvent rien. Cette éclatante notoriété n’est pas due à une mystérieuse prédestination mais aux efforts continus de dizaines de générations de vignerons de ce lointain passé.

 

L’histoire de l’œnologie bourguignonne est riche de tels faits dûment documentés. À l’instar des éphémérides médiévales, qui rendaient compte d’évènements importants, ils servent de « marqueurs » au service des vignobles les plus fameux. On sait que Georges Duby dans son célèbre ouvrage : Le Dimanche de Bouvines a mesuré l’importance « européenne » de la victoire de Philippe Auguste en collectionnant les mentions qui en ont fait état dans les chroniques contemporaines de l’évènement. Au vu des constantes mentions louant le bon vin d’autrefois, on supposera que les affirmations de la « cavalcade » ne sont pas infondées car ainsi une vision de la réalité qui ne peut être négligée. Complétées par d’autres documents, leur contribution à une connaissance de l’œnologie du passé doit être prise en considération.

 

Écrire l’histoire de l’œnologie bourguignonne est donc possible, à condition d’élargir le champ d’investigation au-delà des limites trop étroites de la monographie, puisqu’il faut introduire l’œnologie elle-même incarnée dans les genres successifs, produits au cours du temps par un vignoble célèbre. Quant à la « cavalcade du grand vin », si elle est trop sommaire et déterministe dans sa vision optimiste pour être adoptée telle quelle, elle demeure indispensable au « repérage » historique de son importance.

 

à suivre demain : Dans les pas de Roger Dion

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28 juillet 2017 5 28 /07 /juillet /2017 06:00
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (10) L’œnologie doit être d’abord l’étude historique d’un genre.

L’œnologue-historien ne peut se contenter de scruter la mosaïque indéchiffrable de crus innombrables et tous différents. Il doit connaître le mieux possible le parcours de la qualité d’un genre particulier, fuyant ainsi le mirage d’une histoire du grand cru « parcellisée » à l’infini. L’histoire des genres bourguignons successifs ne put être comprise par l’accumulation des études consacrées à ses principales dénominations, ni par l’analyse de la géologie du sol qui les porte.

 

On perçoit mieux la place prééminente qu’occupe l’œnologie dans la définition de la qualité, en élevant le débat au-dessus du cadastre viticole. Propre à la Bourgogne, elle repose donc sur une base très large, qui est à la fois celle d’un terroir particulier mais aussi des genres qui y furent élaborés. Des influences diverses, harmonieusement synthétisées, ont modelé une œnologie dont la supériorité est prouvée par d’innombrables documents historiques. Le grand vin est le couronnement de cette vaste entreprise, occasion rare et précieuse qui a trouvé ici, plus qu’ailleurs sans doute, son total accomplissement. La prééminence de ces meilleures réussites n’annule aucune des ressemblances qui existent entre le grand vin et d’autres crus moins hauts situés dans la hiérarchie. C’est grâce à la confrontation constante de leurs mérites respectifs que certains crus se situent à leur juste place dans la constellation des diverses composantes d’un même genre, dont ils occupent le sommet, mais ne détiennent jamais l’exclusivité.

 

Pour qui veut pénétrer le mystère des genres qui coexistent dans le vignoble, il est nécessaire d’utiliser toute la documentation disponible, actuellement dispersée dans divers secteurs de la connaissance. Car les critères de qualité qui permettent d’apprécier les vins d’autrefois existent bel et bien, malgré la disparition physique de ce témoin du passé qu’est le vin lui-même. L’œnologie est une technologie fondée sur des procédés artisanaux rigoureusement répertoriés et assemblés en une séquence d’évènements disposés en un ordre immuable. Cette particularité permet d’avancer certaines hypothèses sur les « révolutions œnologiques » du passé bourguignon.

 

La cohérence du parcours de la qualité étant une hypothèse rétrospective solidement établie, on peut présumer que les soins prodigués lors d’un épisode connu de l’histoire du vignoble l’ont été également en d’autres circonstances. Il n’est pas toujours possible de les connaître exactement par manque de documentation, mais on peut en présumer la vraisemblance. Il est en conséquence inexact d’attribuer à l’époque moderne le mérite de la création de l’œnologie, tant abondent les preuves de son ancienneté et de sa remarquable efficacité.

 

L’hypothèse moderniste, actuellement en vogue, se heurte donc à des faits bien établis, car aucun des procédés utilisés pour faire le bon vin n’était totalement ignoré quand les « princes des vignes » ont colonisé le Médoc, ni même quand les Romains ont introduit la vigne en Gaule. Des compétences très anciennes ont été constamment à l’œuvre, afin de transformer le choix des fondateurs en un succès exemplaire. La plupart des procédés préconisés par les meilleurs agronomes constituaient depuis toujours, le corpus de l’œnologie, bien connu des meilleurs vignerons quand en un lieu soigneusement choisi, ils décidaient de créer un vignoble fin.

