Vin & Cie, en bonne compagnie et en toute liberté ...
Extension du domaine du vin ...
Chaque jour, avec votre petit déjeuner, sur cet espace de liberté, une plume libre s'essaie à la pertinence et à l'impertinence pour créer ou recréer des liens entre ceux qui pensent que c'est autour de la Table où l'on partage le pain, le vin et le reste pour " un peu de douceur, de convivialité, de plaisir partagé, dans ce monde de brutes ... "
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Bonne journée à tous, ceux qui ne font que passer comme ceux qui me lisent depuis l'origine de ce blog.
« Des chocolats pour le directeur, comme son titre l'indique, est un petit cadeau à déguster : cet ensemble de courtes nouvelles, composées pour la plupart dans les années 1960, paraît à l'occasion des 90 ans de la naissance de Slawomir Mrozek. À l'origine, ces textes très brefs étaient destinés à être lus à la radio polonaise »
J’ai choisi l’Ascenseur pour plein de raisons :
La première, sérieuse, c’est que la nouvelle est un bijou d'absurdité.
La seconde, moins sérieuse, en hommage au couple célèbre Roux&Combaluzier.
La dernière, c’est que j’aimerais qu’on me renvoie un jour l’ascenseur.
L’ASCENSEUR
Le camarade Directeur nous convoqua et nous annonça :
- Voilà, messieurs, je vous annonce un investissement important : on va installer un ascenseur.
Nous fûmes tout d’abord quelque peu étonnés car notre bâtiment n’avait pas d’étage.
- C’est comme ça, déclara le Directeur. C’est la modernisation, et on ne peut y échapper. Si je vous ai convoqués aujourd’hui, c’est justement pour que nous réfléchissions ensemble à la façon dont nous pourrions résoudre ce problème.
Nous tournâmes et retournâmes le problème dans tous les sens et finîmes par trouver une solution. Une équipe d’ouvriers vint installer l’ascenseur selon le plan, fort simple du reste, que nous avions établi.
Nous louâmes les services d’un travailleur qui, posté au rez-de-chaussée, veillait à ce que toute personne entrant dans le bâtiment descendît en ascenseur d’abord au sous-sol, puis remontât et ressortit au rez-de-chaussée. Par contre, tout un chacun qui quittait le bâtiment était obligé d’emprunter l’ascenseur pour monter dans les combles et redescendre ensuite au rez-de-chaussée.
Tout alla pour le mieux. Jusqu’au jour où une consigne nous enjoignit, dans le cadre des économies de fonctionnement de l’ascenseur, de ne l’utiliser que pour monter ; et, de là-haut, de redescendre à pied.
Les choses se compliquèrent alors sensiblement ; Dorénavant, toute personne qui voulait pénétrer dans le bâtiment devait d’abord descendre à pied au sous-sol et y attendre l’ascenseur, pour pouvoir ensuite remonter au rez-de-chaussée. Et tous ceux qui voulaient sortir avaient le droit de monter en ascenseur dans les combles, mais de là, il leur fallait regagner le rez-de-chaussée à pied.
Tout cela dut néanmoins user exagérément le mécanisme de l’ascenseur, car nous reçûmes un avenant à la consigne précédente, qui précisait que, même pour monter, seuls les Chefs, les femmes enceintes, les personnes décorées de médailles – médailles d’argent au minimum – et les invalides avaient le droit d’emprunter l’ascenseur.
Fort malencontreusement, aucune de nos employées, à cette époque-là, ne pouvait entrer dans la deuxième catégorie ; nous leur adressâmes donc un chaleureux appel d’encouragement. Par ailleurs, nous n’avions pas de personnes décorées de médailles ; quant aux invalides, il y avait bien quelque chose qui manquait au Comptable, mais cela, il tint à le passer sous silence. De ce fait, le Directeur fut le seul à pouvoir utiliser l’ascenseur. Le problème ne disparut que lorsque l’ascenseur tomba en panne pour de bon.
Malheureusement, nous nous étions déjà habitués aux étages et nous en déshabituer ne fut pas facile. Les escaliers c’est si fatigant !
« Dites, Lev Borissovitch, ne pensez-vous pas qu’il puisse y avoir, au département soviétique de la CIA, des responsables des pommes de terre, c’est-à-dire des agents spéciaux de l’impérialisme chargés de veiller à ce qu’on ne trouve que très irrégulièrement des pommes de terre dans nos magasin. »
La nouvelle philosophie soviétique Viatcheslav PIETSOUKH
La vieille Alexandra Poumpianskaïa a disparu de l’appartement communautaire n° 12, rue Petroverigski à Moscou. Les autres locataires s’interrogent sur cette énigme, survenue dans un climat étrange où coups de téléphone anonymes et apparitions fantomatiques brouillent les pistes de l’enquête. Mais chacun s’inquiète surtout de savoir à qui reviendra l’appartement laissé vacant par la vieille femme. Ce simulacre de drame criminel devient, pour Viatcheslav Pietsoukh, prétexte à une satire jubilatoire de la société soviétique contemporaine et de sa "nouvelle philosophie" de la vie. Entre la jouissance des mots et la misère des choses, Pietsoukh nous donne à lire une variation magistrale sur les démons qui continuent d’habiter l’homme russe.
La disparition de Viatcheslav Pietsoukh, à l’âge de soixante-douze ans, n’a pas fait la Une de la presse française. L’écrivain avait pourtant connu sa ‒ toute ‒ petite heure de gloire en France au début des années 1990, avec la publication, aux éditions Actes Sud, d’un recueil de nouvelles, Chronique privée (1991), et d’un roman, La Nouvelle Philosophie moscovite (1993). Mais c’était l’époque où les éditeurs français, et plus largement européens, publiaient à tour de bras de la littérature russe, bonne ou moins bonne, dans laquelle un écrivain aussi discret que Pietsoukh ne pouvait qu’être partiellement noyé.
Les médias russes, en revanche, lui ont rendu hommage. Normal, dira-t-on, c’était un écrivain russe. Son œuvre, pourtant, n’est pas très abondante ‒ Pietsoukh est apparu tardivement sur la scène littéraire ‒ et elle porte clairement la marque « perestroïka », une époque aujourd’hui largement passée aux oubliettes. Les deux volumes mentionnés ci-dessus sont en effet parus en Russie avant l’effondrement de l’Union soviétique (1988 et 1989 respectivement), en pleine période gorbatchévienne. En outre, les thématiques de Pietsoukh sont assez éloignées des débats qui occupaient le devant de la scène à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Mais les Russes ont, de tout temps – et aujourd’hui encore – eu le respect de leurs écrivains et cru en la littérature.
