Chère ODG de Pomerol,
À mon âge, en dépit de mon long compagnonnage avec les grands fauves
politiques, je garde une faculté d’étonnement et d’émerveillement en acier trempé. Celle-ci est décuplée lorsque je découvre, au hasard de mes recherches de petit chroniqueur, des décisions prises, la main sur le cœur, rien que pour faire notre bonheur à nous pauvres petits consommateurs.
Tel fut le cas le jour où, je cite ma source, Vitisphère, « La décision prise ce mois-ci par le Syndicat viticole de Pomerol, indiquant que d'ici 2018, tous les vins de l'appellation devront être élaborés sur l'aire même de Pomerol, inquiète nombre de propriétaires. En effet, beaucoup d'entre eux possèdent quelques hectares en Pomerol mais aussi sur les appellations limitrophes où se trouvent les propriétés et les chais. » Exiger de faire le vin et de le mettre en bouteille au plus près des vignes, surtout dans une appellation aussi prestigieuse que la vôtre, pourquoi pas ! Mais, lorsque je constate que la ligne de démarcation va exclure des chais situés à quelques kilomètres, voire des hectomètres, des vignobles situés dans l’aire, alors là je sors mon « révolver ». De qui se moque-ton ? Hormis les exclus, sans contestation de nous, ceux dont vous entendez assurer la protection.
Ce projet n’est pas nouveau puisque l’AG de votre syndicat a pris une délibération en ce sens le 23 octobre 1998. De plus, cette même assemblée le 1ier mars 2001 a mis en place un régime transitoire en vertu duquel tous les exploitants auraient l’obligation de vinifier dans l’aire d’appellation à compter de 2004 pour les viticulteurs exploitant plus de 2 ha et à compter de 2006 pour tous les autres. Pour faire bon poids, ces viticulteurs devaient chaque année adresser aux services de l’INAO une demande de dérogation pour pouvoir être autorisés à vinifier hors de l’aire Pomerol. Fort bien me direz-vous, voilà qui prouve que le projet n’est pas nouveau. J’en conviens mais ce qui m’étonne, moi qui dans ma vie antérieure ai vu défiler sur mon bureau tant de décrets d’AOC, c’est que toutes ces modifications n’aient pas été retranscrites dans le vôtre. Pourquoi tant de discrétion ? Que je sache seules les signatures ministérielles donnent force de loi à vos décisions et leur publicité, via le JO, les rend opposables au tiers. De plus, en ce temps-là votre Syndicat était un club puisque l’adhésion n’était pas de droit mais supposait une cooptation par l’un des adhérents. Sans vouloir minimiser vos décisions antérieures je trouve qu’elles prenaient quelques libertés avec une saine conception d’un État de droit et qu’elles affaiblissent votre intransigeance actuelle.
De quoi je me mêle me rétorquerez-vous, à Pomerol, sur nos 800 hectares, nous sommes une grande famille, et la discrétion sied aux grandes familles qui se doivent de « laver leur linge sale » en famille. Permettez-moi de rebondir sur cette expression, qui peut vous semblez vulgaire – elle est attribuée à Voltaire et à Napoléon –, pour m’interroger sur la finalité, le sens de votre démarche. Toujours dans Vitisphère, votre président, Jean-Marie Garde explique que ce vote « suivait la logique d'une décision prise en 1998 et qui s'inscrit dans la logique qui préside à Saint-Emilion, à savoir que cela valide la notion de « mise en bouteille au château ». Mais alors, que d’eau que d’eau a coulé dans le ruisseau de la Barbanne avant que vous ne vous décidiez à inclure cette exclusion dans le projet de cahiers des charges. Ce qui m’étonne plus encore, c’est qu’elle ne s’appliquera qu’en 2018. En effet, puisque vous semblez vouloir, au travers d’elle, accroître notre protection face à des pratiques qui, je le suppose avec beaucoup de précaution, doivent sans doute être non-conformes à l’éthique de votre appellation, je ne vois pas pourquoi vous avez attendu si longtemps : presqu’un siècle, et que vous différiez encore de 9 ans son application ? Vos grands anciens, tel l’ancien Président de la CNAOC : monsieur Henri de Lambert du Château de Sales à Pomerol, que j’ai eu comme interlocuteur au cabinet du Ministre, étaient-ils aussi peu soucieux de défendre votre prestigieuse appellation ?