 

L’œnologie ne peut donc être traitée comme un aspect « subliminal » de l’histoire du vignoble, savamment contournée par des études qui lui sont consacrées aujourd’hui et jamais abordée de front, faute d’intérêt et de compétence. Nous pensons au contraire que le secret de la qualité réside dans l’inventaire minutieux des procédés utilisés pour adapter les grands principes de l’œnologie au cas particulier d’un vignoble spécifique et donc des genres qu’il abrite dans son aire géographique. Nous sommes parfaitement conscients des insuffisances d’une enquête qui devrait embrasser une trop longue période de temps pour attribuer à chaque épisode de l’évolution œnologique la place qui lui revient. Cette vision trop large sera réduite dans cette étude à l’investigation des seuls genres élaborés dans la Côte bourguignonne au cours des âges. La description précise des « révolutions œnologiques » qui y furent pratiquées dissipera l’illusion trompeuse de la fixité d’un passé réduit à l’insignifiance d’une œnologie médiocre ou fautive. Nous pourrons ainsi resituer à l’œnologie historique bourguignonne, le dynamisme et la mobilité dont elle a fait preuve depuis l’époque lointaine de sa création.

 

à suivre demain : les illusions de « la cavalcade du grand vin »

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27 juillet 2017 4 27 /07 /juillet /2017 06:00
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (9) La compétition des genres est une constante de l’œnologie historique

La concurrence avec d’autres genres produits ailleurs oblige à étendre plus encore le champ d’investigation de l’œnologie historique. Tout le monde sait que la domination économique du vignoble bordelais exerce ses effets depuis l’époque moderne. Mais quelles sont les formes qu’a prises cette suprématie ?Peut-on substituer aux appréciations subjectives qui exaltent la « supériorité » des grands crus du Médoc, une mesure chiffrée qui établit effectivement les modalités de l’incontestable prééminence girondine ? Dans ce cas particulier, l’histoire quantitative apporte des réponses rarement prises en compte par les historiens du vignoble. Or des ouvrages généraux appuyés sur les statistiques fiables apparaissent dès le commencement du XVIIIe siècle, et dressent le tableau de l’importance relative des régions viticoles, qui est une part intégrante de l’œnologie historique. La tâche est évidemment beaucoup plus difficile pour les périodes plus anciennes, quoique des études fragmentaires permettent aujourd’hui d’entrevoir ce que fut le commerce d’exportation des vins de Bourgogne par voie de terre jusqu’aux « riches gens » des Flandres ou des abords du Rhin. Malgré les lacunes de la documentation, il est du ressort de l’œnologie historique, de déterminer la part exacte qui  revient au « vin de Beaune », zone viticole soigneusement délimitée, qui regroupait dès le XIVe siècle les paroisses de Pommard, « Vollenay », Savigny et Aloxe sous la tutelle des « courtiers gourmets » de Beaune. Nous ne pourrons évidemment pas inclure dans notre étude, les aspects chiffrés de l’économie vinicole à cette époque lointaine, mais il est relativement facile d’apprécier sa signification œnologique, car ces vins faisaient prime sur les marchés de l’Europe continentale, comme en témoignent de nombreux documents.

 

L’importance historique du vin de la Côte bourguignonne, ne peut être appréciée sans référence à l’extrême exiguïté des surfaces où il est produit. La culture du plant fin était autrefois une prouesse technique et l’œnologie qui y était pratiquée devait être sans faiblesse, sous peine de voir disparaître un marché d’exportation constitué à grand-peine. La relative prospérité de quelques centaines ou quelques milliers de familles vigneronnes, la richesse des villes de Beaune et de Dijon, voire la notoriété du duché de Bourgogne tout entier, étaient donc fondées pour partie sur la capacité du vignoble à produire « les meilleurs vins de la chrétienté », destinés à cette clientèle exigeante. Le parcours de la qualité fut, par conséquent, vigoureusement défendu contre les mauvaises pratiques. On dut réclamer en plusieurs occasions une intervention du pouvoir politique afin que soit sauvegardée la notoriété du vignoble, ce qui veut dire défendre son œnologie.

 

Quand, au XVIe siècle, l’insécurité générale due aux guerres de Religion, empêcha les acheteurs venus du nord, d’aller jusqu’à Beaune, l’économie de la Côte fut, selon Béguillet, gravement mise en danger. Les marchands, contraints de faire étape à Reims, suscitèrent un vif intérêt pour les vins de cette province dont le vignoble s’accrut en proportion de leurs achats. Encore un siècle, et bien avant l’invention du vin mousseux, apparurent les premiers signes de cette « dissidence champenoise » qui ébranla la Côte bourguignonne au XVIIe-XVIIIe siècles. On ne peut s’étonner que ces évènements historiques aient influencé la qualité des vins, objet de cette étude, et donc leur œnologie.

 

Quand, beaucoup plus tard, au XIXe siècle, s’effondra d’un seul coup « l’aire du pinot » dans la France du nord-est, on comprit que les courants économiques dominaient eux aussi l’œnologie du vin fin, puisque, dans une quinzaine de départements, le pinot noirien qui en est l’un des fondements avec ses élégances et ses subtilités, fut englouti par une décadence irrémédiable. En conséquence de ce naufrage, l’influence de l’œnologie « à la bourguignonne » s’effondra face à la puissance bordelaise. C’est à partir de ce moment que la « bonne Côte » cessa de régenter, comme elle l’avait fait si longtemps, l’néologie la plus raffinée, puisqu’un autre genre, celui du vin rouge de Bordeaux, était à son tour devenu majoritaire.