Tel est d’ailleurs le propos majeur de la Nouvelle Philosophie moscovite, dans laquelle on peut lire : « Nous croyons tout aussi fermement à la littérature que nos ancêtres au Jugement dernier. »
Le roman est une sorte de remake du Crime et Châtiment de Dostoïevski, mais transporté en un autre lieu (Moscou, et non plus Saint-Pétersbourg) et en un autre temps (la fin du XXe siècle).
Le simple déménagement de la capitale des tsars à celle des secrétaires généraux du Parti communiste est une précieuse indication : on devine d’emblée que l’action, fût-elle inspirée de Dostoïevski, ne sera pas aussi noire, et qu’elle va s’inscrire dans le quotidien (soviétique, en l’occurrence) plus que dans la philosophie et les grandes idées.
L’écrivain se moque de l’incapacité de ses compatriotes à vivre hors de la littérature.
Il n’y a pas d’assassinat de vieille usurière dans le livre de Pietsoukh – juste la disparition d’une vieille femme occupant une chambre dans un appartement communautaire. Cependant, nous sommes en Russie et, déclare l’auteur, « ce qui compte c’est que la littérature soit plutôt, pour ainsi dire, la racine de la vie, pour ne pas dire la vie elle-même ».
Les habitants de l’appartement communautaire n’ont donc pas besoin d’un meurtre pour se perdre en conjectures, s’interroger et se soupçonner mutuellement : si la vieille femme a disparu, c’est forcément qu’elle a été tuée par l’un d’entre eux, avide de récupérer sa chambre. Reste à savoir qui est l’assassin et ce qu’il a fait du corps. Pour finir, on retrouvera la « victime » morte de froid sur un banc, ce qui, au demeurant, est tout aussi tragique, en moins grandiose, que le crime commis à la hache par Raskolnikov.
La plume de Viatcheslav Pietsoukh est trempée à l’encre de la dérision et de l’autodérision. Ses nouvelles publiées en français sous le titre Chronique privée s’intitulent en russe Joyeuse époque, et s’attachent à des héros ordinaires dont la vie, de fait, n’a rien de très joyeux.
L’écrivain se moque de l’incapacité de ses compatriotes – et de la sienne propre – à vivre hors de la littérature. Il raille ce pouvoir de la littérature russe de créer le réel (et non l’inverse), tout en étant pleinement conscient de participer du phénomène.
Bien qu’imprégnant toutes les pages, l’ironie de Viatcheslav Pietsoukh n’est ni hargneuse ni dure. Mais qui a dit que l’ironie douce n’était pas efficace ?
« 11/09/2001 », d'Art Spiegelman et Françoise Mouly, extrait du premier numéro du New Yorker après les attentats du 11 septembre.
Martin mon premier petit-fils a eu 20 ans le 8 septembre, souvenir d’un coup de téléphone fixe, le 11 septembre 2001, depuis le domicile d’un ami vigneron qui me louait son gîte, pour prendre des nouvelles de la maman et du nouveau-né, face à moi un écran de télévision passant en boucle les images des avions percutant les Twin Towers. Stupéfaction !
Dans sa couverture du vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre, Pascal Campion met en scène deux personnes, probablement trop jeunes pour avoir vécu cette journée, partageant un moment de réconfort et de consolation sur le site reconstruit du World Trade Center. "Les émotions peuvent souvent être difficiles à exprimer avec des mots", a déclaré Campion. "Mais je suis un artiste visuel et, dans le médium que j'ai choisi, les émotions peuvent transcender les mots." Derrière le couple, le mémorial des miroirs d'eau, les empreintes des anciennes Twin Towers ; la silhouette en forme d'aile de l'Oculus, le centre commercial étincelant de Santiago Calatrava; et les tours de bureaux illuminées qui composent l'horizon d'aujourd'hui. La vie a continué. Et pourtant, près de deux décennies plus tard, les environs restent imprégnés du souvenir des événements qui se sont déroulés ce jour-là et de l'absence de ce qui était. ICI
Nicolas Vadot est un Franco-Britannico-Australien bien connu des lecteurs belges du Vif/L’Express et du quotidien L’Echo. C’est aussi un chroniqueur pour la radio et la télévision.
Ces dessins de presse venus du monde entier ont été sélectionnés par Chappatte avec l’aide de l’association Cartooning for Peace, basée à Paris.
Damien Glez, dessinateur de presse, chroniqueur et scénariste franco-burkinabé basé au Burkina Faso, a dirigé pendant 25 ans l’hebdomadaire satirique Journal du Jeudi.
Le Hollandais Tjeerd Royaards est rédacteur en chef du site Cartoon Movement, une plateforme web pour le dessin de presse et le journalisme graphique. Ses dessins paraissent entre autres dans le Courrier international, Internazionale et Politico Europe.
Hani Abbas, dessinateur syro-palestinien ayant fui la répression d’Assad, est aujourd’hui réfugié à Genève. On a pu voir son travail dans L’Hebdo et plus récemment Le Temps cet été.
Marilena Nardi, lauréate de concours internationaux au Canada et au Portugal, signe dans des publications italiennes.
Publié le 11/09/2021 - Les Britanniques connaissent bien les vins rouges de l’île de Beauté. Mais le rosé corse a aussi de quoi les séduire, s’enthousiasme cette chroniqueuse spécialisée dans le Daily Telegraph.
C’est grâce à Yapp Brothers, grand importateur de vins français du Somerset, que j’ai découvert les vins corses. L’ADN des Yapp penche résolument du côté de l’épicurisme, et la famille a une solide expérience dans la recherche de bons vins lors de ses voyages de dégustation.
La Wine Society propose un rosé de sa propre marque. La Coop [une coopérative de consommateurs britannique] a commencé à en vendre pour la première fois cet été. Sainsbury’s a également lancé un rosé de Corse et présente l’île comme une région de vins à surveiller : « Le rosé corse est actuellement très à la mode en France comme alternative au rosé provençal, [une mode] qui, selon nous, pourrait gagner le Royaume-Uni. »
Plus de deux tiers du vin produit sur l’île
La Corse s’étend sur 183 kilomètres de long et 83,5 kilomètres de large. C’est la quatrième plus grande île de la Méditerranée. Située à seulement quelques kilomètres quelques kilomètres au nord de la Sardaigne, après le détroit de Bonifacio, elle est plus proche de l’Italie que de la France.
