Vous commencez à me connaître je suis du genre à chercher ce qui se cache sous les beaux oripeaux de la com. Comment faire parler de soi, de sa boutique, du jaja que l’on vend, voilà un truc aussi vieux que le monde mais dans nos temps postmodernes y’en a tant qui font du raffut, des gros qu’on de la fraîche, des petits qu’on des idées et des copains, des qui se la jouent gore (le restaurateur d’Aniane et son vin de M… http://www.berthomeau.com/article-22990520.html ), des qui font des pétitions pour défendre l’authenticité de leur rosé, des qui s’la pètent grave pour séduire les peoples et leurs biftons… que ce n’est pas toujours facile de se faire entendre dans les fameux médias. Alors, faut faire la chasse aux « journalistes », disons aux « rubriquistes », des gens en quête d’un truc chic et choc, les appâter, les leurrer parfois, pour leur fourguer une histoire toute emballée qui fera se pâmer le lecteur, à demi-assoupi sur son canapé, qui jette un œil sur le papier glacé entre deux pubs à la télé.
Venons-en aux faits. C’est dans Régal, rubrique bruits de casseroles, sous le titre alléchant « Complicité vin-roquefort » que lis-je ?
« Avant de créer Maison Rouge, son négoce de vins, dans le Vaucluse, Jérôme Busato avait rêvé, avec son ami éleveur de brebis Bernard Bosc, de faire mûrir du vin dans les caves d’altitude du fromage de Roquefort. Ils sont passés à l’acte pour les grands millésimes et viennent de mettre en bouteilles le nectar 2007, soit 33 barriques de Vacqueyras, de Gigondas et de Châteauneuf-du-Pape élevé sur les hauteurs de Camarès. La fraîcheur de ces vieilles caves permet d’allonger le temps d’élevage du vin. Il gagne en délicatesse comme en élégance. »
C’est beau comme l’amitié de deux éleveurs, m’extasiais-je. Beau comme les fleurines du plateau du Combalou, sortes de cheminées naturelles au cœur de la roche qui ventilent les caves où mûri le Roquefort en maintenant une température et une hygrométrie constantes, me dis-je. Beau comme une belle histoire mais avec un petit bémol : ça vaut-il le coup de trimballer 33 tonneaux de vin de Bédarrides Vaucluse à Gissac Aveyron, soit 208 kilomètres puis de rapatrier les bouteilles une fois l’élevage terminé ? J’y reviendrai tout à l’heure sous l’angle empreinte carbone mais, comme je suis curieux, je suis allé sur le site de Maison Rouge www.maisonrougewines.com/ pour en savoir un peu plus.
C’est là que j’ai découvert un papier de La Dépêche du dimanche sous la rubrique Aveyron Actualités et le titre Les Gigondas épousent le roquefort. Jusqu’ici rien de nouveau sauf que la lecture du sous-titre m’a laissé pantois : Gissac. Millésimes de Château-Neuf-du-Pape, Vacqueyras et autres grands crus. Oui chers amis que dans un grand journal de province «des journalistes» ne sachent pas orthographier correctement ce fleuron de nos AOC, les bras m’en tombent.
Passé ce moment de stupéfaction je plonge dans la lecture de l’article (pas facile c’est écrit en tout petit) et j’y lis, outre l’histoire de nos deux larrons, que « les millésimes références 2001, 2005 et 2007 vont s’épanouir une année dans des fûts soigneusement rangés sous les voutes de l’ancienne bergerie devenu cave. À l’ombre du château de Montaigut, près de 10 000 bouteilles de vins prestigieux attendent d’être remplies. » Bien sûr je ne vais pas faire tout un fromage de cette histoire de bergerie mais signaler au « rubriquiste » de Régal qu’une bergerie est le lieu où sont logées les brebis ce qui n’a rien à voir « avec les caves d’altitude du fromage de Roquefort ». Surtout qu’en sus notre rubriquiste vante la fraîcheur de ces caves alors que l'éleveur de vin (voir ci-dessus) souligne l’atmosphère sèche de la bergerie).
De nos jours l’approximatif semble être la règle dans une certaine presse. Bref, je continue à lire. Jérôme Busato déclare « Ce qui est une idée de jeunesse s’est avéré en fait bien plus riche d’expérience que ce que nous pensions. En fait, la bergerie où sont stockés les fûts est très sèche, le vin y vieillit plus lentement. Il y a ici aucune contamination due à des caves voisines. Tout ceci nous a conduits à venir y mettre en fût les millésimes les plus prestigieux… »
J’avoue humblement que je ne suis pas convaincu. Des « bergeries » d’altitude ça doit exister dans le Vaucluse dont l’hygrométrie me semble très inférieure à celle de l’Aveyron. Mais comme je ne suis qu’un petit consommateur je ne pousserai pas le bouchon plus loin laissant cela aux spécialistes.
J’en reviens à « l’empreinte carbone » de la petite promenade des Chateauneuf-du-Pape, Vacqueyras et Gigondas. Tout d’abord viennent-ils en camion-citerne ? Ensuite les bouteilles sont rapatriées à Bedarrides ? À cet aller-retour (2x208 km) il faut ajouter celui du camion embouteilleur « venu spécialement du Vaucluse » (2x208 km). Pour les bouteilles l’approche de Gissac me semble plus coûteuse en gazole que celle de Bédarrides. Enfin, je suppose que ce n’est pas l’éleveur de brebis, Bernard Bosc, qui surveille l’élevage des crus, donc notre éleveur de vins doit sans doute faire quelques AR dans sa petite auto pour ce faire. Je pinaille sans doute mais j’ai du mal à adhérer à cette opération. De plus, je ne vois pas très bien en quoi « deux terroirs se rencontrent et travaillent ensemble », le vin est né en son terroir d’origine et l’emprunte de l’Aveyron me semble bien fugace.
Raconter aux gens de belles histoires, et celle de l’amitié de Bernard Bosc et de Jérôme Busato en est une, mais qu’ils ne m’en veuillent pas de penser qu’à trop l’enjoliver, comme dans Régal, de justifications du style « la fraîcheur de ces vieilles caves permet d’allonger, le temps d’élevage du vin. Il gagne en délicatesse comme en élégance » plaît certes aux bobos de la Grande Epicerie du Bon Marché à Paris ou aux consommateurs « des plus grands restaurants français, mais aussi russes et canadiens. » mais n’apporte rien à la notoriété d’un Chateauneuf-du-Pape d’un grand millésime qui n’en a d’ailleurs pas besoin. Enfin, pour clore cette courte excursion Aveyronnaise je vous annonce que j’y reviendrai pour vous parler cette fois-ci de la complicité entre l’Aligot et le Marcillac.
Entre nous ce n'est pas à Pomerol qu'une histoire comme celle-là arriverait vu que là-bas même le raisin est allergique aux kilomètres sauf pour ceux qui font le chemin inverse... Mais ça c'est une autre histoire les amis. http://www.berthomeau.com/article-32515642.html