 

à suivre demain : L’œnologie doit être d’abord l’étude historique d’un genre.

 

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26 juillet 2017 3 26 /07 /juillet /2017 06:00
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (8) Les dangers de l’approche de la qualité par la monographie d’un cru unique.

Les monographies consacrées aux divers grands crus de Bourgogne, tout comme à ceux ce Bordeaux d’ailleurs, permettent rarement de percer les mystères que recèle une qualité dont la définition précise est insaisissable. Dans le souci de valoriser au mieux l’exceptionnelle rareté qu’est un vin parfait, les auteurs, en effet focalisent leur recherche  sur les aspects particuliers d’une œnologie locale, qui devrait en réalité être appréciée dans le cadre élargi d’un ensemble viticole beaucoup plus vaste qu’un simple cru, si prestigieux soit-il. Seul un genre défini par des caractéristiques œnologiques précises et pratiqué dans un vignoble étendu peut servir de cadre à une investigation œnologique pertinente.

 

Le « classement » des vins selon une échelle de qualité hiérarchique est toujours le signe de l’accomplissement d’un projet viticole d’envergure. Certains crus, pour diverses raisons qu’il n’est pas possible d’élucider parfaitement, parviennent alors à fixer dans l’esprit du public l’image ineffaçable de la perfection. Ils occupent cette place privilégiée par comparaison avec d’autres moins notoires, et occupent aussi le sommet de l’édifice de la qualité. Apparemment plus doués par la nature ou plus savamment mis en valeur, ils sont désignés par la vox populi comme absolument supérieurs à tous les autres.

 

Prenons, à propos de Château- Latour, l’énoncé des causes de la prééminence de ce grand cru. Y figurent toutes les supériorités irrésistibles du grand vin. Le terroir bien sûr (« S’agit-il de terroirs prédestinés ? On n’en peut douter ») ; une vinification parfaite (« l’expression N.F.C., New French Claret, apparaît en 1703. Elle indique bien qu’il s’agit d’une production nouvelle, différente de celle que constituaient les vins de Graves connus sous le nom de claret ») ; assurée de trouver son public (« les consommateurs les ont appréciés car elle dénote la pratique d’un style nouveau de relations sociales »). Nul ne s’étonnera donc que la qualité « soit au rendez-vous ». Les vins, en effet, sont désormais capables de vieillir (« le vin traité de cette manière nouvelle, est un produit nouveau, bien supérieur au « vin droit de goût honnête et marchand, jusque-là seul connu »). On utilisera dorénavant  des futs de chêne neufs, ce qui contribue à améliorer un processus de vinification désormais parfait, puisqu’on sait maintenant comment « élaborer » le vin. D’ailleurs à Bordeaux, « le sol freine les excès du climat ». Il est certain que l’art du chef de culture détermine le succès de la vendange : il doit utiliser le moins de fumure possible d’un sol maigre où le « cycle d’eau est parfait » et « le sous-sol de Graves exceptionnel ». Une conclusion s’impose : Latour fait partie des territoires élus et le « goût le plus fin » qui est celui de haut Médoc est un « privilège entier » où la « position de Latour est souveraine ».

 

La problématique propre au parcours du vin fin de ces vignobles, héritiers directs du « clairet » du Moyen Âge, et plus lointainement encore de la viticulture romaine, n’est cependant pas dévoilée par l’étude exhaustive qui documente savamment un enthousiasme tautologique, présent du début (« Latour est un cru exceptionnel ») à la fin (« tous les composants de l’œnologie de Latour sont eux aussi exceptionnels »). Seul un « déterminisme de la qualité » soigneusement mis en scène par les historiens bordelais permet de justifier a posteriori l’excellence de ce cru fameux, sans apporter beaucoup de lumière sur l’ensemble infiniment plus vaste auquel il appartient, ni sur les raisons  de la supériorité actuelle et passée du vin de Bordeaux. Cet étalage de supériorité préétablies, nécessaires à l’édification du grand vin ne tient aucun compte des hésitations, des remords, voire des faiblesses qui jalonnent l’histoire des genres bordelais et n’éclaire pas non plus sa genèse très ancienne ni les raisons de la pérennité depuis l’époque romaine. Rien n’est dit non plus des décadences partielles ou totales qui ont interrompu sa trajectoire à travers le temps, ni des mystérieuses raisons qui lui donnent la place qu’il occupe aujourd’hui au sommet de la viticulture nationale.

 