Ce n’est pas une grande région viticole : la Corse ne représente que 1 % de la production nationale et compte environ 5 800 hectares de vignes, contre 26 700 hectares en Provence (à titre de comparaison, le Royaume-Uni compte environ 3 800 hectares de vignes).
L’île produit 50 millions de bouteilles de vin chaque année, et la plupart d’entre elles ne quittent jamais la France. Un peu plus d’un tiers est consommé sur place, et 45 % partent sur le continent, ce qui laisse 20 % pour l’exportation. Et si le rouge et le blanc corses sont tous deux excellents, c’est le rosé, qui représente plus des deux tiers du vin produit en Corse, qui a attiré l’attention des acheteurs, la ruée vers le rosé en été les obligeant à chercher à s’approvisionner au-delà de la Provence.
À différencier du rosé provençal
Le rosé corse ressemble-t-il au rosé provençal ?
Pas vraiment. Et c’est plutôt une bonne chose. J’ai remarqué que certains amateurs de vins faisaient une fixette sur certains vins, rosés ou autres, et passaient leur vie à chercher le même vin partout, espérant retrouver son exacte reproduction. Mais ce n’est pas ma conception du vin.
Pour moi, le vin, au contraire, prône la différence et la diversité, même s’il existe des similarités entre certains vins. Les rosés corse et provençal sont deux rosés à la robe très claire, secs, délicats et rafraîchissants. Il y a cependant une différence notable. Alors que le rosé provençal a un velouté soyeux comme l’eau d’Évian, le rosé corse est plus proche de la Volvic. (Et si vous trouvez que ces deux eaux minérales ont le même goût, je vous invite à revoir votre jugement.)
Penchons-nous sur les vignes corses, dont la diversité est intéressante. Trente-trois variétés différentes sont plantées sur l’île : le grenache, forcément, puisque c’est le principal cépage entrant dans la fabrication du rosé, mais les plus répandus sont le nielluccio, le sciaccarello, le vermentino, l’aleaticu, le biancu gentile et le muscat à petits grains.
Le nielluccio est le nom corse du sangiovese, le principal cépage du chianti, un rappel de l’héritage italien de l’île. Le sciaccarello est également italien, une “très vieille variété toscane” connue également sous le nom de mammolo et probablement apportée de Toscane en Corse “pendant la domination de la république de Pise (1077-1284) ou de la république de Gênes (1284-1768)”, selon l’ouvrage de référence sur les cépages de Jancis Robinson, Julia Harding et José Vouillamoz publié en 2012 [Wine Grapes, non traduit en français].
Comme le rosé de Provence, le rosé corse est un vrai festival de saveurs : un assemblage qui, dans le cas de la Corse, tourne autour d’un cépage ou d’une combinaison de nielluccio, de sciaccarello et de grenache, et peut également en inclure d’autres, comme le vermentino, un raisin blanc que l’on trouve également en Provence, où il est appelé rolle.
Le rosé corse a des notes florales et ne manque pas de texture. Il est vraiment délicieux, mais ne vous en tenez pas uniquement au rosé, vous rateriez quelque chose. Les rouges puissants et mystérieux de l’île, aux saveurs de maquis et de soleil, sont également à découvrir.
Qu’il est agréable d’avoir des lecteurs fidèles qui, de temps en temps, me postent « un modeste texte » pour parution sur « mon modeste blog »
Ainsi, jean pierre Glorieux
Bonjour Jacques
Voici ce modeste texte, illustrant des souvenirs fort agréables vus de ma présente retraite normande.
En ces années 60, la Champagne, ma terre natale, voyait les crues de la Marne souvent inonder les herbages* et les mois d'octobre s'animer de bruyantes cohortes de vendangeurs ...
* Le lac du Der n'avait pas encore noyé le vaillant coq de l'église de Chantecoq...
Le ban des vendanges c'est demain mais certains ont commencé en Côtes des Bar (suis connecté à Sophie Claeys qui tient quasi toute l'actualité du champagne)
Après le gel d'Avril et les intempéries estivales, le taux de sucre monte et l'on espère limiter les dégâts.
Cordialitudes jean pierre Glorieux
Nos vendanges…
Nous nous étions invités chez les cousins du village voisin en cette période active et sacrée des vendanges.
Dans ce village de Champagne sur les bords de Marne où les traînées de brume tardent à s’effacer les matins d’automne, il fallait attendre la première semaine d’octobre pour « attaquer » les vendanges.
Depuis, elles ont “gagné un mois “ à cause du fameux changement climatique...
Armés de sécateurs et de paniers légers nous étions considérés comme des adultes du haut de nos douze ou treize ans, honneur certes mais aussi « engagement à bosser comme les grands ».
Venus du Nord, beaucoup de saisonniers profitaient de prendre leurs congés à cette occasion. On découvrait l’accent ch’ti, les chansons à boire, l’esprit solidaire et laborieux des mineurs. Une école de la vie rude mais joyeuse.
Les viticulteurs d’alors ne jouissaient pas de la « force de frappe communicante » des grandes Maisons et chez mes cousins, les raisins partaient vers la coopérative locale qui assurait pressurage et vinification. Leur nom de famille n’apparaissait donc pas sur les bouteilles qui étaient vendues et étiquetées au fil du négoce.
Les Maisons prestigieuses achetaient le raisin livré à leurs chais ou bien le vin aux diverses coopératives.
Deux cépages entrant dans la vinification (Chardonnay blanc ou Pinot noir) la technique des assemblages héritée du célèbre moine Dom Pérignon et de la seconde fermentation en bouteille avait installé le champagne sur les tables des grands de ce monde, dans les cabarets parisiens et logiquement dans la classe aisée. Champagne de fête, marque de prestige et d'opulence...
C’est plus tard, sous la Vième République que l’on prit l’habitude de faire sauter le bouchon dans les grandes occasions (réunions de famille, départs en retraite et fêtes de fin d’année).
Chaque année – la demande augmentant au rythme du niveau de vie – le prix du raisin était âprement négocié par les partenaires. Héritage des anciennes corporations il y avait là une véritable négociation interprofessionnelle.
Cela se concluait par un compromis équilibré : les petits producteurs souhaitaient un revenu décent et le négoce ayant grand besoin de la matière première (raisin et vins) on parvenait à un point d’équilibre après quelques tours de table.