Si je me permets cette intrusion dans vos affaires de famille ce n’est pas pour porter secours aux futurs exclus, qui n’ont nul besoin de mon assistance, mais parce que Vin&Cie est un espace de liberté qui se veut ouvert à toutes les questions, même celles qui dérangent. J’en égrène quelques-unes.
- Puisque vous changez la règle actuelle c’est que celle-ci sans doute ne donnait pas toutes garanties aux consommateurs que nous sommes ? Si tel n’était pas le cas, puisque jamais vous ne nous avez alertés sur ce point, pourquoi la changer ?
- Dans la mise au château y-a-t-il de « bons » et de « mauvais » châteaux puisque les futurs exclus, qui font de la mise au château, se voient reprocher de le faire au seul motif qu’ils le font dans une propriété non-située dans l’aire ?
- Est-ce la proximité de raisins d’une Appellation voisine qui constituait un facteur de risque ? Si oui, pourquoi les propriétaires de Pomerol vinifiant à Pomerol continueront-ils de vinifier d’autres appellations voisines : Lalande de Pomerol, St Emilion, Lussac St Emilion…dans leurs chais ? Sont-ils plus vertueux – puisqu’ils en ont le droit – que leurs collègues de l’appellation d’à côté ? Sur quels critères objectifs la zone de proximité immédiate a-t-elle été définie ?
- Cette décision, sous le couvert de la protection de l’authenticité, est-elle économiquement (investissements lourds pour des volumes faibles) et écologiquement (multiplication des sites de vinification) responsable dans une appellation d’environ 800 hectares ?
- Puisque cette décision, dites-vous, est prise pour valider la notion de « mise en bouteille au château » pourquoi le texte de votre projet permet-il la mise en bouteille dans tout le département de la Gironde ?
- Pourquoi les opérateurs élevant et conditionnant des vins de Pomerol hors de l’aire ont-ils une date de péremption 2025 beaucoup plus lointaine que les vinifiant ?
- Pourquoi la proposition d’une solution alternative de Jean-Michel Laporte, du Château La Conseillante, qui permettrait « aux châteaux qui vinifient traditionnellement hors de l'appellation de continuer à le faire et de n'appliquer la décision qu'aux nouveaux entrants. » n’est-elle pas examinée ?
Mais « on me dit que...» ce n'est pas possible car la main de Bruxelles s'y opposerait. N'étant pas un praticien du droit communautaire alors je pose la question dans le même mouvement au professeur Norbert Olzack Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne afin qu'il éclaire notre lanterne ?
- Dans la mesure où, en 2018, un propriétaire ou un bailleur qui ne ce serait pas conformé à votre décision n’aura plus qu’une seule issue : vendre ses vignes, votre décision ne serait-elle pas un moyen de pression habile pour contraindre des petits propriétaires à vendre leur « lopin » de vignes au bénéfice des propriétaires en place ?
- Est-il possible de connaître les noms et qualités des membres des instances dirigeantes du Syndicat Viticole de Pomerol ?
Sans en appeler aux mannes de René Renou qui a voulu avec passion que chaque syndicat réécrive son décret pour redonner à la notion d’AOC tout son sens et pour réinscrire notre système d’AOC dans ses fondations originelles, je me permets de souhaiter, chère ODG de Pomerol, que vous vous placiez dans cette perspective pour que l’intérêt collectif, soucieux d’excellence et de qualité, prenne en compte des réalités individuelles qui vont dans le même sens.
Je me tiens à votre disposition, chère ODG de Pomerol, pour contribuer à une telle issue car le dit l’adage populaire « un bon compromis conciliation vaut mieux qu’un mauvais procès »
Bien à vous