Il faut autre chose que la pseudo « révolution des boissons » intervenue au temps des Lumières, pour expliquer la modestie supposée de l’œnologie médiévale et pour comprendre pourquoi le vignoble bordelais, célèbre de tout temps pour l’excellence de ses vins, est jugé rétrospectivement incapable d’avoir réussi son « décollage » avant le XVIIIe siècle ! On peut en effet objecter à la thèse triomphaliste que, si avisés qu’aient été les successifs régisseurs du Château Latour, ils n’ont pas tout inventé d’une œnologie bordelaise qui existait depuis dix-huit siècles ! Concluons que faute de se référer à des vues générales portant sur le genre étendu auquel il appartient, l’œnologie historique en est réduite au traitement des aspects secondaires de la qualité. La monographie se réfugie en effet trop souvent dans des détails fastidieux d’une érudition inutile : arbre généalogique des propriétaires successifs, délimitation des surfaces « au mètre carré près », et bien sûr proclamation réitérée de l’excellence du sol et d’un sous-sol à nul autre pareil. Nous appliquerons à la Côte bourguignonne, e même refus de la conception à notre sens étriquée, qui veut fonder l’origine de la qualité par l’étude exhaustive d’un cru unique, censé résumer à lui seul l’excellence d’un vignoble étendu, estimé et célèbre depuis des siècles. C’est l’étude à travers le temps des genres successifs qui permettra d’avancer des explications générales aux évènements qui ont bouleversé à plusieurs reprises l’œnologie du grand vin et lui ont donné sa physionomie actuelle. L’étalage des supériorités natives d’un vignoble a d’autant moins de valeur explicative que d’autres terroirs sont, selon ces mêmes critères, également doués pour faire du bon vin, bien qu’ils aient été de tout temps négligés par les aménageurs du vignoble. Quant aux particularismes de leur œnologie, elle se révèle toujours être la propriété commune d’autres vignerons, qui ont puisé dans le « trésor des meilleurs usages » afin d’essayer de faire eux aussi de « bons vins ».

 

La mise au premier rang de la suprématie « naturelle » du grand cru, rend difficilement lisible la parcours historique de la qualité, car si les étapes successives nécessaires à son épanouissement sont toutes contenues dans ses aptitudes natives, il devrait s’être imposé au premier coup d’œil et par voie de conséquence, aurait dû « aimanter » les décisions du vigneron, afin qu’il tire parti de ces avantages hors du commun. Or pour reprendre l’exemple du Médoc, la colonisation de la vigne fine de ce canton rural en friche, est un évènement très récent qui ne remonte guère au-delà du XVIIe siècle. Château-Latour est donc demeuré ignoré jusque-là, et n’a imposé son excellence qu’à l’époque contemporaine. Le problème historique est donc de savoir pourquoi l’entrée en scène du Médoc a coïncidé avec la réussite inattendue d’efforts œnologiques jusque-là absents ou inefficaces.

 

Si nous risquons la comparaison avec le Chambertin, équivalent bourguignon de ce grand cru, nous constatons que la première mise en valeur de ce terroir bourguignon, lui aussi illustre, date du VIe siècle, mille deux cents ans avant la création du grand vin bordelais ! Le phénoménal décalage chronologique de l’accession à la qualité de ces deux crus célèbres, est une énigme que ne résout nullement la nomenclature de leurs supériorités natives. Elle oblige à faire appel à l’historien au moins autant qu’à l’œnologue, car il faut élucider les causes de cette fantastique diachronie entre deux régions viticoles d’égales ancienneté et réputation. Une étude sérieuse doit donc intégrer les particularismes œnologiques dans une vision d’ensemble de l’œnologie fine, qui fut déployée dans une certaine époque sur une aire déterminée. le grand vin bordelais en est sans aucun doute une des expressions les plus achevées, mais non la seule, puisqu’elle fut précédée par d’autres expériences qui, si elles ne trouvent pas d’écho auprès des thuriféraires d’un cru exceptionnel, n’en ont pas moins, elles aussi, de solides références historiques et œnologiques.

 

Par de multiples liens, le grand cru se rattache à un genre parfaitement défini œnologiquement, dont le cépage est un élément fondamental, au même titre que la géographie et d’autres composantes de sa nature complexe. Il exprime plus vigoureusement que tout autre espace viticole les qualités de l’œnologie dominante, mais ne prétend pas jouir d’une exclusivité totale dont seraient dépourvus d’autres cantons viticoles, limitrophes ou lointains qui s’inspirent des mêmes conceptions. Ce n’est pas un hasard di les historiens qui ont étudié Château-Latour, ne consacrent que quelques pages distraites à son encépagement, puisque la mise en culture de ce grand cru fut faite avec les variétés fines qui, depuis très longtemps, étaient reconnues à Bordeaux comme vecteurs de la qualité des meilleurs vins. Le problème crucial du cépage ayant été résolu depuis très longtemps en Guyenne, les Carmenets, qui furent cultivés à Latour furent considérés dès le point de départ comme un choix obligé et non comme un ajout aux supériorités natives d’un terroir exceptionnel. Partie intégrante de l’œnologie locale ils étaient déjà implantés partout où l’on voulait faire du bon vin.

 

L’hypothèse que nous défendrons, à l’appui de preuves que nous espérons convaincantes, est celle d’une qualité qui fut toujours « empruntée » au trésor immémorial de bons usages. Compte tenu des circonstances propres à un lieu et à une époque on retrouve toujours les mêmes « fondamentaux » dans l’œnologie du meilleur vin : taille courte d’un cépage fin, vinification soigneuse, absence d’oxydation, capacité de conservation, etc. La décision d’engager des travaux immenses que nécessite ce vaste programme dépend de l’ambition du vigneron Elle se manifeste de façon discontinue à travers le temps et l’espace, et n’est pas toujours couronnée de succès. Aussi s’expliquent l’alternance des périodes de progrès et de décadence qui rythment l’histoire du vignoble bourguignon comme de tout autre candidat à l’excellence œnologique.