La date de début des vendanges était fixée en concertation et bientôt, afin de maintenir « la rareté du produit » on consentit à réguler la quantité de raisin autorisée pour chaque vigneron en fonction de sa surface cultivée : ce fut l’apparition des quotas qui, au début, provoquèrent maints grincements et aussi quelques fraudes.
Dans ces années, faire les vendanges était surtout la conclusion d’une année marquée par les aléas climatiques.
L’épée de Damoclès météorologique est connue de tous ceux qui vivent de la terre.
Le raisin avant de parvenir au pressoir a dû échapper aux gelées d’avril et mai qui détruisent la fleur (oui la vigne fleurit, très discrètement) puis aux orages de grêle de l’été et surtout aux maladies qui surviennent en période humide et chaude : mildiou et oïdium traités à coup de bouillie bordelaise.
« Quand nous partions de bon matin, avec Sophie, avec Firmin, le jour se levait à peine… ! »
Passage obligé à la salle de réfectoire : Ricorée au lait pour les plus jeunes et un croissant tout chaud fini d’avaler dans la camionnette bringuebalante.
Le froid nous glace les doigts, un panier, un sécateur et les pieds dans l’herbe mouillée.
- Hein ! C'est dur les petits gars !
Lorsqu’il pleut l’ambiance est plombée mais la pluie n’arrête pas le pèlerin …et la pause de dix heures remet les sourires en place : un feu de sarments est allumé dans un grand bidon, on grille tartines et saucisses, on découvre ce Maroilles odorant offert par les mineurs qui adorent vous le faire sentir et vous coller le nez dessus en éclatant de rire :
- Alors gamin … y sint’y bon men’ froumage ?!!!
Régulièrement, par le froid ou la distraction, il fallait courir à la boîte à pansements quand un doigt avait croisé les lames du sécateur et parfois descendre au village pour quelques points de suture.
- C’est le métier qui rentre.... tu feras attention la prochaine fois !
Travailler en décalage de 50 cm sur le rang évite ces déconvenues et l’on apprend vite à se tenir à distance.
Le repas du soir réunit toute l’équipe, près l’apéro du patron :
- Les gamins un petit verre juste pour goûter !
Tu parles on « sifflait » comme les autres, chacun rapportant une anecdote, une histoire à faire rire pas toujours très relevée et l’on passait à table.
Pot au feu, poule au blanc ou choucroute, ensuite un copieux plateau de fromage et la tarte aux quetsches de tante Jeanine dont la pâte au goût fumé du saindoux n’attirait que compliments.
J’ai souvenir d’un jeune étudiant new-yorkais, tombé là on ne sait comment, qui fut tout ébahi au dessert ; ici on ne change pas les assiettes, on l’essuie d’un morceau de pain ou bien on la retourne pour être servi côté verso propre.
Riant aux éclats, le garçon commenta en anglais ce « typical french way of life » et mit toute la table au diapason. Il fallut le porter au lit car les toasts furent nombreux et nous ne tardâmes pas à prendre la même direction, harassés pas cette rude journée.
Le repas terminé les hommes sortent fumer pendant que les dames se mettent à la vaisselle et vers 22 h signal tiré par André :
Au lit tout le monde, demain on se lève tôt, il nous reste trois grandes parcelles : la Vigne aux Bruyères, la Belle Madeleine et le Champ Jeannot. Bonne nuit la jeunesse !...
- Bonne nuit André et Jeanine … A demain !
On s’endormait sans rechigner, sans entendre les ronflements des autres occupants, tout heureux d’être reconnu dans " le monde des grands" et de garnir la tirelire de quelques billets à l’effigie de Victor Hugo.
Jean Pierre Glorieux
Humphrey Bogart et Ingrid Bergman dans un film devenu culte de Michael Curtis 1943
Je crois aux fenêtres du hasard, grandes ouvertes, il suffit d'être au bon endroit au bon moment, disponible, pour y faire de belles découvertes, de belles rencontres, parfois même d'emprunter un nouveau chemin, de s'y risquer, de se dire : «nous allons y arriver»
Ce matin, en vous proposant l'une des nouvelles de Gérard Aimonier-Davat, je concrétise, avec plaisir, une forme d'échappée belle, de partage, une parcelle de douceur dans un monde de brutes...
« Le nouvelliste a le sentiment de diriger le lecteur : il l'empoigne à la première phrase pour l'amener à la dernière, sans arrêt, sans escale, ainsi qu'il est habitué à le faire au théâtre. Les dramaturges aiment la nouvelle parce qu'ils ont l'impression qu'elle ôte sa liberté au lecteur, qu'elle le convertit en spectateur qui ne peut plus sortir, sauf à quitter définitivement son fauteuil. La nouvelle redonne ce pouvoir à l'écrivain, le pouvoir de gérer le temps, de créer un drame, des attentes, des surprises, de tirer les fils de l'émotion et de l'intelligence, puis, subitement, de baisser le rideau. »
Je partage cette approche de la nouvelle et, Gérard Aimonier-Davat y excelle ; la nouvelle de lui que j’ai choisie : le cloppet m’a touché au cœur, j’y ai retrouvé ma part d’enfance, ce vécu dans sa simplicité dépouillée, sans afféteries ni fioritures. De la belle ouvrage, sincère, emprunte de vérité, qui aurait dû être reconnue par un éditeur de notre Paris où tout se joue...
« La Nouvelle a sur le roman à vastes proportions cet immense avantage que sa brièveté ajoute à l’intensité de l’effet. Cette lecture, qui peut être accomplie tout d’une haleine, laisse dans l’esprit un souvenir bien plus puissant qu’une lecture brisée, interrompue souvent par le tracas des affaires et le soin des intérêts mondains. L’unité d’impression, la totalité d’effet est un avantage immense qui peut donner à ce genre de composition une supériorité tout à fait particulière, à ce point qu’une nouvelle trop courte (c’est sans doute un défaut) vaut encore mieux qu’une nouvelle trop longue. L’artiste, s’il est habile, n’accommodera pas ses pensées aux incidents, mais, ayant conçu délibérément, à loisir, un effet à produire, inventera les incidents, combinera les événements les plus propres à amener l’effet voulu. Si la première phrase n’est pas écrite en vue de préparer cette impression finale, l’œuvre est manquée dès le début. Dans la composition tout entière il ne doit pas se glisser un seul mot qui ne soit une intention, qui ne tende, directement ou indirectement, à parfaire le dessein prémédité. »
C’était une habitude. C’était sa nature. Depuis toujours, dans ma mémoire, je le voyais, après déjeuner, se laisser choir de tout son poids dans son vieux fauteuil de rotin, au coin de la console sur laquelle trônait sa T.S.F.
Il se penchait sur le côté et régulièrement, au moment même où il tournait le bouton de bakélite, s’élevait cette voix venue d’un autre monde :
« ICI RADIO SOTTENS. »
Était-il toujours à l’heure ?
Ou bien l’attendait-on pour commencer l’émission ?
À l’époque, j’inclinais pour la seconde question et répondais « OUI » sans la moindre hésitation.
Car jamais je ne l’avais surpris consultant discrètement son gousset dont la chaîne rayait d’un trait argenté le devant de son gilet.
« RADIO SOTTENS » était la seule voix autorisée à sortir de derrière le rideau tendu qui obstruait la lune du poste.
La seule voix a pouvoir donner avec justesse l’heure, le temps et ses caprices et les NOUVELLES.
(Plus tard, me hasardant à tourner les boutons je m’aperçu que ce poste n’était pas habité par l’unique voix qui nous égrenait, monotone, ce qu’on appelle aussi « le journal parlé »
Au dernier mot de ce chapelet égrené sans passion, il tournait le bouton, se calait entre les accoudoirs et fermait les yeux.
C’était un bel homme en dépit de son âge.
C’était aussi un homme bon. Il avait un visage rond, bien rempli. De petits yeux vifs et noirs et une calvitie d’une grande noblesse où quelques mèches noires et disciplinées par une brillantine Roja soigneusement lissée, tentaient comme ces rideaux de perles de buis qu’on tend à nos portes l’été, d’apporter un peu d’ombre à ce crâne majestueux.
À cette heure, il était toujours vêtu de noir sur sa chemise blanche à col cassé et son nœud papillon n’était jamais pris en défaut de trop papillonner.
Je l’aimais ainsi, satisfait et repu, s’endormant pour vingt minutes, calé dans ses coussins.
Il avait les jambes tendues, les pieds dressés dans ses chaussettes noires, et ses « vernis » docilement garés, reposaient sous l’entretoise du siège. Je l’écoutais dormir.
Parfois, un ronflement lui échappait. Je riais comme un fou. Et elle qui faisait la vaisselle en silence, me regardait, l’œil coquin, un doigts posé sur les lèvres : « Chut ! Ne fait pas le nigaud. Murmurait-elle. » Mais je sentais bien au fond de moi qu’elle était complice de ma joie et qu’elle attendait le prochain ronflement pour me regarder à nouveau.
Je crois qu’il ne pensait à rien. Car il avait déjà fait tant de choses depuis qu’avant le soleil se lève et il lui en restait tant à faire, que mieux valait baisser le rideau et faire le vide. « Le temps d’un cloppet*... »
Il avait commencé au point du jour par un café chicorée, avant de passer à l’étable. Puis, au jardin. Qu’elle que fut la saison, il y avait toujours une place réservée au jardin.
Et puis la vigne ! qui devenait la cave, puis l’alambic, puis à nouveau la cave et la vigne...
Je crois qu’elle fut sa compagne majeure et qu’en dépit de toutes les déceptions qu’elle pouvait apporter cette vigne fut sa vie. Et sa mort.
Car au gré des saisons, on allait de vigne en cave et de cave en vigne, pour finir au creux de l’hiver ou au chaud de l’été par ne plus aller que de cave en cave.
Pour qui ne connaît pas nos caves, il n’est pas possible aujourd’hui de simplement imaginer ce qu’elles furent en ce temps-là. La sienne était un royaume.
Une voute constellée de cristaux étincelants, concrétions centenaires de toutes ces effluves de vins qui y avaient mûri et vieilli dans les huit futs de chêne qui semblaient dormir, silencieux et immobiles sur leurs lourdes traverses.
Tous chapeautés du même bouchon de bois que bordait la dentelle vineuse d’un carré de jute assurant ni trop, ni trop peu, l’étanchéité de la fermeture.
J’aimais voir ses doigts, agaçant le bouchon avec complicité pour ouvrir ce merveilleux orifice où je devinais cette petite lune qui miroitait en oscillant à la surface du gamay ou de l’aligoté.
Regarde ! Me disait-il me portant jusqu’au faîte du fût... Comme il est beau, respire comme il sent bon.
Et il éclatait la surface du bout de tuyau de caoutchouc rouge avec lequel il siphonnait la bouteille du repas.
J’étais en admiration devant lui et je regardais s’écouler ce liquide vermeil qu’il me semblait être le seul capable d’amener ainsi à sa perfection.
Parfois, il me tendait un verre et m’en accordait une goulée en riant. Et je frissonnais autant de joie que de la surprise de la fraîcheur soudaine qui m’inondait la bouche.
La cave, ce temple des profanes où les hommes pouvaient parler tant d’heures, sans qu’un silence interrompe la joute et où, le temps passant, le vin aidant, les langues se faisaient plus impatientes encore de livrer leurs secrets.
Mais quels secrets ?
Dieu nous garde de les sortir de ce confessionnal du bonheur ! Il étaient l’émanation de toutes ces senteurs, ce bois humide, celle du raisin sûri, celle de la cigarette mouillée, celle de l’humide odeur de la mousse qui accompagnait l’escalier jusqu’à la porte de chêne noirci.
Et les rires partaient si fort sous la voute qu’ils appelaient par leur écho, d’autres rires et d’autres mots plus scabreux que femme n’aurait ouï sans en rougir jusqu’aux seins.
Ah ! Je les avais écoutés des heures entières, étendu sur le sol du sarto, au-dessus de la cave, là où la trappe à moût permettait au jus de couler du pressoir vers les cuves en fond de cave et où la voute percée semblait aspirer vers le haut tous ces éclats de joie.
Que dire des Margots, troussées contre un fût, le temps d’en tirer deux litres d’aligoté ? Les ceintures de flanelle tenaient dans leur étau des reins trop cambrés ou des ventres trop lourds toujours en appétit. Et la grand’messe de la vigne s’épanouissait dans ce sacrement de la chair et du vin.
Je le contemplais comme on peut le faire d’une idole dont on attend le meilleur et le pire à la fois, sans que pourtant le pire puisse un instant paraître infamant.
Venait la saison de l’alambic où la blanche coulait chaude et où sans la moindre vergogne les dames-jeannes clandestines disparaissaient avant que n’arrive le gabelou.
Dans la dernière passée, il y cuisait les choux et les saucisses.