 

Nous nous efforcerons dans la suite de cet ouvrage, d’étudier l’œnologie du passé sous ce double aspect, à la fois technique et historique car pour comprendre la signification des faits œnologiques, il faut prendre en compte toutes les étapes de l’interminable parcours de la qualité, afin de ne pas négliger la part qui revient à chacune dans le processus historique qui conduit au bon vin.

 

L’exaltation du grand vin considéré comme un genre à part entière, supérieur à tout autre, n’est pas plus convaincante que la croyance obstinée à la valeur déterminante du terroir. Cette conception conduit l’œnologie historique à des obstacles qu’elle ne peut franchir, car les preuves de la qualité suprême sont insaisissables de quelque manière qu’on cherche à les appréhender. Affirmer qu’existe, dans un inaccessible empyrée, un paradigme de la qualité dont la supériorité s’imposerait comme une évidence, ne permet pas de comprendre le cheminement du vin fin à travers l’histoire.

 

C’est à retracer cet itinéraire en ce lieu particulier qu’est la bonne Côte de Bourgogne, que nous voulons consacrer cette étude et nous ne chercherons pas à rajouter quelques pierres à l’édification imaginaire d’une qualité « souveraine » du garnd vin, plus fantasmée que réelle. La physionomie actuelle du vignoble français ne résulte pas d’un cheminement paisible et codifié, accordant sa juste place à toutes les pièces d’un gigantesque puzzle, dont le découpage inscrit dans le paysage depuis la nuit des temps, trouverait en un lieu et une époque, précisément délimités, leur aboutissement définitif. Pourquoi d’ailleurs cette conception d’une évolution programmée à l’avance serait-elle valable pour la seule histoire du vignoble, alors que toute forme de déterminisme est aujourd’hui récusée dans les autres domaines de la connaissance du passé ?

 

La vérité est que la Côte bourguignonne est soumise à d’autres influences que les « facteurs naturels du vin », arbitrairement « rangés en bataille » par ordre d’importance. C’est l’appartenance à un genre caractéristique qui imprime à toutes les composantes du vignoble un dynamisme général que le cadre étriqué de la monographie ne peut inclure dans ses étroites limites. Le déterminisme trompeur de la qualité qui inspire ces monuments d’une érudition très datée, s’efface dans la mesure où l’observateur prend comme objet de son étude une entité œnologique significative et non pas un espace clos et délimité comme l’est toujours le grand cru. Seule la prise en compte d’un genre saisi dans sa dimension spatiale et technique peut apporter un éclairage nouveau à l’histoire œnologique du vignoble.

 

à suivre demain : La compétition des genres est une constante de l’œnologie historique

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25 juillet 2017 2 25 /07 /juillet /2017 06:00
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (7) Les « facteurs » du vin de qualité

La genèse et l’itinéraire du grand cru exercent une fascination à laquelle l’historien de l’œnologie se doit de résister. La déclinaison complète des facteurs qui semblent l’expliquer ne permet nullement de résoudre le mystère de son apparition. L’harmonieuse  synthèse qui apparaît si convaincante, a posteriori, échappe en grande partie à l’analyse, si on en détaille les éléments constitutifs. Malgré tous les efforts le mystère du grand cru demeure donc inaccessible à force de complexité. Nous ne chercherons donc pas à en découvrir la cause première. Cette recherche est illusoire et vouée à un échec certain. D’ailleurs l’absence d’une théorie scientifique de l’œnologie n’a jamais été un obstacle à la réussite du grand vin. Certes le grand Pasteur a expliqué par l’action de « l’infiniment petit », les phénomènes de la fermentation, mais bien avant cette étape décisive de la connaissance on savait maîtriser le « bouillonnement » du moût, éviter tout contact avec l’air, maintenir à un bas niveau l’acidité volatile, clarifier les vins par soutirage, etc. tout en attribuant ces phénomènes à des causes décrites de façon fantaisiste et péremptoire. C’est pour cette raison que la « révolution pastorienne » n’a nullement bouleversé le « gouvernement » des vins qui demeure fondé sur des principes séculaires de la « bonne œnologie ».

 

Une pénétrante observation de Montaigne cerne admirablement le mystère d’une qualité enfouie au cœur de l’œnologie. « la connaissance des causes appartient seulement à celui qui a la conduite des choses… Ni le vin n’en est plus plaisant à celui qui en sait les facultés (capacité, aptitude, possibilité) premières. Au contraire !... Le déterminer et le savoir comme le donner, appartient à la régence et à la maîtrise… » Si nous suivons la proposition de Montaigne on admettra que les causes premières de la qualité échappent, non seulement au consommateur mais même à celui qui dispose de « régence et maîtrise », c’est-à-dire au vigneron lui-même. On se rapproche ainsi d’une appréciation raisonnable des limites de l’œnologie, qui doit se contenter de « faire » le mieux possible, faute de pouvoir comprendre ! Ces pratiques furent suivies avec efficacité pendant des siècles, car le vigneron disposait de la panoplie artisanale nécessaire à l’accomplissement de son projet. On pourrait les qualifier de « conservatoires œnologiques » à l’instar de ces « conservatoires de musique », lieux privilégiés où se transmettent en vase clos les meilleures traditions. Nous consacrerons de longs chapitres à ces techniques anciennes qui constituent le « trésor des bons usages », préservés par miracle à travers le temps. Leurs facettes sont multiples et ne concernent pas seulement la conduite de la vigne mais aussi les normes contraignantes et coûteuses qui conduisent au « vin fait ».

 

L’ensemble des pratiques que le vigneron doit observer impérativement est si complexe, que le risque existe toujours qu’il s’en perde en chemin. Les grands agronomes du passé en ont fixé par écrit les principales modalités, devenues le fondement de toute œnologie digne de ce nom. Mais comment ces préceptes artisanaux auraient-ils pu être explicités par le moyen de l’écrit alors que le savoir-faire du vigneron est, à la lettre, indescriptible, Les enseignements du parcours de la qualité, répertoriés par l’agronomie ancienne demeurent donc d’ordre général, mais s’insèrent dans un corps de doctrine solidement constitué, dont les grands auteurs ont voulu, malgré les difficultés, décrire les principales étapes. C’est ainsi qu’elles furent transmises aux générations suivantes. L’extrême stabilité des sites viticoles a permis qu’elles se cristallisent dans la Côte, selon des normes locales, qui furent inscrites dans ce qu’on pouvait appeler le « trésor des bons usages ».

 

« L’œnologie de la consommation » fait évidemment partie du parcours de la qualité, car aucun vignoble ne peut subsister très longtemps si ses vins ne sont pas acceptés tels quels par un nombre suffisant d’amateurs. On regrettera que les historiens fassent sur ce point la part belle à l’hypothèse, non prouvée, d’une sorte d’ »étrangeté » de la consommation d’autrefois et persistent à croire en des variations gustatives de grande ampleur à travers le temps. Selon cette thèse, on ne saurait aimer aujourd’hui les vins du passé sous prétexte de l’écart, supposé infranchissable, qui les sépare de ceux de notre époque. On affecte par exemple de croire que le mélange avec de l’eau était une règle absolue, car les consommateurs étaient incapables d’apprécier le vin pur. Le « profil » actuel du grand vin étant par la même une nouveauté autrefois rejetée parce qu’incompréhensible à l’amateur d’autrefois. Certes les variations de la mode orientent aujourd’hui comme hier les tendances de la consommation, mais on peut affirmer que bien avant le XIXe siècle on ne commettait aucune « erreur sur la marchandise », et qu’on ne confondait pas le bon vin avec le vinaigre et les vins de cru avec le vin commun.

 

Le géographe bordelais Enjalbert, à propos des choix des contemporains de la Renaissance, n’hésite pas à affirmer  que les vins de Bourgogne du XVIe siècle n’étaient rien d’autre que « d’honnêtes vins de comptoir, et ajoute : « Précisons toutefois qu’il s’agit seulement du « fruité » d’un vin nouveau, tel qu’un honnête Beaujolais peut nous en donner l’équivalent. » Cette thèse ne saurait se fonder sur des textes qui la contredisent tous de manière unanime en affirmant que certains vins du passé étaient excellents. Mais on disqualifie ces informations, pourtant incontestables et répétitives, afin de faire triompher le « topos » qu’est la médiocrité des vins du passé. L’œnologue historien affirme au contraire leur excellente  qualité en faisant état de la notoriété qu’ils avaient acquise auprès de consommateurs compétents et fiables.

 

Nous examinerons avec soin la véracité de leurs dires en admettant bien sûr que la variabilité des goûts à travers l’histoire est un fait établi. Mais quel est le point d’application de cette observation d’ordre général ? Signifie-t-elle que les vins étaient tous semblables par leur mauvaise qualité ? or le thème de la variabilité n’a aucune pertinence s’il est prouvé que les processus œnologiques fondamentaux qui conduisent au bon vin demeurent les mêmes à travers le temps. Le débat se présente alors de la manière suivante : un vin considéré unanimement comme « bon » autrefois –t-il été élaboré selon les normes strictes de la bonne vinification d’aujourd’hui ? Si tel est le cas, la présomption de ce que nous appelons le « continuité œnologique », c’est-à-dire la permanence des appréciations gustatives à travers le temps devient irrésistible. S’il est prouvé qu’u vin d’autrefois se référait aux normes contraignantes de l’œnologie de haut niveau pratiquée à notre époque, le dénigrement rétrospectif de sa qualité devient en effet impossible.

 

Pourquoi, d’ailleurs dans ce domaine particulier qu’est l’œnologie, la civilisation médiévale aurait-elle été incapable de mener à son terme un parcours de qualité satisfaisant, elle qui a produit tant d’œuvres si parfaitement accomplies ? Engager une fructueuse controverse sur ce point capital suppose que les tenants de la thèse du « mauvais vin » du passé acceptent de la confronter avec l’abondante documentation disponible, car une condamnation de principe présentée comme évidente, ne peut tenir lieu d’argument.