C’était lui, le grand maître des cérémonies. Lui seul qui savait quand et comment tout serait à point.
L’ai-je vu un jour tituber ? Non, je crois qu’il en était incapable, tant ses jambes étaient solidement amarrées à cette terre qu’il connaissait mieux que tout autre.
Pouvait-il réellement, tout le temps d’un cloppet, tirer le rideau et oublier tout ça ? lui qui savait d’un coup et sans s’en tirer un râle, égorger un cochon et me lancer en riant après l’avoir gonflée, une vessie translucide et brillante de tous ses vaisseaux vides. Il était là.
Dan son vieux rotin. Un peu plus vieux lui-même qu’il ne l’était autrefois. Et sans autre tourment, il s’était endormi, le temps d’un cloppet.
Et ce jour-là, lorsque le ronflement lui échappa, nous sentîmes elle et moi qu’il n’avait su le rattraper.
Je me levai, plus pesamment que vingt années plus tôt et lui tapotai les mains qu’il avait croisées sur le ventre, c’est à cet instant qu’il se replia et d’un coup je le vis s’abotasser * sur ses genoux.
Il était parti sans crier gare. Il avait, j’en étais certain maintenant, baissé le rideau et fait le vide le temps d’un cloppet.
Quand on part pour l’éternité, est-ce bien plus long et bien plus douloureux que le temps d’un cloppet.
Le Cloppet in Les Galets du ChéranGérard Aimonier-Davat petites nouvelles du pays alpin
" En Vendée, dans le canton de La Châtaigneraie où s'est déroulée cette recherche, la "cave" est non seulement le lieu où se fabrique et se garde le vin mais l'espace d'une sociabilité masculine qui s'exprime tout particulièrement au cours des "descentes" et des "visites" que se rendent les hommes à l'occasion de tournées rituelles qui concernent les jeunes. la suite ICI
Le Botteleur (d'après Millet)", 1889, huile sur toile, de Vincent Van Gogh.(Musée Van Gogh, Amsterdam)
MEULES DE FOIN EN PROVENCE, 1888 DE VINCENT VAN GOGH
5 octobre 2010
Gigot d’agneau de Pauillac au foin AOC de la Crau... « Boudie pour les bêtes c'est aussi bon que pour vous le Châteauneuf du Pape !ICI
Lorsqu’au temps d’Henri Nallet, Ministre de l’Agriculture, nous décidâmes de mettre le focus de la présidence française de l’UE sur les AOC et que le dépoussiérage des textes législatifs devint une nécessité, nous découvrîmes, sous la houlette de Marie-Hélène Bienaymé de l’INAO, dans les mille-feuilles de l’ensemble des AO autres que vinicoles des produits aussi exotiques que le foin de la Crau et la porcelaine de Limoges par exemple.
Dans la plaine de la Crau, un foin français qui vaut de l’or
Il n’y a pas que le champagne et Chanel : la France est aussi le pays d’un foin de luxe. Cultivé dans le Sud, destiné aux chevaux de course, il se vend partout sur la planète. Mais plusieurs menaces planent sur cette manne, très consommatrice d’eau.
Il va y avoir de la pluie. Les nuages noirs l’annoncent. La pluie est l’ennemie de David Doulière. Elle ruine le foin et le prix auquel il se vend. Si l’herbe fraîchement fauchée à l’odeur si forte et si florale qui repose dans le pré prend l’humidité, comment fera-t-il pour la vendre comme le meilleur foin au monde ?
“Ce serait dramatique*”, déclare-t-il. Il jette un coup d’œil au ciel. Dans sa course contre la pluie, il a passé tout l’après-midi sur son chariot élévateur à s’affairer dans les prairies qui entourent le château de Vilpail, une des meilleures adresses pour le foin, ici, à Crau, dans le sud de la France. Frénétique mais routinier, il enfourche une balle après l’autre, les empile sur son camion de 44 tonnes et fonce au grand hangar, vite, rentrer la récolte. Toujours pareil, toujours le même processus, tant que le temps reste sec en cette journée de printemps. Si ça sent le roussi, David Doulière, 59 ans, a beau être marchand, il met la main à la pâte. Ses collaborateurs parcourent les champs alentour en tracteur et font la même chose que lui. Il descend du chariot élévateur et soulève une touffe d’herbe coupée. “Il est d’un beau vert, déclare-t-il, mais il est déjà trop humide !”
Pour que le foin atteigne les 14 % d’humidité promis au client, il faudrait qu’il y ait du mistral, ce vent de terre sec qui vient du nord. Or voilà des jours que le vent souffle de la Méditerranée. “Si ça continue, l’année 2021 sera une mauvaise année”, confie Doulière. La première coupe, en mai, détermine le prix, ainsi que la deuxième et la troisième, qui ont lieu plus tard. C’est la première qui contient le plus de fibres. Elle est vendue aux propriétaires de chevaux de course de grande classe du monde entier – Allemagne, Grande-Bretagne, Émirats arabes unis ou Sainte-Lucie, une île des Caraïbes.
Le foin de Crau est du pur luxe français. Un produit soigneusement fabriqué pour chevaux gourmets et propriétaires connaisseurs. Ce grand cru de l’alimentation animale a droit depuis 1997 à l’appellation d’origine protégée, qui s’applique également aux vins et aux fromages à pâte molle. Il a été le premier produit non destiné à la consommation humaine à recevoir ce label tant convoité. Il se vend actuellement 200 à 250 euros la tonne, aussi cher que le maïs. Beaucoup d’argent pour de l’herbe sèche. Le foin allemand est un tiers meilleur marché. “Il y a le champagne, il y a Chanel et il y a le foin de Crau”, déclare Doulière. Il ne manque pas de confiance en lui.
Un oasis de prairies et de haies
Son or vert pousse pourtant dans une région plutôt oubliée, méconnue. Toute l’attention va aux paysages de rêve qui l’entourent : à l’ouest, la Camargue, le pays des lagunes étincelant dans le contre-jour et des flamants roses. À l’est, la Provence, ses villages pittoresques et ses célèbres champs de lavande. La plaine de la Crau, toute plate, se trouve juste entre les deux. Elle a deux visages très différents : du côté de la mer, c’est un désert sec, une steppe où l’air vibre et où rien ne pousse à part du thym rabougri. Au nord, en revanche, on trouve une herbe luxuriante : les 2 000 kilomètres de canaux d’irrigation qui apportent de l’eau des Alpes depuis le XVIe siècle font de la Crau humide une oasis de prairies et de haies, qui ressemble plus à un comté anglais qu’à un paysage méditerranéen. C’est là, sur 13 500 hectares, que les producteurs récoltent leur précieuse marchandise.