 

Il est donc indispensable à l’œnologie historique de retracer les circonstances de la faveur dont jouissait autrefois le vin fin bourguignon, car il est contraire au bon sens  de la juger fortuite et infondée. Elle est due à l’agencement remarquable des principaux « facteurs de la qualité ». Dans un processus combinatoire impossible à démêler de manière satisfaisante, le terroir et le climat ont été associés à un savoir-faire très ancien et à d’autres impondérables, pour former un ensemble propice à l’apparition d’une œnologie de haut niveau qui, dûment réfléchie et pratiquée pendant des siècles, est la cause première de la qualité et de la notoriété des vins de Bourgogne. Ces diverses supériorités furent associées par le vigneron à la découverte, puis à la mise en culture d’un cépage miraculeux, d’origine locale, si parfaitement adapté à la viticulture fine, qu’il a « porté » à un haut niveau de qualité les vins produits dans l’étroit terroir de la Côte.

 

à suivre demain : Les dangers de l’approche de la qualité par la monographie d’un cru unique.

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24 juillet 2017 1 24 /07 /juillet /2017 06:00
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (6) La faiblesse économique de la Côte
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (6) La faiblesse économique de la Côte

Il serait présomptueux de dépeindre la Côte bourguignonne, comme la seule et unique source du grand vin des siècles passés. La confrontation commerciale avec d’autres vignobles et les querelles de suprématie qui en ont résulté, ont défrayé la chronique et laissé une impression durable dans l’esprit public. Dès les commencements, les vins de la Côte ont dû batailler pour s’imposer face à d’autres genres et ils n’ont jamais joui d’une exclusivité de principe sinon auprès de cercles étroits, ne serait-ce qu’en raison de la modicité des quantités mises sur le marché.

 

Quelle que soit l’époque à laquelle on se réfère, la menace de ces concurrences successives ou simultanées, face aux grands crus liquoreux, au vin de Champagne ou de Bordeaux, fait partie de l’histoire de l’œnologie bourguignonne. On peut même parler d’un échec relatif, car le vignoble ne s’est jamais étendu au-delà des limites géographiques actuelles et n’a jamais constitué une puissance économique. En Bourgogne même, l’espace dévolu aux vins fins est peu  étendu, d’autant moins qu’il est amoindri depuis des siècles par la vigne commune, qui dévora la Côte dijonnaise au XIXe siècle, et demeura, jusqu’à la catastrophe due au phylloxéra, largement majoritaire au pied des coteaux de la bonne Côte. De surcroît l’enclavement continental a toujours compliqué le transport du vin de Bourgogne vers les consommateurs du nord de l’Europe, seuls à ne pas cultiver la vigne. Le faible poids de la Bourgogne est évident, face au rival bordelais, puissamment implanté au bord de l’océan. La confrontation avec les vins de Guyenne, longtemps retardée par les difficultés du transport terrestre, tourna au désastre, quand au cours du XIXe siècle les obstacles séculaires à la circulation des marchandises furent enfin levés. C’est alors, à la seule exception de la Côte bourguignonne, la totalité de « l’aire pinot » implanté depuis des siècles dans le quart nord-est de la France, qui disparut en quelques décennies, alors que le noble cépage avait été longtemps présent d’Orléans à Paris, de Laon à Toul et jusqu’à Besançon et en Auvergne.

 

Sur la Côte elle-même, l’espace dévolu au grand vin fut toujours exigu. Le docteur Lavalle estimait la superficie des vignes fines de l’arrondissement de Dijon, qui englobait la Côte de Nuits jusqu’à Vosne et Morey à trois cents hectares seulement.

 

La mention en est portée explicitement sur la carte, dite du Comité d’agriculture de 1861 sous la forme suivante :

 

  • « Climats non classés de l’arrondissement de Dijon produisant des vins fins, comprenant d’après M. La valle environ 300 hectares. » Le constat fort pessimiste du docteur Lavalle, qui date de 1855, fut donc « officialisé » six ans plus tard par le Comité de Beaune, et a donc valeur probante.

 

Malgré  les replantations de ce dernier demi-siècle, la totalité du vignoble fin de Côte-d’Or n’excède pas sept mille hectares en ce début du XXIe siècle, et les « grands » et « premiers » crus qui produisent les meilleurs vins dépassent à peine 15% de ce total. La singulière faiblesse de l’économie viticole bourguignonne contraste avec la  réputation dont jouissent ses vins dans le monde entier. Les causes œnologiques et historiques de ce surprenant paradoxe doivent être élucidées dans toute la mesure du possible, car l’histoire est ici mêlée intimement à l’œnologie et n’est pas souverainement dictée par des contraintes climatiques et géographiques.

 

Vignoble façonné par la politique foncière de l’aristocratie médiévale, la Côte bourguignonne n’a jamais eu l’ambition, ni les moyens de produire une grande quantité de bons vins. L’élite sociale peu nombreuse qui les consommait et souvent les produisait, a jugé qu’une fois pourvue une clientèle restreinte, il était sans objet de mettre au point un puissant système viticole à l’instar de la Guyenne dont la vocation fut toujours l’exportation par voie de mer vers l’Angleterre et le nord de l’Europe d’abord, puis le monde entier, à partir du XVIIe siècle. Les vins fins hors de prix, produits dans des finages célèbres de la Côte, ont toujours en conséquence occupé une place restreinte sur un marché international, difficilement accessible.