Tout pourrait donc être idyllique. David Doulière et les [près de] 300 autres membres du Comité du foin de Crau, l’association locale du foin, pourraient vaquer tranquillement à leurs activités si le site n’était pas menacé de tous les côtés, par exemple par les cinq oléoducs qui courent sous les prairies ou par les nouvelles autoroutes qui grignotent la plaine. Et si le dérèglement climatique ne faisait pas du foin de luxe lui-même un problème.
Certes, les producteurs n’ont pas besoin de pluie, mais il leur faut tout de même d’énormes quantités d’eau, que les canaux détournent de la Durance : 300 millions de mètres cubes par an, selon Foindecrau, ce qui correspond à 2,5 milliards de baignoires. Or l’eau se fait de plus en plus rare dans le sud de la France.
Doulière et ses collègues sont de plus en plus confrontés à des questions critiques : toute cette eau juste pour que la steppe soit bien verdoyante, est-ce défendable ?
Un régal pour animaux de luxe peut-il justifier cette consommation ?
Ou est-ce décadent ?
Le conflit ne fait que commencer. “Il ne faut rien changer à l’irrigation, déclare Doulière. Ce serait dramatique*.” Bien sûr. D’après lui, ce ne sont pas seulement des intérêts économiques et environnementaux qui sont en jeu mais un paysage de près de 500 ans. Vincent Van Gogh avait peint la récolte du foin en 1888 quand il vivait à Arles, à côté.
En 2021, la récolte ne se fait plus avec râteaux et chars à bœufs mais avec botteleuses automatiques et chariots élévateurs. Doulière continue à se démener dans les prés. Plus les nuages se font menaçants, plus vite il ramasse les lourdes balles de foin comme si c’étaient des petits cubes en bois. À 19 h 30, tout s’arrête : il pleut comme vache qui pisse. Doulière a rentré un tiers de la première coupe. Le reste va devoir attendre au moins cinq jours sans pluie sur le sol avant de pouvoir être ramassé.
Produire du foin, c’est tout un art dans la plaine de la Crau. Des règles précises, le soleil, le mistral et un apport en eau maîtrisé donnent ses lettres de noblesse à ce produit apparemment banal. De mars à septembre, les prairies sont inondées tous les huit à dix jours grâce à de petites écluses. Pendant dix heures, pas plus, sinon l’herbe pourrit. L’eau qui ne s’infiltre pas dans le sol s’écoule par les rigoles. L’eau de la Durance nettoie l’herbe et lui apporte des nutriments, ce qui permet trois récoltes par an. La première va aux chevaux, les deux autres aux vaches et aux moutons, ce sont les prémices de bons fromages français.
Le seul engrais, ce sont les déjections des moutons qu’on mène sur les prairies en hiver. Les règles de l’AOP interdisent les pesticides.
Le foin de Crau contient jusqu’à 32 sortes de plantes, d’herbes aromatiques et de fleurs ; cinq d’entre elles doivent obligatoirement y figurer, parmi lesquelles le fromental. Une fois liées, les balles ne doivent pas passer la nuit sur les champs. Les producteurs sont d’ailleurs de véritables pros du marketing en matière de conditionnement : l’authentique foin de Crau est lié avec une ficelle spéciale rouge et blanc, elle aussi protégée.
Les autorités chargées de la répression des fraudes enquêtent régulièrement sur des contrefaçons. Un faux foin de Crau venant en fait du Canada a été retiré de la circulation en Irlande. Des imitations ont été repérées en Allemagne.
S’il y en a un qui apprécie particulièrement le fourrage français en Allemagne, c’est Klaus Hart, un négociant de Bochum. Il fait partie des rares personnes qui importent du foin de Crau, “pour les chevaux de course de première catégorie”. Il n’achète plus de foin allemand : il contient trop de sucre, est trop humide et trop souvent mêlé de terre. C’est comme comparer le rôti de porc à la salade provençale. “Avec le foin de Crau, les chevaux sont en forme, pas gros. Il contient des sels minéraux et est riche en protéines, s’extasie-t-il. Il est sec mais pas poussiéreux.” Ce qui est important pour les poumons des stars de l’hippodrome : la présence de terre dans le fourrage peut faire la différence entre la victoire et la défaite.
Sur le bureau de David Doulière, dans la zone d’activité de Saint-Martin-de-Crau, la capitale du paradis du foin, se trouvent des photos de deux de ses meilleurs clients : Trêve, une jument spécialiste du plat, et Timoko, le champion de trot. Ils ont remporté chacun plusieurs millions d’euros – grâce à son superfoin entre autres, d’après Doulière.
“Je fournis de la très haute qualité”, déclare-t-il. Si un client n’est malgré tout pas satisfait, il fait jouer la garantie. Doulière le rembourse ou lui fournit du nouveau foin. Un client suisse a récemment trouvé de la sétaire verte dans son foin. C’est mauvais : la sétaire provoque des inflammations dentaires chez les chevaux. “Notre foin est un produit naturel pas un produit de synthèse, explique Doulière. Ça peut malheureusement arriver.”
Défenseurs de la terre
C’est aussi ce qu’a découvert l’émir de Dubaï. Mohammed ben Rachid Al-Maktoum a un jour fait venir Doulière spécialement de France par avion, une véritable convocation, car ses palefreniers avaient trouvé de petits os dans le foin de Crau. “Il y avait eu un lièvre dans l’herbe au moment de la récolte, raconte le producteur. Je lui ai expliqué ce qu’était une prairie, qu’il y avait des animaux sauvages qui vivaient dedans.” L’émir, qui avait payé 500 euros par tonne de foin, s’est calmé. Doulière continue à approvisionner la cour.
Oui, la prairie vit. Dans sa partie sud, la plaine de la Crau est toujours une steppe couverte de pierres. D’après le poète antique Eschyle, Héraclès s’y retrouva un jour pressé par les Ligures et Zeus fit pleuvoir des pierres pour contraindre ses ennemis à la fuite. Ça, c’est la légende. Du point de vue géologique, ces cailloux sont les vestiges de l’ancien delta de la Durance, qui s’est jetée dans la mer à cet endroit jusqu’au dernier âge de glace. Et cette steppe pierreuse vit aussi.