 

La modification décisive du genre bourguignon en faveur de vins plus colorés, intervenue au cours des XVIIIe et XIXe siècles, a permis l’exportation lointaine, devenue absolument nécessaire à la survie du vignoble. Cette « révolution œnologique », accompagnée de la promotion du vin blanc qui occupe désormais une place très importante, a puissamment aidé l’expansion récente de la vigne fine sur les coteaux situés en Bourgogne, à plus ou moins grande distance de la Côte et qui se  réfèrent eux aussi à des normes œnologiques comparables. L’extension, voire la création ou la renaissance de ces vignobles qui occupent de vastes surfaces dans les « crus » du Beaujolais, dans le Mâconnais, à Pouilly et plus tard à Chablis ont donné tardivement un poids spécifique plus important que naguère à l’économie viticole bourguignonne dont les vignes fines occupent une surface plus étendue qu’au XVIIIe siècle.

 

Malgré cette extension récente un fort contraste subsiste entre la singulière fortune de genres, nés dans la Côte bourguignonne, admirés depuis le Moyen Âge, puis étendus au monde entier et la faible surface d’un vignoble qui, au début du XIXe siècle, n’occupait plus guère que mille à mille deux cents hectares de vignes fines.

 

à suivre demain : Les « facteurs » du vin de qualité

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22 juillet 2017 6 22 /07 /juillet /2017 06:00
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (5) les rythmes particuliers de l’œnologie historique

Pour mieux comprendre le tempo propre à l’œnologie nous devrons interpréter les évènements d’une histoire, dont les circonvolutions sont parfois surprenantes. Les œnologues historiens doivent donc s’adapter à ce fait important : les normes de l’histoire scientifique et le rythme des progrès observés ailleurs, ne s’appliquent pas à l’œnologie qui évolue à un autre rythme sous l’influence d’autres facteurs et ne se réfère pas aux mêmes liens de causalité.

 

Nous consacrerons par exemple un chapitre entier aux notions de progrès et de décadence qui n’ont pas de portée générale et doivent être ramenées à la mesure de vignobles particuliers. Des causes étrangères à l’œnologie peuvent provoquer un appauvrissement de la qualité dans certains cantons et devenir aussi la cause première de l’avilissement puis de la disparition du « bon vin ». Dans d’autres localisations on a su les surmonter, et maintenir les anciennes traditions tirées du « trésor des bons usages ». Pour cette raison nous élargirons le champ de nos investigations au-delà des aspects proprement œnologiques. Les désastres causés par l’isolement géographique, l’imposition de taxes abusives, les interdictions diverses imposées aux vins lors de leur transport vers les places de consommation, la concurrence du vin commun, etc. ont en de nombreuses circonstances jeté bas un vignoble estimé et prospère, adepte d’une œnologie raffinée. Le progrès n’est finalement rien d’autre que l’adoption en cercles concentriques autour d’un vignoble admiré, d’une œnologie de pointe maîtrisée par des vignerons entreprenants. La décadence est au contraire l’oubli des principes fondateurs de la qualité.

 

Le prestige inouï des grands crus français est né de leur capacité à créer une œnologie à ce point remarquable quelle fut, et demeure encore aujourd’hui, l’école du grand vin pour les vignerons du monde entier. C’est l’histoire de l’œnologie bourguignonne qui peut expliquer les circonstances de cette promotion très anciennement établie et qui est le lot d’un très petit nombre de cantons viticoles.

 

Dès lors qu’on abandonne comme cause unique de la qualité l’explication passe-partout d’un terroir élu entre tous, la définition extensive  que nous avons donnée de l’œnologie doit alors recourir à une problématique d’une tout autre ampleur, et prendre en compte les évènements significatifs d’un parcours de plus de vingt siècles. Nous chercherons au milieu de ce foisonnement de causes multiples et variées, à expliquer les diverses et successives « révolutions œnologiques » qui ont fait naître le vin de Bourgogne et l’ont transformé à travers le temps. En dehors même de nombreuses traces écrites, nous disposons en effet d’une documentation historique très riche car le site viticole où se déploient nos grands crus est resté intact et s’est maintenu au cœur de l’attention générale depuis vingt siècles sans jamais connaître d’éclipse.

 

La disposition des vignes est elle-même riche d’enseignement car la toponymie remonte pour une part aux commencements du vignoble, ainsi que l’échelonnement à flanc de coteau des meilleures vignes et leur répartition dans les « paroisses » devenues avec le temps les appellations fameuses que tout le monde connaît. L’historien-œnologue n’est pas désarmé non plus quand il évalue l’influence et la notoriété des vins de la Côte. Il dispose, en effet, de nombreux documents qui les « situent » à la place qui  leur revient dans la hiérarchie des crus de l’époque. Venues des places de consommation, de nombreuses sources permettent de connaître les prix que les « riches gens » devaient payer pour les servir à leur table. Cet indicateur qu’et le prix de vente d’un vin, utilisé par l’histoire quantitative, reflète fidèlement la cote des meilleurs crus, au Moyen Âge comme à notre époque.

 

Dans le domaine viticole, la connaissance approfondie de la biologie végétale permet aujourd’hui de présumer l’absolue stabilité de l’encépagement mais en place dès les commencements du vignoble et demeuré le même depuis vingt siècles. La présence prouvée du pinot à l’état sauvage dans les forêts bourguignonnes laisse supposer qu’il fut très tôt acclimaté pour devenir l’un des facteurs déterminants du succès bourguignon.

 

à suivre lundi : La faiblesse économique de la Côte

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