Prionotropis hystrix rhodanica, par exemple, une sauterelle qu’on ne trouve qu’ici, est un aliment vital pour de nombreux oiseaux, par exemple le ganga cata. Tous deux, la sauterelle comme le ganga cata, sont menacés d’extinction. Ces animaux ont été vus pour la dernière fois sur le site d’une piste d’essais automobiles de BMW.
L’homme utilise cette étendue de terre pour des choses qu’il n’aime pas avoir à proximité. Par exemple la base aérienne d’Istres, une usine de dynamite, les monceaux d’ordures de Marseille. Et pour les oléoducs. L’éclatement de l’un d’entre eux a pollué 46 000 tonnes de terre en 2009.
Là où la plaine de la Crau touche la Méditerranée s’élèvent les cheminées polluantes des raffineries de Fos-sur-Mer. Le foin ne présente cependant pas de taux inquiétant de substances toxiques, à en croire les mesures de l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions. Cela tient du miracle.
Une petite partie de la plaine de la Crau est réserve naturelle nationale depuis 2001. Cela ne freine pas la menace que les producteurs de foin craignent le plus : les autoroutes se multiplient et les hangars poussent comme des champignons parce que c’est là que se croisent les chemins qui partent du port de Marseille pour aller en Espagne et dans le nord de l’Europe. Or le grignotage des surfaces se fait surtout au détriment des prairies à foin. Doulière et l’association des producteurs de foin se considèrent comme les défenseurs de ces terres. Il est furieux qu’on reproche à leur entretien de ce paysage gourmand en eau d’être antiécologique. “On n’est pas des gaspilleurs.”
Un écosystème menacé
Annick Mièvre voit les choses différemment. Directrice de la délégation Paca-Corse de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, elle trouve que les producteurs ponctionnent trop d’eau de la Durance. Le fleuve n’alimente pas seulement la plaine de la Crau mais fournit de l’eau potable à 3,5 millions de personnes en tout. “La ressource se raréfie”, déclare-t-elle. L’écosystème du fleuve risque de se retrouver déséquilibré. Les modèles climatiques pour la période allant jusqu’à 2065 prévoient beaucoup moins de neige en hiver et un niveau très faible en été. “La solution, c’est d’économiser l’eau”, conclut-elle. Elle fait pression pour que la production de foin ne prélève dans le fleuve que ce dont elle a vraiment besoin – d’autant qu’une grande partie des volumes destinés à l’irrigation s’écoule sans être utilisée. L’agence a déjà multiplié par deux le prix de l’eau depuis 2012.
L’association des producteurs de foin a consenti à ce que la part d’eau qu’elle tire d’un lac de retenue situé sur le cours supérieur de la Durance soit réduite pendant les mois d’été au profit de la production d’électricité. Sinon, elle rappelle que l’eau des prairies s’infiltre dans la nappe phréatique et contribue donc à l’approvisionnement de la population.
Eau potable, production d’électricité et arboriculture fruitière – il y a beaucoup d’intérêts opposés au foin pour chevaux de course dans la bataille de l’eau de la Durance. Doulière croit cependant savoir comment son secteur pourra sortir de la défensive : “Nous devons demander à intégrer le patrimoine culturel de l’humanité de l’Unesco. Nous préservons un paysage culturel et la biodiversité.” De plus, d’après ses calculs, 4 000 hectares de prairie à foin retiennent chaque année 65 000 tonnes de CO2. Alors qu’on ne lui parle pas de réchauffemement climatique !
En tout cas, son entreprise va continuer à croître. Elle avait quelque peu souffert à cause du coronavirus. Comme il y avait moins de courses de chevaux, certains entraîneurs nourrissaient leurs bêtes avec du foin bon marché. Cependant, la demande repart. Doulière s’est acheté aux États-Unis, et moyennant 2 millions d’euros, une machine qui comprime le foin au maximum et l’assemble en petites balles très denses. “Ça facilite l’exportation”, se réjouit-il.
Klaus Hart, l’importateur de la lointaine Bochum, réfléchit lui aussi au moyen de gagner encore davantage avec le foin de Crau. Il s’est mis à en vendre à des propriétaires de cochons d’Inde. Les cochons d’Inde sont eux aussi des animaux sensibles. “Ça marche très bien, confie-t-il. Les gens sont prêts à payer très cher.” Il demande 6 euros pour un kilo de foin de Crau pour cochons d’Inde. Soit 6 000 euros la tonne.
Il s’agit du premier aliment pour animaux à obtenir un tel label de qualité, et encore le seul aujourd’hui. Ce résultat est le fruit d’une reconnaissance et d’une organisation très ancienne qui a débuté à la fin du XIXe siècle et qui se poursuit encore de nos jours.
La démarche qualité pour le Foin de Crau assure une garantie supplémentaire pour les clients. Ce foin est reconnaissable grâce à sa ficelle rouge et blanche.
Le grand écrivain Amos Oz, récemment disparu, s’est intéressé à la figure du traître toute sa vie – comme son œuvre romanesque en témoigne. Dans un discours prononcé à Berlin en 2017, il a voulu revenir sur le plus célèbre d’entre eux, et réfléchir au rôle qu’a joué la prétendue trahison de Jésus par Judas dans la naissance de l’antisémitisme chrétien. Il se fait conteur en nous présentant une version alternative de l’histoire connue, et en nous interrogeant sur les liens entre les deux grandes religions monothéistes que sont le judaïsme et le christianisme. Sa réflexion est iconoclaste, irrévérencieuse, romanesque, mais toujours nourrie d’une connaissance profonde des textes fondateurs des deux religions.
Cet ouvrage, le premier inédit publié depuis le décès d’Amos Oz en décembre 2018, condense une certaine philosophie du dialogue qui était au cœur de l’œuvre et de l’engagement d’Amos Oz. Sa parole demeure d’une actualité brûlante.
En préambule, la rabbin Delphine Horvilleur s’adresse directement à l’auteur disparu, dans une émouvante lettre. Elle nous offre un éclairage passionnant de la conférence d’Amos Oz, en nous parlant des prophètes et des traîtres, du rôle de la littérature dans nos vies, et du besoin de dialogue pour surmonter les fanatismes de toute sorte.
Amos Oz : « Judas, le seul, le premier et l’unique chrétien »
Jeudi 27 Octobre 2016
Du maître écrivain israélien Amos Oz, Gallimard publie Judas, un livre qui bouscule des idées reçues et fait grincer des dents ici et là-bas. Entretien.
- Ce livre semble autant un roman qu’une parabole. Peut-on utiliser ce mot ?
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